Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 26 février 2018


Tentative d’évasion (fiscale)
Les deux spécialistes de la sociologie des riches nous font découvrir les malversations « mondaines » de l’oligarchie capitaliste et les complicités tacites dont elles bénéficient auprès de la caste politicienne qui gouverne à son service. Le pactole de l’évasion fiscale est en effet l’objet de toutes les convoitises des puissants y compris de ceux qui les servent. Le blanchiment de fraude fiscale est, à l’heure des paradis fiscaux et de la concurrence entre pays, devenu monnaie courante. Bercy n’est qu’un verrou de repentance consentie pour les moins malins. Quant aux seigneurs milliardaires, l’optimisation fiscale, assistée de cabinets d’avocats  affairistes, est un sport lucratif presque sans risques. Banques, trusts, filiales des multinationales, organisent la fluidité des milliards fugitifs en s’abritant derrière la façade de l’optimisation fiscale… légale. Certes, scandales et révélations jettent de plus en plus une lumière crue sur l’opacité de la spéculation financière, les escapades pour échapper à l’impôt, mais ne parviennent guère à éclairer le maquis touffu des montages financiers sophistiqués. Ils révèlent toutefois la « morale » des biens pansus où le cynisme et la cupidité sont de règle. Les auteurs exposent, au terme de leurs investigations, la solidarité maffieuse de cette haute délinquance en col blanc, espérant que leurs lecteurs s‘interrogeront : est-ce dans ce monde où nous sommes victimes de ces rapaces que nous voulons vivre ? GD
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, ed. Zones, 2015, 17€


L’Arabie Saoudite en 100 questions.
L’émergence d’un régime des plus archaïques et rétrograde au début du 20ème siècle n’a été possible que grâce à l’appui du Royaume-Uni entre 1927 et 1929, lors de l’effondrement et du dépeçage colonial de l’Empire ottoman. Il fut consolidé par l’alliance conclue entre Roosevelt et Ibn Saoud. Le pacte et la loi prêt-bail qui s’en sont suivis sentaient l’odeur du pétrole pour les uns et l’achat d’armes US pour les autres. La rente pétrolière a permis à cette théocratie familiale de prospérer tout en instaurant la ségrégation entre les hommes et les femmes, en interdisant toute liberté d’expression en diffusant de par le monde, avec la complaisance des puissances occidentales, un islam profondément réactionnaire. Ce sont quelques-unes des vérités occultées que vous découvrirez en lisant cet ouvrage pédagogique qui révèle entre autres que cette pétromonarchie interventionniste, ainsi que la société sous son joug, est de moins en moins monolithique. Depuis la guerre d’Afghanistan, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, secouée de contradictions, elle a généré à la fois Al Qaida et l’Eta Islamique à son encontre et une jeunesse tentée par les sociétés occidentales. Sa fuite en avant dans la course à l’hégémonie contre l’Iran chiite l’a conduite à l’enlisement dans la guerre d’agression contre le Yémen. A travers 100 questions et réponses argumentées, le lecteur découvrira en outre tous les aspects de ce régime corrompu et le soutien dont il bénéficie de la part des puissances occidentales. Le jour où ce royaume s’effondrera, le monde en sera changé… GD
Fatiha Dazi-Heni, éd. Taillandier, 2017, 14.90€



le n° 41 de PES est paru
Editorial (ci-dessous)

Comme l’Allemagne, la chancelière chancelle

La puissance de l’Allemagne en Europe et dans le monde s’est bâtie sur l’exploitation de la main d’œuvre à bas coût à l’est et l’austérité imposée par le social-démocrate Schröder au sein même de la société allemande.

Les échanges inégaux avec la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie…, les délocalisations de proximité à coups de sous-traitance et de main basse sur les entreprises privatisées ont provoqué la révolte nationaliste réactionnaire de « l’arrière-pays » de l’empire industriel allemand. En Slovénie, en Croatie, en Roumanie, les salaires moyens représentent 1/10ème de ceux pratiqués à Berlin de 1990 à 2010. Il semble que l’orgie de profits se termine, à preuves : la grève de l’entreprise géante Volkswagen à Bratislava où les ouvriers ont obtenu 16% d’augmentation et la constitution de bourgeoisies qui « s’insurgent » : « Nous sommes devenus une colonie allemande ».

Quant à l’austérité imposée, elle a profondément divisé la société allemande et permis l’émergence d’une extrême droite fascisante. D’un côté, les précarisés à temps partiel contraint avec un salaire moyen horaire à 9€, de l’autre l’aristocratie ouvrière contrainte par le blocage des salaires mais encore préservée par des conventions collectives au rabais. Et ce fut cette grève inattendue de 250 entreprises de la métallurgie et de l’électronique. Ils ont obtenu 4,3% d’augmentation et la possibilité de travailler 28H/semaine avec compensation partielle. Que l’on ne s’y trompe pas, les patrons ont la possibilité d’imposer les 40H au lieu des 35, à leur convenance, selon leurs carnets de commandes. Il n’empêche, cette poussée revendicative pourrait bien s’étendre à la fonction publique, aux industries chimiques…,leurs conventions collectives contraignant la « paix sociale » viennent à expiration.

Reste l’allié étatsunien qui n’en peut plus de se voir tailler des croupières : de 2009 à 2015, les exportations allemandes vers les USA ont bondi de 28 à 75 milliards pour atteindre 114 milliards en 2016. « Déséquilibre nuisible » avait dit Obama, « intolérable » dit Trump, maintenant « c’est chacun pour soi » et la guerre commerciale.

Les classes dominantes allemandes devraient donc en rabattre, l’Etat fédéral en finir avec ses excédents budgétaires (38,4 milliards€) et lâcher du lest pour financer les infrastructures en désuétude et mettre fin au « diktat austéritaire ». Pas si sûr !  

Après avoir étranglé la Grèce, la réduisant à un protectorat, favorisé le Brexit et la montée de l’extrême droite partout en Europe, le doute s’est insinué. Si l’Allemagne face à son déficit démographique a besoin de main d’œuvre étrangère pour peser encore plus sur les salaires, nombre d’Allemands y rechignent et sont tentés par le vote d’extrême droite.

Et les castes régnantes hésitent, tergiversent, les deux grands partis de collaboration vont-ils finir par s’entendre face à leurs bases électorales réticentes ? De son piédestal Merkel vacille, Schultz se renie, le SPD se divise. Après des nuits de conciliabules à droite toute (avec les libéraux extrêmes du FPD), puis les tractations nocturnes pour reconduire la « grande coalition » en déconfiture, tout, pour eux, doit être fait pour éviter de nouvelles élections, voire un gouvernement minoritaire. Dès le 26 février prochain, date des élections au sein du SPD dont le but proclamé par les apparatchiks est d’approuver le contrat avec Merkel, on connaîtra le degré de fracture entre ceux qui veulent y aller et ceux qui refusent d’aller gouverner pour qu’à peu près rien ne change. D’autant qu’au programme s’est substituée une lutte des places de ministrables qui provoque des poussées d’urticaire de la base. L’empire allemand serait-il en train de vaciller ?

En tout état de cause, mis à part le frêle mais intempestif bonaparte français, plus nombreux sont ces pays tentés par une Europe de l’échangisme sans contrainte, soit le chacun pour soi.

GD le 22.02.2018

Au sommaire
- Carrière de Ternuay, où en est-on ? (voir ci-dessous)
- Contrôle, tri, expulsion. Collomb le "nettoyeur" (voir ci-dessous)
- Moyen-Orient. guerres et (ou) révolutions (ci-dessous)
- 1947, 1967 après 1897 et 1917. Pas d'oubli
- Guatemala-Israël ou une amitié intéressée
- Catalogne. (ci-dessous)
- La violence morale, pathologie du libéralisme (ci-dessous)
et nos rubriques : Ils, elles luttent  et Nous avons lu  

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Contrôle, tri, expulsion : Collomb, le « nettoyeur »

Comment formater l’opinion pour faire approuver une politique migratoire restrictive ? Insister sur l’impossible accueil des exilés toujours plus nombreux cherchant asile en Europe et en France. Stigmatiser les personnes déboutées du droit d’asile et celles qui devraient repartir dans le pays sur lequel ils ont mis le premier pied en Europe, pour s’autoriser à enfermer, expulser et, parallèlement, entretenir un sentiment raciste et xénophobe. C’est la méthode dont le gouvernement use pour pratiquer rejet, enfermement et expulsion, politique qu’il entend poursuivre. PES a déjà largement traité des raisons des migrations (1) et nous n’y reviendrons pas ici. Par contre, s’il est indéniable qu’une politique européenne est indispensable pour répartir la responsabilité d’accueil, les exemples ne manquent pas des Etats européens qui pratiquent le chemin inverse. La France construit, quant à elle, des murs législatifs pour s’autoriser à refouler, enfermer, rejeter. Toutefois, il est des limites à ne pas dépasser et les images des pratiques inacceptables aux frontières (à Calais, à la frontière italienne ou en Méditerranée…) ont troublé même des députés de la majorité, et surtout, renforcent les mouvements de solidarité et de résistance qui se constituent partout, pour réussir à repousser la politique migratoire actuelle.

Légaliser ce qui est illégal

Pourquoi, alors qu’un projet de loi Asile et immigration va être soumis au parlement au printemps, fallait-il se précipiter pour faire adopter une proposition de loi sur « l’application du régime d’asile européen » ?

C’est qu’un arrêt de la cour de Cassation du 27 sept. 2017 a jugé illégal l’enfermement des personnes « dublinées » (2), pratiqué par les préfectures au prétexte de risques de fuites, la loi n’en précisant pas les critères. La machine à expulser de Collomb, via ses préfets aux ordres de la politique du chiffre (dont ils rendent compte chaque quinzaine en visioconférences) était bloquée. En novembre 2017, la Cimade dénonçait l’enfermement aveugle qui viole les droits des personnes, cette politique migratoire dont le volet répressif s’est considérablement renforcé : contrôles au faciès, contrôles aux frontières sous prétexte de lutte antiterroriste, instructions aux préfets. Le nombre de personnes enfermées en CRA (centres de rétention administrative) a été multiplié par deux, passant (pour les seuls CRA où intervient la Cimade) de 569 pour la période du 2 oct. au 8 nov. 2016 à 1 058  pour la même période en 2017. Ce rythme effréné se traduit par une explosion de violations des droits des personnes étrangères par les préfectures : en métropole, depuis le 2 oct. 2017, 41% des personnes enfermées ont été libérées par des juges qui ont constaté et sanctionné des pratiques administratives ou policières illégales (contre 30% en 2016).

Pour contourner le « vide juridique » pointé par la Cour de Cassation, il suffisait de légiférer sur la liste des « risques de fuite non négligeables », permettant d’enfermer en toute légalité. Sans attendre, le 1er ministre trouva quelques députés désireux d’être « utiles », prêts à déposer une proposition de loi. Pas question de forcer la main par un projet de loi émanant du ministre ! Warsmann, les Constructifs et quelques UDI déposèrent, le 24 oct. 2017, une proposition de loi dite de « bonne application du régime d’asile européen » précisant 11 cas de « risques de fuites non négligeables » pour enfermer les exilés, qui, par ailleurs, n’ont commis aucun délit mais souhaitent seulement déposer leur demande en France. La fa(r)ce de la démocratie en était sauvée ! Mais la procédure se grippa quelque peu : en première lecture à l’assemblée des députés de LRM s’indignèrent contre, notamment, « les centres de rétention qui deviennent des centres de détention indignes de notre république ». Le Sénat, lui, durcit encore le texte avec des amendements : il introduisit un 12ème cas valant rétention, à savoir  « si l’étranger refuse de se soumettre au relevé des empreintes digitales ou s’il altère volontairement ces dernières pour empêcher leur enregistrement » ; il proposa de ramener de 15 jours à 7 jours le délai de contestation d’une décision de transfert vers un autre pays. Il fallut donc une 2ème lecture à l’assemblée qui, ce 15 février, a  adopté le tout à une large majorité : sur 64 votants, 51 ont voté pour, 6 ont voté contre (4 LFI, 1 du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et 1 du Modem et apparentés). 7  LRM se sont abstenus. La trentaine de « marcheurs rebelles » sont rentrés dans le rang, Collomb leur affirmant qu’ils pourront déposer des amendements pour revenir sur cette décision lors du vote du projet de loi futur. Naïfs ou obéissants ? L’histoire très proche nous dira s’ils étaient sincères. Ainsi va la démocratie représentative !

Le nettoyeur Collomb va pouvoir se remettre à l’ouvrage dès la promulgation de la loi.

En droit, l’assignation à résidence devrait être la règle et la rétention l’exception mais, en pratique, les préfets jugent l’assignation trop peu efficace ; pourtant, elle n’est pas limitée dans sa durée, le Conseil constitutionnel l’a confirmé récemment : lorsqu’elle dépasse 5 ans, il suffit de motiver la décision. En 2016, 44 086 étrangers ont été placés en rétention contre 4 687 assignés à résidence.

On ne peut être que pessimiste sur ce qui se prépare même si la mise en œuvre de l’enfermement doit tenir compte des CRA déjà bien engorgés et des « accords de réadmission » signés ou non avec les pays concernés. Collomb, le 11.02.2018, affirmait sa détermination à obtenir, à l’image de « son » président avec l’Arménie et l’Albanie, l’accord de la Guinée Konakry et la Côte d’Ivoire, lors du prochain G5 Sahel.

Les opposants à cette loi d’enfermement massif pour expulser, si joliment appelée de « bonne application du régime d’asile européen » revendiquent la suspension des effets dévastateurs du règlement Dublin coûteux et inefficace, créateur de clandestins et, à terme, sa suppression. Ils exigent une politique aboutissant à la mise en place d’un système d’asile européen où le choix du pays d’accueil est fait par la personne.

Ce n’est pas le chemin pris par le projet de loi  modifiant le CESEDA – Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile - qui se profile.

Légiférer encore… pour rejeter, enfermer, trier, expulser 

Le 11 janvier, le gouvernement présentait aux associations d’aide aux migrants (Gisti, Cimade, LDH, Médecins sans frontières, Secours Catholique, etc…,) sous la forme d’un simple fichier word transmis la veille, le projet de loi « Asile et immigration ». Cet exercice de communication fut considéré par les associations comme méprisant, elles qui avaient déjà claqué la porte le 8 décembre, à Matignon, suite à la circulaire Collomb sur le tri des migrants dans les centres d’hébergement. Le projet « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » présenté en Conseil des ministres le 21 février sera soumis au Parlement en avril.

Annoncé par Macron comme mêlant « humanité et fermeté », il est, selon la Cimade et bien d’autres, un texte grave et dangereux, axé sur la répression et la réduction des droits des migrants, renforçant les dispositifs d’expulsion du territoire. Sous les mots « mieux accueillir » et « mieux renvoyer », il faut lire « mieux réprimer ». Après les désaccords dans la majorité, Collomb a déminé le terrain auprès des 312 députés LRM, les assurant que « nous avons trouvé un point d’équilibre, c’est la seule position tenable » : améliorer les conditions de l’asile pour les réfugiés éligibles à ce droit, reconduire aux frontières ceux qui résident en France sans titre de séjour régulier, tout en raccourcissant les délais d’instruction des demandes d’asile.

S’il a accepté de gommer le concept de « pays tiers sûr » qui aurait permis de renvoyer des demandeurs d’asile hors d’Europe sans examen de leur demande en France, il ne cède pas sur sa circulaire  relative « à l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence » : celle qui préconise avec l’aide d’équipes mobiles préfectorales, la recherche des déboutés du droit d’asile et des personnes « dublinées », dans les établissements soumis au principe d’inconditionnalité de l’accueil. Collomb est soutenu en cela par la réponse du Conseil d’Etat au référé de 28 associations : il n’y a pas urgence à suspendre cette circulaire, les personnes interrogées le seront sur la base du volontariat et sans contraintes !

Le projet de loi est qualifié par les associations de « dissuasion migratoire ». Il est une succession de dispositifs répressifs qui vont à l’encontre du discours humaniste du président :
-        Allongement de la durée de rétention  de 45 à 90 jours avec possibilité d’aller jusqu’à 135 jours
-        Démarches plus difficiles pour le dépôt de la demande d’asile : la durée de « retenue administrative » passe de 16h à 24 H, véritable « garde à vue bis pour étrangers sans papiers » ; les délais d’instruction de la demande d’asile sont réduits de 120 jours à 90 jours sachant qu’il faut environ 30 jours pour accéder au premier rendez-vous en préfecture (encart) ; délai de recours suite à un refus d’asile en Cour Nationale de Demande d’Asile réduit de 1 mois à 2 semaines, précisant que, par ailleurs, celui-ci ne sera plus suspensif

Accélérer les procédures, réduire les délais de recours, traquer, enfermer et expulser semblent être les principaux objectifs poursuivis.

Rien pour les « dublinés », très nombreux à souhaiter demander l’asile en France. Rien sur l’accès au séjour stable et pérenne des personnes par la délivrance de plein droit de la carte de résident valable 10 ans. Rien non  plus pour mettre fin à l’enfermement des enfants dans les centres de rétention, pratique pour laquelle la France a été condamnée six fois par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.  

Résister, mobiliser pour lutter

Macron a beau qualifier les dénonciations de sa politique migratoire « de faux bons sentiments » ou encore de faire acte de mépris « Il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », trop c’est trop ! L’inacceptable maltraitance des exilés a fait se lever d’innombrables solidarités pour les aider, les soutenir, au risque d’être condamnés pour « délit de solidarité ». Innombrables, aussi, sont les militants qui se mettent en réseaux pour, au-delà de la nécessaire réponse immédiate à la détresse physique et morale, s’engagent, à plus long terme, dans une lutte pour une politique migratoire alternative. Pour être utiles, les mobilisations doivent dépasser l’acte de solidarité. Il n’est plus possible de se cacher derrière un « Moi, je ne fais pas de politique ». Accueillir un exilé, l’aider, c’est déjà un acte politique, c’est pointer la défaillance de l’Etat... et même « s’il est plus facile de sympathiser avec les souffrances que de sympathiser avec la pensée » (Oscar Wilde), notre seule voie de résistance utile à la cause des exilés, est celle de la dénonciation collective de la politique migratoire inacceptable, celle qui s’applique déjà et celle qui s’annonce.

Lettres ouvertes, tribunes, déclarations se succèdent, qui s’élèvent contre les méthodes de traque et de rafle des familles que l’on sépare, de jeunes Soudanais, Afghans ou autres, que l’on refoule au risque de les envoyer à l’esclavage ou à la mort.  Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique-Caritas France le 7 février, accusait : « … à ne proposer pour seule réponse que la voie répressive et policière, M. Collomb emmène tout le monde dans une impasse. Une politique qui n’offre aucune solution aux exilés… les contraint à une vulnérabilité et un désespoir tels qu’ils sont prêts à prendre tous les risques… Un discours qui critique, voire insulte, les associations humanitaires en les mettant sur le même plan que les filières… avive encore les tensions en se privant des médiations indispensables. Cette attitude est celle d’un pompier pyromane ! … La politique menée à Calais par le ministre de l’Intérieur mène tout droit au chaos ». Dans une lettre ouverte au président, des partisans de la première heure, intellectuels, syndicalistes (3) critiquent sévèrement la politique du gouvernement «…De votre projet, nous avions retenu que nous aurions une politique de l’asile stricte mais exemplaire… Nous nous sommes hélas réveillés dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais. Où l’on lacère leurs toiles de tente à Paris. Où l’on peut se perdre pieds et mains gelés, sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne. Où des circulaires cherchent à organiser le recensement administratif dans les centres d’hébergement d’urgence… Où des projets de loi permettront bientôt de priver de liberté pendant 90 jours, des femmes et des hommes dont beaucoup n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’éloignement. C’est ainsi que des Erythréens, des Soudanais ou des Syriens, humiliés dans leur pays, torturés en Libye, exploités par des passeurs criminels, terrorisés en Méditerranée et entrés en Europe par la Grèce ou l’Italie, pourraient bientôt être privés de liberté en France... Que se passe-t-il donc ? Tout porte à croire que les artisans de ces initiatives suivent un raisonnement d’une glaçante simplicité : puisque vous leur avez fait obligation d’appliquer le droit d’asile à 100%, ils n’ont de cesse de faire baisser la demande en cherchant à dissuader les candidats de venir sur notre sol, voire en les éloignant avant même qu’ils aient pu tenter de faire valoir leurs droits. ».

Les rapporteurs de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) et les avocats y intervenant, se sont mis en grève depuis le 13 février. Deux syndicats de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) instance chargée d’instruire les demandes d’asile, ont appelé à la grève pour le 21 février pour protester contre le projet de loi. «… Votre projet est profondément néfaste et porte atteinte de manière tout à fait démesurée aux droits des demandeurs d’asile… il conduit à considérer les demandeurs d’asile uniquement comme des chiffres à réduire éternellement... Il nuit à l’humanité de notre pays…» (4)

Notre lutte s’appuie sur celle des exilés, ceux qui ont le courage de manifester, qui se mettent debout, comme les travailleurs sans papiers (soutenus par la CGT) dans la région parisienne qui dénoncent leur exploitation par des employeurs qui ne les paient pas (voir rubrique ils, elles luttent).

S’annoncent les Etats Généraux des migrations (5) lancés suite à un appel de 470 associations pour un changement de la politique migratoire. Mais s’indigner ne suffit pas. Reste à condamner sans ambiguïté celle qui est à l’œuvre, à dénoncer collectivement l’intolérable. Reste à définir, ensemble, une politique migratoire alternative en affirmant qu’il est possible de vivre dans une société d’égalité, ouverte et accueillante pour chacun, dans laquelle les migrants sont considérés comme une richesse et non comme un danger.

Odile Mangeot, le 20.02.2018


(1)   PES n° 33 (04.2017 Les migrations d’aujourd’hui. Comprendre et Décourager et refouler les exilés - n° 23 (04. 2016 Migrants : non bienvenue ! et n° 24 (05/06.2016) Y a trop d’étrangers dans le monde 
(2)   Le règlement européen Dublin III oblige tout exilé à déposer sa demande d’asile dans le pays d’entrée en Europe, là où ses empreintes digitales ont été enregistrées sur Eurodac dans lequel ils sont fichés. Le règlement Dublin autorise leur transfert dans le pays d’entrée.
(3)   Laurent Berger CFDT, Thierry Pech, PDG Terra Nova, Jean-Pisani-Ferry prof. Sciences Po, Jean François Rial PDG Voyageurs du monde, Lionel Zinsou, président Terra Nova (le Monde du 17 janvier 2018)
(4)   lettre ouverte d’un rapporteur de la CNDA sur https//blogs.mediapart.fr 
(5)   1ère session nationale des Etats Généraux des Migrations les 26 et 27 mai 2018

Sur http://player.radiobip.fr : Politiques migratoires inhumaines et résistances avec Pedro Vianna et Pierre-Alain Mannoni le 9 février.

Dépôt de demande d’asile en France : un labyrinthe.
Toute personne arrivant en France pour solliciter asile et protection doit se rendre à la plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile – PADA - de la région (en Franche-Comté, c’est à Besançon) ; un formulaire de demande d’asile est rempli, la PADA prend rendez-vous au guichet unique le GUDA (préfecture et Ofii) (en Franche-Comté, à la préfecture de Besançon), dans les 3 à 10 jours. En fait, il faut compter en moyenne 30 jours d’attente. La préfecture au vu du dossier et d’un entretien classe le demandeur  en procédure normale, accélérée ou « Dublin ». En procédure normale, le demandeur, en principe, est hébergé en CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) ou en HUDA (hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile). Il constitue son dossier qui suit la procédure pour obtenir le statut. S’il est « Dublin » : pas de demande d’asile possible ; il peut être assigné à résidence pour être expulsé.


France… peut mieux faire
Entre 2015 et 2016, nombre de réfugiés par habitant
Suède : 1/101
Allemagne : 1/141
Autriche : 1/188
Danemark : 1/335
Belgique : 1/440
Pays-Bas : 1/459
Italie : 1/938
France : 1/1340
et l’UE aussi
Le Liban accueille les exilés à hauteur de  25% de sa population
L’UE, 0.2%                                  paru sur https://www.ladepeche.fr/


Savoir de quoi on parle
Aurélien Taché (député LRM), la « caution sociale » de Macron, a remis 72 propositions pour favoriser la politique d’intégration des étrangers, comme une dose d’adoucissant dans la lessive Collomb. Dans un article du Monde du 20.02.18, tout est embrouillé : il est question de  262 000 titres de séjour accordés en 2017, mais ces titres concernent : 88 100 étudiants, 11 000 travailleurs saisonniers, 91 070 immigrations familiales, 27 700 travailleurs avec visas, et seulement 36 000 réfugiés (ceux qui ont obtenu le statut). Et tous ceux qui sont demandeurs d’asile, tous ceux qui ne peuvent pas la demander ? Combien sont-ils ? Où vivent-ils ?
  


Carrière de Ternuay, où en est-on ?

Le Tribunal Administratif de Besançon, le 19 décembre 2017, suite à l’appel en référé déposé par l’association de sauvegarde des 1 000 étangs, a ordonné la suspension de l’arrêté du 7 juillet 2017 de la préfète Lecaillon, pour les raison principales suivantes
-        insuffisance de l’étude d’impact qui omet de mentionner la présence à proximité du projet d’une exploitation maraîchère
-        insuffisance des garanties financières offertes par la Société des Carrières de Ternuay, le coût des travaux de remise en état en fin d’exploitation étant supérieur au capital social.

Tous les travaux sur le site sont interdits. C’est une victoire, même s’il faut attendre le jugement sur le fond, à savoir la contestation des trois décisions préfectorales : l’autorisation de défrichement, la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées et l’autorisation d’installations classées contraires à l’environnement. Mais cette (petite) victoire renforce la détermination des opposants à ce grand projet, inutile aux habitants de la vallée, à poursuivre la lutte. Pour l’heure, la vigilance est de rigueur pour vérifier que les travaux de défrichage ne se poursuivent pas et pour tenter de compléter le travail d’inventaire des espèces protégées, qui est largement insuffisant.

La société a fait appel en Conseil d’Etat.
Plusieurs hypothèses judiciaires sont envisageables :
- le Conseil d’Etat n’admet pas le pourvoi de la société au motif qu’il n’existerait aucun moyen d’entraîner la cassation de l’ordonnance rendue
- avant que le Conseil d’Etat ne se prononce sur l’admission au pourvoi, le Tribunal administratif statue sur le fond, le pourvoi est alors sans objet
- le pourvoir est admis, il faut un avocat plaidant au Conseil d’Etat

L’heure est donc à constituer une réserve financière car les frais de justice sont très élevés. Un appel à contribution est lancé par l’association des sauvegarde des 1 000 étangs
« Cesser de se battre, c’est être battu à coup sûr !
Elle propose d’ouvrir une souscription déposée sur un compte particulier, restituable s’il n’y a pas la nécessité d’engager ce frais. Les dons sont à adresser, par chèque libellé au nom de « Association de sauvegarde 1000 étangs » à Françoise Marlier, la Bergerie 70290 Belfahy.     

L’information des habitants, leur sensibilisation seront poursuivies. A suivre…




A qui avons-nous à faire ?

La société des carrières de Ternuay (SCT), qui est-elle ?

Créée en 2004 à l’initiative de la SARL Valdenaire et STPI, dans la perspective d’acquérir les terres (13,3 ha) et l’autorisation d’exploiter une carrière à ciel ouvert (7,7 ha d’une profondeur de 80 m), située à Ternuay-Melay-Saint-Hilaire lieudit « Outre l’Eau » et « Fragramme » (zone Natura 2000). Elle s’est constituée sous la forme de société par actions simplifiée (SAS), un cadre juridique offrant un allègement des contraintes, notamment en matière de fonctionnement interne défini essentiellement par les associés et non par la loi. Elle exerce ses activités dans les domaines de gestion administrative et commerciale de production sable et granulats. Présidée depuis 2013 par M. Laurent Delafond la SCT associe trois entreprises. La société des Granulats de Franche-Comté (GDFC), actionnaire majoritaire détenteur de 55% des parts, la SARL Valdenaire Frères détenteur de 22,5 % des parts et la Société Générale des Entreprises (SGE, une holding regroupant les participations de STPI, STPI ROUTE, SBI, EVI et en assurant l’unité de direction) détenteur de 22,5%. Ces deux dernières oeuvrent principalement dans le secteur des travaux publics.

Une telle structure actionnariale octroie la pleine gestion de la société à la GDFC (propriétaire de plus de moitié) qui affirme appliquer sa politique globale ; les associés quant à eux, ne disposant pas d’une minorité de blocage, ne peuvent compter sur le bénéfice d’opposition. Une véritable dictature, un modèle éprouvé pour la GDFC qui a ainsi noué plusieurs partenariats dans la région. Il est donc nécessaire pour mieux connaître la SCT de s’intéresser davantage à la GDFC.

La société Granulats de Franche-Comté - GDFC

Créée en 2005, c’est à Chenove, en Côte d’Or, qu’elle élut domicile. Elle entre au capital de la SCT en 2010 à la suite d’une première demande d’exploitation soldée par un refus. Le tribunal administratif de l’époque évoquait une incapacité technique et financière, une aubaine pour la GDFC disposant alors d’un capital de plusieurs millions d’euros. Elle compte aujourd’hui 14 établissements à son actif, exploite les sols de 12 carrières, toutes en Franche-Comté, et place à sa tête ce même Laurent Delafond (qui de surcroît accentue les décisions unilatérales au sein de la SCT).

La société aux connotations locales dissimule en réalité des multinationales. La première Eqiom, actionnaire majoritaire propriétaire de 60% des parts est une filiale du groupe CRH (Cement Roadstone Holding) basé en Irlande. L’un des leaders mondiaux des matériaux de construction, implanté dans 31 pays sur 4 continents, coté aux bourses de Londres, Dublin et New York. La seconde Eurovia, propriétaire à 40%, implantée dans 16 pays pour une moyenne de 40 000 chantiers par an est une filiale du groupe Vinci. Vinci qui lui laisse en mémoire ses deux prix Pinocchio (prix décerné aux entreprises les plus fallacieuses de l’année) 2011 et 2012 pour causes environnementales et sociétales.

En bref, accepterons-nous que la SCT, vulgaire rouage, dernier maillon d’une chaîne appartenant aux géants du secteur, dépouille de ses ressources un patrimoine naturel de grand intérêt ?

Romain Menigoz.


Moyen-Orient. Guerres et (ou) révolutions

Après l’écrasement des « printemps arabes », faut-il désespérer des peuples du Moyen-Orient ? A la grande révolte a, certes, succédé la contre-révolution mais il semble bien que le feu couve sous la braise. L’Etat profond n’a de facto pas été atteint. Qui plus est, les guerres ravagent les différents pays et ont suscité l’engagement des impérialismes, y compris régionaux.
La balkanisation de la région pourrait d’ailleurs provoquer un embrasement général pour un nouveau partage par les pays dominants. Toutefois, ceux comme la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite (1), qui espèrent tirer profit de cette région hautement inflammable, sont autant de maillons faibles dans les chaînes des puissances qui s’opposent.
La revue de la situation des différents pays, les révoltes qui s’y sont déroulées dernièrement, la nature de la guerre qui prend forme dans certains d’entre eux, peuvent illustrer l’interrogation : guerres et (ou) révolutions ?

1 – Des pays sous la pression sociale

La Tunisie en effervescence

Plus de 7 ans après la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite, la coalition (Nidaa Tounes et le parti islamiste) a restauré un pouvoir autoritaire, mis sous le boisseau la Constitution de 2014 et reculé la date des élections. L’amnistie des corrompus du régime précédent, et le retour des benalistes, se sont conjugués avec l’austérité budgétaire. En janvier, des manifestations importantes ont mis en cause le pouvoir. Les jeunes au premier rang, le Collectif « Qu’est-ce qu’on attend », le Front Populaire, se sont insurgés contre la confiscation de la « révolution ». La répression s’est traduite, notamment, par l’arrestation de 800 personnes. Mais l’aspiration à la « justice sociale » demeure, y compris dans « l’arrière-pays oublié », même si le syndicat UGTT fait tout pour étouffer les nombreuses grèves. Le marasme économique perdure : le secteur du tourisme est touché, tout comme les industries (phosphate, textile). Les investissements étrangers ont reculé de 40% depuis 2012, la dette publique avec l’intervention du FMI ne peut qu’augmenter. L’institution financière a, en effet, promis 2,3 milliards de prêts sur 4 ans à condition de « dégraisser », pour le moins, la fonction publique, moyen qu’avait utilisé le nouveau pouvoir pour tenter d’acheter la paix sociale en embauchant massivement.

Au Maroc, le roi préservé, jusqu’à quand ?

Si le « printemps » marocain a vite été étouffé, les problèmes sociaux et les inégalités abyssales demeurent. En octobre 2016, un fort mouvement social dans le RIF a mobilisé cette région déshéritée. Réprimé en mai 2017, après des centaines d’arrestations, il se traduit, depuis septembre 2017, par le procès de 54 « activistes ». Ils risquent de 5 à 20 ans de prison.
En février 2017, plus au sud, à Jerada, le mouvement a rebondi réclamant « du pain, du travail, de l’eau et de l’électricité ». Si les mines de charbon ont fermé, des puits clandestins ont prospéré pour le plus grand bénéfice des « barons du charbon » qui ont encaissé des milliards de dirhams à la fermeture des mines.
Dans cette région de l’Oriental, près de la frontière algérienne, 32% des actifs sont au chômage contre 16% à l’échelle nationale. Le roi a vite dépêché sur place ses ministres de l’énergie et de l’agriculture mais « les habitants n’ont rien lâché ». La dignité et la justice n’ont pas de prix.

En Egypte, la chape de plomb sous pression

La « révolution » du 23 janvier 2011, après l’intermède de l’islamiste Morsi, s’est traduite par un coup d’Etat de l’armée. Le dictateur Sissi a verrouillé le pays après une répression terrible, y compris contre les « activistes » démocrates. Entre le 14 et le 16 août 2013, plus de 1 000 personnes ont été tuées.
Les risques d’émeutes irrépressibles sont en germe. L’Egypte est une bombe démographique et sociale où vivent 95 millions d’habitants sur 6% du territoire. Si le chômage officiel est de 12%, 2 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail ; le taux de pauvreté à 20% augmente de façon dramatique, la malnutrition touche 21% des enfants de moins de 5 ans ; l’inflation est à 30%.
Si les pétromonarchies du Golfe ont sauvé provisoirement Al Sissi et son régime par un prêt de 20 milliards de dollars, si le FMI s’apprête à verser 12 milliards en 3 ans, le piège de la dette risque de limiter drastiquement les marges de manœuvre du régime : TVA en hausse, baisse des salaires dans la fonction publique, électricité et gaz en voie de privatisation, baisse de 30% des subventions sur les produits de première nécessité. L’illusion d’un retour au nasserisme, qui a conduit à la réussite du coup d’Etat de l’armée, est en passe de s’effondrer.

La mollahcratie iranienne mise en cause

Ce pays de 80 millions d’habitants, engagé dans la guerre en Syrie, a vu surgir un vent de colère sociale dans plus de 40 villes. Les manifestants, à la différence de la vague de protestation de 2009 qui avait touché Téhéran pour demander plus de liberté et de droits sociétaux, s’en sont pris violemment aux bâtiments publics et aux forces de répression. C’est la base populaire, islamisée, du régime qui est entrée en révolte. La dégradation des conditions de vie, l’inflation, le chômage à 12,4%, les pénuries, les salaires impayés, en sont la cause ; 30 à 40% des jeunes sont au chômage, les épargnants sont victimes de la spéculation des banques frauduleuses.
On comprend les « libéraux » qui, face aux conservateurs réactionnaires de cette théocratie qui se délite, fassent tout pour desserrer les sanctions états-uniennes, faire revenir les investisseurs occidentaux et ranimer la rente pétrolière en souffrance. La répression à coups de canons à eau, de gaz lacrymogènes et d’emprisonnements massifs ne peut que renforcer l’impopularité du régime.

2 – Les guerres, le grand jeu et la révolution.

Au Yémen, le chaos et l’enlisement des interventions étrangères

Le printemps yéménite contre la dictature a été confisqué par la rébellion des Houthistes, ces chiites longtemps réprimés. L’alliance contre nature de ces derniers avec l’ex-président Saleh, s’est retournée contre lui. L’intervention militaire de l’Arabie Saoudite et de la coalition sunnite, qu’elle a constituée pour restaurer un pouvoir sunnite à sa botte, s’est traduite par une guerre effroyable : bombardements aveugles de la population civile, des hôpitaux, des écoles, famine utilisée comme arme de guerre… Si les Houthistes ont dû céder au sud, ils demeurent dominants au nord, tiennent la capitale Sanaa. La multitude de groupes rebelles au sud et à l’est, où sévit Al Qaida, a fait émerger une volonté sécessionniste, encouragée par les Etats Arabes Unis. Abou Dhabi, qui possède des troupes au sol, s’oppose désormais à la volonté hégémonique de Riyad. La partition du pays, voire son éclatement dans des souffrances sans fin, augure mal, pour l’heure, d’une issue positive.
Reste que pour l’Arabie Saoudite (1), cette guerre lui coûte 1 milliard de dollars par mois.

La Syrie en voie d’implosion et la révolution

Avec ses alliés intéressés, le boucher Assad a réussi à reprendre le contrôle d’une partie de la Syrie. Lui reste à reprendre, contre les groupes rebelles islamistes, la Goutta près de Damas, et la région d’Iblid. Il s’y emploie avec force bombardements. La Russie et l’Iran ont créé à son égard une situation de dépendance qui fait dire, qu’à terme, le tyran n’y survivra pas.
Le « printemps » syrien, sous les coups de l’impitoyable répression, s’est transformé en lutte armée téléguidée par les pétromonarchies et la Turquie. Cette dernière risque la perte d’influence qu’elle espérait gagner en aidant les djihadistes à  sa botte.
C’était sans compter avec les Kurdes qui, en alliance avec les Etats-Unis, ont pu après leur victoire à Kobané puis à Rakka, organiser la déroute de l’Etat islamique. Et, dans cet espace de peuplement kurde en Syrie, le Rojava, ils ont su déjouer les oppositions sectaires et constituer le Front Démocratique Syrien (FDS).
En effet, dans cette guerre civile syrienne, objet d’interventions étrangères multiples, le parti pour l’unité démocratique (PYD) profitant du retrait de l’armée syrienne a pu, dès juillet 2012, constituer de vastes régions libérées au nord de la Syrie. Dans les 3 cantons de Cizre, Kobané et Afrin, des assemblées législatives multipartites comprenant 40 % de femmes, se sont dotées d’un gouvernement cantonal autonome, disposant de 3 langues officielles, le kurde, l’arabe et l’araméen.
La remise en cause des mariages forcés, de la polygamie, des crimes d’honneur, la constitution d’unités de protection de la femme (YPJ) et le projet de fédération démocratique syrienne, constituent de fait, dans le Moyen-Orient, une force de transformation révolutionnaire incompatible avec la tyrannie d’Erdogan, le nouveau « sultan turc ». Le PKK, en Turquie, possède la même idéologie inspirée par le leader Ocalan emprisonné, conçue par le  théoricien américain, Murray Bookchin, qui prône la révolution par le bas, communale, multiethnique, écologiste.

Sur un territoire grand comme la Belgique et comprenant 2 millions d’habitants, les Kurdes syriens sont une épine dans le pied des USA et de la Russie. Certes, ils tentent de les instrumentaliser. Les USA s’en sont servi comme chair à canon dans la reconquête des territoires d’implantation de l’Etat Islamique, les Russes en les poussant à participer aux négociations qu’ils ont initiées à Sotchi… sans y parvenir.

Quel peut être l’avenir des FDS qui, dans leur avancée le long de l’Euphrate contre Daech, ont réussi à rallier des Arabes et d’autres minorités ? La présence de 2 000 conseillers US et la protection de l’aviation états-unienne, les préservent pour le moment des assauts russes et syriens. Cette protection est toutefois, pour les Etats-Unis, intéressée : le Rojava possède en effet la moitié des réserves pétrolières de la Syrie et reste dépourvu de raffineries…

Le 20 janvier 2018, l’armée turque, assistée de 20 000 supplétifs syriens, ladite Armée Syrienne Libre, a envahi la région d’Afrin, avec l’accord tacite de la Russie et la passivité US qui appelle Erdogan « à la retenue ». Les Kurdes vont-ils être sacrifiés au « grand jeu » du prochain partage néocolonial de la Syrie ?

La passivité des peuples fait penser aux guerres balkaniques qui ont précédé la guerre 14/18. Si comparaison n’est pas raison, il n’en reste pas moins que, derrière les protagonistes, sur le terrain, s’affrontent Poutine et Trump, assistés de « nains » occidentaux qui n’hésitent pas à armer les pétromonarchies réactionnaires. Cette lutte d’influence est à peine masquée par la volonté des puissances régionales (Iran, pays du Golfe, Turquie) de mener la guerre avec ou sans procuration.

Si l’enlisement de la Turquie advenait après celui de l’Arabie Saoudite au Yémen, à coup sûr, la légitimité des pouvoirs de ces régimes en serait ébranlée.


Pour ne pas conclure

Les printemps arabes se sont heurtés aux Etats profonds. Si quelques libertés ont été acquises, elles ont vite été réduites (Tunisie), voire pour la plupart, anéanties. Les problèmes sociaux qui en furent leurs raisons d’être, non seulement demeurent, mais sont plus explosifs que jamais. Le paysage politique et militaire est en pleine transformation. La mondialisation financière néolibérale et austéritaire, le repli états-unien en Irak et en Afghanistan, on fait surgir des volontés de puissances antagonistes pouvant déboucher sur de nouvelles guerres. Le tigre blessé US peut, avec Trump, être beaucoup plus agressif. Son réarmement massif, la volonté affichée d’utiliser, au besoin, l’arme nucléaire « miniaturisée », laissent augurer le pire contre l’Iran. La distance prise par la Turquie d’Erdogan avec l’OTAN, son rapprochement avec la Russie de Poutine, aggravent encore les dangers de confrontations. Et c’est sans compter avec les rodomontades de Trump contre la Corée du Nord et la Chine…

L’ère des guerres et des révolutions serait-elle de retour dans des conditions encore plus effroyables que lors de la guerre 14-18 ?

Gérard Deneux, le 19.02.2018

(1)   La situation intérieure de l’Arabie Saoudite aurait mérité un développement. Il aurait en revanche complexifié cet article. Pour en savoir plus sur ce pays, lire l’ouvrage pédagogique l’Arabie Saoudite en 100 questions, de Fatiha Dazi-Heni, présenté dans la rubrique Nous avons lu
(2)   En Afghanistan, les talibans contrôleraient les 2/3 du pays. Ils mènent, en concurrence avec l’Etat islamique, des attaques meurtrières de plus en plus fréquentes à Kaboul. Les USA, après s’être désengagés puis, avec Obama, réinvestis (le Surge), ne contrôlent plus la situation et encore moins le gouvernement corrompu de Kaboul. Trump est mécontent de l’attitude du Pakistan : de ses frontières poreuses accessibles aux talibans, de l’enclave du Waziristan où les talibans entretiennent des réseaux liés aux services secrets pakistanais. Depuis 15 ans, les USA ont fourni 33 milliards de dollars d’aide à ce pays pour de piètres résultats. L’aide 1,1 milliard par an a donc été remise en cause : 50 millions gelés en juillet, retard de 255 millions en janvier 2018. La Chine profite du vide laissé en développant une aide économique (grands projets d’infrastructures).


Quand Israël s’invite à la fête meurtrière en Syrie

Le 10 février 2018, prenant prétexte de l’intrusion d’un drone en Israël, alors même que les violations de l’espace aérien syrien sont monnaie courante ainsi que les « frappes » contre le Hezbollah, Netanyahou a répliqué : bombardements d’une base aérienne près de Damas, tuant de nombreux soldats dont des Russes. Des missiles sol-air syriens ont abattu un avion israélien. « L’impunité » et la supériorité d’Israël ébranlées, provoquèrent la fureur sur-jouée de Netanyahou, empêtré qu’il est dans des scandales affairistes.
A la conférence pour la sécurité à Munich le 18 février, les conditions verbales à l’intensification de la guerre s’étalèrent : Netanyahou, pousse au crime, déclara « Le moment est venu d’agir contre l’Iran », l’Américain approuva en s’indignant contre l’extension de l’influence de ce pays. Le Russe affirma qu’Assad était « seul légitime » et le Turc prétendit s’installer définitivement dans la région d’Afrin…


La Commune du ROJAVA

A l’été 2014, le monde découvre les combattant-e-s kurdes qui font reculer Daesh à Kobané. Le sacrifice de ces jeunes venus de toutes les régions kurdes était bien sûr motivé par la nécessaire résistance à la barbarie de l’Etat Islamique  mais cette détermination s’appuyait également sur la volonté de se battre pour une société libre, démocratique et égalitaire pour toutes et tous. Depuis 20 ans, le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) a opéré une réorientation idéologique. Influencé par le libertaire écologiste étatsunien Murray Bookchin, Abdullah Ocalan a appelé à l’élaboration d’un nouveau paradigme qui confère à la démocratie directe un rôle central. Justice sociale, égalité entre les sexes, inclusion des minorités et démocratie de conseils (quartier/village/canton) donnent forme à une révolution encore en cours. On dit de la poudrière du Moyen-Orient qu’une nouvelle guerre mondiale pourrait s’y déclencher. Mais on y voit naître aussi des idées et des pratiques qui montrent qu’un autre monde est possible. C’est ce que nous propose de découvrir le livre La commune du Rojava. L’alternative kurde à l’Etat-nation, coordonné par Stephen Bouquin, Mireille court, Chris Den Hond, avec la contribution entre autres de David Graeber, John Holloway, Michael Löwy, Immanuel Wallerstein et d’autres sociologues, philosophes, journalistes, militants. Edition Syllepse. 

Voir également, en accès libre sur youtube, le documentaire Rojava : une utopie au cœur du chaos syrien de Mireille Court et Chris den Hond   (tourné en juillet 2017).
Lire aussi dans le Monde Diplomatique l’article sur ce thème de Mireille Court et Chris den Hond, paru en septembre 2017.




Catalogne. Rappel de la situation et résultats

Après le référendum du 1er octobre 2017 et de la déclaration d’indépendance du 27 octobre, le gouvernement espagnol a dissous le Parlement catalan, emprisonné les organisateurs, mis la région sous tutelle et convoqué des élections en Catalogne le 21 décembre afin d’élire un nouveau parlement. Madrid pensait qu’assez naturellement les Catalans indécis se détourneraient des partis indépendantistes, les jugeant responsables du désordre institutionnel régnant dans la région.
Le gouvernement central orchestra une campagne de peurs et de désinformations en Catalogne : annonce de la fuite des banques avec impossibilité de retrait d’argent, départs imminents de nombreuses entreprises, campagne de boycott de produits catalans dans le reste du pays...
L’Union Européenne participa activement à ces pressions en annonçant que seul le gouvernement central était son interlocuteur et que jamais il ne reconnaîtrait la Catalogne indépendante. Dans l’esprit du 1er ministre, l’élection d’un nouveau parlement unioniste allait remettre la Catalogne sur le droit chemin. Et…
CATASTROPHE pour Rajoy !  Les Catalans réélisent le 21 décembre un parlement à majorité indépendantiste
HUMILIATION pour son parti ! Le Parti Populaire (PP) recueille seulement 4% des voix et 3 élus. La CUP a obtenu 4 sièges, la coalition indépendantiste 66,  assurant au camp de l’indépendance la majorité absolue (soit 68 sièges) avec 47,6 % des suffrages exprimés.

Après ces résultats, j’ai contacté mes amis catalans (indépendantistes) pour connaitre leurs impressions. Certains m’ont dit «  c’est un bon résultat, nous gardons la majorité au parlement, le PP est laminé, la marche vers l’Indépendance continue », d’autres m’ont dit « c’est un mauvais résultat car Ciudadanos, parti unioniste de droite ultra libérale, devient le 1er parti de Catalogne (36 sièges) et le mouvement indépendantiste n’obtient pas la majorité des voix » ; d’autres encore m’ont dit « Ce n’est ni une victoire ni une défaite : tout va dépendre de l’attitude du gouvernement central ».
Ce scrutin n’a donc pas beaucoup modifié les rapports de force entre les partis. Cependant les grands perdants sont M. Rajoy et le PP, ainsi que la CUP qui passe de 10 à 4 élus mais demeure cependant une force d’appoint nécessaire aux indépendantistes. La branche catalane de Podemos (unioniste) obtient un résultat très loin de leur attente (8 élus), eux qui pensaient que leurs positions (référendum légal dans toute l’Espagne…) attireraient vers eux les progressistes catalans modérés. L’attitude d’Ada Colau, leur leader, qui a  condamné le référendum mais y a participé en votant blanc, a pu dérouter certains électeurs.
Les vainqueurs de ce scrutin sont Ciudadanos (36 élus) et le clan indépendantiste qui, malgré les menaces de Madrid, l’emprisonnement de  ses dirigeants, l’exil de C.Puigedemont, a conservé la majorité absolue.
Ce scrutin a montré que la volonté d’indépendance n’est pas une lubie passagère chez un certain nombre de Catalans mais une volonté profondément ancrée chez la moitié d’entre eux. Ceux qui pensent que tout va dépendre de l’attitude du gouvernement central ont déjà eu quelques signaux : refus de la mise en liberté des élus emprisonnés, nouvelle poursuite à l’encontre de 6 anciens membres du Parlement dont la porte-parole de la CUP, Anna Gabriel.

Pour pleinement profiter du burlesque de cette situation, il faut apporter quelques précisions concernant le PP et la CUP. Concernant le PP, si vous regardez les documentaires d’Arte « l’Espagne au bord de la crise de nerfs », vous pourrez entendre E. Silva, ancien juge d’instruction espagnol a déclaré « le parti populaire entretient la corruption, ce que le travail des juges montre c’est que la corruption du PP n’est pas  occasionnelle, elle est systématique et touche pratiquement tous les partis, à tel point qu’on peut le considérer comme une organisation criminelle. C’est le parti le plus corrompu d’Europe avec 900 plaintes contre lui…900, c’est terrible … ». On peut également comprendre que le parti populaire s’est toujours refusé à condamner le coup d’Etat militaire de 1936 et n’a jamais déclaré illégitime la dictature de Franco. En ce qui concerne la CUP, ils ont des pratiques qui peuvent choquer beaucoup de membres du PP, par exemple Anna Gabriel députée porte-parole au parlement catalan touche un salaire de 5800 euros mais n’en garde pour elle que 1400 euros car le code éthique de la CUP limite le salaire de ses élus à ce chiffre (salaire médian en Espagne).
La répression n’a pas fait éclater la coalition indépendantiste puisque ceux-ci se sont accordés pour présenter à nouveau la candidature de C. Puigdemont à la présidence de la Région. Le nouveau parlement catalan doit se réunir le 18 janvier 2017 avec C.Puigdemont en Belgique, O. Jonquera son ancien 1° ministre en prison, Anna Gabriel, leader de la CUP mise en examen et la région toujours sous tutelle. 1ère session qui se présente de façon plutôt chaotique et dont l’issue parait imprévisible.

JL Lamboley, le 19.01.2018


La violence morale, pathologie du libéralisme


La possibilité de l’émancipation individuelle et collective se heurte à de nombreux obstacles qui renvoient aux rapports de domination et d’exploitation qu’exacerbe le néolibéralisme : concurrence de tous contre tous, précarisation du travail, renforcement des inégalités. Tout comme l’enrichissement éhonté au sommet de la pyramide sociale et les effets de domination sur l’ensemble de la société, victime du chômage massif et de déclassements, renforcent les rivalités entre groupes sociaux et individualités. Mais, dire cela ne suffit pas pour analyser l’ensemble des effets psycho-sociaux qui ravagent le « corps » social. La contribution qui suit vise à rendre compte de différentes formes de domination et, par conséquent, de dépersonnalisation. Susciter le débat, c’est aussi l’affaire de PES. (GD)


Nous avons assisté ces derniers mois, à la libération de la parole de la part de femmes publiques maltraitées par les hommes. Cette dénonciation salutaire fait avancer les choses dans le bon sens. En revanche, cette chasse à l’homme a pris une tournure médiatique moins glorieuse : au lieu de justifier nos comportements dans les relations hommes-femmes, ne devrions-nous pas plutôt nous interroger sur :
-         d’une part, le caractère universel de la violence morale : elle ne touche pas que les femmes, mais tous les individus (femmes, hommes, enfants, salariés, groupes d’individus, populations),
-         d’autre part, les causes de cette violence semblent en partie liées au système libéral qui régit nos vies au quotidien.

C’est la violence morale elle-même qui doit être dénoncée : elle est un poison invisible qui gangrène notre société à travers les relations entre les individus. Pourquoi un poison ? Car le propre de cette violence est la perversion qui s’immisce insidieusement dans nos vies, à notre insu, de sorte que la prise de conscience est difficile, voire impossible. Elle agit à tous niveaux : 
-         dans la sphère privée : un homme écrasé psychologiquement par sa femme (d’autant plus tabou et indicible que l’homme est touché dans sa virilité), une femme battue par son mari, de manière plus large : la maltraitance psychologique dans le couple ou intrafamiliale…
-         dans la sphère collective : un salarié harcelé par ses collègues ou sa hiérarchie, un élève humilié par un professeur, un individu enrôlé dans une secte… 
-         dans la sphère sociale : une population terrorisée soumise à un dictateur ou à un pouvoir despotique (régimes liberticides et totalitaires), des peuples dominés par des politiques néo-colonialistes, des pays riches qui profitent de la main d’œuvre des pays en voie de développement…

Comment reconnaître la violence morale ?

Il s’agit d’un ou plusieurs individus qui s’attaquent à l’intégrité psychique d’une ou plusieurs personnes. L’être humain n’est pas reconnu comme tel ; ses sentiments, ses émotions, son essence même, sont niés au profit de l’autre, plus précisément de son pouvoir. Pire, la soumission et la souffrance de la victime apporte une jouissance vitale à son bourreau, d’où l’aspect pervers.

Il s’agit d’une manipulation mentale qui joue sur la culpabilisation pleine et entière de la victime (c’est toujours de sa faute), qui en vient à ressentir une profonde honte. Le harceleur va :
-         tenir un discours contradictoire (principe de la double contrainte : dire quelque chose et faire l’inverse) pour semer le doute,
-         disqualifier l’autre (ne lui reconnaître aucune qualité et l’amener à le penser = perte de confiance en soi) tout en se rehaussant (tu as de la chance de me connaître ou de m’avoir),
-         imposer son pouvoir par un discours totalisant (c’est comme ça et pas autrement, j’ai toujours raison),
-         critiquer tout le monde (lui seul est parfait), user du sarcasme et de l’ironie (plutôt que d’instaurer une véritable communication),
-         diviser pour mieux régner (provoquer l’isolement social de la victime, une sorte de « prison mentale » afin de garder le contrôle sur elle),
-         le tout couronné par une absence totale d’empathie (incapacité à comprendre et ressentir les émotions des autres).

La violence morale est silencieuse, elle agit derrière un masque de bienveillance et de douceur, souvent au nom de la morale et du bien, d’où la difficulté à la reconnaître. La personne agressée est amenée à porter la responsabilité de l’insatisfaction chronique du harceleur. L’issue est impossible, pire encore, l’agresseur se fait passer pour la victime en retournant les situations à son avantage. Et ça marche !
La victime perd petit à petit son identité en s’épuisant à satisfaire un bourreau insatiable et peut sombrer dans la folie. Dans tous les cas, elle est touchée dans l’intime, au plus profond d’elle-même car son humanité n’est pas reconnue, elle est juste « utile » à satisfaire des caprices. On parle de « dépersonnalisation », c’est-à-dire de négation de la personnalité de l’autre. Réduit à la position d’objet, il n’existe pas (ex. : sentiment d’être juste un numéro au sein d’une entreprise).

Les origines de la violence perverse

La violence est instaurée par des êtres humains qui semblent avoir vécu des carences dans leur éducation où leur personnalité a été niée :
-         une éducation rigide, autoritaire où l’enfant n’est que le prolongement de l’un de ses parents, il n’existe pas pour lui-même mais pour satisfaire l’égo d’autrui.
-         ou, au contraire, une absence de limites dans l’éducation : satisfaction des moindres désirs, caprices, exigences. Ce qui habitue le sujet à ne jamais vivre dans la frustration (on parle aussi d’« Enfant-Roi ») Les professionnels du sujet s’accordent à admettre l’immaturité émotionnelle du pervers narcissique : c’est un enfant bloqué dans un corps d’adulte (colères démesurées, caprices de petits enfants…).

Dans un deuxième temps, cet échec dans les relations interpersonnelles est amplifié par notre système libéral. Le libéralisme nous promettait une autorégulation de l’économie. Or il n’en est rien, le principe mensonger du libéralisme est éclatant : les intérêts privés ont spolié les intérêts publics, ceux du plus grand nombre. Son impératif de profit a conduit l’humanité dans un profond désarroi, a modifié sa façon de penser jusqu’à sa conception de l’amour. Une attitude de consommation à outrance, une économie de la jouissance et de l’immédiat ont développé l’amour de soi au détriment de l’amour de l’autre. Par ailleurs, la soif d’argent et de pouvoir a créé de nouveaux rapports de force, une logique implacable de compétition, favorisant un orgueil démesuré et des exigences difficiles à satisfaire. Face à cette incompréhension, ce malaise, l’humain a développé des mécanismes de défense dans ses relations avec autrui pour masquer son vide intérieur. Mais on ne remplit pas une coquille vide avec des biens et des possessions !

On peut entendre dans les médias (et donc par extension, le pouvoir) que le terme de «pervers narcissique» est «à la mode», comme s’il s’agissait d’un phénomène aléatoire et fluctuant, à la merci de potentiels fans. Or, il n’en n’est rien, c’est minimiser, voire occulter, les dégâts psychiques et la souffrance des victimes. Au contraire, notre société actuelle, elle-même perverse, tend à rendre acceptables les situations de harcèlement pour mieux les banaliser, et donc les faire devenir « la norme ». Dans un tel contexte, les rôles se renversent : les victimes isolées,  incomprises, « anormales » sont considérées comme la source du problème que les agresseurs se prévalent de solutionner. Ils gagnent à tous les coups, blanchis, en se donnant le beau rôle ! (ex. : invasion militaire de pays considérés comme terroristes)

Quelque part, nous avons tous une part de responsabilité dans cet échec : la peur et le silence des victimes, la servitude volontaire individuelle et collective (qui ne dit rien consent), l’envie d’être aimé à n’importe quel prix (dépendance affective), autant de comportements qui ont permis aux manipulateurs pervers (des politiciens, des chefs d’entreprises, une conjoint, une mère, un ami…) de faire accepter l’inacceptable pour mieux garder le pouvoir et masquer leur incompétence.

La liberté comme valeur universelle

On peut le dire sans détour, aujourd’hui la dérive de notre système économique et social a fait admettre la violence morale comme une fatalité. Celle où la loi du plus fort et du plus malin, la réussite, le pouvoir sont devenus des valeurs « moralement admises ». Un système où l’honnêteté, la spontanéité, le respect d’autrui, l’empathie sont perçus comme des faiblesses.

Dans un tel contexte : apprendre à dire non, savoir refuser ce qui est néfaste pour nous, désobéir, ne pas se soumettre, cesser de se justifier, savoir faire confiance, prendre confiance en soi, sont les seules solutions pour retrouver notre liberté et notre dignité. Prenons l’exemple du monde du travail : la conception actuelle du management consiste à persuader que le stress dans l’entreprise rend le travail des salariés plus « rentable ». Or, les situations d’angoisse engendrent erreurs professionnelles et arrêts-maladie. En revanche, dans une situation de confiance, le salarié heureux, s’investira davantage et sera donc plus productif.

Seul l’humain peut régler des situations inhumaines. La fuite ne suffit plus : le temps et la compréhension des mécanismes éviteront l’effondrement total de nos repères. En dénonçant ces agissements, en favorisant la prise de conscience individuelle et collective pour éviter l’hémorragie des effets dévastateurs de la perversion narcissique, dont le plus haut degré est le meurtre psychique du sujet, voire son suicide.
 
Il faut donc croire en l’humain. Croire en l’avenir. Celui d’un changement en profondeur de notre société, transformation qui est entre nos mains à toutes et tous.

Aurore Bouglé

Bibliographie
Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien de Marie-France Hirigoyen, ed. Pocket, 2011
Les perversions narcissiques  de Paul-Claude Racamier, ed. Payot, 2012
Perverses narcissiques : la perversion au féminin d’Eric Bénevaut, ed. Eyrolles, 2017

Filmographie 
Respire de Mélanie Laurent
Mon Roi de Maïwenn
Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (actuellement sur les écrans)

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