Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 27 juin 2017


Bon été à toutes et tous !

Quelques lectures pour les vacances


La siliconisation du monde.
L’irrésistible expansion du libéralisme numérique.
L’auteur affirme que les nouvelles technologies numériques inculquent une vision du monde et une néfaste industrialisation de la vie. Né au sein de l’appareil militaire et de l’informatique, développé dans les start-up de la Silicon Valley, le techno-libéralisme prétend maintenir la domination du capitalisme financiarisé en accélérant la circulation du capital et des marchandises. Les grands rapaces d’internet, en collectant toutes données, entendent marchandiser tous les instants du quotidien. Cette «race de nouveaux seigneurs et de faux prophètes prétendument visionnaires, produisent un système néo-féodal de castes distinctes» qui accélèrent la prépondérance des 1%. La rhétorique de valorisation de l’individu, isolé mais connecté, induit l’addiction numérique, bafouant l’intégrité et la dignité humaines. Surveillance généralisée, organisation algorithmique de la société, intelligence artificielle, pulsions de connexion, autant de facteurs qui dessaisissent notre pouvoir de décision. Nous serions donc à l’orée d’une civilisation névrotique, de marchandisation inconsciente de tous les instants du quotidien, d’une société transhumaniste. Cette uberisation du monde en germe, sous une «apparence juvénile et dynamique» occulte la précarisation structurelle en œuvre et l’affaissement de l’esprit critique. «La mise sur le marché de nouveaux produits stimulant sans relâche la demande par l’introduction de nouvelles versions d’un même produit», «la furie transhumaniste», les personnalités disloquées saisies de crises d’angoisse, scotchées à leurs écrans, le burn-out, n’en sont que les manifestations les plus visibles. GD
Eric Sadin, éd. L’échappée, 2016, 17€ 


France Côte d’Ivoire : une histoire tronquée
Cette journaliste de terrain fait le récit argumenté de l’histoire récente des relations entre la France et la Côte d’Ivoire, celle d’un nouveau cycle d’interventions militaires en Françafrique, inaugurée par Sarkozy que poursuivra Hollande (Mali, Centrafrique…). La domination coloniale qui s’effrite dès 1993, après la mort d’Houphouët-Boigny, la lutte des clans et la misère sociale débouchant sur des affrontements incontrôlables et la victoire contestée de Gbagbo décidé à ébranler la tutelle française, tout va être mis en œuvre pour le déstabiliser, le délégitimer («parano, sournois… ce nègre»). Les médias occidentaux, l’intervention au nord de seigneurs de guerre armés par le Burkina Faso du dictateur Compaoré, l’instrumentalisation «bienveillante» de l’ONU avec l’assentiment des grandes puissances, la mise en branle de l’armée française pour soi-disant séparer les deux forces en présence, le choix fait par la communauté internationale d’Ouattara, issu du rang du FMI… L’utilisation nationaliste de la notion d’ivoirité par les prédécesseurs de Gbagbo et par lui-même, exacerberont les exactions dans les deux camps. De même, la présence et l’ingérence des militaires français et de la cohorte des «conseillers» politiques et administratifs auront des effets destructeurs. Face à Gbagbo et à ses velléités d’autonomie vis-à-vis de la tutelle de l’impérialisme français, ses complaisances vis-à-vis de la Chine, il s’agit de défendre les intérêts des Bolloré, Bouygues, Véolia, GDF Suez, tout en maintenant avec plus ou moins de succès, les seigneurs de guerre. Le 11 avril 2011, face à la ténacité de Gbagbo, il fallut l’attaque massive de l’armée française pour arrêter celui qui avait «tort de ne pas baisser les yeux devant le maître» et le déférer auprès du tribunal pénal international  afin de justifier «les mensonges débités» par la version officielle. Autrefois, il s’agissait de «civiliser les Africains», aujourd’hui il faut «les protéger contre eux-mêmes», pour maintenir la paix civile. L’ONU est devenue, tout comme ladite justice internationale, un outil politique des grandes puissances. Reste que la Côte d’Ivoire est toujours plus en voie d’éruption avec son économie maffieuse sous dépendance de son parrain, où règne un sentiment d’injustice sociale et politique et dans lequel des dizaines de milliers d’armes sont en libre circulation. A lire pour se défaire des représentations dominantes qui nous sont inculquées. GD
Fanny Pigeaud, éd. Vent d’ailleurs, 2015, 24€


George Orwell, écrivain journaliste anglais (1903-1950), passera sa vie à voyager auprès des faibles, des opprimés, des marginaux et en tirera le sujet de ses romans. Sergent dans la police impériale birmane, il la quittera et écrira Une histoire birmane qu’il résume ainsi : «le fonctionnaire maintient les Birmans à terre pendant que l’homme d’affaires lui fait les poches». Il partagera la vie des mendiants et écrira  Dans la dèche à Paris et à Londres. En 1937, il s’engage dans les milices anarchistes en Catalogne et écrira Hommage à la Catalogne. A la fin de sa vie, il publiera des oeuvres plus générales : La ferme des animaux, le célèbre 1984... JLL et LL

Hommage à la Catalogne
C’est le récit de son engagement dans les milices du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) et auprès des anarchistes antistaliniens sur le front de l’Aragon pendant la guerre d’Espagne. Il vivra les journées de mai 1937 à Barcelone (mise au pas du mouvement anarchiste par les communistes staliniens). Quelques extraits pour vous mettre l’eau à la bouche : Orwell arrive à Barcelone en décembre 1936 : «… C’était bien la première fois de ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus… Tout magasin, tout café portait une inscription nous informant de sa collectivisation. Les garçons de café, les vendeurs nous regardaient bien en face et se comportaient en égaux. Les tournures de phrases serviles ou même simplement cérémonieuses avaient pour le moment disparu… et le plus étrange de tout, c’était l’aspect de la foule. A en croire les apparences, dans cette ville, les classes riches n’existaient plus. Presque tout le monde portait des vêtements de prolétaires ou une salopette bleue ou quelque variante des vêtements de la milice. Il y avait là un état de choses qui m’apparut sur le champ comme valant la peine qu’on se battit pour lui. Et surtout il y avait la foi dans la révolution et dans l’avenir, l’impression d’avoir soudain débouché dans une aire d’égalité et de liberté. Des êtres humains cherchaient à se comporter en êtres humains et non plus en simple rouage de la machine capitaliste ». 1938, éd. 10-18, 7.50€

La ferme des animaux
Fable animalière qui décrit la vie d’animaux dans une ferme. Après s’être révoltés contre le propriétaire et l’avoir chassé, ils prennent le pouvoir et s’organisent en autogestion. Après une période idyllique, les animaux vont tomber dans le même travers que les hommes : les cochons vont prendre le pouvoir, asservissant les autres, modifiant le passé pour les manipuler. Un dictateur va émerger, instituer un culte de la personnalité et entraîner la communauté à sa perte. Récit court et amusant visant tous les totalitarismes, surtout le régime soviétique et le stalinisme. 1945, éd. Folio, 6.60€

Le précariat. Les dangers d’une nouvelle classe.
Ce livre essentiel, chaudement recommandé par Noam Chomsky, analyse la montée, partout dans le monde, de l’insécurité économique et de la sourde colère sociale. Le précariat qui touche les classes populaires et moyennes résulte, selon l’auteur, d’au moins trois facteurs. La mondialisation financière du capital, l’essor des pays émergents et tout particulièrement de la Chine, enfin, la marchandisation des entreprises, selon la rapacité des actionnaires. Il s’ensuit un démantèlement du système salarial issu de la période keynésienne-fordiste ainsi que des pans entiers du secteur public pouvant être rentabilisés et donc privatisés. Tout est marchandisable y compris l’éducation. On se dirigerait vers des «sociétés infernales», la mort lente des pensions de retraite. Quant à la jeunesse employable, flexible, elle serait vouée au nomadisme urbain. Intensification du travail d’un côté, précarisation pour le plus grand nombre de l’autre, ces «surnuméraires» pour reprendre une expression de Jacques Rancière. Ce sont les femmes et les migrants qui sont les plus touchés. En outre, ce processus pour se maintenir se doit d’assurer une surveillance panoptique généralisée et enfermer les déviants dans des prisons surpeuplées. Dans ce système, le déclin démocratique s’accompagne de la montée d’un «néofascisme». Pour contrecarrer ces maux délétères, l’essayiste nullement révolutionnaire préconise, pour le moins, l’associationisme par en bas et la reconquête de l’espace public. Tous ceux qui ne sont pas convaincus de la nécessité de leur engagement devraient s’astreindre à la lecture de ce livre, traduit en 19 langues. GD
Guy Standing, éd. L’opportun, 2017, 22€





Le PES n° 35 - juin -
vient de paraître
Voici l'édito ci-dessous
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adresser à Gérard Deneux 76 avenue Carnot 70200 Lure


 L’éphémère Macromania

Que restera-t-il, d’ici quelques mois, de ce pouvoir disposant d’une « majorité parlementaire boursoufflée », couplée à une défiance abstentionniste ? La surprise fut, en effet, ce score record des abstentions, des votes blancs et nuls : 67.22% au total, et dans ladite Outre-Mer, 71%. Encore faut-il y ajouter les non et mal inscrits (1). Certes, les classes dominantes se réjouissent : Macron, c’est le dynamisme renouvelé du néolibéralisme, débarrassé pour l’heure des coteries politiciennes usées dont les plus finauds ont su être saisis à temps par le « girouettisme » intéressé. Les « constructivistes » et autres macronpatibles se recyclent aisément, laissant à leurs déchirements ceux qui veulent garder les « vieilles maisons » en voie d’effondrement. Même l’épouvantail Le Pen, qui a tant servi à maintenir l’alternance libérale PS/droite, semble dévalué après la percée des Insoumis dans ses « bastions » populaires.

Sur fond de Hollandie déliquescente, d’un Fillon fripon, du ralliement d’un Bayrou subjugué, il a suffi d’un énarque roublard et ambitieux pour que les édifices partidaires fracturés se pulvérisent. Sur ce champ de ruines, le proclamé, par soi-même, Jupiter, a mis en scène sa majesté élyséenne, affirmant la nécessité de la verticale du pouvoir qu’il est censé incarner. Las, à peine avait-il investi un gouvernement à sa main que déjà il dut, dans l’ombre, descendre de son Olympe : régler l’exfiltration de Ferrand, Bayrou, Goulard, De Sarnez, écorner dès à présent l’image vertueuse qu’il voulait donner de lui-même : taches indélébiles, celles consistant, en effet, à faire confiance à ce Ferrand d’argent accumulé sur le dos d’une mutuelle, à donner la responsabilité au ministre de la justice pour découvrir ensuite qu’il n’était qu’un faquin détournant les deniers de l’UE pour son parti désargenté.

Malgré ces avatars, la Macromania médiatiquement diffusée peut faire illusion ; le masque « progressiste » affublé de con-certations avant l’imposition d’ordonnances d’agressions sociales et de lois liberticides peut troubler l’opinion. Reste que le marketing d’enfumage et les belles images diffusées ne résisteront pas longtemps à la grisaille des vies quotidiennes amputées. Sa douteuse légitimité, assise sur une assemblée croupion peuplée de novices godillots, encadrés de quelques vieux chevaux de retour, ne peut anesthésier bien longtemps les classes populaires. Le miel saumâtre de propos rassurants ou la mise en scène de sa Brigitte sur papier glacé ne convaincront que ceux qui ne sont pas (encore) affectés par les affres du  néolibéralisme.

Toutefois, à la foudre de Jupiter pourrait répondre une bourrasque sociale, le faisant chuter de son Olympe, l’amenant à gérer la conflictualité sociale en s’acharnant à la réprimer, voire à lui céder. Et si tel est le cas, à n’en pas douter, ces luttes pourraient vivifier le débat démocratique par en bas, ainsi que les organisations se réclamant de l’insoumission et de la transformation sociale. Mais ne nous leurrons pas. Les « aquoibonistes » et tous ceux qui réprouvent une rupture franche avec le capitalisme financiarisé sont encore nombreux. La proclamation de la révolution sans révolutionnaires enracinés, sans « Rousseau des ruisseaux », sans la transformation des classes populaires en classes pour soi, n’est que nostalgique incantation.

L’heure est plutôt à délégitimer cette macronie éphémère afin de faire venir le temps de sa destitution. A évoquer Podemos en Espagne, Corbyn au Royaume (dés)Uni, Sanders aux Etats-Unis ainsi que toutes ces déflagrations sociales et politiques en germe de par le monde, il se pourrait bien que la « roue de l’Histoire » se remette à tourner dans le bons sens.

Le 25.06.2017

(1)  soulignés par les sociologues Braconnier et Dormagen dans La démocratie de l’abstention, folio actuel,  2007




Pour François Beisson
Hommage aux Ouvrières du parapluie
à Aurillac en 1905

à Aurillac
sous une pluie battante de mépris
des parapluies en ronde
bâillent en rigole
en 1863
on y rajoutait une pelle
aux parapluies
pour abreuver le vert pâturage
un autre temps qui s’en retourne
en haute lutte de longue haleine
baleines déployées
pour ne pas ployer
sous l’humiliation d’un notable vil prix
qui se veut charitable
en 1905
après un mois de pépins solidaires
plantés dans la galoche des mauvais payeurs
les ouvrières en pébroque obtiennent gain de cause
elles
au moins
n’ont pas perdu leur temps
et la foule solidaire du pavé résonne
au rythme des parapluies en fêtes

Eric Meyleuc, 1.1.2017



Ordonnance Macron, 
c’est toujours non (et pas merci) !

Macron nous promet une «loi travail»  XXL à coup d’ordonnances (cf article dans ce PES). L’un des objectifs est de supprimer tout obstacle au licenciement dans les multinationales. Les salariés de Whirpool, Seita, Vivarte et bien d’autres pourraient être licenciés dès septembre, premières victimes des ordonnances Macron. S’il réussissait à mener à son terme sa contre-réforme, ce serait une régression sociale sans précédent depuis le Front populaire. En effet, une multinationale n’aurait plus à faire référence aux chiffres de l’ensemble du groupe, pour procéder à des licenciements économiques en France, mais seulement aux chiffres de sa filiale française. Toutes les usines, les magasins, appartiennent à des groupes. Lorsque ces derniers cherchent à délocaliser leur activité, ils commencent par transférer, céder ou supprimer une partie de la production, ce qui fait chuter les chiffres de la filiale française, permettant de justifier les licenciements. Faire échec à ce projet, c’est l’appel de CGTSpectacle, FilpocCGT, SNJCGT aux Invalides le 27 juin ainsi que d’autres appels et notamment



En Inde, des paysans surendettés
 « affament » Bombay

Dans cet Etat fédéral, ce pays continent où la moitié de la main d’œuvre est agricole sur des exploitations qui, en moyenne, ne dépassent pas 2 hectares, les paysans, pour survivre, se sont surendettés. 15 millions ont quitté les campagnes ces dernières années. En 20 ans, 300 000 se sont suicidés.
Dans l’Etat du Maharashtra de 115 millions d’habitants, les paysans par milliers ont verrouillé l’accès à Bombay. 10 jours de blocage. Déversement de milliers de litres de lait pour obtenir l’effacement de leurs dettes. Les citadins privés de livraisons, les denrées périssables introuvables et le prix des produits dont raffolent les Indiens en hausse vertigineuse, ont fini par faire céder, le 12 juin, le gouvernement de cet Etat. Il s’est résolu à prendre à sa charge les impayés des plus fragiles soit… 320 milliards de roupies (4.4 milliards d’euros) représentant 25% des encours actuels des prêts consentis. 3.5 millions de paysans seraient concernés. Cela suffira-t-il, pour autant que la promesse soit tenue, à calmer les contestations paysannes qui couvent dans tout le pays ? Parviendra-t-il à surmonter les divisions ancestrales des castes qui caractérisent la population indienne ? En tout état de cause, la décision du 1er ministre Modi, refusant de subventionner l’Etat du Maharashtra, et celle, concomitante, de ce gouvernement local à se résoudre à emprunter et à couper dans les dépenses publiques, ne vont pas rendre la situation moins explosive qu’elle ne l’est déjà !


Rennes. Contre la répression. 
Soutien aux 5 incarcérés.

Début juin, à Rennes, une cinquantaine de fonctionnaires de police venait cueillir 7 personnes au saut du lit dans 6 lieux différents. Cagoulés et armes au poing, les flics ont débarqué dans la chambre d’un enfant de 10 mois, littéralement explosé une porte et pénétré par erreur dans l’appartement du voisin d’un des interpellés. Digne des «coups de filet» antiterroristes, sans compte rendu dans la presse. Une fois  n’est pas coutume, l’Etat souhaitait rester discret. 5 personnes sont aujourd’hui derrière les barreaux, accusées d’avoir participé à la manifestation «ni Le Pen ni Macron» du 27 avril (2000 personnes). Selon le Parquet, certains se seraient approchés excessivement d’un motard de la police venu fanfaronner au beau milieu du parcours de la manifestation. Certains autres l’auraient bousculé à l’aide d’une arme dangereuse, en l’occurrence un pommeau de douche. Ce lourd armement n’a toutefois causé aucune blessure sur l’agent. Par contre, celui-ci avait sorti son arme de service pour braquer la foule. On est passé ce jour-là à un mouvement d’index du bain de sang.
Il en est désormais ainsi du fonctionnement de la justice : plus un policier dérape, plus il faut charger ses victimes pour démontrer que ce sont en réalité elles, les coupables. Ne nous laissons pas intimider ! Le Collectif Contre la Criminalisation du Mouvement Social (CoCoCriMS) appelle à soutien et protestation. Sur Expansive.info, le site d’infos qui a les crocs (Rennes et alentours) https://expansive.info/rassemblement-contre-la-regression-des-manifestations-samedi-17-juin-511


Touche-pas à mon compteur !

Un habitant de l’Ile de Ré avait expulsé un sous-traitant d’Enedis venu installer un compteur Linky contre son gré. Il avait refusé par écrit l’installation du compteur, ajouté deux barreaux en métal pour interdire toute tentative de démontage de son disjoncteur et placardé une affichette «Touchez pas à mon compteur». Pourtant, le 19 juillet 2016, un agent d’Enedis, face au refus du propriétaire, avait fait venir les gendarmes pour tenter une médiation. Découpant les barreaux, il était entré dans la maison pour démonter le compteur existant, accompagné par les gendarmes. Le propriétaire avait saisi le technicien par les épaules pour le mettre dehors, ce qui lui valut une plainte pour violences. Le prévenu a déposé plainte pour violence, violation de domicile et  pose illégale de compteur. Le tribunal d’instance de La Rochelle a évoqué la « légitime défense des biens » et jugé la réaction du prévenu « proportionnée à l’agression ».

Un jugement important pour le mouvement Stop Linky sur refus.linky.gazpar.free.fr   
Etat d’urgence. En sortir vraiment 

Mis en place le 15 novembre 2015, juste après les attentats du Bataclan, l’état d’urgence a été renouvelé à 5 reprises. Il arrive à terme le 15 juillet prochain mais Macron a d’ores et déjà décidé de le renouveler jusqu’en novembre, le temps de préparer un projet de loi « adapté » à la lutte contre le terrorisme.
On a assisté, tout au long de cet état d’exception prolongé, à un glissement dangereux, opéré par l’intermédiaire des préfets qui décrètent, au prétexte de la protection des citoyens, des interdictions de manifester ou qui pratiquent un usage de la force disproportionné, contre ceux qui manifestent leurs désaccords face aux décisions gouvernementales régressives. Les moyens de maintien de l’ordre mis en oeuvre n’ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.
La question pour Macron et son gouvernement, est donc, la suivante : comment sortir de cet état d’exception, sans avoir à encaisser la responsabilité dans le cas où un nouvel attentat meurtrier aurait lieu, tout en usant des pouvoirs exceptionnels qu’il offre, permettant de contenir les débordements des opposants aux projets régressifs qu’il a annoncés ? Bien entendu, il affirme être soucieux de la sécurité des citoyens face au terrorisme mais il a l’ambition d’user de cet outil d’exception donnant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif, via les autorités administratives, et veut l’inscrire dans la loi commune.

Etat d’urgence pour restreindre les libertés

L’état d’urgence, qui relève de l’exception, renforce les pouvoirs de l’autorité administrative sans contrôle de l’autorité judiciaire. Qu’il ait été légitime, immédiatement après les attentats afin d’user de tous les moyens pour interpeler les auteurs des assassinats ignobles, soit. Pour autant, doit-il être renouvelé à l’infini ? Ou alors, sert-il d’autres visées, sans le dire ? Ce ressenti est confirmé par l’enquête d’Amnesty International, publiée le 31 mai 2017, révélant que l’état d’urgence et les pouvoirs de police exceptionnels qu’il autorise, ont permis de restreindre certains droits fondamentaux, comme la liberté de manifester, la liberté d’expression ou encore la liberté d’information.

Entre novembre 2015 et mai 2017 : 155 manifestations ont été interdites, 639 interdictions individuelles de manifester ont été décrétées au prétexte de prévention des violences sans qu’il existe d’éléments démontrant la dangerosité des personnes concernées. 21 interdictions ont été prises au moment de la COP 21 et 574 dans le cadre des manifestations contre la loi Travail. De la même manière, des pratiques de maintien de l’ordre, ont été appliquées, comme les fouilles systématiques et la confiscation d’outils de premier secours dans les manifestations (sérums physiologiques, lunettes…) ; plus grave encore, ces outils ont été confisqués aux street-medics (médecins de rue) présents dans les manifestations pour soigner ceux qui sont touchés par les gaz lacrymogènes et autres coups de matraque « bien » assénés : plus de 1 000 personnes ont été blessées au cours des manifestations contre la loi travail ! Par ailleurs, les stratégies de maintien de l’ordre pratiquées sont contraires à l’apaisement des tensions : la technique de la nasse, celle qui confine un groupe de manifestants afin de les empêcher de rejoindre les manifestations, attise les colères et les tensions. Toutes ces mesures de police, multipliées par certains préfets, sont contraires aux droits fondamentaux de manifester et aussi d’informer : de nombreux journalistes et de média filmant les manifestations ont été empêchés et violentés.

Le Conseil constitutionnel, suite à Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) (1) a, le 9 juin, censuré un des outils-phares utilisé à souhait par les préfets, pour interdire à certains individus de manifester : l’interdiction de séjour, formulée comme une interdiction de paraître « dans tout ou partie du département » si la personne cherche à « entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Interdire de manifester sans preuves de trouble de l’ordre public est contraire à la Déclaration des droits de l’homme « Nul ne doit être inquiété pour ses opinons, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public… ». Le Conseil Constitutionnel n’a pas pu ne pas condamner : toutefois, la  censure ne sera effective qu’à partir du 15 juillet (!!), fin de la prolongation de l’état d’urgence.

L’état d’urgence prolongé servirait-il à préserver la sécurité des citoyens et à lutter contre le terrorisme ? Non, explique Serge Slama (2) « même si aucun chef d’Etat n’a eu le courage de dire que la fonction principale de l’état d’urgence n’est pas de lutter contre le terrorisme. C’est un instrument de neutralisation de certaines populations. Cela renvoie à la fonction historique de l’état d’urgence, créé en 1955 durant la guerre d’Algérie. C’est avant tout un instrument de contre-insurrection pour neutraliser les « fauteurs de trouble ». Il a aussi des effets de stigmatisation et de marginalisation de certaines personnes astreintes à une vie totalement soumise à des obligations légales » (assignations à résidence, interdiction de sortie du territoire, contrôles policiers…).

L’état d’urgence a été un laboratoire pour tester les mesures qui en découlent, bien au-delà de la menace liée au terrorisme. C’est pourquoi, il dure, mais, il est une mesure d’exception qui ne peut être infinie, dans un pays où les gouvernants revendiquent, tous, successivement, leur attachement à la démocratie et au respect des droits de l’Homme.

 L’entourloupe. Sortir de l’exception en l’inscrivant dans le droit commun

Macron a trouvé la combine : transcrire les mesures d’exception dans le droit commun. Il a présenté, le 7 juin, au conseil de défense (3), le projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », dont la logique générale consiste à accorder à l’exécutif des pouvoirs exorbitants de contrôle, surveillance, intrusion et privation de liberté, en tenant à distance l’autorité judiciaire.  

Le projet banalise les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence : assignations administratives (pudiquement intitulées « surveillance et autres obligations individuelles), perquisitions administratives, mesures de fouilles dans l’espace public via la création de « périmètres de protection » qui vont encore aggraver les pratiques discriminatoires, fermeture de lieux de culte, pérennisation du fichage de tous les citoyens voyageurs, contrôles d’identité transfrontaliers élargis mis au service des politiques d’immigration basées sur le refoulement et le rejet, possibilités d’exploitation des données électroniques contenues dans les appareils saisis lors des perquisitions, sous la seule autorisation du juge administratif, possibilités de surveillance de masse des communications hertziennes… Les pouvoirs de l’exécutif (ministre de l’intérieur, préfets et policiers) sont accrus, contre des citoyens privés de leur liberté d’aller et venir, de leur droit à la vie privée et à la protection du domicile. Le syndicat de la magistrature (4) alerte sur le danger d’un tel projet de loi : « Le ver est dans le fruit lorsqu’un Etat constitue un infra-droit pénal, « principe de précaution » entre les mains d’un exécutif qui revendique de porter atteinte aux libertés sur des suspicions, au prétexte d’accroître la sécurité collective ». Les instruments policiers échapperont au contrôle de l’autorité judiciaire au prétexte qu’il faut alléger les contraintes procédurales. Les perquisitions décidées par un préfet, sur la base d’une note blanche (note non datée et non signée faisant état de tous les éléments qui « prouvent », selon l’administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics) remplaceront la constitution d’un vrai dossier soumis à un juge.

Peut-on admettre dans un Etat de droit que, de manière permanente, l’administration préfectorale puisse décider sur la foi d’une simple information des services de renseignement de perquisitionner n’importe quel citoyen ou de l’assigner à résidence car il y aurait des « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics » sans aucun contrôle a priori d’un juge ? Ce qui se trame est une énorme régression des droits et libertés qui bafoue le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Il est illusoire d’imaginer la résistance du Conseil Constitutionnel face à ce projet ; si toutefois cela était le cas, encore faudrait-il attendre que se présentent des cas individuels devant des juridictions pour qu’une QPC puisse être déposée contre la loi qui sera adoptée en novembre.

Nous sommes tous concernés par ce projet de loi et ses risques d’atteinte à nos libertés et à nos droits fondamentaux d’expression,  d’opinion, d’information… Il doit susciter une opposition de taille. Préparons-nous dès maintenant aux attaques multiples contre nos droits individuels et collectifs. Macron les annonce, à peine installé dans son fauteuil de Président avec ses « Nikes de la majorité » (cf encart), sans légitimité populaire : la « majorité » obtenue par LRM au 1er tour des législatives est de 15% des inscrits (51.29% d’abstentions + 2.2% votes nuls et blancs)  et encore amoindrie au 2ème tour (57.35% d’abstentions et 9.87% votes blancs et nuls ! Quelle légitimité a-t-il pour imposer des lois liberticides ?

Odile Mangeot, le 19 juin 2017   
    
 (1) la Question Prioritaire de Constitutionnalité permet à tout justiciable de contester, devant le juge, la constitutionnalité d’une disposition législative portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution 
(2)  maître de conférences en droit public, interviewé par Médiapart le 8 juin 2017
(3) formation restreinte du Conseil de défense et de Sécurité nationale, le conseil de défense est présidé par le président de la République
(4) Politis 15 juin 2017 Laurence Blisson. Le Syndicat de la magistrature, dès novembre 2015, s’était élevé contre les atteintes à l’Etat de droit de l’état d’urgence

Encart

Démocrates d’occasion

Quels que soient les résultats ultimes, la majorité présidentielle « écrasante » n’en restera pas moins minoritaire. Quelques brebis abstentionnistes égarées, poussées vers les urnes du 2ème tour, ne sauront garantir la légitimité du pouvoir. Le char de l’Etat reste une bagnole d’occasion rafistolée et repeinte aux couleurs d’une nouvelle écurie. Le pilote a trouvé chaussures à son pied (une droite, une gauche). Toutefois, modernité oblige, le terme de « godillots de la majorité » doit être remplacé par celui de « Nikes de la majorité ».
Recomposition oblige, il faudra trouver un nom plus cossu et plus respectable au nouveau parti présidentiel, à l’imitation des modèles allemands ou anglo-saxons. Quant aux juniors, hâtivement formés à leur fonction à l’assemblée nationale, ils intégreront la nouvelle aristocratie chez qui tous les mélanges de genre sont permis.
Aux citoyens de leur imposer une démocratie en contrôle continu, une démocratie directe… et d’exercer leur droit à la parole !


Le Collectif Droit à la parole de St Dié des Vosges, le 12.06.2017   
Guyane en lutte

Revenir sur la mobilisation d’ampleur et la grève générale exemplaires qui ont marqué la Guyane de la mi-mars au 21 avril 2017, semble d’autant plus indispensable qu’elles ont été peu médiatisées, voire occultées. Qui plus est, ce mouvement populaire a été de fait méprisé, la proximité des élections présidentielles n’excusant en rien l’absence de solidarité syndicale et politique et encore moins le silence assourdissant de l’ex-ministre Taubira. Dans ce confetti de l’ex-empire colonial, grand comme le Portugal, les populations qui y vivent ont su surmonter les divisions racistes entretenues par des politiciens médiocres. Rejetés par une nouvelle génération allergique aux vieux crocodiles politiques et aux bureaucrates ainsi qu’à toute compromission, ils sont parvenus à arracher, par leur détermination une victoire éclatante contre les politiques austéritaires. C’est cette leçon qu’il faut retenir bien que la spécificité de la situation ne soit pas transposable. Plus qu’un mouvement gréviste, cette lutte s’est dressée contre le sous-développement néocolonial qui caractérise la Guyane cf encart 1 – spécificités néocoloniales de la Guyane).

L’histoire (cf encart 2 quelques repères historiques) de ce département dit français en atteste, tout comme l’ampleur de la pauvreté actuelle qui le caractérise. Cette crise sociale n’est pas intervenue dans un ciel serein, elle a d’ailleurs été précédée de coups de colère et de promesses non tenues qui ont fait surgir une détermination sans pareille (cf encart 3 une situation sociale intenable). Les tergiversations du pouvoir finissant Hollande/Cazeneuve, tout comme leurs manœuvres n’y ont rien changé. L’Etat néocolonial a dû céder. Reste à l’inepte Macron à mettre en œuvre et à honorer la signature de ses prédécesseurs, lui, l’énarque qui a prétendu que la Guyane était une île. Il avait pourtant, en 2015, lorsqu’il était ministre de l’économie, apporté son soutien aux multinationales canadienne (Columbus Gold) et russe (Nord Gold) pour exploiter l’or dans la forêt amazonienne.

Ce sont tous ces aspects largement méconnus que ce dossier souhaite éclairer en retraçant les moments incroyables de cette mobilisation et, à l’aide d’encarts, en évoquant la lamentable histoire coloniale et sociale de ce pays. Sources pour les articles qui suivent : le Monde, Politis, le quotidien de l’écologie http://reporterre.net

Le déroulement d’une mobilisation exemplaire, d’une unité populaire sans faille

Tout commence à bas bruit, dans les syndicats, les associations, les collectifs de citoyens. Quoique, le collectif des 500 frères cagoulés est déjà bien visible, constitué lors de l’assassinat de trop d’un habitant de Cayenne, tué par arme à feu pour avoir résisté à un voleur ; cette association de lutte contre la délinquance a déjà fait parler d’elle. Pacifistes, ils ont décidé de rompre avec les marches blanches à répétition. Hyper-organisés, ils défient les autorités qui, face au trafic de drogue (cocaïne), à la misère sociale et psychologique, ne réagissent pas. Le 16 mars, le mouvement est lancé ; le 20 mars, une énorme manifestation bloque le centre spatial de Kourou. Le lancement de deux satellites est reporté. Avec une grande désinvolture, le gouvernement consent à envoyer une équipe de hauts fonctionnaires qui débarquent le 24 mars. Ils n’apportent qu’une vague promesse de 600 millions d’euros pour redresser l’hôpital de Cayenne lourdement endetté. Le 27 mars, la grève générale est déclarée, des barrages routiers sont autant de lieux de rassemblement avec AG, prises de paroles, repas avec grillades, démonstrations d’artistes locaux. Toutes les administrations, entreprises, écoles, les ports de commerce, aéroports sont fermés, toutes les activités sont bloquées. 13 des 27 maires convoqués par les hauts fonctionnaires refusent de se rendre à cette concertation institutionnelle. Albert Darnal, l’un des leaders du mouvement, dirigeant de l’Union des Travailleurs Guyanais UTG-EDF, déclare : « Nous dénonçons les élus et nous leur disons aujourd’hui qu’ils doivent se mettre en arrière de la mobilisation ». Nous voulons des ministres pour que des décisions soient prises. De Paris, la ministre de de l’Outre-mer, Ericka Bareigts lui répond : « Ce n’est pas la place de la ministre d’aller sur place à chaud, faute d’identification des revendications ». De fait, le pouvoir prend peur, il veut éviter « la prise d’otage » à laquelle fut confronté Bayrou en 1996, venant présenter un plan de rattrapage scolaire qui ne vit jamais le jour, et la répression violente du mouvement qui s’en était suivie.

Cazeneuve commence néanmoins à prendre la mesure de l’immense colère sociale. Il promet que « plusieurs ministres se rendront en Guyane en fin de semaine »  mais pose des conditions. "Le  dialogue doit se faire sans cagoule, dans le respect de l’ordre républicain et il appelle au calme » les manifestations pacifiques, y compris dans les villages les plus reculés.

La ministre Bareigts supervisée par le ministre de l’intérieur Fekl, arrivés en Guyane, s’apprêtent à recevoir une délégation du Collectif.   

Le 28 mars, le jour où tout a basculé

La délégation d’une trentaine de membres, escortée par plus de 100 000 manifestants déterminés, est reçue. Immédiatement, elle demande que la presse puisse assister à la négociation. Refus de cette transparence. Suspension. La délégation revient avec une nouvelle proposition : la presse doit pouvoir rester 30 minutes pour entendre les déclarations du Collectif. Nouveau refus. Suspension. Le ton monte, les manifestants sont au contact des garde-mobiles. Matignon, par téléphone, donne son accord. L’une des déclarations met la pression : « Mme la ministre, le peuple guyanais vous demande de vous excuser (pour avoir tardé à venir). Nous pouvons comprendre la bêtise mais pas le mépris ». La ministre s’excuse devant la délégation. Ça ne suffit pas, elle est obligée de renouveler ses excuses au balcon de la préfecture, un mégaphone lui est prêté à cet effet. Il paraît que Cazeneuve, apprenant ce geste qui met en cause « l’autorité de l’Etat » ( !) fut « fou de rage », pour lui « ces excuses sont calamiteuses ». En tout état de cause, la délégation a bien remis à la Ministre le cahier de 400 pages de revendications, élaborées par l’ensemble des membres du Collectif et rendez-vous fut pris pour en discuter. Et la délégation de rejoindre les manifestants pour une grande marche dans Cayenne, les Amérindiens en tête du cortège. « Du jamais vu ».

Echec des manœuvres et des premières négociations

Le vendredi 31 mars, comme pour couper court à toute division et instrumentalisation institutionnelle du mouvement, élus, députés et sénateurs, conseillers territoriaux, maires, se rendent à la préfecture avec une corde symbolique au cou pour signifier qu’ils « remettent les clefs » de la négociation au seul Collectif.

Le 2 avril, le gouvernement, par l’intermédiaire des deux ministres, fait connaître son « plan d’urgence » chiffré à 1,085 milliard. Le collectif s’indigne, c’est insuffisant. Il exige 2,5 milliards de plus, « c’est pas négociable ». Il appelle à intensifier le mouvement, les barrages, y compris aux abords de la base spatiale. Au rond-point qui y donne accès est édifiée une immense sculpture : un poing levé. Quant aux ministres, ils repartent, penauds, à Paris.

Dans les jours qui suivent, la marche sur Kourou est emblématique de la situation néocoloniale : le centre spatial est occupé aux cris de « vos fusées décollent et la Guyane est au sol ». La radio associative qui relaie depuis le début les événements voit son audience exploser.

Le 6 avril, le Medef local, pour briser le mouvement, appelle à lever les barrages. Le président de l’Union des transporteurs lui répond : « Nous maintenons le barrage ». Le 7 avril, le Collectif se présente à la préfecture entouré d’une foule de manifestants. Le Préfet refuse de le recevoir. Colère… un commissaire et plusieurs policiers sont blessés mais les affrontements sont évités. Il faut ternir les barrages et bloquer Kourou. La grève s’installe malgré les pénuries, la solidarité tient.

Le 11 avril, des patrons qui travaillent à la base de Kourou tentent « de libérer la circulation ». L’UTG EDF ne cède pas « On est certainement proche du but, ce n’est pas le moment de capituler ». D’ailleurs on attend un « plan de convergence » annoncé dans le cadre de la loi sur l’égalité réelle ! Et puis « rien à foutre de la campagne présidentielle »… bien que l’on soit à 8 jours du 1er tour ! Cazeneuve qui a joué le pourrissement s’inquiète, les panneaux électoraux sont vides, le matériel électoral n’est pas acheminé… 

Le gouvernement aux abois, cède

Le 18 avril, alors que les barrages maintenus se durcissent encore, le Collectif précise « pour l’éducation, l’eau potable, la santé, nous exigeons 2,1 milliards de plus et l’abandon des poursuites entamées contre des manifestants » et appelle à une nouvelle journée villes mortes.

Alors que Cazeneuve avait jugé cette somme irréaliste, il cède. Le 21 avril, l’accord est signé pour un total d’engagements à hauteur de 3.185 milliards, avec la construction immédiate de 5 lycées, 10 collèges, d’une cité judiciaire, d’infrastructures routières et la cession gratuite de 400 000 hectares aux populations amérindiennes. Promesse est signée d’un examen prioritaire de dépenses de 2.1 milliards dans un « plan additionnel ». La rétrocession totale du foncier détenu par l’Etat à la collectivité territoriale de Guyane est renvoyée aux futurs Etats généraux de Guyane qui détermineront le statut d’autonomie de ce département français. La relation avec les pays voisins, tout particulièrement le Brésil, y serait discutée.

Davy Rimane, l’un des responsables du Collectif, n’est pas dupe : « le salut ne viendra pas des urnes, la mobilisation doit se maintenir, le travail ne fait que commencer » (cf encart 4 élections législatives en Guyane). L’unité populaire, malgré quelques réserves de fin de parcours des 500 frères, a été faite entre Créoles, Blancs, H’mongs, Haïtiens, Amérindiens et Noirs Marrons (anciens descendants d’esclaves en fuite) (cf encart 5 populations guyanaises. Elle n’est pas prête de se défaire. C’est ce à quoi Macron va être confronté dans les semaines et mois à venir d’autant qu’il a pris des engagements contraires sur l’exploitation aurifère sur le territoire des Amérindiens (cf encart 6 -  les engagements avec les multinationales).

Pour ne pas conclure

Les Guyanais ont pris au mot la loi abstraite de l’égalité réelle afin d’en concrétiser la dimension affichée. Le niveau de détermination dont ils ont fait preuve, l’unité des organisations qu’ils ont construite, l’état de préparation souterraine que cela a nécessité, démontrent que ce soulèvement n’avait rien de spontané. Certes, il s’est appuyé sur un ras-le-bol des promesses non tenues et sur une situation néocoloniale intenable. Mais, le cahier de revendications chiffrées qu’ils ont déposé, (tout comme les formes de luttes massives utilisées) indique un degré de maturité politique que l’on est loin  d’atteindre en métropole

Force est de constater que les organisations syndicales françaises n’ont (pour le moins) pas été à la hauteur : aucune déclaration de leaders syndicaux, aucun mouvement de solidarité. L’inexistence d’un internationalisme contre le néocolonialisme révèle un mépris de classe et de race pour ces… étrangers.

Ce constat vaut pour la Guadeloupe, pour l’ensemble des confettis de l’ex-empire colonial et pour les interventions militaires en Côte d’Ivoire, au Mali, en Centre Afrique. La libération sociale et politique des classes ouvrières et populaires, en France, ne peut se réaliser si elles dominent d’autres peuples. Cf encart 7 – Pour que la Guyane décolle

Gérard Deneux, le 11 juin 2017


Encart 1 - Spécificités néocoloniales de la Guyane

La loi de 1905 (séparation de l’Eglise et de l’Etat) ne s’applique pas. Ce pays est toujours régi par l’ordonnance royale datant de Charles X (1828) ! Le clergé catholique est salarié par l’Etat. Les autres religions ne bénéficient pas de ce régime (protestants, juifs, hindouistes, musulmans…) qui n’a toujours pas été aboli.

Département militarisé. 2 800 soldats dont la légion étrangère, le régiment d’infanterie de marine, une base aérienne, une base navale… et Kourou (enclave)

Carences de la justice et de la police sur fond de misère sociale :
-        Trafic illicite de cocaïne en provenance du Surinam. 9 policiers spécialisés y sont affectés…
-        Délinquance, vols, en 2016 : 42 homicides
-        Commissariat de Cayenne. En deux ans, les effectifs ont fondu de 66 à 45. Sur tout le territoire, vétusté des locaux, du matériel, des voitures en mauvais état…
-        2001 : la promesse d’un nouveau Palais de Justice et du renforcement des effectifs (magistrats…) est tombée dans les oubliettes. Délais de jugement très longs
-        Octobre 2016 : Cazeneuve promet 60 policiers de plus, dont… la moitié au rabais (adjoints de sécurité). 2017 : les Guyanais n’ont obtenu que 15 policiers supplémentaires ( !)
-        La Guyane comprend 22 communes subdivisées en villages
-        Les politiciens locaux, loyalistes, se répartissent en trois tendances : Républicains, le Parti Socialiste guyanais et Forces démocratiques de Guyane. Ils ont chacun pour leur part attisé les divisions raciales entre les « Guyanais de souche » (les créoles) et les étrangers. Ils se sont montrés particulièrement zélés pour appliquer les mesures d’austérité. Ils sont largement discrédités sur place, y compris Taubira.

Aberration : La Guyane se doit d’appliquer les réglementations de l’Union Européenne. Sa spécificité géographique n’est pas reconnue et lui interdit de fait de commercer avec ses voisins d’Amérique latine. Ainsi, elle ne peut importer de viande brésilienne, etc. tout doit provenir de la métropole. 


Encart 2 - Quelques repères historiques sur la Guyane

1643 – la France prend possession de Cayenne en vue d’en faire une colonie esclavagiste. Echec des premières implantations de colons
1794 – 1ère abolition de l’esclavage
1797 – La Guyane devient une colonie pénale. Un réseau de camps de travaux forcés est mis en place. Pour renforcer la colonisation agricole (canne à sucre, bananes, riz, manioc, maïs, tabac) des travailleurs européens sont « engagés » pour une durée de 56 mois et attachés par contrat à leur « maître ». Le quasi esclavagisme est un échec : manque de volontaires et fuite des « engagés ». Napoléon ayant rétabli l’esclavage, ils sont remplacés par des Noirs subissant la loi du « Code noir » (instauré en 1685). Des noirs « marrons » (des fuyards) se réfugient dans la forêt amazonienne. 
1848 – abolition définitive de l’esclavage
1855 – ruée vers l’or (10 000 chercheurs). Coup d’arrêt des activités agricoles. Second Empire : Napoléon III. Des opposants politiques, des intellectuels, des délinquants sont déportés à Cayenne
1894 – Affaire Dreyfus (déporté à perpétuité à l’île du Diable en Guyane)
1946 – La Guyane devient département français. A la suite des articles de dénonciation des bagnes par Albert Londres, ils furent définitivement fermés. 45 survivants furent rapatriés.
1965 – implantation du centre spatial à Kourou en remplacement de la base saharienne d’Algérie
1985 – Mitterrand « On ne lance pas des fusées sur fond de bidonvilles ». 32 ans plus tard, il y a toujours nombre de logements insalubres autour de Kourou
1992 – 1ère mobilisation de colère sociale
2008 – mouvement contre la vie chère. Des promesses, rien de significatif. Les prix sont dopés pour le plus grand profit du capital commercial. Des produits sont 10 fois plus chers qu’en métropole.
2013 – Hollande promet un « pacte d’avenir » et la mise en œuvre du plan de rattrapage scolaire promis antérieurement par Bayrou et qui n’a toujours pas été signé
19 janvier 2014 – loi sur « l’égalité réelle » pour l’Outre-mer. Des principes sans effets notoires…
2015 – mise en place d’une collectivité unique (CTG). Enfumage institutionnel…
2017 – sous le calme apparent, les syndicats préparent la mobilisation. Albert Darnal de l’Union des Travailleurs Guyanais est à la manœuvre, lui qui avait soutenu la lutte des Guadeloupéens, comme Elie Domota, pense que « les racines du mal.., c’est la domination coloniale ». Face à la délinquance et à l’absence de structures pour les jeunes, le mouvement des 500 frères se constitue fin février…

Encart 3 -  Une situation sociale intenable

-        Kourou, symbole du caractère colonial. Salariés français « détachés ». Accès aux services publics sur la base spatiale
-        Revenu moyen des habitants : inférieur de 40% à celui de la métropole
-        Une famille sur 2 sous le seuil de pauvreté (40% des enfants)
-        40% des jeunes sortent du système scolaire, sans diplôme. 5 000 enfants sont non scolarisés
-        50% des jeunes au chômage. Taux de 25% pour l’ensemble de la population active
-        15 000 familles en attente de logements. Coupures d’électricité à répétition, loyers inabordables. Logements insalubres. Difficulté d’accès à l’eau potable
-        Mortalité infantile : 551 pour 100 000 par an. Métropole : 152/100 000
-        47 médecins pour 100 000 habitants (2 fois moins qu’en France)
-        Projet de privatisation de l’hôpital de Kourou. Colère des habitants et du personnel soignant. Marisol Touraine retire son projet.
-        Délinquance : 14 fois plus qu’en métropole. Immigration importante en provenance du Brésil, du Surinam, d’Haïti
-        Infrastructures routières insuffisantes, vétustes ou précaires
-        12 000 hectares de forêts détériorés. Pollution au mercure. Exploitation sauvage des mines d’or.

Encart 4 - 1er tour des législatives en Guyane

Dans la 2ème circonscription : Davy Rimane – porte-parole du Collectif, secrétaire général de l’UTG – s’est présenté en candidat indépendant aux législatives : 20.3% des voix. Il sera présent au 2ème tour face à Lénaïck Adam – République en Marche – 36.4%

Dans la 1ère circonscription, le sortant PS Gabriel Serville (29.77%) est en ballotage avec Joelle Prévot Madère (LRM) 29.58%

Avec un taux d’abstention de 75.41% !!


Encart 5 - Populations guyanaises

La Guyane compte 250 000 habitants (30 000 en 1960). Le territoire équivaut à la superficie du Portugal. L’immense majorité des populations se répartit sur la côte et le long des estuaires et des fleuves

Les Créoles (40% de la population). Guyanais dont la langue se serait constituée au XVIIIème siècle (« mélange » de français, d’anglais, d’espagnol, de portugais et de langues amérindiennes). Ils sont les descendants métissés des colons français. Leurs représentants ont monopolisé le pouvoir politique institutionnel local. Mais le réel pouvoir est détenu par les « métros » (métropolitains) qui séjournent quelques années et détiennent le pouvoir administratif, militaire et les réseaux d’échanges commerciaux

Les Français métros (12% de la population). Ils détiennent les postes clés

Les Amérindiens (2.2%) se répartissent en différentes ethnies. 10 000 vivent dans la partie amazonienne. Le droit de propriété sur leurs terres n’est toujours pas reconnu. Ils parlent 6 à 7 langues différentes.

Les « noirs marrons » sont les descendants des anciens esclaves en fuite. Ils sont environ 4 000 et parlent 6 langues différentes

Les H’mongs. Indochinois des montagnes, ils ont été supplétifs des armées française et américaine. Déportés, ils sont arrivés en 1977 (2% de la population) 

Autres : Chinois, Libanais, Haïtiens…

Encart 6 - Macron et la méga-mine d’or industrielle

2011. L’Etat octroie 8 concessions de prospection à la multinationale canadienne Colombus Gold, alors même que des milliers d’orpailleurs clandestins pourrissent les eaux de la Guyane depuis des décennies.
Découverte de la « montagne d’or » dans l’ouest de la Guyane au sein de l’Amazonie

Septembre 2016. Bercy reçoit Igor Klimanov, directeur de Nord Gold pour l’exploitation du site. Il réclame des infrastructures routières et la pose d’une ligne électrique aérienne de 120 km, en capacité de transporter 20 000 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation annuelle de Cayenne : coût estimé à 60 millions d’euros… à la charge du contribuable. En contrepartie, l’Etat prélèvera une taxe minière de 2%. Le projet est soutenu par Attali qui siège… au conseil consultatif de la Colombus Gold.

21 février 2017. Présentation du projet à Cayenne avec ( !) « étude d’impact et étude de faisabilité ». Hélène Sirder, Vice-Présidente de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), déléguée au développement durable, soutient « la valorisation des ressources du sous-sol ». L’Etat prétend que 1 000 emplois seront créés en phase de construction et 800, ensuite, pour l’exploitation.

Juppé, en tournée en Guyane, déclare « on ne veut pas que les lobbies écologistes viennent contrecarrer un projet créateur d’emplois ». Effectivement, les Amis de la Terre, les Ingénieurs Sans Frontières et … la fondation Nicolas Hulot s’y opposent, sans compter les Amérindiens.

Le projet est démentiel, « c’est un tsunami affairiste » (Fabrice Nicolino). Outre la destruction de la forêt primaire dans la zone, et au-delà (pistes), il nécessite le creusement d’une fosse de 25 km de long, de 600 à 800 mètres de large, d’une profondeur de 250 mètres. Les futurs mineurs concasseront à cette profondeur et utiliseront des intrants chimiques notamment du mercure, et ce, sous les pluies souvent diluviennes, respireront des poussières nocives. Et il faudra entreposer des volumes colossaux de terres stériles… et éviter leur éboulement. Développement durable, vous dis-je !

Macron, qui s’est rendu sur le futur chantier, n’en doute pas. Il a  vanté « l’excellence du projet ». « Columbus Gold (qui n’exploitera pas) est l’un des fers de lance de la mine responsable ». Et puis, comme l’affirme l’un des représentants de cette entreprise « c’est loin dans la forêt, tout le monde s’en fout ». A voir !


Encart 7 - Pour que la Guyane décolle

Eléments les plus significatifs du « cahier de revendications » du mouvement qui concerne plus généralement l’éducation, la santé, des revenus décents, la lutte contre la délinquance… On peut citer :

-        La construction de 5 lycées, 10 collèges, 500 classes primaires
-        Le refus de la privatisation des centres de Santé et des hôpitaux
-        Des emplois et des revenus décents, pour tous, notamment pour les petits paysans ; déblocage des aides européennes les concernant, soutien aux filières locales de circuits courts.
-        Baisse du prix de l’essence (imposé par l’Etat via Total). Possibilité de s’approvisionner auprès des voisins (Venezuela…)
-        Recrutements sur les postes vacants pour l’électrification, la voirie et autres investissements.
-        Recrutement de travailleurs sociaux et éducateurs de rue. Création de structures dans l’ouest ; application des lois nationales pour protéger les enfants et la jeunesse
-        Le conseil des populations amérindiennes et noirs marrons demande la cession des terres communautaires, dénonce le projet de cession-accaparement de 200 000 hectares de forêt au profit de la  multinationale Nord Gold (extraction d’or)