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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 11 décembre 2017

Vers la fin de la souveraineté industrielle en France ?
Alstom, dernière liquidation ?

Il est devenu courant de parler de souveraineté alimentaire. En revanche, du tissu industriel qui permet à une formation sociale et à l’Etat qui la surplombe, de défendre ou d’acquérir une relative indépendance productive vis-à-vis des transnationales et des banques, il n’en est guère question.

Et pourtant, en France, depuis le milieu des années 80, et même avant, la liquidation s’accélère. Sans parler du textile plus ancien, force est de constater et d’évoquer quelques exemples du bradage industriel : Alcatel est devenu finlandais, Lafarge, suisse (Holcim), les Chantiers navals, italiens, Orange, allemand, l’aéroport Toulouse-Blagnac, chinois. Ce qui a et qui va encore défrayer la chronique c’est la poursuite du dépeçage d’Alstom. Au regard de ce qui a pu être construit pendant les Trente Glorieuses, à savoir l’articulation entre Alstom, la SNCF, EDF, les Chantiers navals, le nucléaire ( !), sans compter la SACM (Société alsacienne de construction mécanique) démantelée depuis longtemps, ne restera qu’un souvenir au goût amer, tout comme l’évanescence du savoir-faire et de l’ingénierie accumulés par les ouvriers, techniciens et ingénieurs. Force est pourtant de constater que, pour résister aux pressions des impérialismes étrangers, aux multinationales, encore faut-il disposer d’une armature industrielle suffisante ; l’exemple du Venezuela, reposant sur la seule rente pétrolière, est à ce sujet éclairant. La mainmise de General Electric (US) et de Siemens (allemand) sur le fleuron industriel français laisse entrevoir le bain de sang social à venir.

Episode précédent. General Electric (GE) reprend une partie d’Alstom(1)

Sans revenir sur l’ensemble des péripéties qui ont marqué cette première liquidation, il convient de souligner quelques points significatifs. La concurrence exacerbée sur les marchés, la surproduction latente, la course aux profits et aux dividendes à verser, ont conduit le PDG, peu scrupuleux, à corrompre à qui mieux mieux pour obtenir des commandes. Les Etats-Unis se sont dotés des moyens d’une justice extraterritoriale pour poursuivre les corrupteurs qui leur font de l’ombre ou empiètent sur leurs plates-bandes. Les réticences à avouer du PDG Kron se sont vite effritées lors de l’arrestation et de la mise aux fers d’un membre du CA dans une prison américaine et les aveux qui s’en sont suivis. La passivité du gouvernement français, saisi par l’omerta, a fait le reste. Il fallait banquer une amende astronomique sous peine que Kron et Cie ne soient déférés personnellement ou ne puissent plus mettre les pieds sur le continent américain, voire doivent faire face à une demande d’extradition.

Il y eut bien sûr les moulinets de Montebourg mais, tous comptes faits, pour absorber l’ardoise, la seule solution consistait à introduire le loup dans la bergerie, à savoir permettre à GE l’étatsunien de s’accaparer les bijoux de famille. Et c’est ainsi que les ¾ de l’activité d’Alstom, à savoir tout ce qui concerne l’énergie, sont passés dans des mains étrangères. Macron, alors ministre de l’économie en 2014, autorisa la vente. Pour enrober l’opération, on fit valoir en haut lieu que cette cession était assortie d’une condition : la création sur 3 ans de 1 000 emplois en France. Une clause indiquait que GE devrait payer une amende de 500 000€ par emploi manquant. Depuis, quelque 500 emplois ont été détruits et aucune pénalité demandée… Pour conforter les activités ferroviaires restant dans le groupe Alstom, l’Etat Hollande/Macron fit pression sur la SNCF afin d’assurer publiquement que des commandes de trains… régionaux seraient susceptibles de sauver le site de Belfort. Fallait bien un geste magnanime pour calmer les salariés, la population, qui, derrière les élus politiques et syndicaux criaient au scandale. On ne fit pas grand bruit de la démission du PDG Kron qui, pour ce bradage difficile, reçut la coquette somme de 4,5 millions d’euros.

Episode 2. General Electric, un mirage

Dans ce monde de mastodontes et de brutes cupides, la concurrence est sauvage d’autant que la course à l’accaparement des marchés et la surproduction sont susceptibles de rogner les dividendes des actionnaires.

Et GE d’annoncer, en octobre 2017, la cession de 20 milliards d’actifs jugés insuffisamment rentables. L’action de 6 euros, à Wall Street, a déjà chuté de 25%, suite à la réduction de la moitié des dividendes versés au dernier trimestre, soit une économie de 4,2 milliards ! Au sein du conseil d’administration, les fonds spéculatifs, tout particulièrement le hedge fund Nelson Peltz, s’insurgent face à cette ponction inadmissible. L’acquisition d’Alstom pour 12 milliards aurait été une erreur… En tout état de cause, décision est prise de céder 20 milliards d’actifs d’ici 1 ou 2 ans, dans les secteurs les moins profitables. Que GE, qui compte 300 000 salariés dans le monde, ait réalisé en 2016 8 milliards de profits (hors dividendes versés), importe peu. GE Capital, ce secteur comprenant crédits à la consommation ainsi qu’un pôle média et électro-ménager, est liquidé pour 250 milliards. Les activités de transport, de pétrole et d’éclairage sont sur la sellette. En France, GE Power (anciennement Alstom) c’est 854 millions d’économies qui doivent être réalisées. Le plan dit de restructuration consisterait à se débarrasser des activités hydrauliques, de la turbine Arabelle pour ne conserver que les turbines à gaz. Hydro-Alstom, devenu GE à Grenoble, est le plus menacé : 345 emplois sur 800 liquidés, après la perte de 590 postes depuis 2016 ! La grève avec occupation, du 4 au 12 octobre, n’a provoqué que de bas bruits médiatiques… en attendant l’orage ?

Episode 3. Main basse de Siemens sur la dépouille d’Alstom ?

Alstom fragilisé, après l’opération GE, Siemens géant du train avec ICE contre les TGV : ne reste plus qu’au géant allemand à faire main basse sur la dépouille française. Médiatiquement le processus d’absorption sera dénommé construction de « l’Airbus ferroviaire » afin de masquer la véritable nature de l’opération. La concurrence entre Siemens, les japonais Mitsubishi, Toshiba, le canadien Bombardier et le chinois CARC, est si vive que la concentration capitaliste européenne justifie le dépeçage de ce qui reste d’Alstom. L’entreprise Siemens ne reprendra que ce qui l’intéresse ! L’hydro, l’éolien, voire le nucléaire, semblent l’intéresser. Pour faire le tri et assurer la transition, un habillage est concocté avec les banques  BNP Paribas, Rothschild et l’étatsunienne JP Morgan ( !). La locomotive ICE prédominera, tout comme l’avancée technologique « teutonique » dans l’automation et la signalisation ferroviaire. Reste le bijou de famille d’Alstom, le train à hydrogène, expérimenté outre-Rhin à Salzgitter et quelques autres points en passe d’être réglés.

En haut lieu, il semble déjà acquis que l’Etat n’exercera pas son option d’achat (2) des actions détenues par Bouygues (plus de 20%). Cette participation du BTP français dans Alstom avait été présentée, en son temps, comme la manifestation apparente de l’Etat du maintien d’une politique industrielle française, avec droit de vote consenti au gouvernement français à la place de Bouygues. Ce montage de façade, conclu pour 4 ans, est arrivé à terme et le géant du BTP se retire de l’actionnariat d’Alstom, tout en empochant 500 millions d’euros de dividendes. Jupiter au petit pied a donné son feu vert d’impuissance. Quant aux actionnaires restants et ceux de Siemens, il convenait à terme de les rassurer. L’action de l’ensemble du nouveau conglomérat qui, pour la galerie, se dénommera certainement Alstom-Siemens ou l’inverse, est valorisée à 8 € l’une, ce qui correspond à un cadeau global pour les actionnaires de 1,8 milliard €… à débourser dans les 18 mois !  

Pour l’opinion dite publique, cette absorption sera présentée comme une alliance paritaire où tous y trouveraient leurs comptes. Au futur conseil d’administration, seraient présents, sur les 11 membres qui le composent, 5 anciens membres d’Alstom et la présidence reviendrait à Siemens. Faut bien assurer la transition d’accaparement du savoir-faire industriel du français ! Et des promesses rassurantes, les décisionnaires, ils sont prêts à en faire. C’est déjà annoncé : la préservation des emplois serait assurée…pendant 4 ans ! Et il y aurait 60 milliards de commandes capables de susciter un chiffre d’affaires de 15.3 milliards. Ce « plan » comprend toutefois une clause de chantage face aux possibles mouvements des salariés et aux atermoiements gouvernementaux qui s’en suivraient : « Si l’opération n’est pas poursuivie jusqu’à son terme par Alstom, l’entreprise devra verser à Siemens une indemnité de rupture de 140 millions d’euros à Siemens »  !! Ce qui signifie son étranglement…. définitif.

Episode 4. En suspens !

Tout ça était bel et bon, avant l’annonce de Siemens du 16 novembre dernier : suppression de 6 900 emplois (soit 2% des effectifs) dont la moitié en Allemagne (3 200), plus… 760 emplois supprimés après la fermeture de deux sites (Leipzig et Görlitz) et la vente de l’usine d’Erfurt. Quant à la co-entreprise avec Gamesa (espagnole), spécialisée dans l’éolien, dont Siemens détient 59 % du capital, ce sont 6 000 emplois qui devraient disparaître. Plutôt que d’investir dans de nouvelles installations, les « énergéticiens préfèrent faire tourner les vieilles centrales à charbon, rentabilisées » (3). Ce qui importe avant tout, ce n’est ni la « modernité » écologique, ni les investissements qu’elle nécessiterait mais bien la recherche à court terme des dividendes les plus lucratifs. Face au bain de sang social à venir, la riposte des salariés est-elle envisageable ?

Tracer la voie à l’alternative au capitalisme

Ce que montrent le documentaire de David Gendreau et Alexandre Leraître ainsi que le livre de Jean-Michel Quatrepoint (1), c’est que le pouvoir, au sein des grandes entreprises comme Alstom, est détenu par un panier de crabes, de prédateurs et de corrupteurs. Lorsqu’aux yeux des actionnaires, les dividendes sont insuffisants ou la pression extérieure (en l’occurrence, les menées de la justice extraterritoriale étatsunienne trop forte), ils n’hésitent pas à se comporter en tueurs d’emplois. Les restructurations ne sont qu’un euphémisme facilitant la reconversion des actionnaires dans d’autres domaines plus rentables.

Le système du capitalisme financiarisé débridé, c’est celui de la liberté absolue du Capital qui, à la Bourse, comme dans la finance de l’ombre, vend les usines tous les jours, soutenu qu’il est par la caste régnante. Que cette dernière soit de droite ou de gauche, et maintenant « de droite et de gauche », elle peuple les sommets de l’appareil d’Etat, passant allègrement des conseils d’administration des banques, des multinationales dans la haute fonction publique et vice et versa. Formatée dans les grandes écoles (ENA, HEC…), elle est au service des classes dominantes dont elle assure la promotion des intérêts contradictoires. Compte tenu de la réalité de la formation sociale sur laquelle elles règnent, ces castes d’alternance ne se différencient idéologiquement que par leurs approches sociétales (mariage pour tous… ou non, etc.) afin d’assurer leur suprématie sur une fraction des classes sociales. Fondamentalement, cette médiocratie n’est que la face cachée du despotisme des grands actionnaires mondialisés. L’orchestration, en Europe, de cette domination est assurée par les institutions européennes, les banques centrales et le FMI. Malgré la crise de 2007-2008, le logiciel de cette « gouvernance » n’a pas changé et les paradis fiscaux, montrés du doigt, continuent de prospérer malgré les révélations successives. N’ont été mis en demeure que quelques individus… mais, au grand jamais, les filiales des banques et des multinationales…    

En France, la médiocratie d’alternance ébranlée, a trouvé son sauveur… Pour combien de temps ? Elle est responsable de la capitulation de la France industrielle, elle liquide les acquis sociaux et met le pays en situation de dépendance. Son mépris de classe en devient indécent : après les quartiers à « nettoyer au karcher », les « sans dents » hollandais, voici les « fainéants », les « jaloux », les « fouteurs de bordel » qui n’acceptent pas cette morgue et la précarisation de la société comme seule solution d’avenir.

Quant aux directions syndicales, à quelques exceptions près, elles répandent, au-delà de leurs divisions catastrophiques, une mentalité de vaincus d’avance. Lorsqu’elles n’accompagnent pas les désirs des gouvernants (CFDT), elles se conduisent comme un groupe de pression faisant se succéder défilés et conciliabules, pour faire le tri avec les prédateurs, entre ceux qui, salariés, seront vendus ou licenciés avec indemnités avant de connaître le chômage, la précarité voire la misère. Les médias encensent, de leur côté, l’apparente bonne volonté des « partenaires sociaux » pour mieux stigmatiser les révoltés « irresponsables ».

Enfin, il y a ceux, nostalgiques de la France gaulliste et dirigiste du capitalisme d’après-guerre, qui préconisent (comme Jean-Michel Quatrepoint !) le retour à un « Etat stratège » face à la concurrence exacerbée. Cette illusion repose sur la croyance dans la métamorphose des hauts fonctionnaires, tout particulièrement à Bercy, qui seraient en capacité de négocier la mutation industrielle au profit des intérêts français, voire européens. Cette fraction regroupe les néo-gaullistes, les ex-chevènementistes, les partisans d’Asselineau, Dupont Aignan et autres Montebourg.

Restent les salariés eux-mêmes, apathiques, résignés ou réfractaires. Si la rupture avec le capitalisme et la médiocratie signifie réellement l’extension de la démocratie aux producteurs de la richesse sociale et non la bonne volonté des rentiers du capital, alors les questions fondamentales jamais posées doivent l’être sur la scène publique. Est-ce à une poignée de grands actionnaires, et à leurs PDG, de décider ce que l’on doit produire, de la manière dont on doit produire (conditions de travail, qualité des produits…) et, en définitive, pour satisfaire quels besoins ?

Passer à l’offensive, c’est, dans les faits, construire d’ores et déjà, un autre modèle. Et en ce qui concerne les Alstom, GE, Siemens, force est de constater qu’outre les entreprises allemandes, Belfort n’est pas seul. Il y a les sites d’Ornans, de Reichshoffen, de Le Creusot, de Villeurbanne, de Petit Quevilly, de Tarbes, de la Rochelle, de Valenciennes, les salariés belges de Charleroi, les allemands de Stendal, de Salzgitter, les Italiens de Sesto, de Bologne… Qu’est-ce qui empêche la tenue d’un Congrès des producteurs (ouvriers), l’avènement de cet évènement faisant vivre d’ores et déjà la démocratie sociale et économique ? Est-il inenvisageable de désigner dans les ateliers, par usine, des délégués élus par la base (y compris les sous-traitants), de s’entendre sur un mode d’élection pour enfin débattre de l’avenir industriel, y compris dans sa dimension écologique ?

Ce mode d’action préfigurant l’association des travailleurs, non seulement élargirait la mobilisation, la base des syndicats et effriterait la bureaucratie de leurs directions, façonnerait une unité retrouvée, mais surtout ébranlerait, déstabiliserait le pouvoir des actionnaires. Seuls les producteurs, par leurs propositions, leurs modes d’action, semblent en capacité de faire surgir par leurs appels, une unité populaire posant la question de l’alternative au capitalisme et du contrôle ouvrier, ici et maintenant. Cette utopie rationnelle se heurte, pour l’heure, à l’absence de forces de transformation sociale au sein de la masse des travailleurs. Mais le bain de sang social à venir pourrait bien faire surgir des énergies nouvelles, débarrassées des miasmes de la pensée dominante.

Gérard Deneux, le 4.12.2017
  

(1)   Pour en savoir plus, voir le remarquable documentaire Guerre fantôme, la vente d’Alstom à General Electric de David Gendreau et Alexandre Leraître et lire Alstom, scandale d’Etat de Jean-Michel Quatrepoint, ed. Fayard
(2)   Bouygues détient 28.3% du capital d’Alstom jusqu’en octobre 2017. Le prêt de ces actions à l’Etat, à raison de 20% avec option d’achat, devait permettre à l’Etat présent au conseil d’administration de sauver Alstom. Cette bizarrerie négociée, en son temps par Montebourg, n’a de fait été qu’un montage inoffensif
(3)   Voir l’article de Cécile Boutelet, Le Monde du 18 novembre 2017



SOLVAY France, perdu

L’annonce du 19 septembre dernier est l’acte de décès de ce qui restait du groupe Rhône-Poulenc. Nationalisé en 1982, ce groupe chimique avait retrouvé une certaine vigueur avant d’être livré aux actionnaires. Son heure de gloire fut le nylon qui ne pesait plus que 15 % du chiffre d’affaires ; ses applications dans l’automobile, sa branche pharmaceutique, ses activités pétrolières et gazières se sont heurtées à la concurrence de l’états-unien DowDuPont et du chinois Kingfa… et à l’avidité de ses actionnaires successifs.

Née du groupe Rhône-Poulenc, la Rhodia, devenue Solvay (belge) en 2011, s’était déjà délestée de nombre de ses productions (PVC, acétate et cellulose…).

La vente au groupe allemand BASF, de l’unité Polyamide, bradée à 1,6 milliard d’euros ses 12 usines dont les 3 françaises de Chalampé (Haut-Rhin), Lyon et Valence, s’est réalisée pratiquement dans l’indifférence générale : 2 400 salariés ne semblent être qu’une variable d’ajustement dans la restructuration du capital.