Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 4 avril 2017

Un nouveau cycle indéchiffrable ?

Comment apprécier la conjoncture qui semble a priori difficilement discernable, tout en suggérant que nous sommes entrés dans la fin d’un cycle, celui qui fut amorcé dans les années 90 par ce qu’il est convenu d’appeler la « mondialisation » ? Ce « nouvel ordre mondial », mis en place par des gouvernements de droite et de « gauche » ralliés à la seule alternative préservant le système, est à bout de souffle. Il s’agissait à l’origine de contrer les effets délétères du déclin de l’économie keynésienne-fordiste, marquée par la surproduction relative, se traduisant notamment par la baisse du taux de croissance ainsi que celui de la productivité. La solution trouvée a consisté à assurer la suprématie du capitalisme financier pour réamorcer la conquête de nouveaux marchés au Nord comme au Sud. Restaurer le taux de profit pour la « croissance du capital » a pris différentes formes qui, aujourd’hui, trouvent leurs propres limites : déréglementations des flux financiers permettant, entre autres, délocalisations d’entreprises, spéculations débridées, privatisations des services publics, néocolonialisme s’appuyant sur des pouvoirs despotiques, kleptocrates et patrimoniaux, interventions militaires pour faire main basse sur les matières premières et les énergies fossiles… Ces politiques dites néo-libérales ont pu s’imposer grâce à des institutions supranationales possédant, en apparence, toute la légitimité supposée pour imposer ce nouveau cours, celui de la prétendue « mondialisation heureuse » : Banque Mondiale, FMI, OMC, Union européenne et même ONU. En un peu plus d’une trentaine d’années, le monde issu de la 2ème guerre mondiale en fut bouleversé : crises dans les pays du Sud, apparition de pays émergents, guerres, migrations, creusement abyssal des inégalités sociales et territoriales, mise en cause de l’écosystème jusqu’à la crise de 2007-2008, le sauvetage de la bancocratie et du capital rentier et spéculatif. Les formations sociales (ce que communément on appelle les sociétés) en ont été profondément affectées. Les rapports de forces de classes entre elles, qui assuraient la domination des différentes fractions de la « bourgeoisie », connaissent désormais un délitement ouvrant la voie à d’autres possibles. Y compris les pires. En se centrant principalement sur le devenir potentiel en Europe et en France, ce qui suit tente de souligner les lignes de forces auxquelles nous sommes confrontés.  

Montée du social-nationalisme et d’une gauche réelle de rupture avec le capitalisme

Si la réunification de l’Allemagne a permis sa domination au sein de l’Europe, c’est que cette entité de libre-échange fut fondée dès l’origine sur la concurrence entre pays. Les contre-réformes de Schroeder abaissant le prix du travail et augmentant la précarisation ainsi que l’utilisation à l’Est de l’Hinterland(1) ont en effet permis à ce pays de gagner en compétitivité, assurant ainsi provisoirement l’hégémonie de cet Etat sur les autres.

La réduction des prestations sociales, l’austérité, le dumping social et fiscal ont ensuite gangrené les autres pays, l’élargissement de ladite Union Européenne accélérant encore ce processus jusqu’à la panique provoquée par la crise de 2007-2008 puis par les migrations suscitées par les guerres au Moyen-Orient et la misère en Afrique, notamment. L’oligarchie européenne, cette caste imposant ses diktats budgétaires oeuvrant en faveur des multinationales et des banques, se heurte à présent à des formes de rejet et de rébellion qu’elle tente de maîtriser. Reste que les migrations intra-européennes dont les travailleurs détachés sont l’emblème, tout comme celles qui résultent de l’effondrement de sociétés du Sud n’ont fait qu’exacerber la concurrence entre les travailleurs sur fond de chômage, de précarisation et de désindustrialisation des pays centraux de l’Europe.

L’absence de toute politique d’harmonisation sociale et fiscale, de volonté de ré-industrialisation coopérative ne peut mener qu’à ce processus de rejet de cette Europe-là confisquant toute souveraineté populaire.

Avant la crise de 2007-2008, ce sont les mouvements nationalistes et xénophobes qui furent les premiers à traduire les réactions épidermiques à l’Union économique et monétaire. De la France aux Pays-Bas, en passant par l’Autriche, la Suède, le Danemark, la Finlande, le Royaume (dés)Uni, l’Italie de la Ligue du Nord, et désormais l’Allemagne, les mouvements d’extrême droite ont le vent en poupe. En revanche, les organisations de rupture d’avec le capitalisme, de transformation sociale marquent le pas, engluées qu’elles sont encore dans la mouvance social-libérale des partis dont elles sont issues. Règne toujours l’illusion plus ou moins prégnante qu’il serait possible de transformer de l’intérieur cette Europe-là, institutionnalisée pour la domination du capital  financiarisé.

Néanmoins, de l’Espagne (Podemos) à la Grèce suppliciée, de l’Irlande du Sinn Fein en passant par Jérémy Corbyn au Royaume Uni, ou par Mélenchon en France, les tentatives de sortir du dilemme de la gauche « plus rien » se multiplient, tout en restant par trop timorées. Elles ne trouvent pas (encore) le dynamisme nécessaire que lui procureraient des mouvements sociaux d’ampleur. Certes, en Espagne notamment, grèves, manifestations de résistance au néolibéralisme et aux politiques d’austérité imposées mais, incontestablement à caractère défensif de maintien d’un certain nombre d’acquis, ont conduit à des défaites successives. Car, le fond de l’affaire n’est pas dans un arrangement avec les gouvernements ou l’oligarchie européenne mais bien dans la mise en cause de leurs pouvoirs de plus en plus illégitimes. L’enjeu précisément est de lutter contre les désespérances en s’appuyant sur les désillusions populaires. Les castes arrogantes prétendant nous infliger des politiques régressives suscitent les indignations et le dégoût. L’espérance doit vaincre la peur qui est instillée dans le corps social par les dominants : craintes d’affoler les marchés, de l’effondrement de l’épargne, d’accroître la misère, des représailles et répressions et ce, surtout en agitant le spectre de l’extrême droite pour que rien ne change.

Cette dernière remarque ne signifie nullement qu’il ne faudrait pas s’alarmer de la montée du social-nationalisme, cette dernière bouée de sauvetage d’un capitalisme aux abois. Si l’on ne peut contester que le fascisme se caractérise par la conjugaison d’une démagogie sociale avec un nationalisme xénophobe cherchant un bouc émissaire aux maux du capitalisme, il convient de se souvenir que sa traduction concrète requiert une « alliance au bord du gouffre » avec les forces conservatrices de droite et de droite extrême. L’accès au pouvoir du nazisme, comme du fascisme italien, en atteste. Nous n’en sommes pas là… et l’on voit que toute tentative du front antifasciste « tous contre le FN » « sans distinction » dans les circonstances présentes renforcerait immanquablement les forces dominantes en difficultés, justifiant l’appel au « vote utile » dans l’immédiat.

Ne demeure par conséquent que la construction (laborieuse !) des forces alternatives de rupture d‘avec le capitalisme et donc d’avec l’Union européenne, qui en est la forme institutionnelle la plus prégnante.

Vers la crise du régime réellement existant ?

Pour garder le pouvoir, les classes dominantes rencontrent désormais des obstacles réels pour maintenir les « subalternes » sous leur joug. Les forces politiques d’alternance électorale ne disposent plus d’un bloc électoral assurant successivement leur suprématie. Elles parviennent de moins en moins à agréger autour d’elles des groupes sociaux aux intérêts divergents. Traditionnellement autour des catégories les plus aisées et des dirigeants du secteur privé, la droite parvenait à rassembler artisans, commerçants, agriculteurs et obtenait le soutien d’une minorité des classes populaires. Les politiques néolibérales qu’elle a menées lui ont aliéné une partie des franges composites qu’elle agglutinait. L’apparition de Sens Commun semble une tentative de les rallier à nouveau sur une base sociale conservatrice. Il n’est pas sûr que le fonds de commerce catholique conservateur soit durable compte tenu de l’évolution des mœurs qui imprègnent la société française…

Sur le flanc gauche de la droite, le parti dit socialiste réussissait quant à lui à regrouper les classes ouvrières et populaires et les personnels des services publics autour d’une orientation de confortation de « l’Etat social ». Or, les attentes de cet électorat ont été plus que largement déçues par l’exercice du pouvoir de cette formation politique ralliée corps et âme aux politiques néolibérales et ce, malgré toutes les velléités exprimées lorsqu’elle était dans l’opposition. Les apparatchiks de Solferino, tout comme les « boites à idées » à leur service, ont vainement recherché un électorat alternatif à l’effritement du bloc social dont il se réclamait… Etre moderne consisterait désormais face à la soi-disant « disparition de la classe ouvrière » à obtenir l’adhésion des personnes âgées ( !) et surtout des couches diplômées, voire plus généralement, de ceux qui s’opposent à toute redistribution sociale et fiscale, comme les cadres supérieurs et tous ces gagnants de la mondialisation. Il s’agit là, de fait, face à la montée de la précarité, d’un bloc social minoritaire. Disputé à droite comme à gauche qui peut prétendre s’imposer dans la mesure même où l’abstention massive (61% aux Régionales de 2015) et l’instrumentalisation de la peur, des attentats, du FN, de la sortie de l’euro, des migrants... favorisent la démagogie du vote utile de préservation aveugle. 

C’est sans compter, malgré la réalité de l’apathie apparente des classes populaires, sur l’aspiration à une réelle démocratie prenant en considération les besoins sous-jacents au rejet des partis dominants : sécurité de l’emploi, revalorisation des salaires et des prestations sociales, développement des services publics de santé, qualité de l’environnement…

Face à l’illégitimité qui pèse sur les politiciens du système, il est presque devenu banal, pour ceux qui prétendent le perpétuer, de se déclarer antisystème pour mieux brouiller les cartes d’un jeu où les dés sont pipés.

Etre lié à la bancocratie, adulé par Gattaz du Medef, être l’ami de Jacques Attali ou de compter dans ses soutiens le président d’Euronext, cette société qui gère les Bourses d’Amsterdam, de Bruxelles, Paris, Lisbonne… n’empêche nullement Macron, le bébé de Hollande, de se présenter comme un homme neuf. Ce recyclage d’un produit frelaté bénéficie du concours des médias et de l’oligarchie. Le « système » est en effet capable face à sa propre déliquescence de fabriquer des anticorps comme il a tenté de le faire en Espagne avec Ciudadanos (2). Quant à l’avenir d’une telle aventure qui ne repose que sur l’accentuation de la concurrence au profit d’une minorité de gagnants, elle ne risque pas, dans la conjoncture présente, de renouveler le fantasme giscardien d’un dessein national répondant aux aspirations de « deux Français sur trois »(3).

Tout porte à croire que l’on risque d’assister, avec la possible victoire d’un Macron face à Le Pen au 2ème tour des présidentielles, à une crise de régime. Cette 5ème République présidentielle fondée sur l’exercice du pouvoir d’un homme et d’une majorité parlementaire de godillots, semble avoir fait son temps. Après l’ère des frondeurs, qui a caractérisé le quinquennat hollandais, on risque d’assister à des scènes d’empoignades peu ragoutantes. La macronie disparate, ces « nouveaux venus », ne pourra guère former une majorité avec les rats qui auront quitté le navire des Républicains et de ladite gauche de gouvernement. La lutte des places et les naufrages annoncés des partis d’alternance susciteront des cacophonies et des règlements de comptes dont on ne peut encore mesurer l’ampleur. Certains commentateurs parlent déjà d’un probable retour à la 4ème république défunte. En effet, derrière des choix maintenant le cap des contre-réformes libérales, le fumet des affaires et des privilèges indus  semble sonner la fin d’un régime. Encore qu’il faille compter, pour en accentuer les craquements, sur l’émergence salutaire des coups de boutoir du mouvement social.


Cette situation de crise de régime, n’est pas propre à la France. D’autres pays, sous des formes spécifiques, sont affectés de maux semblables. Ce sont les systèmes de pouvoirs institutionnels qui sont ébranlés dans la mesure où ils ne parviennent plus, à l’aide des partis dominants, à maintenir un consentement suffisant à leur exercice. Pour l'heure, ce sont les forces nationalistes et xénophobes qui récoltent les fruits amers des politiques néolibérales, offrant ainsi une porte de sortie à une fraction des classes dirigeantes. L’élection de Donald Trump ou les turbulences que connaissent les pays de l’Europe de l’Est en attestent. Un nouveau cycle d’instabilité, d’ingouvernabilité est à prévoir. Réduite à la confrontation des divergences d’intérêts entre fractions dominantes autour d’un « « bloc bourgeois » restreint, il continuera à tracer la voie du pire à venir si la passivité des classes ouvrières et populaires se confirmait, si n’apparaissait pas un pôle politique de transformation radicale porteur d’espoir. En tout état de cause, même si ces hypothèses se confirmaient, le chemin d’une reconstruction anticapitaliste sur fond d’effritement de l’Union européenne sera certainement semé d’embuches.

Gérard Deneux, le 29.03.2017

(1) Hinterland (arrière-pays), désigne les pays de l’Est sous influence allemande  
(2) cf article Espagne, Podemos. Le mouvement social et les élections, PES n° 31 (février 2017)
(3) en référence au livre de Giscard d’Estaing Deux Français sur trois (1986)