Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 6 octobre 2017

Où en sommes-nous ? Que pouvons-nous ?

Macron, assisté de tous ses novices et technocrates, a lancé une offensive, tous azimuts, contre ce qu’il reste des conquêtes sociales durement acquises. En retour, une effervescence nouvelle, bien que minoritaire, semble germer. Et comme l’atteste le texte de Jano, CQFD, monte ce cri du cœur : « C’est qui les salauds qui nous traitent de fainéants ? » Depuis quelque temps, surtout depuis l’effondrement du PS, une question taraude nombre de militants. Que faire dans la conjoncture actuelle ? Ce qui affleure, sans être pour autant partagé par le plus grand nombre, c’est qu’il est vain de croire à une solution électorale, une alliance de gauche, alors que la gauche dite plurielle n’est plus rien. Qui plus est, il paraît inconcevable de subir pendant 5 ans ce régime de régression sociale et politique. Il semble bien qu’il ne peut y avoir de stratégie efficace sans tenter d’abord de cerner la réalité du rapport de forces contre le pouvoir et ce que l’on dénomme un peu trop vite «le mouvement social». Comment sortir de l’impasse ? Force est de constater que les incantations au recours à la grève partielle ou générale ne suffisent pas. Des confusions, sources de divisions, règnent dans les esprits. Ce qui suit propose quelques explications et réfutations dont il faudrait débattre pour tenter d’y voir un peu plus clair.

Une effervescence encore bien minoritaire

Le Front Social, auquel fait référence Jano (voir également les positions de ce mouvement dans le n° 36) est né à la suite de Nuit Debout et de l’échec de la lutte contre la loi El Khomri. La tentative d’occupation des places, à l’image de ce qui s’est passé en Espagne notamment, ainsi que les manifestations d’ampleur, n’ont donné aucun résultat tangible. Au-delà des discussions assez abstraites sur la démocratie, a surgi la nécessité d’une convergence des luttes sociales. Le 16 février, un meeting organisé au théâtre Jolie Môme a donné naissance au Front Social. Il regrouperait 70 organisations et associations, des syndicalistes, des militants qui défendent les migrants, qui luttent contre les violences policières, pour le droit au logement, etc. Bien que très minoritaire, il a réussi à rassembler entre les deux tours des présidentielles, 2 000 personnes, à Paris. Son mot d’ordre : Ni Macron, ni Le Pen désignait le piège dans lequel on voulait nous faire tomber. Ne restait que Macron, face à l’épouvantail Le Pen pour nous enchaîner à une politique néo-libérale encore plus régressive que précédemment.

La France Insoumise, ce 23 septembre, parvenait à rassembler 150 000 personnes ; le Front Social y participait, le cortège des luttes était en tête de manif, la province était fortement représentée. Au-delà du discours du tribun Mélenchon, des appels à la jeunesse notamment à entrer en lutte, résonnait la détermination des participants qui,  poing levé, scandaient : « Résistance », « Dégagez ». Qu’un mouvement politique s’adressant à la rue appelle à abattre un régime issu des élections est (depuis bien longtemps) une première. Cela traduit-il dans le pays un niveau de conscience suffisant pour y parvenir ? A mon sens, pour l’heure, la réponse est négative. Pas seulement pour des raisons quantitatives (nombre de participants, absence le luttes grévistes…) mais également au vu du niveau de conscience de ce qu’il faudrait accomplir par en bas. Si je m’en réfère à celles et ceux que j’ai rencontrés ce 23 septembre (ce qui est bien insuffisant), force est de constater que, mis à part un certain nombre de militants, nombre des participants font leurs premières armes. Tout reste donc à faire.

« La révolte gronde-t-elle dans les chaumières » ?

La réponse, là encore, est négative, pour le moment. Qu’il y ait partout de la rouspétance, du mécontentement, même de la colère face à ce que l’on s’apprête à nous faire subir, certes oui. On est toutefois loin de l’insubordination ouvrière (1) et de la politisation caractérisant l’avant Mai 68 (2). Les défaites du mouvement social, défensif, depuis 1995, pèsent lourd. Ce qui semble prévaloir, c’est l’à quoi bonisme (A quoi bon ?). Nulle envie d’en découdre, mais plutôt de se retirer : les manifestations, les abstentions et votes blancs qui ne donnent rien, semblent en attester. L’extrême division syndicale, voire politique, à la gauche du PS, n’arrange rien d’autant que la réorganisation capitaliste de la production (concentrations/rachats, délocalisations, externalisations, robotisations, nouveau management…) lamine toujours plus ladite classe ouvrière (3). Cette dernière ne semble plus jouer un rôle central, atomisée qu’elle est entre chômeurs, précaires et ouvriers traditionnels. Il en est de même pour d’autres catégories sociales, tout particulièrement dans les services publics.

Néanmoins, bien que l’on puisse toujours trouver à redire, le programme de la France Insoumise (4) trace des perspectives en rupture avec le néo-libéralisme. Il va bien plus loin que celles consistant à demander l’abrogation et le retrait des ordonnances, la fiscalisation des multinationales ou la chasse à l’évasion fiscale. Non seulement il pose la question du pouvoir et de sa nature (Constituante) mais il affirme la nécessité de « balayer l’oligarchie, d’abolir les privilèges de la caste, la socialisation des banques généralistes, l’instauration d’un salaire maximum, l’organisation du blocus des paradis fiscaux, la sortie des traités européens, la transition écologique… ». Certes, ce n’est qu’un programme et ce n’est pas vraiment une rupture avec le capitalisme mais plutôt la volonté d’en juguler ses modalités néo-libérales. S’il était mis en œuvre, ce serait la traduction d’un réel bouleversement du rapport de forces, aussitôt. Même si le contenu de ce programme néo-keynésien semble être le fruit d’une élaboration collective, animée notamment par Jacques Généreux, il n’est pas certain que tous les Insoumis s’en soient emparés pour en débattre. Du reste, sur certains points, il reste en-deçà du Programme Commun première mouture, et il ne propose pas la socialisation des moyens de production et d’échanges des secteurs clés de l’économie, et encore moins « l’expropriation des expropriateurs », c’est-à-dire, pour le moins celle des grands actionnaires et ce, sans indemnisation aucune. Néanmoins, dans le paysage politique écrasé par la prégnance des contre-réformes, il offre un autre avenir. Peut-on considérer que ces idées émises n’auraient aucun impact ?

Quand bien même se mettraient en place des coordinations de luttes issues de la base, aurait-on, sans médiation politique, un contenu susceptible de promouvoir une rupture avec le capitalisme ? L’autogestion des luttes n’est pas porteuse, par elle-même, d’un programme révolutionnaire. Elle entend se départir d’un carcan bureaucratique, dénaturant, freinant l’obtention de revendications à caractère essentiellement économique, plus ou moins radicales. Dès lors, la question clé n’est pas tant celle des formes d’organisation que celle du contenu des objectifs défendus. Ce qui, en revanche, est salutaire dans cette démarche « formelle », c’est la volonté de débats, de décisions démocratiques qui s’y manifestent. Mais ceux-ci peuvent très bien être instrumentalisés dans un sens réformiste, voire contre-révolutionnaire. Il suffit de penser aux conseils ouvriers et de soldats en Allemagne en 1918 au sein desquels s’imposèrent les sociaux-démocrates, provoquant par là-même l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg et la répression sanglante contre les Spartakistes. Pour dépasser, ou contenir de tels risques, faut-il, comme semble le penser Jano, préparer, inculquer… une morale qui conjurerait toute traitrise…

Le poids de l’idéologie dominante

Elle pèse sur la conscience et le comportement des individus. Dans toute formation sociale, traversée par des intérêts contradictoires, il n’existe pas d’individus, de sujets libres qui pourraient s’en abstraire. Kant, le philosophe des Lumières, celui de la révolution scientifique copernicienne, pensait que l’utilisation de la Raison était susceptible d’engendrer des actes moraux. Cette « théologie morale » qu’il préconisait, n’avait pas de mains pour appréhender la réalité de la société. Hegel, critique vis-à-vis de cette « vision » hors sol, réintroduisait la Raison dans le cours de l’histoire des sociétés. Le progrès rationnel se matérialisait dans l’Etat. Ces philosophies issues des Lumières et de la Révolution française faisaient l’impasse sur les antagonismes travaillant le réel, marquant par là-même la domination de la bourgeoisie.

Or, le système capitaliste dont les moteurs sont la concurrence, l’exploitation et le brigandage économique, faisait prévaloir dans la réalité des comportements, la morale des plus forts, des plus retors… pour le bien de tous ! En réaction à l’exploitation et aux humiliations qu’il suscita, les classes ouvrières et populaires développèrent des « réflexes » de solidarité, d’entraide et  donc une autre « morale » que celle de « l’accumulation des écus ». Mais, spontanément, contre la logique du capital, ces luttes furent purement « économiques », consistant, pour les salariés, à améliorer la vente de leur force de travail. Les révoltes, les bris de machines qui ont pu scander ces luttes n’étaient pas par elles-mêmes porteuses d’une alternative au mode de production capitaliste. Au mieux, elles furent travaillées par l’espoir d’en revenir à des formes artisanales, précapitalistes, de coopératives dont les socialistes utopiques s’emparèrent. Dans l’histoire du mouvement ouvrier ou à sa marge, s’affirmèrent des « leaders », des «penseurs», blanquistes, proudhoniens, anarcho-syndicalistes, puis marxistes qui tentèrent de se constituer en «intellectuel collectif». Ce qui importait, pour eux, c’était de sortir les ouvriers du conditionnement dont ils étaient (et sont toujours) l’objet. Ce qui demeure, en effet, c’est que l’idéologie dominante y compris dans ses variantes secondaires (on pense à l’Eglise) est toujours celle de la classe dominante. Aujourd’hui, elle possède d’ailleurs, par l’intermédiaire des médias, des moyens de diffusion de grande ampleur. On pourrait dire que les prêches de la télé ont supplanté ceux de l’église d’antan, même si cette affirmation est un peu caricaturale.

Oser s’organiser, oser lutter

Vaincre le système de « valeurs », de soumission volontaire qui enfonce les individus dans la croyance qu’il n’y aurait pas d’alternative et que, par conséquent, se réfugier dans l’à quoi bonisme et le repli individualiste pour se sortir de sa condition d’exploité, serait la seule solution, était, (est encore ?) largement partagée. Au cours des 30 Glorieuses marquées par la possibilité, restreinte, de l’ascension sociale et par le système éducatif dit de « l’égalité des chances », cette croyance pouvait espérer se matérialiser (méritocratie). Avec la précarisation de la société, elle s’est largement amenuisée pour se réfugier dans l’illusion des start-up. Autrement dit, les antagonismes se sont durcis. Toutefois, les luttes sociales sans débouchés politiques, sans réelles victoires, les illusions répandues par les sociaux-libéraux et les syndicalistes réformistes d’accompagnement des réformes néo-libérales, ont favorisé une apathie, un repli démobilisateur. Certes, l’espoir entretenu dans le parlementarisme a pris un sérieux coup dans l’aile, il a pu se réfugier, comme son contraire, dans le nationalisme xénophobe, voire pour certains, se cantonner à des postures de retrait ou s’enfermer dans une tour d’ivoire surmontant la plèbe. Sortir de cet état de fait suppose un terrain favorable, celui d’une effervescence démocratique qui ne peut prospérer que dans l’échange, la confrontation. L’occupation des places comme en Espagne, tout comme les AG grévistes d’antan, furent une illustration de cette nécessité. C’est dans ce contexte que peuvent surgir de fortes individualités encastrées dans le mouvement populaire. Rien ne tombe du ciel, tout repose sur la conjoncture et parfois, le plus souvent, la conscience tarde à saisir la réalité effrayante qui s’impose. Sans l’occupation prussienne de la France, le défaitisme des élites, la fuite des bourgeois de la capitale, pas de Commune de Paris en 1870. Sans la grande boucherie de 14-18, pas de révolution russe. Sans prétendre au pire, force est de constater que la guerre, la misère et la faim au sud, la précarisation des sociétés occidentales, la rapacité de l’oligarchie mondialisée et les inégalités abyssales qu’elle entraîne, les crises écologiques et économiques, sont grosses de révoltes potentielles. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.  Les antagonismes semblent venir trop lentement à maturité alors que les concentrations et fusions capitalistes continuent leurs ravages. Les directions syndicales d’accompagnement des  contre-réformes libérales (CFDT, FO) ne sont pas (encore) mises en cause largement. Intégrées à l’appareil d’Etat dont elles dépendent en partie financièrement, elles n’ont aucun intérêt au bouleversement de l’ordre social dominant et feront tout pour maintenir leur hégémonie sur une classe ouvrière largement désemparée. Certes, la CGT, plus combative, SUD Solidaires, le Front social plus radical, les Insoumis plus nombreux, ouvrent les fenêtres vers d’autres horizons mais rien n’est joué.

Alors, que peut-on espérer ? Que de plus en plus de salariés, chômeurs, intellectuels osent, ensemble, s’organiser collectivement et transforment les frémissements actuels en effervescence démocratique. A ce stade, il s’agit « d’affecter » le plus grand nombre pour que nous devenions ingouvernables, irrespectueux, insubordonnés, tout en étant lucides sur la réalité du rapport de forces auquel nous nous heurtons. C’est seulement dans ces conditions, conjuguant éducation populaire et actions que peuvent surgir de nouveaux modes de pensée, de nouveaux comportements, une nouvelle hégémonie brisant le carcan de l’idéologie dominante. Dès lors, à la vieille querelle formelle opposant partis et syndicats, se substituera le questionnement de ce qu’il est possible d’obtenir ici et maintenant, compte tenu de l’effort entrepris pour délégitimer Macron, le mal élu. Tout doit donc être entrepris pour favoriser la crise politique du régime. Que le pouvoir se sente obligé de dissoudre l’Assemblée en tentant de trouver par des élections une nouvelle légitimité en faveur des classes dominantes importe peu. L’essentiel est d’ouvrir des brèches à d’autres espérances plus radicales. La nouvelle génération qui émerge se doit, dans le processus heurté qui s’annonce, à la fois de renouer avec l’histoire des luttes passées, en dépassant ses errements, et d’avoir prise sur le réel tel qu’il est, et ce, en toute lucidité pour convaincre, rassembler, organiser.

Gérard Deneux, le 27.09.2017

(1)   Pour en savoir plus, lire L’insubordination ouvrière dans les années 68 de Xavier Vigna (PUF)
(2)   Il y eut bien en 1968, la tentative de s’opposer au pouvoir gaulliste, lors du meeting de Charléty. De fait, il s’agissait d’occuper une place momentanément vacante avec l’assentiment des formations politiques pour éteindre le mouvement devenu incontrôlable. Mitterrand, Rocard, Mendes France… s’y préparaient. Cette tâche fut de fait assurée par le mouvement gaulliste (défilé aux Champs Elysées, SAC, diffusion de la peur du chaos, élections)
(3)   Lire Grain de sable sous le capot de Marcel Durand (Agone)
(4)   L’avenir en commun, programme de la France Insoumise (Seuil)

Encart 1
Cupide, Macron ?
Macron président, outre ses relations, a de quoi régler les peccadilles de son voyage dispendieux à Las Vegas (1). Après 2 ans passés à la banque Rothschild, il possède un moelleux matelas : près de 3 millions €, voire plus. Il a déclaré, pour l’année 2004 : 403 600 € de salaire, 291 300 € de dividendes, 706 300 € de bénéfices industriels et 1,4 million de prime pour avoir négocié le rachat par Nestlé d’une filiale du groupe Pfizer au détriment de Danone. Ce flibustier de la finance peut se permettre cette arrogance vis-à-vis des « fainéants », des « analphabètes » qui ne comprennent rien à la « pensée complexe » du Président des super-riches. 

(1)   organisé par Mme Pénicaud, voir Le macronisme existe-t-il ? PES n° 36  


Encart 2

Au royaume des ékronomistes
Ils brûlaient du pétrole et se goinfraient de hamburgers.
Ils croupissaient dans les embouteillages et jouaient au loto.
Ils déambulaient dans la rue, tenus en laisse par un grigri numérique.
Ils se trouvaient beaux en se regardant dans le miroir de la mode.
Ils s’agglutinaient dans les hypermarchés pour soulager provisoirement leur fièvre acheteuse.
Ils absorbaient quantité d’antidépresseurs prescrits par l’industrie pharmaceutique.
Ils croyaient que la technique résoudrait tôt ou tard tous leurs problèmes.
Ils voulaient aller toujours plus vite vers l’instant d’après…
Ainsi agissaient les primates à deux pattes : Primatus Ordinarius Consumeris (POC) tandis que Primatus Liberatus Oligarchis ordonnait à Poc qui exécutait, aidé en cela par Primatus Domesticus Mediatis…

Extraits de l’essai iconoclaste Au royaume des ékronomistes de François Seine (ed. Le Pré du Plain, 2014, 7€)


NDLR : C’est bien cette société-là que nous combattons