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dimanche 29 janvier 2017

Lagarde, la bande à Sarko et le prétoire

Le procès grandguignolesque  de Christine Lagarde illustre parfaitement la rime de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ! La grande oie blanche(1) s’en est tirée. Finalement on ne retiendra que la « légèreté négligente » dont elle a fait preuve dans l’affaire de « l’arbitrage privé » au profit de Tapie.

Rappel des faits d’abord.

En 2005, dans la « ténébreuse » affaire opposant Tapie au Crédit Lyonnais, lors de l’achat et la vente d’Adidas, la Cour d’appel de Paris tranche (définitivement !) : les époux Tapie sont condamnés à rembourser (le prêt consenti) à la banque, 405 millions d’euros. En 2007, l’entregent du spécialiste de la rapine, du rachat, du dégraissement et de la revente d’entreprises s’en ouvre à Sarko qu’il a soutenu lors des présidentielles : l’Etat (le Crédit Lyonnais était à l’époque du prêt nationalisé et les Tapie introduits dans la Mitterrandie) « ne peut me mettre sur la paille »… Christine Lagarde est à l’époque ministre de l’économie et des finances mais prétend ne rien savoir des délibérations opaques qui se sont tenues en vue de concocter une innovation pour sortir Tapie de la panade : l’institution d’une Cour d’arbitrage privée composée à convenance. Seuls Sarko, Guéant le secrétaire général de l’Elysée, Stephane Richard le directeur de cabinet de Lagarde, les conseillers Ouart et Perol auraient été à la manœuvre et auraient tenu à l’écart l’ancienne avocate d’affaires spécialiste de ces marchandages ! En tout état de cause, le 14 juillet 2007, dans l’ombre, « l’escroquerie en bande organisée » semble scellée avec la complicité non équivoque d’un ex-magistrat Pierre Estoup.
Rapidement, un nouveau verdict est rendu, qu’importe qu’il bafoue celui de la justice de droit commun : l’Etat est condamné par la Cour d’arbitrage à verser 280 millions d’euros à Tapie dont 45 au titre du préjudice moral qu’il aurait subi… Mais cette décision fait quand même grand bruit dans le landerneau. 
En effet, quelques députés socialos iconoclastes osent porter plainte contre cette décision inique. La justice, tout en délicatesse pour ce type d’affaires qui met en cause des hauts responsables de l’Etat, prend son temps. Faut-il d’abord juger en droit commun les sous-fifres, ces « collaborateurs » du Président intouchable et de la ministre qui elle, relève de la Cour de justice de la République (2)? En 2016, après moult tergiversations, auditions et même perquisitions, il est décidé (par qui ?) de réunir d’abord la Cour de Justice de la République pour mettre en cause Christine Lagarde désormais directrice du FMI, l’une des femmes dite la plus puissante du monde ( !) selon les médias. En fait, depuis l’affaire DSK, on peut en douter.

Devant le prétoire

C’est devant un tribunal très spécial qu’est convoquée la prévenue Lagarde. Il est composé de 12 parlementaires, députés et sénateurs, et de 3 magistrats. Cet entre soi sans jurés tirés au sort, peut faciliter quelques arrangements. Pas si simple néanmoins dans la mesure où ceux qui ne relèvent pas de la Cour de justice de la République sont accusés « d’escroquerie en bande organisée » pour avoir spolié l’Etat donc les contribuables.

Lorsque Madame paraît, elle a pris soin de troquer sa robe rouge bordée d’hermine pour un strict costume sombre. Forte de son aura, elle se dit « profondément choquée » que l’on ose l’accuser « d’un complot imaginaire ». Mais la grande oie blanche va devoir en rabattre. Sa défense : « Je ne savais pas » ; la décision de recourir au comité d’arbitrage ? Son directeur de cabinet ne lui en aurait rien dit, car « cela relève d’un niveau de granularité de l’information qui ne remonte pas au Ministre ». Reste qu’elle a bien signé un avis favorable pour recourir à l’arbitrage privé ! Et que, 15 jours plus tard, elle a récidivé pour introduire la notion de préjudice moral qu’aurait subi Tapie : « J’ai fait confiance » et elle ose encore « Ai-je été abusée ? Je ne l’exclue pas » et, péremptoire « Je veux le savoir » !

Gênante toutefois la perquisition de son ordinateur qui révèle une lettre adressée à Sarko où, en dehors de son « immense admiration », elle lui déclare : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting ». Elle pérore encore : « Je suis lucide mais je n’ai pas commis de négligence ».

Aïe ! Il y a les témoins convoqués. Bon ! Stephane Richard, son directeur de cabinet, arguant de son refus de répondre à la cour pour préserver sa défense dans la procédure pénale, n’a pas été amené à la barre entre deux pandores. Quant à Guéant, à la mémoire défaillante, il ne se souvient de rien, tout comme François Perol. Borloo, pas trop gênant ce ministre qui a précédé Lagarde, goguenard, prétend que si Tapie  est « son copain de bac à sable » il n’est pour rien dans cette affaire. Un rien condescendant, il déclare que, lui, lisait toutes les notes qu’on lui envoyait et qu’en outre « un directeur de cabinet n’est pas un filtre mais un chef d’orchestre ». Beaucoup plus déstabilisante et agaçante est l’audition de Bruno Brezard, ce haut fonctionnaire dirigeant à l’époque l’Agence des Participations de l’Etat qui suivait le contentieux Crédit Lyonnais/Tapie. Soucieux des deniers publics, il fait état des notes envoyées à la Ministre. Il y déconseillait l’arbitrage : « c’est une concession à la partie adverse, contraire aux intérêts de l’Etat ». Et lui et son avocat d’affirmer que tout l’appareil d’Etat, Matignon, le Président de la République, les cabinets des ministres agissaient en faveur de l’arbitrage.

L’oie blanche se fait taiseuse au cours des deux derniers jours d’audience. Quand elle parle, « c’est la voix voilée par l’émotion » : comment ose-t-on attenter à l’image de la directrice du FMI ! Les magistrats n’osent pas l’appeler à la barre pour réagir aux propos entendus et encore moins procéder à la confrontation entre les acteurs et témoins de l’escroquerie, ce serait indécent !

La grande mansuétude de la Cour

Reste pour les juges qui ne retiennent que le délit de négligence, ce délit mineur non  intentionnel, à contourner l’expérience tant vantée de cette avocate d’affaires. Reste aussi à ignorer la loi qui prévoit en la matière une condamnation d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Mais la loi… est flexible pour ces gens-là. Et les juges d’argumenter en faveur de Madame. Certes, la prévenue est peu convaincante, ses arguments légers, voire affligeants. Certes, elle n’a même pas consulté en la matière ni son service juridique, ni le Conseil d’Etat. Mais, voyez-vous : « prendre une mauvaise décision n’est pas en soi répréhensible, c’est un choix politique malheureux ». Et puis, « l’arbitrage est une décision politique, la Cour n’a pas à s’ériger en juge du gouvernement ; que (celle-ci) ait été truquée, c’est possible mais ce sera jugé ailleurs ». Les sous-fifres trinqueront au besoin. Toute cette casuistique pour dire que Madame n’est ni responsable, ni coupable, seulement négligente vis-à-vis de l’appropriation frauduleuse des deniers publics dont elle était pourtant la gardienne en sa qualité de ministre des finances ! Mais, eu égard à ses éminentes fonctions internationales (sic) on ne peut relever qu’une « décision dont la précipitation est critiquable ». Les juges s’instituant avocats de Madame, il ne restait plus qu’aux parlementaires à s’incliner toute honte bue. Ni responsable, ni coupable et comme la relaxe pure et simple n’était guère possible, de la déclarer négligente mais « dispensée de peine, sans inscription au casier judiciaire ». Fallait oser…

Avant même l’énoncé du verdict, la grande oie blanche s’était envolée à Washington, invoquant de hautes raisons professionnelles. Sûrement que la décision lui ayant été préalablement communiquée, elle se voyait mal pontifier devant les caméras sur ce qui demeurait une condamnation, même de pure forme. 

Le FMI, sans attendre, lui exprimait sa confiance et louait même son intransigeance vis-à-vis des gueux qui, en Grèce et ailleurs, persistaient à résister aux purges austéritaires. Et puis, tout compte fait avec ses dirigeants de l’institution, il ne fallait pas ajouter un scandale à ceux qui avaient déjà entaché le FMI. Il y avait eu DSK et ses frasques sexuelles, son prédécesseur Rodrigo Rato, poursuivi pour détournement de fonds quand il était banquier en Espagne… Alors, il fallait faire bonne figure avec cette madone qui, en matière de communication, versait dans le people. N’avait-elle pas été honorée par le magazine Glamour : l’ancienne gymnaste aquatique, en robe longue d’un blanc immaculé, posait en compagnie de la chanteuse américaine Stephani et du mannequin Graham en plus petite tenue. Mais bon… comme chacun devrait le savoir, elle est tenue de respecter « les principes les plus élevés de conduite éthique ».

Quant à Hollande, son mutisme fut à la hauteur de sa promesse électorale, celle de supprimer cette Cour de justice de la République où le droit se meurt (3). Pour les manants, ces gens de peu, les tribunaux de droit commun et les comparutions immédiates doivent rester la règle. Il suffit d’évoquer les affaires Deltour, Tarnac, Traoré ou encore Dominique Henry(4) pour s’en convaincre. L’heure n’est pas à la séparation mais à la confusion des pouvoirs, afin de préserver les intérêts du système. Cette banalisation de l’injustice provoque écoeurement et désintérêt plutôt que révolte… c’est bien ce que nous devons combattre pour « rendre la honte plus honteuse ».

Gérard Deneux., le 25.02.2017

(1)   Expression employée par Marc Roche dans son livre Histoire secrète d’un krach qui dure (voir notre rubrique Nous avons lu dans ce numéro)
(2)   La Cour de Justice de la République a été créée en 1993 (après l’affaire du sang contaminé et la multiplication des affaires politico-financières ; elle est compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions (la Haute Cour est désormais uniquement compétente pour le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions).
(3)   Titre d’une pièce de théâtre « gesticulée » de l’ex-magistrat Alain Bressy. Il récidive dans la revue Ravages avec l’article « Aux larmes, citoyens »  
(4)   Voir nos éditions précédentes et dans ce numéro l’article Crise du lait. Pour qui ? Pourquoi ?