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dimanche 5 novembre 2017

 Catalogne : la crise !

Sur fond de défaisance de l’Europe néolibérale, avec sa spécificité historique particulière (Brexit, montée des nationalistes et de l’extrême droite), la volonté d’autonomie voire d’indépendance de la Catalogne fait partie de ce processus. Evidemment, bien des ambiguïtés et des contradictions persistent. En tout état de cause, le compromis entre la droite extrême et le Parti socialiste au sortir du franquisme est mis à l’épreuve depuis la crise de 2007-2008, l’occupation des places et l’émergence de Podemos en Espagne, cette « nation de nations ». Par ailleurs, les plus indépendantistes catalans sont majoritairement des néolibéraux. Toutefois, à l’évidence, ce mouvement autonomiste déstabilise l’Espagne et l’Union européenne. Reste aux forces progressistes de s’immiscer dans cette brèche. DP


Avertissement

L’objectif de cet article n’est pas de vous emmener dans les arcanes des tractations politiciennes en Catalogne et en Espagne concernant le référendum du 1er octobre dernier et de ses prolongements, mais de vous faire découvrir cette région à travers quelques rappels géographiques, historiques et culturels et de montrer que la Catalogne est une région réellement différente du reste de l’Espagne.
La volonté d’indépendance des Catalans est  loin d’être le désir des gens riches ne voulant pas payer pour les pauvres (comme le présentent souvent les médias). Ce sont des gens qui se sentent culturellement et économiquement opprimés par un Etat central.

Quelques rappels géographiques

La Catalogne est une province autonome d’Espagne, située au Nord-Est, qui représente en superficie les 2/3 de la Bourgogne-Franche-Comté, mais qui possède beaucoup plus d’atouts naturels que cette dernière : 500 kms de rivages méditerranéens (pêche, commerce, tourisme…), une grande variété de paysages : plaines au Sud,  montagnes au Nord (point culminant : 3 100m). Cette configuration géographique (zones montagneuses qui séparent la Catalogne du reste de l’Espagne) fait dire aux Catalans qu’ils sont assis dos à dos avec les Espagnols et explique, en partie, pourquoi le dialogue a toujours été difficile entre eux. Cela explique également le développement de la langue catalane car les relations avec leurs voisins aragonais étaient quasi nulles. Il est à noter aussi un climat particulièrement clément qui en a fait de tout temps une région prospère et très facile à vivre. L’expression «  région bénie des Dieux » lui convient parfaitement.

Quelques rappels économiques

Actuellement la Catalogne compte 7,5 millions d’habitants (Bourgogne-Franche-Comté (BFC) : 3 millions). Son PIB est d’environ 210 milliards d’euros (BFC : 60 milliards). Les Catalans représentent 17% de la population espagnole et plus de 20% de son PIB. Ces chiffres traduisent un dynamisme économique sans commune mesure avec la Bourgogne-Franche-Comté et le reste de l’Espagne. Les régions les plus industrialisées se trouvent au Sud (Girone, Barcelone, Tarragone) le Nord étant plus rural.
La Catalogne est la région d’Espagne au PIB le plus élevé car la plus peuplée mais, en comparant les PIB par habitant, elle ne se classe que 4ème derrière le Pays Basque, la Navarre, la région de Madrid. Les Catalans disent avec justesse que leur région est la plus riche mais pas leurs habitants. De plus, la région a subi très fortement  la crise de 2008 : en effet en 2010, 31%  des expulsions locatives ont eu lieu en Catalogne  alors qu’elle ne représente que 17% de la population espagnole.

Elle a une autonomie fiscale partielle ; elle gère 50% des impôts prélevés sur son territoire et verse le reste à Madrid. Les indépendantistes catalans affirment que 16 000 millions d’euros ne reviennent pas en Catalogne, ce qui représente quasiment les 10% de déficit de leur budget (à noter que le Pays Basque et la Navarre gèrent, eux, 100% de leurs impôts). C’est une région très dynamique, à fort potentiel, mais en crise et endettée. Beaucoup de Catalans considèrent qu’ils sont endettés car ils aident financièrement des gens plus riches qu’eux. On peut comprendre que cela puisse provoquer régulièrement des éruptions d’urticaires indépendantistes, d’autant que cet argent sert à financer la guardia civil qui a réprimé violemment les Catalans lors du référendum du 1er octobre notamment.

Quelques rappels historiques

Ce désir récurrent d’indépendance se comprend d’autant mieux quand on en connait les 2 périodes fondatrices.

La 1° période  va de 998 à 1714, période qui fut l’âge d’or de la Catalogne, décrite ainsi dans «  L’histoire de la Catalogne » de JS Callico (Bible des indépendantistes) : « la Catalogne à cette époque fut une nation dotée d’un Etat propre qui a joué un rôle de 1er plan en Europe. Elle subit à la fin de cette époque de nombreuses attaques jusqu’à sa destruction le 11 septembre 1714 ». En effet, elle rayonna intellectuellement et économiquement sur le Sud de la France (le Roussillon et Perpignan furent catalans jusqu’en 1659), sur les Baléares, la région de Valence, la Sicile, la Sardaigne, le Sud de l’Italie, une partie de la Grèce et sur de nombreux ports méditerranéens (1). Pendant cette période, elle avait des institutions « progressistes » : embryon de Parlement « les Corts », absence de roi choisi par Dieu mais les Comtes « choisis » par le Peuple. Même quand la Catalogne s’allia avec le Royaume d’Aragon, puis celui de Castille, elle conserva toujours ses propres institutions. Son affaiblissement conjugué aux appétits territoriaux franco-castillans trouva son épilogue le 11  septembre 1714, le jour de la reddition de Barcelone. La  Catalogne, en tant qu’Etat, disparut ce jour-là mais le souvenir de cette période faste reste ancré dans les mémoires  car le 11 septembre (la Diada) est le jour de la fête nationale catalane. A noter que la fête nationale espagnole, fête de l’hispanisation, est boycottée en Catalogne et appelée fête du génocide. Les Catalans ne tiennent absolument  pas à être associés à l’image impérialiste et guerrière de l’Espagne des conquistadors. A noter également que le roi qui, ce 11 septembre fit massacré les Barcelonais puis installa un régime militaire d’une grande cruauté s’appelait Philippe V ; son lointain successeur s’appelle Philippe VI et prétend donner des leçons de morale après le référendum d’octobre 2017.

La 2° période fondatrice du « catalanisme » commence en 1931, plutôt bien, puisqu’après la victoire des forces progressistes de gauche aux élections municipales, la dictature de Primo de Rivera prit fin, le roi quitta l’Espagne, la 2ème République s’installa et la Catalogne obtint un statut d’autonomie partielle. La Generalitat fut dotée d’un Parlement, d’un Gouvernement et put gérer de façon autonome l’éducation, la police intérieure, les services sociaux… sur son territoire, environ 50 % des impôts. Mais en 1936, Franco décida que l’expérience progressiste avait assez duré et, après son putsch manqué, engagea l’Espagne dans une guerre civile.

La Catalogne fut alors au 1er rang de la lutte contre les fascistes puisqu’en 1937 s’y trouvaient le gouvernement catalan, le gouvernement basque en exil et le gouvernement de la république. Ce dernier, réfugié à Barcelone n’hésita pas à supprimer le statut d’autonomie de la Catalogne (les Catalans ont beaucoup apprécié !). On sait ce qu’il advint de la République et, en 1939, Franco déploya beaucoup d’énergie à châtier ceux qui lui avaient résisté, donc, en 1ère ligne, les Catalans (5000 fusillés, 50 000 emprisonnés) et, comme en 1714, un grand classique, l’interdiction de parler catalan. Cette mesure fut un peu délicate à mettre en place dans les zones rurales où les gens ne connaissaient que le catalan. Ce régime dura jusqu’à la mort de Franco en 1975 et en 1978 l’Espagne se dota d’institutions « démocratiques » qui permirent à la Catalogne de récupérer son statut de semi autonomie. Cela put paraître la fin heureuse d’une période dramatique mais la Catalogne ne récupéra qu’un statut d’autonomie partielle, très loin du souvenir de la Catalogne d’avant 1714. La monarchie subsista, et surtout, les acteurs de la dictature (armée, police, église) n’eurent aucun compte à rendre et se diluèrent dans les institutions « démocratiques ». Ceci évita, certes de raviver les blessures passées, mais les Catalans, qui pouvaient croiser dans les rues les tortionnaires de leurs parents, eurent beaucoup de difficultés à accepter cette situation…

L’Espagne mit alors toute son énergie à rattraper son retard économique, pris sous Franco, avec, pour les Catalans, dans un coin de leurs mémoires, le souvenir de l’âge d’or du Moyen-âge, de la répression de 1914, de la guerre civile, du franquisme et de la transition « démocratique » au goût amer.

Situation actuelle

L’Espagne et la Catalogne avancèrent à grands pas (entrée dans la CEE en 1985), jeux olympiques à Barcelone, Exposition Universelle à Séville en 1992, entrée dans la zone euro…

En 2005, profitant de la présence socialiste au gouvernement central (JL Zapatero,) la Generalitat, avec à sa tête Arthur Mas, un autonomiste modéré de droite, engagea les discussions pour obtenir un statut d’autonomie totale, le même que celui du Pays Basque et de la Navarre. Ils trouvèrent un accord et en 2010, le chemin vers plus d’autonomie paraissait sans embûche.

Quand, soudain, entra en jeu le Parti Populaire (PP) et son chef Mariano Rajoy qui, pour ne pas offrir un succès à son ennemi politique socialiste, introduisit un recours au Tribunal Constitutionnel espagnol (de fait, l’annexe du PP) qui annula l’accord parce qu’il faisait référence à la notion de « nation » catalane. Cette injustice fit revenir à la surface toutes les violences, les humiliations exercées par Madrid au cours de l’histoire. La réaction des Catalans fut immédiate : « puisque Madrid refuse l’autonomie, on prendra l’indépendance » ; en 2015 ils élirent donc un Parlement Régional avec une majorité indépendantiste dont la feuille de route était claire : référendum d’autodétermination en 2017 et proclamation de l’indépendance si le OUI l’emporte. Mais le résultat de cette élection posa un problème : les partis indépendantistes obtinrent la majorité des sièges (72 sur 135) mais avec seulement 47,8 % des voix, décalage dû au scrutin par circonscription qui surreprésente les zones rurales indépendantistes, au détriment des villes qui se composent de nombreux Espagnols venus y travailler. Les anti-indépendantistes ne se privèrent donc pas de clamer haut et fort que 52,2 % des Catalans étaient contre l’indépendance. Les indépendantistes, quant à eux, clamèrent haut et fort qu’ils respectaient les institutions et l’élection d’un parlement indépendantiste.

Pour ajouter à la confusion, le gouvernement catalan, avec à sa tête Carles Puigdemont, indépendantiste de la 1ère heure, préféré à Arthur Mas, corrompu et indépendantiste rallié, tint ses engagements électoraux (chose très inhabituelle) et convoqua le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017. Ce référendum fut jugé inconstitutionnel par le gouvernement central, avec à sa tête un certain Mariano Rajoy ( !). Les indépendantistes font remarquer alors, avec justesse, qu’une Constitution peut se modifier et que cet acte aurait été plus pertinent que d’envoyer la guardia civil matraquer les gens qui voulaient seulement voter. Cette attitude intransigeante de Rajoy, du PP, des socialistes, de Ciudadanos a incité beaucoup de Catalans à aller voter oui au référendum, plus pour protester contre cet autoritarisme stupide que pour obtenir l’indépendance.

La majorité des Catalans se sent d’abord catalane avant de se sentir espagnole. Cette majorité souhaite que la Catalogne soit reconnue comme nation, qu’elle se gouverne, mais souhaite que cela se fasse pacifiquement, sans rupture violente avec Madrid, dans le cadre de l’Europe, chose actuellement impossible. L’attitude de l’Europe et de Madrid pousse la Catalogne vers une indépendance de rupture qui, elle, n’est pas majoritaire en Catalogne.

Je pense que le rendez-vous avec l’indépendance a été raté cette fois-ci mais que celle-ci est à long terme inéluctable car historiquement justifiée. Les Catalans ont franchi une nouvelle marche vers leur émancipation mais celle-ci n’était pas la dernière. La présence à Madrid d’un gouvernement progressiste (Podemos) pourrait offrir  une nouvelle  opportunité à l’accession à l’indépendance.

Paroles de Catalans

« Nous voulons l’indépendance surtout parce que Madrid ne la veut pas » 

« La première décision d’un gouvernement catalan indépendant sera d’ériger une statue à Marino Rajoy car il a donné à beaucoup de Catalans l’envie d’être indépendants »

« La Catalogne et l’Espagne, c’est un couple dans lequel le mari (Espagne) bat sa femme (Catalogne) et qui, quand celle-ci s’en va, crie au scandale car elle rompt l’unité du couple »

« La situation normale de la Catalogne c’est être indépendante, toute autre situation est anormale ».

Jean-Louis Lamboley, le 25.10.2017 
A suivre : prochain numéro « l’évolution de la situation politique, économique et sociale, depuis le référendum ».

(1)    On pourrait la comparer dans une certaine mesure à la principauté de Venise, championne du capitalisme marchand qui s’est développé à cette époque (NDLR)




Encart 1
La jeunesse catalane

Depuis 1978, des générations de Catalans étudient l’histoire de la Catalogne, et, qui plus est, en catalan. Contrairement aux générations précédentes, ils n’ignorent rien de l’âge d’or du Moyen-Âge, des répressions qu’a subies la Catalogne au cours de l’histoire de la part de l’Espagne. Aucun élève n’ignore ce que représente le 11 septembre 1714.
Arrivés à  l’âge  de voter, les jeunes sont, dans leur grande majorité, autonomistes ou indépendantistes, mais sont également très pro-européens. Pour eux, c’est un moyen de s’ouvrir sur le monde (programme Erasmus, voyages…) ce que n’ont pas connu leurs parents. Mais ces jeunes ne veulent pas d’une indépendance de rupture avec Madrid ni d’une indépendance qui les ferait quitter l’Europe. Cela reflète bien aussi le dilemme du peuple catalan. Ils veulent se séparer de Madrid mais rester en bons termes, mais Madrid ne le veut pas.


Encart 2
Le Parlement catalan

Il se compose de 135 députés.
 La majorité indépendantiste en compte 72, répartis entre
-          Ensemble pour le oui (62 sièges) : groupement de différents partis (Convergence Démocratique, Gauche Républicaine, Démocrates, Mouvements de Gauche), d’accord sur l’accession à l’indépendance mais en désaccord sur beaucoup d’autres points,
-         et la Candidature d’Unité Populaire (CUP) (10 sièges) : parti anticapitaliste, anti-européen, féministe, libertaire…)  Les voix de la CUP sont donc nécessaires pour obtenir la majorité (68).
La minorité anti-indépendantiste est composée de
-          Cuidadanos (Centre 25 sièges), Parti Socialiste Catalan (16), Parti Populaire (droite et droite-extrême (11), Et  Catalogne, Oui c’est possible (11) 

Les acteurs catalans :
Carles Puigdemont : Président de la Catalogne, indépendantiste de la 1ère heure, maire de Gérone (le fief du mouvement indépendantiste). Professeur de catalan ancien et journaliste. Il a été imposé par la CUP.
Arthur Mas : ancien président, autonomiste devenu indépendantiste après 2010, et l’échec des négociations, a mené la campagne victorieuse de 2015, et paraissait devoir retrouver sa place, mais la CUP le jugeant (à juste titre peu fiable) a refusé de voter pour lui, « imposant » ainsi C. Puigdemont. Beaucoup d’observateurs avisés de la vie politique catalane estiment que c’est lui qui « tire les ficelles » du jeu politique. Inculpé par Madrid pour avoir organisé une consultation en 2014.
Carme Forcadell : présidente du Parlement, professeur de littérature catalane, inculpée par Madrid pour avoir fait voter l’organisation du référendum.
Ada Colau : maire de Barcelone, vient du mouvement social, fondatrice de la PAH (plateforme des victimes du crédit hypothécaire), proche de Podemos, favorable à un référendum d’autodétermination légal ; elle a tout de même fourni des bureaux de vote pour le référendum « illégal ». Elle représente, à mon avis, l’avenir du mouvement indépendantiste, qui tentera de négocier avec Madrid.

Les acteurs espagnols :
Mariano Rajoy : Chef du gouvernement espagnol, membre du Parti Populaire, parti de droite qui a « recyclé » pas mal de franquistes….expliquant pourquoi il n’y a pas l’équivalent du FN en Espagne. Il gouverne sans majorité absolue, avec l’aide d’une partie des Socialistes et des Ciudadanos, qui s’abstiennent lors des votes. Psychorigide, intransigeant : les Catalans disent de lui qu’il ne sait dire que NON en catalan. Il est empêtré dans de multiples affaires de corruption. A côté de lui Sarkozy parait un enfant de chœur. Sa présence comme chef du gouvernement (sans majorité absolue !) empêche toute solution négociée de la « crise catalane ».
Felipe VI : Roi d’Espagne, descendant de Louis XIV et de Felipe V qui a mis fin à l’Indépendance de la Catalogne en 1714. Les Catalans avaient mis quelques espoirs dans ce roi jeune, qui paraissait moins rigide que ses prédécesseurs (il a épousé une journaliste divorcée) mais son discours du 3 octobre 2017 l’a complètement discrédité auprès d’eux (leçons de morale sans aucune critique des violences policières du 1° octobre)