Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 29 mai 2017

De quoi Macron est-il le nom ?(1)

La victoire, d’ailleurs toute relative, d’un Rastignac de la caste politicienne est certes le résultat d’un enchaînement d’évènements inattendus, mais repose, plus fondamentalement, sur une crise de régime et la tentative de sauvetage qu’illustre le macronisme. Encore faut-il tenter de le définir pour saisir son apparente force d’attraction et sa réelle fragilité.

1 - Le rejet des leaders des partis dominants par leurs électorats

Les politiques similaires, malgré toutes les contorsions rhétoriques dont font preuve les partis dits de gouvernement, ont été mises en lumière crue à l’occasion des diverses alternances. Les privatisations, délocalisations, externalisations, désindustrialisation sur fond de montée du chômage et de la précarité, en constituent la continuité incontestable. Les directives européennes qui en sont le fondement, tout comme le sauvetage des banques lors de la crise de 2007-2008 et les politiques austéritaires pour résorber la dette publique, en sont la raison d’être. Il n’y a pas lieu donc de s’étonner de l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre les castes politiciennes et leur propre électorat. La montée du FN nationaliste et xénophobe en est le produit le plus faisandé. La solution pour reconquérir leurs bases électorales, LR comme PS crurent la trouver dans le recours aux primaires. Mal leur en prit. Elles devaient servir à masquer les divisions, elles les a accrues au sein de la droite comme au sein de la fausse gauche.

D’une primaire à l’autre

Sarko, maître de l’appareil, et Juppé comme solution apaisante pour la classe dominante, pensaient tous deux être maîtres du jeu au sein de LR. Ce fut Sarko le perdant et Juppé le relégué. A faire voter l’électorat de droite, chauffé aux propos xénophobes et aux réprobations de l’assistanat et des mariages pour tous, il en sortit un Fillon austère, et tout d’apparence probe et honnête chrétien. A peine désigné, les médias et la population s’indignèrent. Son programme casse-cou allait jeter dans la rue des bataillons de salariés qui ne pouvaient admettre la casse de la Sécurité Sociale sans qu’on n’y mette des formes plus euphémisées. La branche-maladie coupée au profit des assurances et mutuelles privées, pour le bonheur d’Axa et de son PDG qui en avait rédigé le programme, c’était trop osé ! Adoucissez, crièrent ses soutiens, ce que contrit, il fit. Peine perdue, l’honnête homme se révéla fourbe et avide d’argent public. Reculades et dénis se succédèrent pour étouffer le Penelope-gate. Et ce fut la lente descente dans l’impopularité. Sa présentation en victime d’un complot ourdi par la secte hollandaise au sommet de l’Etat n’arrangea rien. La vaine tentative de remplacer ce Fillon, dont les meilleurs amis ne voulaient plus, mise  à part la valetaille réactionnaire des Sens Commun catho, fut des plus cocasses et ce, malgré la présentation de soi impeccable avec veste hors de prix, léguée par des mécènes douteux. Bref, tous ou presque, dans son camp, prédirent que l’alternance promise, attendue, allait leur échapper. Quoique !

En effet, on pouvait encore y croire car la « Belle Alliance » du PS n’était qu’une union des divisions flottant sur l’impopularité d’un Président qui n’osa point se représenter. On attendait que sorte du lot un Valls énergique, moderne. C’était sans compter avec le frondeur Hamon. En fait, l’électorat convoqué pour cette primaire de la « gauche et des écologistes » se révéla bien plus à gauche qu’espéré par les ténors de l’appareil. L’état d’urgence, la déchéance de nationalité promise puis oubliée, la désapprobation de la loi El Khomry par 70% des sondés, la précarisation de la société et cette courbe du chômage qui ne s’inversait pas, mirent Hamon sur le piédestal malgré les quolibets médiatiques.

Bref, rien ne se passait comme prévu. On attendait un duel de 2ème tour, opposant Valls et Juppé, c’était raté. Fallait changer de montures.

2 - Le Rastignac Macron en solo

Quittant assez tôt le navire « hollandais » en perdition, l’ex-ministre de l’économie se présenta comme un homme neuf, dynamique. La créature de Hollande, personne au départ n’y croyait dans le landernau des élites. Les médias  n’y virent au départ qu’une bulle, puis furent séduits après la déconfiture des primaires. Pensez-donc, il surfait sur le rejet des partis dominants qui se fracassaient ; ni de droite ni de gauche, il prônait l’union afin de poursuivre la mise en œuvre d’un néolibéralisme conquérant et bruxellois, sans retenue. La start-up en marche connut quelques débuts difficiles ; les chamailleries des Sarko, Juppé, Fillon et Valls, Hamon et tant d’autres lui dégagèrent la route. Et puis, alors qu’il stagnait, il reçut le renfort d’un homme dit du centre qui s’autorisait à penser qu’il parlait à l’oreille des chevaux. Macron tendit les bras à celui qui, quelque temps auparavant, l’avait houspillé en le traitant de bébé Hollande. Bayrou, pour quelques circonscriptions lui permettant de renaître, en fut tout réjoui.

Mais, au-delà de ces péripéties croquignolesques, il y eut la comm macronienne, son style et l’épouvantail Le Pen. Autant d’éléments qui assurèrent la victoire de la nouvelle coqueluche des médias dominants.

Le nom de Macron

Ce fut d’abord une pub sur papier glacé, la mise en scène d’un couple présidentiel glamour. Il fallait plaire. Ainsi, pour ne prendre, dans la presse people, que l’exemple le plus signifiant, à savoir Paris Match, on eut droit au choc des photos pour gogos. Cette publication consacra, en un peu plus d’un an, 7 numéros dont l’un spécial de 26 pages au duo Macro-Trogneux. Ainsi on put les voir, main dans la main, déambulant sur une plage de Biarritz, elle en bikini et lui en sportif tout habillé. Ces tableaux charmants allaient se répéter pendant toute la campagne présidentielle à l’américaine.

Mais, la nouveauté se trouvait ailleurs, dans ce parti-entreprise dont le PDG était Macron. L’objectif présenté consistait à prétendre renouveler le paysage politique. Au lieu des têtes chenues, usées, voire compromises dans de douteuses affaires comme les Cahuzac, Fillon Le Roux… de fringants jeunes technos allaient sortir du lot. On fit sortir du chapeau des soutiens suffisamment compétents, des marcheurs-suiveurs éblouis par les envolées christiques du candidat Macron. Mais l’affaire ne fut dans le sac qu’à l’issue du 1er tour des présidentielles. Après les duels convenus, ne restait que le sauveur face à l’affreuse. L’épouvantail Le Pen fut mis à contribution. Et tous, ou presque, d’appeler à voter Macron. La surprise étonnante du 1er tour, celle de l’émergence de La France Insoumise fut néanmoins suivie par une abstention et une envolée de bulletins blancs et nuls, mettant déjà à mal une légitimité fragile.

Il n’en demeure pas moins que la prouesse fut remarquée. Les débris du PS se ramassent à la pelle ; la droite éclatée dont une frange importante fait les yeux doux de Chimène au vainqueur, lui se permettant des débauchages et allant jusqu’à nommer des ministres de droite, dont le Premier d’entre eux. Bref, tout semble chamboulé et remis sur les rails gaulliens de la 5ème République. Rien n’est encore joué mais ce qui est sûr c’est que l’autoritaire et ombrageux Macron prétend incarner la monarchie dite républicaine dans tous ses atours. Pour ce faire, il se doit d’espérer une majorité macronienne ou, à défaut, une cohabitation possible avec des néolibéraux de droite et de gauche.

La langue macronienne

Macron, c’est l’homme du capitalisme néolibéral assumé et conquérant, à la différence de Hollande, le honteux. L’ubérisation de la société, la déréglementation tous azimuts, la concurrence accrue à l’image des bus contre les rails, du travail le dimanche, la précarité structurelle, seraient la solution pour faire redémarrer le capitalisme français au sein de l’Europe. Les maîtres-mots de la macromania sont tous, plus ou moins, issus de la Silicon Valley et de ses start-up : il s’agirait de « faire pousser de jeunes pousses dans des incubateurs », en développant l’économie de la donnée. Ceux qui sont en effet en capacité de se « mutiner contre l’immobilisme conservateur » « misent sur l’audace de la rupture » sans filets sociaux ; leurs maîtres-mots sont « créativité et innovation ». Cette technophilie utilisant la magie des mots peut séduire. Elle prétend « libérer les forces vives de la jeunesse » car il suffirait d’emprunter, de se lancer pour espérer devenir millionnaire. Tous ces jeunes exaltés qui applaudissaient dans les meetings de Macron sont persuadés, qu’avec lui, les créatifs, les collaboratifs, les participatifs seront les gagnants de demain ; ils feraient bouger « l’inertie des sociétés encombrées de trop de règles contraignantes ». L’appareillage rhétorique macronien peut faire illusion. Toutefois, comme il est apparu assez vite, avec les chauffeurs Uber de VTC, les risquophiles ont vite été rattrapés par la précarité. Force est de constater qu’un monde en crise a besoin de prophètes, voire de charlatans loufoques, comme Donald Trump, et que « le capitalisme se caractérise par l’insécurité et l’agitation perpétuelle » (Karl Marx). Le nouveau type de religiosité marchande que veut nous vendre Macron a besoin d’imprégner en profondeur les esprits pour que ça marche pour quelques élus derrière leurs claviers. La réalité pour le plus grand nombre sera tout autre, son programme en fait foi.

3 - Du trompe-l’œil au libéralisme sans frein

D’abord obtenir l’approbation populaire en se présentant comme M. Propre pour éviter les couacs de l’enrichissement frauduleux des ministres et futurs députés. Vite, un projet de loi, avant même l’élection des députés, après examen de passage des ministres du nouveau gouvernement, vérifications fiscales et déontologiques accomplies (2), c’est proclamé : les emplois familiaux et les activités de conseil lucratives des députés seront interdits ; la limitation des mandats évitera les cumulards et l’on fiscalisera les indemnités des parlementaires, tout en mettant un terme à leur régime spécial de retraite. Serait-ce la fin des privilèges ? Ces effets d’annonces drastiques risquent d’être édulcorés si Monsieur le jeune Macron ne dispose pas d’une majorité de suiveurs en marche… En tout état de cause, pour faire passer l’amère potion de la précarisation tous azimuts, il semble nécessaire de restaurer « une république exemplaire ».

Comment faire admettre autrement la suppression des 120 000 postes de fonctionnaires, la hausse de la CSG, l’étranglement des collectivités locales par la suppression de la taxe d’habitation ?

Mais le plus dur du consentement à obtenir, c’est la casse, par ordonnances, du code du travail. Les entreprises doivent, selon la logique concurrentielle effrénée, pouvoir s’adapter aux soubresauts de la mondialisation et donc entreprise par entreprise, diminuer les salaires, augmenter le temps de travail selon leurs besoins. Les patrons devraient donc être autorisés, sous la menace du chantage à l’emploi, à utiliser le référendum d’approbation démocratiste. Qui plus est, les PDG ne devraient plus être encombrés par de trop nombreux syndicalistes. C’est ce que vise la « fusion des instances représentatives des personnels ». Et hop, on regroupe délégués du personnel, des CHS, du comité d’entreprise… Exploitation avec un minimum de contestation ne saurait suffire, encore faut-il rendre grâce au MEDEF, lui qui depuis des années, réclame « le plafonnement des indemnités prud’homales ». Renvoyer par un clic « sans cause réelle et sérieuse » tout en mesurant le coût forfaitaire, facilitera la vie des précautionneux patrons, tout en contraignant les juges.

Ce capitalisme de combat qui nous est promis, doit s’accompagner de la disparition de Pôle Emploi et des Assedic, voués à s’insérer dans le giron de l’Etat. Finie la gestion paritaire ? Et Macron de promettre que demain les indépendants et démissionnaires bénéficieraient d’assurance-chômage. Les bobos flexibles « rebondissant de projet en projet » ne peuvent qu’applaudir devant une telle audace, tout en se convainquant, qu’au grand jamais, ils ne seront des assistés et donc nullement victimes de la chasse aux chômeurs annoncée.

L’ex-banquier de chez Rothschild se fait plus discret sur les promesses faites à ses amis de la finance : la suppression de l’impôt sur les portefeuilles financiers et le plafonnement de la plus haute tranche des revenus financiers, ramené à 30% au lieu de 50%, il sera temps de faire voter en ce sens à la sauvette, aux moments opportuns.

Macron l’européen. Macron le guerrier

L’ambitieux Rastignac veut jouer dans la cour des grands de ce monde. A peine intronisé, il est allé chercher l’appui de l’allemande Merkel, afin de lui soumettre ses vœux iconoclastes pour l’Europe : une assemblée de la zone euro rassemblant députés européens et nationaux, des eurobonds pour mutualiser au moins une partie des dettes publiques, un budget européen avec un ministre dédié à cette noble tâche. Courtoisement, la dame de Berlin l’a éconduit, ce n’est pas à l’ordre du jour et puis, faites d’abord vos preuves austéritaires. Tout juste lui promettait-elle son soutien à l’initiative de refonte de la directive des travailleurs détachés. Ce Nein, assorti d’un « on verra », était aussi valable pour la réclamation d’une défense européenne visant à amoindrir les dépenses militaires de l’entreprise France que Macron entendait poursuivre sans retenue aucune.

A preuve, son voyage au Mali après son défilé sur les Champs Elysées en command-car-blindé… Paradant devant les généraux, il prononça de fortes paroles. La France-Afrique par le feu et par fer serait maintenue. Qu’importe si l’armée française est enlisée depuis 4 ans (déjà) dans les sables du Mali, le nouveau et fringant chef des armées proclama « Notre engagement restera de haute intensité ici au Sahel comme dans d’autres opérations. Nous serons intraitables ». Et, pompeux, le sémillant guerrier d’ajouter : « l’institution militaire, je la guiderai dans nos interventions ». Au gouvernement potiche et corrompu d’IBK et ses vaines tentatives de discussion avec la rébellion terroriste, il fit savoir que cela devait cesser. Les despotes pourront-ils être mis au pas ?

Et après…

On l’aura compris, au-delà des apparences de renouveau, pour les classes ouvrières et populaires, dans le Macron y’a rien de bon ! En revanche, il est la solution (provisoire ?) à la crise d’un régime à bout de souffle, la tentative d’adaptation du capitalisme français à la concurrence effrénée du libre-échange et à la numérisation de l’économie. Start-up, robotisation riment avec flexibilité et précarité, tout comme l’état d’urgence sécuritaire maintenu.

A l’issue des législatives, deux scénarii sont possibles : soit le sieur Macron disposera d’une majorité et la voie lui sera ouverte pour tenter de casser le code du travail au plus vite, soit la cohabitation s’imposera avec la droite juppéiste et les ralliés de dernière heure. En tout état de cause, le moment d’effarement passé, ce sera au mouvement social de jouer sa partition, en évitant les errements du passé. Pour éviter une nouvelle défaite qui s’avèrerait désastreuse, encore faut-il passer de la défensive à l’offensive résolue. Il ne s’agit plus désormais de marchander quelques reculs symboliques mais de délégitimer ce pouvoir et, pour finir, de le destituer pour instituer la Sociale, la seule République dont on peut se réclamer. A coup sûr, ce chemin de l’espérance sociale sera dur à gravir, encombré qu’il est par toutes sortes d’obstacles institutionnels, répressifs, sans compter les vieilles lunes des partis néolibéraux qui, pour l’essentiel, s’acoquineront dans l’union sacrée macronienne.

Gérard Deneux, le 25 mai 2017

(1) clin d’œil au livre d’Alain Badiou « De quoi Sarko est-il le nom ? »
(2) déjà le couac Ferrand et demain des renvois, par clics, des ministres battus aux législatives ?