Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 5 novembre 2017

Alerte ! Disparition des abeilles, des insectes… 

« Il y a 20 ans, il fallait s’arrêter toutes les deux heures pour nettoyer son pare-brise tant les impacts des insectes étaient nombreux ; aujourd’hui ce n’est plus du tout nécessaire » : en 27 ans, la masse des insectes présente dans des zones protégées d’Allemagne a chuté des trois quarts. En France, une étude (CNRS) sur une seule espèce, le carabe (un petit coléoptère terrestre, prédateur des insectes, précieux auxiliaire des jardiniers), révèle qu’en 23 ans, 85% d’entre eux ont disparu. L’effondrement de l’entomofaune, c’est-à-dire la totalité de la population d’insectes présents dans un milieu, révèle les graves déséquilibres sur les écosystèmes, les insectes formant l’un des socles de la chaîne alimentaire, pierre angulaire de la biodiversité.

Il faut, bien sûr, ajouter à cette disparition, celle des abeilles, confirmée par la chute des récoltes de miel, toujours plus catastrophiques d’année en année : en 2017, comme en 2016, elle n’atteint pas 10 000 tonnes, soit 3 fois moins que dans les années 90. Cela n’a pas empêché la France, courant septembre, en catimini, d’autoriser la mise sur le marché, via l’Agence nationale de Sécurité Sanitaire et de l’alimentation et du travail (ANSES)(1) de deux nouveaux insecticides : le Closer et le Transform dont le principe actif est le sulfoxaflor. Selon le ministère de l’agriculture ce n’est pas un néonicotinoïde alors que l’Union nationale des Apiculteurs français, scandalisée, affirme que la molécule a le même principe actif, une fois absorbée par la plante, elle circule jusque dans ses parties florales et donc le pollen et le nectar. Les ministres Hulot et Travert font fi de la loi sur la biodiversité de 2016 interdisant les néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018 (certes, elle autorise des dérogations jusqu’en 2020 !) dont le décret d’application promis pour début août 2017 n’est toujours pas paru.

Une étude récente d’un Suisse a révélé que des résidus de néonicotinoïdes sont omniprésents dans 200 miels récoltés sur les 5 continents, ce qui confirme l’imprégnation générale de l’environnement. En ligne de mire : les pesticides et ceux qui les produisent, et, par conséquent, la politique agricole productiviste.

Le feuilleton du glyphosate

Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens (PE) ; il n’y a plus de doute sur cette affirmation scientifiquement démontrée. Les perturbateurs endocriniens agissent sur le système hormonal des êtres vivants, contaminent l’environnement aussi bien que les êtres humains. Très présents dans les fruits (mandarines, oranges, raisins et pêches, notamment), les PE participent à l’augmentation des maladies comme l’infertilité, certains cancers, le diabète, l’obésité, les troubles du développement du cerveau (autisme...) : l’INSERM, en sept. 2017, confirmait le lien entre exposition à certains PE pendant la grossesse et troubles du comportement chez les petits garçons.

Le Parlement européen, en janvier 2009, a adopté un règlement « Pesticides », interdisant ou retirant tous ceux qui possèdent le caractère « perturbateur endocrinien ». La commission européenne avait jusqu’à 2013 pour établir les critères scientifiques pour la mise en œuvre de cette décision. Mais, il a fallu une condamnation par la Cour de justice de l’UE pour que le projet  soit, enfin, présenté au Parlement européen le 4 octobre dernier, pour être rejeté : les eurodéputés ont refusé la définition des critères d’identification des perturbateurs endocriniens visant à les retirer du marché, car la Commission européenne y avait introduit une dérogation pour ne pas interdire les pesticides conçus spécialement pour agir sur le système endocrinien de leurs cibles ! On sent là ue poids du lobbying des industries des pesticides et de la chimie. Mais, les retards dans la décision ont aussi à voir avec les enjeux de stratégie économique, l’Allemagne, par exemple, craignant pour son industrie chimique puissante. S’agit-il de défendre l’agro-industrie et ses pesticides ou la santé des consommateurs ?

Emblématique en la matière est la bataille contre le glyphosate, molécule du Roundup, « le champion du désherbant » !  Mis sur le marché par Monsanto en 1975, ce premier herbicide à base de glyphosate, a permis à la firme agro-chimique de dominer le marché mondial et de créer, pour assurer son hégémonie commerciale,  les plantes dites Roundup Ready, celles qui sont tolérantes à son propre herbicide ! Vendre un poison et son antidote, il fallait oser ! Mais Monsanto le peut : 13.5 milliards de dollars de chiffre d’affaires (en 2012), 21 000 employés dans 166 pays, c’est cette même firme qui a fourni l’armée américaine en agent Orange répandu au Vietnam pendant 10 ans (1961/1971) ; Monsanto, c’est 90 % des semences transgéniques (soja, maïs, coton, colza) vendues dans le monde… Difficile de s’attaquer à ce géant !

Pourtant, dans les années 2000, les révélations notamment de scientifiques, de journalistes apparaissent, puis celles des phyto-victimes (constitués en association), qui, pour plus de 1 000 entament des poursuites contre la puissante firme. Depuis, les résistances s’organisent pour former une coalition internationale de citoyens et d’ONG. En octobre 2016, à la Haye, la société civile a mis en scène un Tribunal (citoyen) International Monsanto, avec audition de témoins, victimes, experts, pour conclure, et publier très largement, l’avis suivant : « les activités de Monsanto ont un impact négatif sur les droits humains fondamentaux ». Ils ont lancé un appel pour que le crime d’écocide soit reconnu. Les marches mondiales contre Monsanto, les actions des Faucheurs volontaires d’OGM (cf ils, elles luttent), ces lanceurs d’alerte révèlent au grand jour la nocivité du « monstre » commercialisé grâce aux collusions entre les décideurs des gouvernements nationaux et l’Union Européenne, et les « experts » ou « scientifiques », au service de la firme agrochimique. Et il y a de quoi s’y perdre dans le maquis des agences et autres autorités émettant des avis… favorables. Ainsi, l’EFSA – Autorité européenne de sécurité des aliments et l’ECHA – Agence européenne des produits chimiques, ont affirmé la non-nocivité du glyphosate dans le Roundup et pour cause : selon un rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory, sur les 211 experts de l’EFSA, 46% sont dans une situation de conflits d’intérêt direct et/ou indirect. Le matériau de base de leur travail, ce sont les données fournies par les fabricants et celles-ci sont confidentielles, ce qui fait dire à Michèle Rivasi, eurodéputée EELV : « Nous on veut avoir accès à ces données parce que la science secrète va toujours à l’encontre de la santé des citoyens ».

Tous ces mouvements, ces contestations, ces dénonciations font bouger les choses… lentement. Quoique ! Depuis qu’en mars 2017, dans le cadre d’une action juridique contre la firme, la justice états-unienne a déclassé des milliers de documents internes à Monsanto, c’est le début des Monsanto Papers. On y a trouvé des signes flagrants de collusion entre Monsanto et l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA), chargée d’évaluer la sureté du glyphosate et ceux qui soutiennent et facilitent l’agro-industrie dévastatrice.

L’on eût apprécié que l’un des gouvernements français, fort de toutes ces révélations, ait le cran, au sein de l’UE, de protéger la santé de ses ressortissants, à l’image du Sri Lanka qui en mars 2014 a interdit le glyphosate. Car, aujourd’hui encore, la question reste entière : le glyphosate va-t-il être interdit de commercialisation ou prolongé ? En mars 2015, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), rattaché à l’OMS, déclare que « le glyphosate est un cancérogène probable pour l’homme ». Cette affirmation tombait au moment où la Commission européenne devait renouveler l’homologation du glyphosate pour 10 ans… Cela permit que la commission européenne… ne prenne pas de décision ! Repoussée maintes fois, jusqu’à ce 25 octobre où elle doit décider, sachant qu’une majorité qualifiée (55% des 28 représentants représentant 65% de la population) est requise. Entre Hulot/Travert qui, pour la France proposent entre 5 et 7 ans de prorogation pour laisser le temps de la réadaptation des agriculteurs et Merkel qui, a besoin du soutien des Verts notamment pour gouverner, le projet de renouvellement de Bruxelles pourrait-il échouer ? … le 25 octobre : le comité permanent de l’UE chargé des questions des plantes, des animaux et de l’alimentation… a décidé à nouveau de ne pas décider… à revoir, dit-il,   avant la fin de l’année ??

Lenteur et longueur des procédures, complicités des décideurs, tout cela confirme que ceux qui nous gouvernent ne choisissent ni la santé des populations, ni la survie des agriculteurs. A Bruxelles, la vie des personnes est moins prioritaire que la bonne santé de l’industrie chimique.

Remise en cause du productivisme agricole

Les agriculteurs disent ne pas être responsables de la nocivité du produit qu’on leur vend. Certes. Un grand nombre ne connaît pas la teneur des produits que leur fournissent les coopératives. ¾ des agriculteurs y adhèrent et achètent 70% des semences « garanties tous risques ». Mais, ces propos aujourd’hui ne tiennent plus, la dangerosité du Roundup, par exemple, est connue ainsi que celle des 750 produits contenant du glyphosate, commercialisés par 90 fabricants. Sinon, pourquoi les agriculteurs stockeraient-ils ces produits dangereux dans des locaux sécurisés ?

Cette agriculture industrielle, dite conventionnelle, assure aux agriculteurs la vente de leur production à prix fixé par la coopérative, en achetant les semences recommandées et en appliquant les conseils des techniciens pour que la terre, totalement morte à force d’arrosage en pesticides, herbicides, engrais, raccourcisseurs de paille, etc. puisse servir de support aux cultures. Le rendement à l’hectare doit être maximal afin de rembourser les énormes investissements en matériels engagés grâce à des prêts consentis par le Crédit Agricole. C’est pourquoi les champs avant d’être ensemencés doivent être propres : plus une « mauvaise herbe ». Le désherbage mécanique n’est plus possible : trop long, trop cher, seul le glyphosate « peut tout tuer d’un coup » ! Avec le glyphosate on peut faire 200 hectares en 1 jour, contre 20 hectares si on utilise un outil mécanique. « On nous fait passer pour des pollueurs alors qu’on nourrit les gens » !!! C’est ce qu’exprimaient, mi-septembre, les quelque 200 agriculteurs de la FNSEA manifestant sur les Champs Elysées. M. Macron a l’âme sensible (avec la FNSEA) car cela suffit à ce qu’il envoie Hulot pour annoncer non plus une interdiction du glyphosate mais une prolongation de l’habilitation pour 3 à 5 ans (le temps de la mandature, en quelque sorte !).

L’agriculture conventionnelle est une fuite en avant vers une impasse pour tous : agriculteurs, consommateurs, environnement. C’est la politique productiviste de l’UE et des multinationales qui en tirent profits. Finançant avec la PAC une agriculture du gigantisme (1000 vaches, 4000 veaux, etc.) pour se placer sur le marché international aux mains des grandes firmes agro-industrielles. Monsanto et son Roundup en est un des acteurs. « Le glyphosate est le cheval de Troie de tous les autres pesticides et produits chimiques parce que le milieu étant fragilisé, il ouvre la voie à tout un cortège d’herbicides, fongicides et insecticides et ensuite aux engrais azotés de synthèse pour fertiliser le sol ».

Faire autrement est possible. En agriculture paysanne et en agriculture biologique, sans une goutte de glyphosate, sans pesticide chimique, le rendement atteint  80% de l’agriculture conventionnelle grâce à la rotation de cultures très variées  (blé, orge, mais, sarrasin, épeautre, luzerne, petits pois, pommes de terre, oignons...). La luzerne prend le dessus sur le chardon. Les « mauvaises » herbes ne le sont pas ; les adventices servent à fabriquer de l’engrais vert. Elles laissent les champs couverts et restructurent le sol, une fois broyées. Les terres retrouvent une vie microbienne riche, un bon cycle de l’azote, et accueillent de nombreux insectes.  Certes, il faut labourer plus, il faut 3 fois plus de main d’oeuvre mais les produits sont vendus plus chers : la coopérative achète le blé bio 400€ la tonne (au lieu de 120 à 160€ à l’agriculteur conventionnel). Simple bon sens paysan à l’écoute de la nature.

Interdire la vente de toute substance chimique dangereuse pour l’Homme, ça devrait aller de soi ! Puis, à moyen terme, réorienter les aides à l’agriculture et la PAC – politique agricole commune - (9.5 milliards d’euros) serait une première exigence. Favoriser l’agro-écologie pour en finir avec les spécialisations (maïs, blé dans le bassin parisien ou porc-lait dans l’Ouest), avec des légumineuses pour alimenter les animaux et ne plus importer le soja OGM d’Argentine ou du Brésil, serait une deuxième exigence. C’est techniquement faisable, mais politiquement, c’est une bataille à entreprendre. Il suffit de rappeler la promulgation du plan Ecophyto 2018 pour douter de la volonté politique. Promulgué après le Grenelle de l’environnement, ce plan ambitieux promettait de réduire l’usage des pesticides de 50% en 10 ans ! Trois ans après son lancement, en 2011, le volume des pesticides consommés avait augmenté et l’absence de contrôles sérieux et de moyens de coercition ont transformé les 41 millions d’euros pour ce plan fantôme en outils de communication pour faire croire au changement et continuer d’encourager les autres modes de culture comme les agro-carburants, très consommateurs de pesticides ; ceux-là ont bénéficié d’avantages fiscaux évalués en janvier 2016 à 1,8 milliard d’euros par la Cour des comptes !

Favoriser un comportement écologique, pour sauvegarder la nature et user de ses productions sans la détruire. Utopie ? Certes, c’est s’attaquer à la politique européenne, défendue entre autres par Macron. Celui-ci vient, par exemple, de supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique. De la même manière, il ne remet pas en cause le CETA, ce traité bilatéral d’échange entre l’UE et le Canada, devenu effectif au 21 septembre dernier. Cet accord menace les filières locales car les gros appels d’offre devront désormais s’ouvrir aux entreprises canadiennes au-dessus d’un certain montant. Si les truites canadiennes sont moins chères, elles seront préférées aux truites locales, même si elles parcourent 6 000 kms. Macron affirme que les normes européennes sur la santé et l’environnement empêcheront toute concurrence : le saumon transgénique commercialisé au Canada ne devrait pas arriver en France ? Paroles… paroles…   

Pendant ce temps-là, les exportations de miel ont augmenté de 61% depuis 2007, principalement en provenance de Chine, et les abeilles et les insectes continuent de disparaître… du fait de l’épandage de 100 000 tonnes/an de pesticides très toxiques et ce, en France, dans les champs, les vignes ou les vergers
Pendant ce temps-là, les agences d’expertise européennes continuent à s’en remettre aux analyses des industriels pour rédiger leurs rapports d’évaluation des risques et Bayer, cette pharmaco-industrie, voudrait concrétiser son alliance avec Monsanto que la commission européenne doit examiner dans le cadre de son droit de contrôle des concentrations (espérons qu’elle ouvre les deux yeux !)…
Pendant ce temps-là, les consommateurs avalent tous les jours des quantités anormales de pesticides et autres produits chimiques qui les rendent malades
Pendant ce temps-là les paysans disparaissent tous les jours dans le monde.

Production, consommation, croissance est le triptyque de la politique agricole actuelle. Elle a besoin des bras des producteurs, des ventres des consommateurs et si ces deux groupes s’aventuraient à demander : « mais, nous produisons pour la croissance de quoi ? Pour qui ?», ils pourraient être privés de cerveau…

La grogne et la colère montent. Mais les mécontents ne doivent pas se contenter de l’être, la seule solution est la manifestation publique du rejet de la politique de destruction du vivant et de mise en danger de la santé de tous ! Un vrai programme de société à construire qui peut s’unir en un vrai front pour la nature, de ceux qui produisent à  ceux qui consomment, contre un système qui a perdu la tête.      

Odile Mangeot, le 23 octobre 2017
 
(1)    établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement du Travail et de la Consommation, créé en 2010

Sources : Politis, bastamag, l’Humanité dimanche, le Monde