Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 janvier 2017



N’attendons pas que l’orage étincelle
Si aujourd’hui nous n’allons pas marcher
Pour gagner le prix de notre liberté
Demain nous risquons de ramper
Pour obtenir la paix

Hassen


Présidentielles. Législatives…
Pour que rien ne change, sinon en pire
Quelques réflexions en ce début 2017


Il est toujours hasardeux de faire des pronostics. Toutefois, un certain nombre de constats s’impose. Il  y a d’abord le trop plein de candidats pour les présidentielles chargées, à l’origine, d’imposer un homme providentiel. Or, aucun des prétendants ne peut revendiquer ce titre et pour cause : la faillite du néolibéralisme est avérée. Et pourtant tous ceux qui entendent poursuivre dans cette voie sont persuadés que, pour regagner des parts de marché sur les concurrents, séduire les investisseurs étrangers et réduire la dette publique, il n’y a pas d’autre alternative. D’où un grand désarroi et une surenchère démagogique dans les partis dits de gouvernement. Fillon, Valls, Macron à quelques variantes près, sont les champions de cette voie cul-de-sac, même si, au PS, les promesses sociales ont surtout pour objet de sauver l’appareil en déconfiture…

Fillon s’est imposé à la primaire de la droite. Les régressions qu’il a annoncées en particulier la privatisation partielle de la Sécurité Sociale et la régression des droits des chômeurs effraient un électorat centriste. C’est que les classes moyennes elles-mêmes sont affectées désormais par la crise. Des voix s’élèvent dans son propre camp pour l’inviter à revoir ses mesures les plus impopulaires.

La gauche de droite est au bord de l’implosion. Hollande a liquidé le PS d’antan mais pour certains, il faut sauver les meubles car tous savent que la défaite annoncée est irrémédiable. Montebourg, Hamon et quelques autres veulent s’apprêter à vivre dans l’opposition avec une ligne relookée. Quant aux barons et autres députés, ils tentent de se réfugier dans leur fief en priant de ne pas être emportés par la Berezina.

Quant à Macron qui, entre deux eaux, tarde à révéler son propre programme, tout en faisant croire que l’ex-banquier de Rothschild, ministre de l’économie du gouvernement Hollande, est un homme nouveau, il apparaît pour l’heure comme une bulle médiatique prête à crever. Il semble pourtant qu’à défaut de Bayrou qui n’est pas entré dans la course il puisse encore séduire une frange conséquente des classes moyennes ubérisées.

L’incertitude n’est apparemment plus de mise malgré le bruit médiatique tentant de vendre ces produits faisandés. Malgré la propagande invitant au civisme des inscriptions électorales, le taux d’abstention ou de vote blanc ou nul risque d’atteindre un chiffre record. Et c’est bien ce qui explique, pour partie, cette propagande effrénée pour les présidentielles. Il s’agit de faire croire qu’il s’agit d’un enjeu majeur.

A la gauche de gauche, Mélenchon et les candidats du NPA et de LO peuvent au total faire un score honorable (de 12 à 15%) sans pour autant changer la donne. Celle d’une montée en puissance de Le Pen. Elle pourrait bien passer en tête au 1er tour. Au second tour, tous, les médias, les apparatchiks des partis voudront rééditer le coup de Chirac contre Le Pen de 2002. Même si l’exercice s’avère désormais plus difficile, cela pourrait encore marcher. Mais tous éviteront de dire qu’une Marine Le Pen présidente sans majorité serait impuissante. Le scrutin uninominal à deux tours et le vote dit républicain contre ce candidat bloqueront sa mise en orbite gouvernemental. C’est là qu’il convient de mobiliser la mémoire historique : les partis fascistes, en Italie comme en Allemagne, ne sont parvenus au pouvoir qu’en alliance avec les partis conservateurs et sur fond de crise économique et sociale apparemment insurmontable. En France, on n’en est pas encore là bien que le Front dit républicain ait désormais du plomb dans l’aile.

En tout état de cause, le scénario le plus probable au sortir de cette séquence électorale pourrait bien prendre la forme d’un président mal élu et d’une assemblée parlementaire sans majorité stable. Ce serait, plus tôt que prévu, la reconduction de ce qui s’est passé en fin de mandat « hollandais ». C’est d’ailleurs ce cas de figure que veut éviter Fillon en cadenassant les investitures en vue des législatives. En fait, ce nostalgique du thatchérisme revu à la sauce traditionnaliste catho, se trompe d’époque. Il pourrait bien s’en apercevoir assez vite.

Il y a d’abord l’élection de Trump aux Etats-Unis. Avec la politique qu’il compte mener, la montée des taux d’intérêt, le retour à l’inflation sont plus que probables. L’Europe va continuer de se déconstruire et la concurrence entre pays s’aggraver. A moins que les velléités de promouvoir de grands travaux, telles qu’annoncées par le BCE se traduisent dans la réalité. Cette supposition, elle-même, se heurterait au mur de l’argent, aux énormes dettes publiques accumulées et à la voracité des bancocrates. Et l’on ne voit pas poindre, ne serait-ce qu’un début de volonté de leur faire rendre gorge, après un audit et la socialisation de la majeure partie du secteur bancaire, même si la gauche de gauche avance des solutions en ce sens.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le gouvernement qui sera issu des urnes disposera de l’arsenal législatif répressif et liberticide que le parti « hollandais » lui a offert.

Comment réagiront les classes ouvrières et populaires ? La lassitude, l’écoeurement prévaudront-ils ? On peut arguer qu’un retour de l’inflation, et donc l’érosion accélérée du pouvoir d’achat, pourraient créer un contexte favorable à une mobilisation d’ampleur… Mais ce qui manque encore, c’est l’émergence d’un projet alternatif largement partagé. Encore qu’il faille mettre un bémol à cette affirmation car le projet national-social de Le Pen trouve désormais un écho politique y compris dans les classes populaires. C’est d’ailleurs le cas dans pratiquement toute l’Europe.

A ces constats insuffisants pour émettre des prédictions, il faut ajouter d’autres éléments plus fondamentaux qui, à tout moment, peuvent bouleverser la donne. Quoiqu’en disent les éditorialistes, les leçons de la crise de 2007-2008 n’ont pas été tirées. L’économie mondiale est toujours assise sur un baril de poudre. Des bulles financières peuvent éclater à tout moment et des conflits, apparemment gelés, aggraver la situation de nombreux pays, comme on l’a vu dans le flux migratoire de ceux qui fuient la guerre et la misère. Il y a la dette des pays émergents, les prêts étudiants aux USA, l’immobilier en Chine, au Royaume (des)Uni, les déficits en Europe.

Quant au bilan des banques centrales, il est gigantesque(1) et sous-capitalisé. Elles sont d’ailleurs arrivées au bout de ce qu’elles peuvent faire en inondant le marché de liquidités, en fixant le loyer de l’argent au plus bas. Elles n’ont plus aucune marge de manœuvre et n’ont pas réussi à « relancer la croissance ». La finance est loin d’avoir été domestiquée. Les produits dérivés spéculatifs sont incendiaires, le retour de la titrisation, qui a provoqué la crise de 2007-2008, est inquiétant.
Les banques privées après la période de fusions-acquisitions, sont des établissements systémiques, « trop grosses pour faire faillite » et les populations toujours requises pour socialiser les pertes en cas de krach. En effet, ce ne sont pas les quelques mesures prises à leur encontre pour faire payer les actionnaires qui suffiront, en cas de panique, d’autant que les dominants défendront leurs intérêts becs et ongles.

Enfin, il y a le danger de l’utilisation de l’informatique dans les transactions financières. Ce sont désormais les ordinateurs qui, par l’intermédiaire des fameux algorithmes, décident des ordres d’achat et de vente. Ils forment un réseau vulnérable à une incontrôlable explosion.

Tous ces éléments ne nous disent rien sur la manière dont les classes moyennes appauvries, les classes populaires précarisées vont réagir à l’amplification probable des inégalités et à la domination d’une élite mondialisée arrogante de super-riches.

Au regard de ce qui précède, une course de vitesse entre l’extrême-droite et les partisans du socialisme démocratique résolument anticapitaliste pourrait s’engager... Les aspirations démocratiques peuvent-elles l’emporter sur la finance capitaliste? La réponse est dans la rue et non dans les urnes pour au moins, dans un 3ème tour social, faire reculer les dominants et prospérer une alternative radicale au système capitaliste.

Gérard Deneux, Amis de l’Emancipation Sociale, le 8.01.2017

(1)   En particulier par le rachat de dettes des Etats sur le marché secondaire


Rusé, le Macron !

Les dessous de la campagne médiatique de Macron.
Tout s’explique, tout devient clair concernant sa fulgurante présence dans les sondages !!!

Patrick Drahi, X-polytechnicien, est un Grand Financier, d’origine juive marocaine. Il vit en Suisse et sa holding ALTICE est au Luxembourg. Depuis quelques années, il intervient dans le domaine des télécommunications en France, avec le rachat de SFR à Vivendi notamment. Homme peu scrupuleux, surendetté, néanmoins à la tête d’une fortune de 14 milliards, dit-on, il a racheté en France Next Radio propriétaire de BFM TV en 2015 à Weill. Et il a fusionné l’ensemble appelé ALTICE MEDIA avec le concours de Bernard Mourad, ancien banquier d’affaires de Morgan Stanley, qu’il vient de déléguer chez MACRON comme conseiller spécial chargé du financement de sa campagne.
Par ailleurs, les hebdomadaires l’Express et Libération font partie de son groupe ALTICE. Il n’a pas hésité à licencier des milliers de salariés chez SFR et à l’Express où son homme de confiance, le journaliste Christophe Barbier, ex-directeur de la rédaction du journal (ayant démissionné suite aux attaques des syndicats) dont il reste le porte- parole sur les chaînes de télé en faveur de MACRON. Les observateurs commencent à constater que BFM TV et l’Express font campagne pour Macron avec un matraquage journalier en sa faveur !!!

En réalité, quand il était ministre de l’économie et des finances à Bercy, Macron a rendu un service inestimable à Drahi En 2014, Drahi est en concurrence avec Bouygues Telecom pour racheter SFR. Montebourg, ministre de l’économie et des finances, avant d’être débarqué du gouvernement s’oppose au rachat de SFR par Drahi, estimant qu’il doit se mettre en règle fiscalement avec la France alors que sa Holding ALTICE est au Luxembourg, qu’il vit en Suisse et qu’il a la nationalité israélienne. Dès son arrivée à Bercy, le 28 octobre 2014,… Macron, nouveau ministre, signe le décret en faveur de Drahi, l’autorisant à racheter SFR et déboute Bouygues Télécom. La campagne de Macron est désormais soutenue puissamment par un groupe MEDIAS de télévisions et journaux, sans compter des ramifications avec l’institut de sondage dirigé par Jean-Daniel LEVY, INTERACTIVE qui publie des sondages de connivence sur Macron.

Il est temps que le voile se déchire et se lève sur le candidat de « la modernité » qui abuse le « bon » peuple en se faisant passer pour un candidat antisystème !!! On peut parier que l’offensive de la « gauche » contre lui, avec Valls en tête se déclenchera bientôt, vers la fin janvier après la primaire, à moins que la Grande Finance internationale, ne soit « en marche » pour propulser Macron à la présidence de la République et obtenir ainsi, au plus haut sommet de l’Etat, un soutien inconditionnel de la petite mascotte, son dévoué serviteur.

Après Hollande : « Mon ennemi c’est la finance », nous avons désormais à « gauche » Macron : « Mon amie c’est la finance ». Les électeurs de droite auraient bien tort de ne pas lui faire confiance !

le 15.01.17, transmis par Jano




2017. Année de tous les dangers… de toutes les espérances ?

L’élection de Trump à peine scellée, on a assisté à une farce tragique comme pour conjurer le sort funeste qui semble surgir de la boîte de Pandore. La résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, avec l’abstention de la défunte administration Obama, condamnant la colonisation israélienne, tout comme la conférence de Paris qui s’en est suivie, ne sont pas autre chose. Que des chefs d’Etat réaffirment, après l’avoir de fait niée, la nécessité d’un Etat palestinien, apparaît comme la tentative de protéger contre lui-même l’Etat colonial d’Israël. Tous ces personnages semblent effrayés par la possible montée de la rage, du désespoir, de son éventuelle contamination par l’islamisme terroriste qu’ils ont peu ou prou provoqué, voire encouragé.

La fin de l’ère Obama, sur le plan international comme sur celui de la politique intérieure, résonne comme un échec.

Celui, d’abord, d’avoir voulu « diriger le monde de l’arrière » en utilisant la chair à canons arabe, les drones des assassinats prétendument ciblés qui, de fait, ont entraîné l’extension de la guerre (Syrie, Pakistan, Somalie, Yémen) (1). Comme un boomerang, le ressentiment haineux contre l’Occident a nourri et grossi les rangs djihadistes. Quant à « pivoter vers l’Asie » et contenir la Chine, la plus grande puissance militaire du monde n’a pu que constater le délitement de sa domination (Corée du Sud, Japon). Au Moyen-Orient, les puissances fragiles mais dictatoriales, la Russie, l’Iran, la Turquie dament le pion à l’aigle impérial. Trump entend y remédier. Son isolationnisme  n’est que la réaffirmation brutale des seuls intérêts états-uniens, y compris militaires. Les tapis de bombes pourraient succéder aux drones et conseillers militaires. Les loups de Wall Street et les militaristes qui composent son gouvernement ne sont pas herbivores. Les démagogues électoralistes vont vite révéler leur caractère carnassier.

Dans la continuité obamanesque, les requins de la finance, les 1%, vont continuer de se nourrir des petits poissons. Certes, les Etats-Unis sont déjà le pays où, proportionnellement à sa population, l’on incarcère le plus, celui où le racisme gangrène une société malade de sa désindustrialisation. Mais, si Trump entend faire souffrir encore plus ce grand corps malade, au bord d’une guerre civile froide, il se heurte déjà aux Afro-américains, aux femmes, aux écologistes, à tous ceux qui avaient espéré en Sanders. Le mouvement de contestation s’est levé, les tensions ne peuvent que s’accroître… Il en est de même dans le reste du monde pour le pire et le meilleur.    

Les poussées nationalistes et la xénophobie dans le monde dévoilent en creux désarroi, confusion, rancoeurs, mauvaise foi, qui lorgnent sur un hypothétique homme providentiel, un sauveur suprême. Ces passions tristes se heurtent aux passions joyeuses, celles de l’engagement collectif qui, pour que le monde change, clament : « La caste politicienne ne nous représente pas, leur démocratie n’est pas la nôtre ».

Les plaques tectoniques se sont mises à bouger tant sur le plan géopolitique qu’au sein des formations sociales. Nous sommes de nouveau en train de changer d’époque mais nous ne savons pas encore ce qu’elle nous réserve. L’ancien tarde à mourir, le nouveau ne parvient pas à naître. Dans cet entre-deux, les monstres surgissent.  (le 26.01.2017)


(1)   Lire à ce sujet Dirty wars : le nouvel art de la guerre (sous-titre Une armée secrète, une mission sans frontière, une guerre sans fin) de Jeremy Scahill, 2014, édition Lux  
Pour l'Emancipation Sociale - PES - n° 30 est paru
Au sommaire :

- l'édito : 2017. Année de tous les dangers... de toutes les espérances ?
- Turquie ou comment imploser pour ne pas exploser (2ème partie)
- Espagne. La fabrique du consentement, grippée 
- Présidentielles. Législatives... Pour que rien ne change sinon en pire 
- Lagarde, la bande à Sarko et le prétoire 
- Crise du lait. Pour qui ? Pourquoi ?
- "Délit" de solidarité ?
- Projet de carrière à Ternuay  
et nos rubriques "ils, elles luttent" - "Nous avons lu"

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Banalités servies à toutes les sauces
qui dégoulinent des bouches baveuses
des savants des tenants des pouvants des aboutissants
de tous les manants au cerveau bosselé embossé
rembourré avec des magots virtuels
qui bouchent leurs vaisseaux artériels

les mots ne sont jamais innocents
ceux qui les entendent non plus

Pedro Vianna
Paris, 28.VI.1999 in Curiosités




Crise du lait.
Pour qui ? Pourquoi ?

Le 20 décembre dernier, nous étions à Ban-sur-Meurthe, à l’appel de la confédération paysanne pour soutenir le paysan de la ferme de Sainte Agathe dans les Vosges, producteur de lait bio, en trop petite quantité selon Lactalis, pour que ce  géant laitier daigne ramasser le lait de cette ferme et le menace d’arrêt de collecte ! Ce 12 janvier, à l’appel de la confédération paysanne et d’un large Collectif, nous soutenions Dominique Henry, institutrice et paysanne du Haut-Doubs en retraite (qui était, avec son mari, productrice de lait pour le comté), poursuivie au tribunal pour son action syndicale : elle a participé au printemps 2015 au démontage, sans violence, de la salle de traite de la ferme des Mille Vaches ; par ce geste symbolique, elle dénonçait avec 60 autres militants, l’agriculture industrielle qui ne respecte ni les femmes et les hommes (producteurs et consommateurs), ni les animaux et la nature. Dominique a refusé le prélèvement ADN, estimant que l’action syndicale ne le justifie pas et qu’elle n’est pas une criminelle : elle était convoquée au tribunal de Montbéliard (peine encourue : 1 an de prison et 15 000€ d’amende) (cf encart ADN). Ces deux exemples illustrent, par le concret, la guerre déclarée à l’agriculture paysanne face à la course folle de l’agriculture industrielle.

Les petits doivent disparaître…

et pourtant…Si l’on mesure les résultats des deux concepts d’agriculture, point n’est besoin de tergiverser. L’agriculture paysanne (et notamment les producteurs bio) s’en sortent. La SCEA de feu monsieur Ramery,  produit, sur sa ferme des 1000 vaches dans la Somme, du lait en quantité industrielle. Gérard, le paysan producteur de comté bio et sa femme vivent sur une ferme de 34 vaches (43 hectares), en coopérative. Il produit, il récolte et il vend (à la coopérative) ; ainsi « je pratique le socialisme autogestionnaire sans le savoir », souligne-t-il comme un clin d’œil aux LIP en lutte en 1973.
Il mesure les deux systèmes selon les critères : employer, produire, préserver l’environnement et le territoire.
La ferme des 1 000 Vaches emploie entre 18 et 20 salariés, précaires (en CDD), qui traient les vaches 8 heures par jour (pas plus enthousiasmant que la chaîne à PSA !). Les 21 petites fermes (dont la sienne), en coopérative, emploient environ 50 salariés : une quarantaine de paysans (2 par ferme) et les salariés de la coopérative. 
La ferme des 1000 vaches produit 8 millions de litres de lait par an, acheté (pas cher) à 250€ la tonne par Milcobel, une « coopérative » belge qui ramasse 2 800 producteurs. En fait, ce sont les aides publiques à la production du méthane, à partir des déjections des vaches et des boues, qui permettent sa compétitivité sur le marché ; ce soutien public à l’agro-industrie se fait au nom du développement durable ( !) et de la transition énergétique ! Le méthane est transformé en électricité, revendue à EDF à un tarif très préférentiel. Les paysans, quant à eux, vendent leur lait bio de qualité à 450/500€ la tonne. Une vache « conventionnelle » produit environ 7000 litres/an, une vache industrielle 8000 voire plus et une vache en bio 5000 litres, en moyenne.
Quant à la préservation de l’environnement et du territoire : la ferme des 1000 vaches a besoin, en plus de ses hangars à vaches, de 3 000 hectares autour de la ferme pour épandre les 40 000 tonnes par an des boues résiduelles ; les sols sont pollués par les épandages et les flux de camions pour livrer les aliments nourrissant les vaches, pour enlever les boues, collecter le lait, etc. sont incessants pour les villageois environnants. Aucune valeur ajoutée pour le territoire, bien au contraire. Le paysan, lui, entretient les prairies, préserve la faune, la flore et la nature : il vit, travaille au pays, c’est une valeur ajoutée au service du territoire.

Alors pourquoi la ferme paysanne n’est-elle pas promue par le ministère de l’agriculture et au-delà par l’Union européenne ? N’est-ce pas du développement durable ?

Parce que nous sommes en système capitaliste financiarisé et que « nos » gouvernements ont fait le choix des multinationales du lait : produire plus pour exporter plus… et donc,  être compétitif. Jusqu’à quand ?

Jusqu’à la disparition des paysans remplacés par des usines à vaches parsemant le territoire européen ? Pour le moment, c’est ce qui se passe. En 1990, la France comptait 200 000 fermes, en 2010, il en reste 60 000. Chaque année, entre 2000 à 2500 élevages disparaissent mais le volume de lait produit ne baisse pas et pour cause : en 2015, il y avait 20  fermes de 200 vaches et plus, elles seraient 2000 en 2020. Si les prix du lait ne sont pas régulés, la disparition des exploitations correspondra à un vaste plan de licenciement d’environ 45 000 emplois, d’ici 10 ans. Grossir ou mourir : le taux de cessation d’activité en 2016 a atteint 9% (soit le double de 2015) ! Pour grossir, les exploitants s’endettent et n’en finissent pas de rembourser leurs prêts ; il suffit d’une mauvaise année en récolte, comme en 2016, pour anéantir les exploitations trop fragiles. Par ailleurs, la profession agricole est celle qui compte le plus de burn-out et de suicides : entre 400 et 800 paysans se suicident chaque année en France.

Sauf pour quelques irréductibles (encart Nous sommes des petits paysans), le mythe du paysan autonome qui fait lui-même ses choix de production, a vécu. Il ne décide pas, sur un territoire donné, de produire pour les besoins de la population locale. Il est un OS sur la chaîne du lait (ou sur la chaîne des céréales pour celui qui est céréalier ou sur la chaîne du porc pour celui qui est porcin…). Ce n’est pas lui qui discute le prix du lait, ce sont les multinationales de l’alimentation. Et même les producteurs bio en coopérative sont coincés dans le système de production actuel dépendant du marché mondial, néanmoins moins dépendants lorsqu’ils constituent de « vraies » coopératives, où les paysans ont leur place à égalité avec les acheteurs pour fixer le prix d’achat.

Le prix du lait

L’Union européenne (et donc la France) a fait le choix d’entrer dans le marché mondial, même si elle n’exporte qu’environ 10 à 12% de son lait, l’essentiel de sa production étant autoconsommée dans les pays. La production et la consommation mondiale de lait sont de l’ordre de 800 millions de tonnes par an, mais le marché mondial des produits laitiers ne porte que sur 8% de la production totale soit 65 millions de tonnes. Trois exportateurs fournissent plus de 70% du marché mondial : la Nouvelle-Zélande, l’UE et les Etats-Unis. Leurs modes de production différents, les aléas climatiques et les prix des céréales, font flamber ou chuter les prix mondiaux. La Nouvelle-Zélande est très « compétitive » : elle a en moyenne 400 vaches par ferme, chacune étant gérée par 2 personnes ; les vaches sont au pâturage toute l’année, ce qui évite les charges d’investissements, d’entretien  de bâtiments, etc. ; la distribution est assurée par une seule structure : la « coopérative » Fonterra (forte de 4 millions de litres fournis par 5 millions de vaches). La Nouvelle-Zélande est très présente à l’OMC et fournit principalement la Chine. Quant aux Etats-Unis, ils ont de gigantesques élevages de 1 000 à 30 000 vaches, prisonnières dans des fermes hors sol dont elles ne sortent jamais : ni frais d’investissement ni frais fonciers et, pour travailler dans ces fermes, des ouvriers mexicains mal payés.

L’UE, face à ces deux colosses, doit produire de la poudre de lait (le marché du lait c’est essentiellement la poudre de lait, la part du beurre et des fromages est très restreinte) moins chère pour être concurrentielle. En 2014, l’UE a trop produit ; parallèlement, l’embargo russe et le coup de frein des importations chinoises ont entraîné une surproduction européenne. En 2015, cela s’est poursuivi ; de plus, la PAC (Politique Agricole Commune) a mis fin, le 1er avril, aux quotas laitiers. La demande interne n’ayant pas augmenté, en 2016, le prix du lait s’est effondré à 257€ la tonne (305€ en 2015, 365€ en 2014). Le prix du lait 2016 est équivalent à celui de 1986 ! La « crise » du lait n’est pas un accident imprévisible mais le révélateur des effets de la dérégulation programmée par la Commission sans nouvelles mesures de sécurisation des revenus. Manifestations importantes, pressions sur le ministre Le Foll ont abouti fin août à un accord à 290€ la tonne alors que la production d’une tonne de lait est estimée à 374€. Le prix de production comprend 50€ de charges de culture (semences, engrais pour cultiver les céréales qui nourrissent les vaches, 133€ (aliments, vaccins, antibiotiques, insémination), 42€ en frais de fonctionnement (essence/réparations…), 51€ en amortissement, 98€ en charges diverses (emprunts, assurance…) et ce, sans compter la rémunération du paysan.

Mais la concurrence n’est pas que mondiale, elle est intra-européenne. La France a un prix du lait supérieur à celui de l’Allemagne ou de l’Irlande ; pour cette dernière, maintenant ses troupeaux dans les prés, il est à 250€ la tonne. Le Danemark, champion de la productivité grâce à une robotisation extrême et aux vachers ukrainiens mal payés, inonde le marché européen, même si ses paysans sont très endettés. Pour répondre à ces réalités, Le Foll n’a pas d’autre proposition que : « il faut être compétitif », cela signifie être plus gros pour être ramassé par les collecteurs, être dans la course sans fin sur le volume et les produits à vendre. Mais la marge financière dégagée depuis les années 2000 bénéficie exclusivement à l’industrie qui transforme le lait et à celle qui le distribue. Le ½ litre de lait écrémé est vendu 78 centimes d’euros alors qu’il est acheté à moins de 30 centimes. Si le prix à la tonne ne remonte pas au-dessus de 300€, c’est la mort des producteurs. S’il passe à 350€, cela entraînera du réinvestissement pour produire plus... qui engendrera une crise de surproduction… et la chute du prix d’achat…spirale sans fin. Sans régulation des volumes, il n’y a pas d’avenir. Si on laisse faire sans réguler, le prix du lait va chuter et les fermes disparaître.

Les quotas laitiers, mis en place par l’UE en 1984, ont permis de freiner la production pour éviter que les prix ne chutent. Les prix garantis permettaient de freiner la concurrence sauvage. En 2003, l’UE a décidé de supprimer les quotas laitiers au 1er avril 2015, estimant ce système trop coûteux et contraire à la concurrence pure et parfaite. Le prix du lait est désormais déterminé par la loi de l’offre et la demande, sur le marché mondial, sujet aux bulles et crashs déjà connus sur les marchés des matières premières.

Pour sortir du conflit de l’été 2016, l’UE a décidé d’injecter 500 millions d’euros pour, d’une part, aider les producteurs à réduire la production (150 millions), les agriculteurs sont rémunérés au prorata des litres non produits ; d’autre, part, elle a versé 350 millions aux 28 Etats membres selon le nombre de petites exploitations (la France à ce titre touchera 50 millions)

Mais, la crise réapparaîtra. Ce sont les industriels de la filière du lait (collecteurs, transformateurs et vendeurs) (encart Lactalis) qui font la pluie et le beau temps. Ce sont eux qui font la politique du lait et qui font baisser les prix d’achat, augmenter la production, agrandir les troupeaux, quitte à endetter le paysan.     

Quelles solutions ?

L’UE est une faible exportatrice en matière de lait. Elle pourrait décider d’une autre politique, sans révolutionner le système actuel, en sécurisant son marché interne et en déconnectant le prix européen du prix mondial. Cela signifierait : dire Non aux TAFTA, CETA et autres APE (accords de partenariat économiques avec les pays émergents) en instituant de vrais accords de coopération avec les pays du sud de la Méditerranée. Au sein du territoire européen, elle pourrait modifier la PAC actuelle et décider de ne plus distribuer une aide à l’hectare, ce qui favorise les grosses exploitations ; elle a bien aboli, récemment, le système de 1992 qui soutenait uniquement les fermes nourrissant leurs bêtes au maïs ensilage et pas celles qui pratiquaient l’herbage.
Mais, il ne suffit pas de réguler les prix, il faut aussi une régulation sociale en refusant de favoriser les fermes usines par rapport aux petites qui subissent la politique du  « dégagez les petits, vous êtes inadaptés pour la concurrence ! ». Il sera difficile de convaincre l’actuelle commission européenne et le conseil européen quand on connaît leurs orientations ultralibérales. Seules les différentes luttes et la défense commune d’un autre modèle permettraient d’envisager une agriculture respectueuse des humains, des animaux et de la nature. C’est le projet de la Confédération paysanne qu’il faut soutenir, celle qui refuse les « fermes-usines » produisant à outrance et concurrençant les petits éleveurs au mépris de la qualité de l’alimentation. Il faut refuser dans l’agriculture, tout comme dans l’industrie, la logique de la productivité, de soumission à la loi du profit maximum et aux intérêts financiers. Là encore, la bataille est rude, face au syndicat majoritaire, la FNSEA. La filière bio, en coopératives autogérées, est un autre moyen mais elle ne représentait en 2015 que 2 400 fermes (+ 330 en cours de conversion) et se convertir est un investissement lourd et parfois impossible pour le paysan endetté.

Les puissances industrielles et financières ne lâcheront pas le modèle d’agriculture industrielle qui les sert en dividendes toujours plus importants. Ils ne laisseront pas filer cette manne sans la défendre avec la complicité des gouvernements. En l’occurrence, ils ont un allié en France, avec un gouvernement « socialiste » qui n’hésite pas à criminaliser les paysans en lutte, tout comme il le fait avec les salariés de Goodyear, d’Air France… ou avec les militants ou citoyens solidaires des exilés sans refuge. Par ailleurs, les agriculteurs ne représentent plus que 3% de la population française, de quoi à être ignorés par les politiques même à fins électoralistes. D’ailleurs, allons voir dans les futurs programmes des présidentiables ce qu’ils en disent…

C’est donc un chantier colossal que les paysans rebelles ont entrepris. Il peut s’élargir aux consommateurs, salariés d’industries, commerçants : une cause commune nous réunit, celle d’une alimentation saine sans produits chimiques substitutifs. Cela passera par une réappropriation de la décision de production et de distribution de ce que l’on produit pour réussir à imposer largement, ce que les salariés des LIP en lutte, avaient réussi à mettre en place : on produit, on vend, on se paie.   

Odile Mangeot, le 19.01.2017

Sources :
- interventions de deux paysans en comté-bio et d’André Pfimlin (recherche/développement sur la filière lait)  dans le cadre de la journée de soutien à Dominique Henry le 12 janvier
- sites de la Confédération paysanne, bastamag, Reporterre


Pendant ce temps là… les industriels du lait s’enrichissent

Lactalis : n° 1 mondial dans le secteur, bien connu avec les marques Lactel, Bridel, Président. Le plus mauvais payeur en France (257€ la tonne en 2016), il collecte plus de 20% du lait français soit plus de 20 000 paysans, 1 producteur sur 4 environ. Ses concurrents sont Bongrain, Sodiaal, Bel et Danone. Si ces multinationales tirent leur épingle du jeu, leurs propriétaires aussi. La famille Besnier (Lactalis) trône en 13ème position du palmarès des fortunes françaises avec 6.8 milliards d’euros. La famille Fiévet (Bel) est en 25ème place avec 2.68 milliards…

Criminalisation des militants

Dominique Henry a été placée en garde à vue le 28 mai 2015 (avec 4 autres militants). Elle y restera 3 jours. Le 30 mai, elle est transférée au tribunal d’Amiens « menottée, encadrée de 3 gendarmes armés jusqu’aux dents avec des gilets pare-balles, sirènes hurlantes avec 2 motards qui ouvrent la route…Verdict : placée sous contrôle judiciaire jusqu’au procès avec interdiction de rencontrer mes « complices » sinon c’est la prison immédiate… Ainsi l’objectif est clair : faire passer individuellement les 5 personnes interpellées pour de dangereux illuminés, éviter tout débat démocratique et museler les opposants au projet, orienter l’agriculture vers une industrialisation avec des coûts les plus bas possible… ». Le 1er juillet, elle est condamnée à des peines d’amende avec sursis. (Témoignage de D. Henry sur http://www.confederationpaysanne.fr/mobilisations.php?imp). Et comme elle a refusé de donner son ADN, elle est convoquée au tribunal de Montbéliard le 12 janvier. Le 19 janvier, le tribunal la condamne à 750€ d’amende… mais l’histoire n’est pas finie puisqu’elle déclare « Mon ADN ils ne l’auront pas »… elle sera à nouveau convoquée au Tribunal…. Elle mène cette lutte contre la criminalisation des militants. Dominique n’est pas une criminelle et la contraindre à donner son ADN est aussi une atteinte à sa vie privée. Si le prélèvement ADN est logique en cas de délinquance sexuelle, il ne peut servir à ficher des militants. Le fichier génétique a été créé en 1998 pour les délinquants sexuels, élargi en 2003 à tous les gardés à vue… sauf… les délinquants financiers : en clair, M. Cahuzac n’a pas été contraint de donner son ADN !  

Nous sommes des petits paysans de montagne.

Les conditions climatiques et géographiques ne nous permettent pas d’envisager un avenir de paysans de plaine. Nous resterons des petits paysans. Nous n’avons pas, et ne pouvons pas fournir, une production intensive. Nous sommes, par définition, extensifs et de production locale. Nous maintenons en place ce qui reste de l’agriculture de montagne qui a été abandonnée, désertée, délaissée à la suite des deux derniers conflits du 20ème siècle.

Depuis, peu de jeunes s’intéressent à ce que nous avons maintenu et veulent continuer cette façon de vivre paysanne. C’est un avenir qui peut entretenir une ambiance de montagne vivante. De par nos activités, nous gardons en place des paysages, des images bucoliques que les citadins aiment à retrouver. L’agriculture de montagne crée ou maintient l’ouverture des paysages en concurrence avec la forêt initiale et dense. Ces paysages, l’homme du Moyen-Age les a façonnés pour vivre, pour y vivre avec des animaux domestiques. Depuis, le progrès a rendu le travail moins pénible, jusqu’à éliminer progressivement les petits paysans, pour ne prendre en compte que les exploitants agricoles qui intéressent la filière agro-alimentaire mondiale.

C’est aux petits paysans à s’affirmer en produisant différemment, localement, sainement, en prenant soin de ne pas tomber dans le désespoir et le pessimisme, mais en résistant dans leur paysage, leurs productions, leurs élevages, en ne « lâchant rien » de leurs convictions qui visent le respect de la Terre, des Hommes, des Animaux et des Plantes.

Chez nous, dans les Vosges, la renommée fromagère est une identité, initialement, très simple de fabrication : faire cailler le lait et l’égoutter en le moulant. Le lait et ses dérivés ont une place importante dans notre alimentation. La prairie naturelle donne à ce lait une saveur particulière : un terroir.

Nos vaches sont et seront de vraies vaches de race locale avec une identité régionale reconnue. Elles auront des cornes, et l’hiver, pourront être maintenues à l’attache dans l’étable ; comme nos aïeuls, nous prendrons soin d’elles et assureront leur bien-être. Elles seront brossées à main d’homme pour établir le contact homme-animal d’où dépendra la confiance mutuelle et nécessaire au fil des jours.

Nos vaches seront donc domestiquées et non robotisées. La robotisation peut être intéressante pour l’industrie ou autre technologie mais ne semble pas être à sa place pour le VIVANT, animal ou végétal. Nos vaches auront des veaux dont elles s’occuperont en les allaitant sans restriction, sans limites de temps, à l’étable et dans les prés. Nos vaches seront respectées et non transformées en vaches à lait, synonyme de rentabilité financière jusqu’à épuisement.

Celles et ceux qui s’en occuperont seront de vraies fermières, de vrais fermiers qui ne confondront pas domestication et exploitation du végétal et de l’animal, ayant pour unique objectif la rentabilité.

Ayons le courage de résister.
Selon Aristote, le courage est la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres.

Jean-Marie Ihry, le 19.12.2016  




Révolte de « la tribu des cyclistes à glacières à bretelles »,
les exploités de l’ubérisation

Débarquée en France en 2012,la plateforme californienne Uber, vitrine de la nouvelle économie des start-up, s’appuyant sur des autoentrepreneurs et non des salariés, évitant ainsi les cotisations sociales, le code du travail… et autres « lourdeurs », commence à être contestée. « Le mythe de l’ubérisation joyeuse a vécu ». Cette gig economy ou économie de partage a fleuri au Royaume-Uni, en France et ailleurs : des entreprises sans actif ou très peu, fonctionnant sur plateforme par téléphone portable, rémunérant à la prestation… Ce sont : Uber-VTC (Véhicule de transport avec Chauffeur), Deliveroo (service de livraison à domicile de plats de restaurant), les sociétés de coursiers (City Sprint, Addison Lee…). Au Royaume-Uni, 4.9 millions de personnes travailleraient pour une plate-forme internet de partage, un peu plus du tiers à titre principal (soit 1.8 million) ! Mais l’exploitation a ses limites ! Voici que souffle le vent de la révolte ! En aout 2016, les livreurs londoniens ont mené une grève d’une semaine pour protester contre les conditions de travail, soutenus par le syndicat IWGB qui dénonce  le retour au travail journalier du 19ème siècle. Le travailleur fournit son vélo, 150 livres en échange de l’uniforme, est payé à la livraison, sans garantie minimum, sans assurance, sans équipements de protection… Billy, livreur, a décidé de témoigner des conditions de travail devant le Comité central d’arbitrage pour forcer la start up à reconnaître un syndicat. En octobre dernier, Uber a perdu un procès-clé, le forçant à traiter ses 30 000 chauffeurs londoniens comme des salariés. Les plaignants réclamaient des vacances, des indemnités en cas de maladie et un salaire minimum garanti. Le tribunal a estimé que les chauffeurs Uber étaient des salariés déguisés. La start up a fait appel. Un autre tribunal a condamné la société de coursiers City Sprint à considérer une de ses cyclistes comme salariée. D’autres procès similaires sont en attente. En France, l’URSSAF a lancé deux procédures contre Uber au motif que ces indépendants sont des salariés déguisés. Les chauffeurs VTC mi-décembre manifestaient à Paris, dénonçant « l’humiliation », « l’exploitation » dont ils sont victimes, soutenus par des organisations pour l’une d’entre elles, affiliée à l’UNSA : UNSA-VTC. Il était temps de donner un coup d’arrêt à cette exploitation d’un autre âge.   



« Délit » de solidarité ?

La solidarité serait un délit !!! Si elle n’a jamais été inscrite dans un aucun code, dans la réalité, elle est qualifiée comme telle par les décisions du ministère de l’Intérieur ou du ministère de la Justice pour intercepter, condamner des militants associatifs qui viennent en aide à des personnes en situation de très grande précarité, victimes de décisions dangereuses, violentes, voire inhumaines. Avec la prolongation sans fin de l’état d’urgence, le martèlement médiatique sur la « crise » des migrations alors même que celles-ci sont provoquées par la guerre, la misère, la dictature, l’intolérance…, c’est le soutien à l’ensemble des personnes étrangères qui tend à devenir suspect dans le pays qu’il ne faut plus nommer « celui des droits de l’Homme ». Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui, au mépris de ce « délit » fabriqué par les autorités gouvernementales pour faire peur, pour criminaliser la solidarité, appellent à poursuivre le soutien aux exilés.

Mais, au fait, Hollande avait promis, en 2012, qu’il mettrait fin à ce « délit » ! Qu’en est-il ?

Le Ceseda (code d’entrée, de séjour des étrangers et du droit d’asile) (loi de 1945) précise (art. 622-1) que « toute personne qui aura par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » est passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans de prison et 30 000€ d’amende.
En 2009 notamment, les associations de défense des droits de l’Homme et de soutien aux étrangers dénonçaient les sanctions des « aidants » d’étrangers sans papiers, comme des pressions dissuasives. La mobilisation associative avait abouti à des réformes successives dont la loi du 31.12.2012 présentée comme la suppression du délit de solidarité. Il n’en est rien. Elle a élargi les clauses d’immunité et a précisé qu’aucune poursuite ne peut être engagée « si l’acte n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ». Ce texte n’a pas empêché la poursuite de bénévoles car transporter gratuitement un exilé est toujours passible de poursuites. Alors, selon Hollande et ses ministres de l’intérieur, la solidarité a ses limites !

Et ça continue : non seulement, des personnes ayant manifesté leur solidarité avec des étrangers sans titre de séjour continuent d’être inquiétées, mais encore, des poursuites ont commencé d’être menées sur la base de textes sans rapport avec l’immigration :
- les délits d’outrage, d’injure et de diffamation, de rébellion ou violences à agent de la force publique, pour défendre l’administration et la police contre celles et ceux qui critiquent leurs pratiques
- le délit d’entrave à la circulation d’un aéronef qui permet de réprimer les passagers qui, voyant des personnes ligotées et bâillonnées dans un avion, protestent contre la violence des expulsions
- la réglementation qui sanctionne l’emploi d’un travailleur étranger sans autorisation de travail pour inquiéter les personnes qui, hébergeant des étrangers en situation irrégulière, acceptent que leurs hôtes les aident à effectuer des tâches domestiques.
- de nouveaux chefs d’accusation sont utilisés pour condamner les actions solidaires : la réglementation en matière d’urbanisme pour demander la destruction d’abris pour migrants, des sur l’hygiène ou la sécurité applicables à des locaux pour empêcher les hébergements solidaires, l’absence de ceinture de sécurité et d’un siège pour une fillette à bord d’un camion, etc.
L’imagination des femmes et hommes au pouvoir n’a pas de limites !
Ces procédés d’intimidation doivent cesser. C’est le manifeste lancé par le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) (cf notre rubrique Ils, elles luttent)

Dernière innovation pour  refouler les demandeurs d’asile. Depuis le 1er janvier, c’est le ministère de l’intérieur qui évalue l’état de santé des étrangers malades, sollicitant un « droit de séjour pour raisons médicales ». C’était jusqu’au 31 décembre le ministère de la Santé qui fournissait aux préfectures ses conclusions sur l’état de santé du demandeur. Cette mission est confiée désormais au ministère en charge de contrôler l’immigration, via les médecins de l’Office Français de l’immigration et de l’intégration (OFII), tout un symbole ! Certes, on le sentait venir, car, depuis 2012, les refus d’admission au séjour pour soins opposés par les préfets en dépit d’un avis favorable du médecin de l’Agence Régionale de Santé augmentaient. Plusieurs médecins des ARS se sont plaints de pressions préfectorales auprès de leurs Conseils de l’ordre. En 2013, le syndicat des médecins inspecteurs de santé publique avait estimé que le secret médical était « bafoué par certains représentants de l’Etat dans les départements »… sur www.bastamag.net
  

Odile Mangeot, le 19.01.2017  
Lagarde, la bande à Sarko et le prétoire

Le procès grandguignolesque  de Christine Lagarde illustre parfaitement la rime de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ! La grande oie blanche(1) s’en est tirée. Finalement on ne retiendra que la « légèreté négligente » dont elle a fait preuve dans l’affaire de « l’arbitrage privé » au profit de Tapie.

Rappel des faits d’abord.

En 2005, dans la « ténébreuse » affaire opposant Tapie au Crédit Lyonnais, lors de l’achat et la vente d’Adidas, la Cour d’appel de Paris tranche (définitivement !) : les époux Tapie sont condamnés à rembourser (le prêt consenti) à la banque, 405 millions d’euros. En 2007, l’entregent du spécialiste de la rapine, du rachat, du dégraissement et de la revente d’entreprises s’en ouvre à Sarko qu’il a soutenu lors des présidentielles : l’Etat (le Crédit Lyonnais était à l’époque du prêt nationalisé et les Tapie introduits dans la Mitterrandie) « ne peut me mettre sur la paille »… Christine Lagarde est à l’époque ministre de l’économie et des finances mais prétend ne rien savoir des délibérations opaques qui se sont tenues en vue de concocter une innovation pour sortir Tapie de la panade : l’institution d’une Cour d’arbitrage privée composée à convenance. Seuls Sarko, Guéant le secrétaire général de l’Elysée, Stephane Richard le directeur de cabinet de Lagarde, les conseillers Ouart et Perol auraient été à la manœuvre et auraient tenu à l’écart l’ancienne avocate d’affaires spécialiste de ces marchandages ! En tout état de cause, le 14 juillet 2007, dans l’ombre, « l’escroquerie en bande organisée » semble scellée avec la complicité non équivoque d’un ex-magistrat Pierre Estoup.
Rapidement, un nouveau verdict est rendu, qu’importe qu’il bafoue celui de la justice de droit commun : l’Etat est condamné par la Cour d’arbitrage à verser 280 millions d’euros à Tapie dont 45 au titre du préjudice moral qu’il aurait subi… Mais cette décision fait quand même grand bruit dans le landerneau. 
En effet, quelques députés socialos iconoclastes osent porter plainte contre cette décision inique. La justice, tout en délicatesse pour ce type d’affaires qui met en cause des hauts responsables de l’Etat, prend son temps. Faut-il d’abord juger en droit commun les sous-fifres, ces « collaborateurs » du Président intouchable et de la ministre qui elle, relève de la Cour de justice de la République (2)? En 2016, après moult tergiversations, auditions et même perquisitions, il est décidé (par qui ?) de réunir d’abord la Cour de Justice de la République pour mettre en cause Christine Lagarde désormais directrice du FMI, l’une des femmes dite la plus puissante du monde ( !) selon les médias. En fait, depuis l’affaire DSK, on peut en douter.

Devant le prétoire

C’est devant un tribunal très spécial qu’est convoquée la prévenue Lagarde. Il est composé de 12 parlementaires, députés et sénateurs, et de 3 magistrats. Cet entre soi sans jurés tirés au sort, peut faciliter quelques arrangements. Pas si simple néanmoins dans la mesure où ceux qui ne relèvent pas de la Cour de justice de la République sont accusés « d’escroquerie en bande organisée » pour avoir spolié l’Etat donc les contribuables.

Lorsque Madame paraît, elle a pris soin de troquer sa robe rouge bordée d’hermine pour un strict costume sombre. Forte de son aura, elle se dit « profondément choquée » que l’on ose l’accuser « d’un complot imaginaire ». Mais la grande oie blanche va devoir en rabattre. Sa défense : « Je ne savais pas » ; la décision de recourir au comité d’arbitrage ? Son directeur de cabinet ne lui en aurait rien dit, car « cela relève d’un niveau de granularité de l’information qui ne remonte pas au Ministre ». Reste qu’elle a bien signé un avis favorable pour recourir à l’arbitrage privé ! Et que, 15 jours plus tard, elle a récidivé pour introduire la notion de préjudice moral qu’aurait subi Tapie : « J’ai fait confiance » et elle ose encore « Ai-je été abusée ? Je ne l’exclue pas » et, péremptoire « Je veux le savoir » !

Gênante toutefois la perquisition de son ordinateur qui révèle une lettre adressée à Sarko où, en dehors de son « immense admiration », elle lui déclare : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting ». Elle pérore encore : « Je suis lucide mais je n’ai pas commis de négligence ».

Aïe ! Il y a les témoins convoqués. Bon ! Stephane Richard, son directeur de cabinet, arguant de son refus de répondre à la cour pour préserver sa défense dans la procédure pénale, n’a pas été amené à la barre entre deux pandores. Quant à Guéant, à la mémoire défaillante, il ne se souvient de rien, tout comme François Perol. Borloo, pas trop gênant ce ministre qui a précédé Lagarde, goguenard, prétend que si Tapie  est « son copain de bac à sable » il n’est pour rien dans cette affaire. Un rien condescendant, il déclare que, lui, lisait toutes les notes qu’on lui envoyait et qu’en outre « un directeur de cabinet n’est pas un filtre mais un chef d’orchestre ». Beaucoup plus déstabilisante et agaçante est l’audition de Bruno Brezard, ce haut fonctionnaire dirigeant à l’époque l’Agence des Participations de l’Etat qui suivait le contentieux Crédit Lyonnais/Tapie. Soucieux des deniers publics, il fait état des notes envoyées à la Ministre. Il y déconseillait l’arbitrage : « c’est une concession à la partie adverse, contraire aux intérêts de l’Etat ». Et lui et son avocat d’affirmer que tout l’appareil d’Etat, Matignon, le Président de la République, les cabinets des ministres agissaient en faveur de l’arbitrage.

L’oie blanche se fait taiseuse au cours des deux derniers jours d’audience. Quand elle parle, « c’est la voix voilée par l’émotion » : comment ose-t-on attenter à l’image de la directrice du FMI ! Les magistrats n’osent pas l’appeler à la barre pour réagir aux propos entendus et encore moins procéder à la confrontation entre les acteurs et témoins de l’escroquerie, ce serait indécent !

La grande mansuétude de la Cour

Reste pour les juges qui ne retiennent que le délit de négligence, ce délit mineur non  intentionnel, à contourner l’expérience tant vantée de cette avocate d’affaires. Reste aussi à ignorer la loi qui prévoit en la matière une condamnation d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Mais la loi… est flexible pour ces gens-là. Et les juges d’argumenter en faveur de Madame. Certes, la prévenue est peu convaincante, ses arguments légers, voire affligeants. Certes, elle n’a même pas consulté en la matière ni son service juridique, ni le Conseil d’Etat. Mais, voyez-vous : « prendre une mauvaise décision n’est pas en soi répréhensible, c’est un choix politique malheureux ». Et puis, « l’arbitrage est une décision politique, la Cour n’a pas à s’ériger en juge du gouvernement ; que (celle-ci) ait été truquée, c’est possible mais ce sera jugé ailleurs ». Les sous-fifres trinqueront au besoin. Toute cette casuistique pour dire que Madame n’est ni responsable, ni coupable, seulement négligente vis-à-vis de l’appropriation frauduleuse des deniers publics dont elle était pourtant la gardienne en sa qualité de ministre des finances ! Mais, eu égard à ses éminentes fonctions internationales (sic) on ne peut relever qu’une « décision dont la précipitation est critiquable ». Les juges s’instituant avocats de Madame, il ne restait plus qu’aux parlementaires à s’incliner toute honte bue. Ni responsable, ni coupable et comme la relaxe pure et simple n’était guère possible, de la déclarer négligente mais « dispensée de peine, sans inscription au casier judiciaire ». Fallait oser…

Avant même l’énoncé du verdict, la grande oie blanche s’était envolée à Washington, invoquant de hautes raisons professionnelles. Sûrement que la décision lui ayant été préalablement communiquée, elle se voyait mal pontifier devant les caméras sur ce qui demeurait une condamnation, même de pure forme. 

Le FMI, sans attendre, lui exprimait sa confiance et louait même son intransigeance vis-à-vis des gueux qui, en Grèce et ailleurs, persistaient à résister aux purges austéritaires. Et puis, tout compte fait avec ses dirigeants de l’institution, il ne fallait pas ajouter un scandale à ceux qui avaient déjà entaché le FMI. Il y avait eu DSK et ses frasques sexuelles, son prédécesseur Rodrigo Rato, poursuivi pour détournement de fonds quand il était banquier en Espagne… Alors, il fallait faire bonne figure avec cette madone qui, en matière de communication, versait dans le people. N’avait-elle pas été honorée par le magazine Glamour : l’ancienne gymnaste aquatique, en robe longue d’un blanc immaculé, posait en compagnie de la chanteuse américaine Stephani et du mannequin Graham en plus petite tenue. Mais bon… comme chacun devrait le savoir, elle est tenue de respecter « les principes les plus élevés de conduite éthique ».

Quant à Hollande, son mutisme fut à la hauteur de sa promesse électorale, celle de supprimer cette Cour de justice de la République où le droit se meurt (3). Pour les manants, ces gens de peu, les tribunaux de droit commun et les comparutions immédiates doivent rester la règle. Il suffit d’évoquer les affaires Deltour, Tarnac, Traoré ou encore Dominique Henry(4) pour s’en convaincre. L’heure n’est pas à la séparation mais à la confusion des pouvoirs, afin de préserver les intérêts du système. Cette banalisation de l’injustice provoque écoeurement et désintérêt plutôt que révolte… c’est bien ce que nous devons combattre pour « rendre la honte plus honteuse ».

Gérard Deneux., le 25.02.2017

(1)   Expression employée par Marc Roche dans son livre Histoire secrète d’un krach qui dure (voir notre rubrique Nous avons lu dans ce numéro)
(2)   La Cour de Justice de la République a été créée en 1993 (après l’affaire du sang contaminé et la multiplication des affaires politico-financières ; elle est compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions (la Haute Cour est désormais uniquement compétente pour le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions).
(3)   Titre d’une pièce de théâtre « gesticulée » de l’ex-magistrat Alain Bressy. Il récidive dans la revue Ravages avec l’article « Aux larmes, citoyens »  
(4)   Voir nos éditions précédentes et dans ce numéro l’article Crise du lait. Pour qui ? Pourquoi ?


Espagne.
La fabrique du consentement, grippée

Il peut paraître utile de revenir sur  les mouvements sociaux espagnols et sur la modification du rapport des forces politiques, qui s’en trouve désormais profondément modifié sans pour autant avoir produit de rupture. Tous ont plus ou moins en tête l’occupation massive des places, ce mouvement des Indignés qui a effaré les classes dominantes. Toutefois, ce qui a précédé cette mobilisation d’ampleur et ce qui s’en est suivi n’a guère été médiatisé. L’accent a plutôt été mis sur la situation en Grèce : la mise à genoux de Syriza par la Troïka. Dans ce qui suit, je voudrais mettre en lumière l’origine, les faits et les raisons qui, en Espagne, ont ébranlé le consensus idéologique permettant l’alternance du système bipartisan, acquis aux remèdes du néolibéralisme. La crise de 2007-2008 a bien évidemment accéléré ce processus et provoqué l’émergence de forces politiques nouvelles (Podemos et Ciudadanos). Néanmoins, cet ébranlement n’a pas surgi dans un ciel serein, l’orage a été précédé d’éclairs et de coups de tonnerre. Lorsque les « subalternes », pour reprendre l’expression de Gramsci, se sont mis en mouvement par vagues successives, le compromis(sion) historique mis en place à la mort de Franco s’est fissuré. L’éclatement de la bulle immobilière en 2008 a accentué les brèches. Evoquer cette brève histoire peut aider à percer les conditions de rupture avec le système du capitalisme financiarisé, à l’heure où l’Europe néolibérale se défait par en haut. Dans un prochain article, je reviendrai sur cet objet politique nouveau qui s’est construit dans et en dehors du mouvement social, à savoir Podemos.

1 – Le consensus idéologique et ses premières fissures

A la mort de Franco (1975), les classes dominantes s’accordent pour mettre en place un régime de transition préservant leurs privilèges, tout en rejoignant le modèle du capitalisme européen. Ce compromis, conclu entre les conservateurs issus du franquisme et le parti Socialiste (PSOE), maintient les intérêts de la monarchie, de l’église et de l’armée. Il est validé par le pacte de Moncloa, les lois d’amnistie qui enterrent la répression franquiste, et par la Constitution de 1978 qui institue de fait le bipartisme. « Ni vainqueurs, ni vaincus », tel est le mot d’ordre repris en chœur par les médias. En 1986, l’Espagne entre dans l’Union Européenne et l’Otan et approuve en 1982 le traité de Maastricht. Le mythe fondateur, celui de la monarchie démocratique, requiert le consentement de tous et, depuis 1992, le PSOE est au pouvoir… Felipe Gonzales ne le cèdera au Parti Populaire qu’en 1996… après avoir préparé le terrain aux recettes néolibérales. Il faut toutefois attendre la loi du 11 avril 1998 pour que celles-ci prennent la vigueur du capitalisme sauvage. Les municipalités se voient retirer le caractère urbanisable des terrains : tous les terrains sont déclarés constructibles. Le boom immobilier, et la bulle qui s’en suivra, trouve son origine dans cette loi. Mais, avant même qu’elle ne produise ses effets, l’apathie des dominés va être ébranlée par une succession de mouvements qui vont politiser des fractions de la population.

Non à la guerre, non aux attentats, non aux mensonges d’Etat

En 2003, l’invasion de l’Irak provoque une émotion populaire qui fait déferler dans les rues plusieurs millions de personnes (1 million à Madrid, autant à Barcelone…). Aznar s’est rangé derrière Bush et c’est inacceptable. Le 11 mars 2004, l’attentat de Madrid (130 morts) provoque un nouveau raz-de-marée. Contre toute vraisemblance, Aznar, son gouvernement, les médias, accusent l’ETA basque. Le 12 mars, 8 à 11 millions d’Espagnols sont dans la rue pour condamner le terrorisme mais ils ne sont pas dupes de la manipulation. « Nous voulons la vérité » scandent-ils ; des dirigeants du parti populaire (PP) qui s’étaient insérés dans les manifestations sont hués et certains quittent les rangs sous escorte policière. Des manifs de casseroles se produiront ensuite devant les sièges du PP.
En 2004, le rejet du PP se traduit dans les élections. Zapatero du PSOE les remporte. On le croit social et pacifiste, des milliers de manifestants, devant le siège du PSOE, scandent « Tu portes nos espoirs »…

Le boom immobilier et les perdants. 2006

Les banques ont accordé des prêts immobiliers souvent supérieurs aux biens en y incluant mobiliers et voitures ; la frénésie de construction et d’achat s’est traduite entre 2003 et 2006 par l’édification de 3 millions de logements, soit la production, pour la même période, de celle de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie réunis. Quant aux prix de l’immobilier, ils ont été  multipliés par trois de 1998 à 2006. Des phénomènes paradoxaux vont se conjuguer pour rendre, à terme, la situation intenable ; le taux d’abandon scolaire s’accroît sous l’impulsion des salaires attractifs dans le bâtiment (13.3 % de travailleurs) ; la précarisation de l’emploi, sous l’effet des mesures régressives du droit du travail et la quasi inexistence de logements sociaux, donnent naissance à deux mouvements : « Jeunesse sans futur » « Tu n’auras jamais de logement dans ta putain de vie » et V de Vivienda, qui deviendra, la PAH, Plateforme des personnes affectées par les prêts hypothécaires. A l’origine, il s’agissait d’aide psychologique et matérielle aux personnes expulsées. Particularité espagnole, datant d’une loi de 1909 : à la première échéance non remboursée, les banques peuvent se saisir du bien, le mettre aux enchères et ponctionner sur les salaires, le capital et les intérêts restant dus… Devant les effets iniques de cette législation, que n’ont pas remis en cause ni la droite ni le PSOE, le mouvement de soutien aux expulsés va se politiser et essaimer dans toute l’Espagne.

2008. La loi SINDE et les activistes en ligne

Le gouvernement à majorité PSOE, par la loi susmentionnée, interdit le téléchargement des produits culturels : levée de boucliers des blogueurs, hackers, journalistes, activistes en ligne. Internet doit rester un espace libre de toute ingérence de l’Etat. Le discrédit de la caste politique s’accentue d’autant que les révélations mettent au jour la corruption qui gangrène le PSOE et le PP, notamment dans le détournement de la collecte des droits d’auteurs. Circule sur les réseaux sociaux le mot d’ordre : « Ne vote pas pour eux ».

2 – La crise de 2008. La brèche dans le consensus bipartisan

En préalable, il faut souligner que l’économie espagnole repose sur trois axes : l’agriculture intensive, le tourisme et la construction. L’entrée dans l’Europe n’a guère provoqué une industrialisation. Quant aux banques, tout particulièrement les caisses d’épargne, gérées par les régions, elles ont favorisé la corruption et la gabegie : des aéroports jamais ouverts, des autoroutes superflues, des opérations immobilières véreuses.

La crise venue des Etats-Unis (dite des subprimes) a fait éclater la bulle immobilière espagnole. L’Etat, pour éviter des faillites en série, a injecté 200 millions d’euros entre 2008 et 2013, dans l’opération de sauvetage. La dette publique s’est envolée. Face aux difficultés rencontrées pour rembourser les créanciers, le Conseil européen lance un ultimatum à Zapatero : pas d’aide de la Troïka et du FMI sans mesures drastiques de régression sociale. Il précise ses conditions : réduction de 15 milliards d’euros des dépenses publiques, le passage de 65 à 67 ans pour l’obtention des pensions de retraite et leur gel, la hausse de la TVA ainsi que la flexibilisation accrue du travail, dans un contexte déjà marqué par la précarisation.    

Des conséquences dramatiques

Le taux de chômage qui était de 8% en 2007, bondit à 18% en 2009 pour atteindre 27% en 2013, affectant, à 50%, les jeunes. Face à l’incapacité de nombreux ménages de faire face à leurs échéances de prêts, les expulsions permises par la loi de 1909, se multiplient. Entre 2006 et 2012, plus de 300 000 procédures d’expulsion sont dénombrées. L’indignation prend des proportions inégalées : PSOE et PP prétendront que les Espagnols ont vécu au-dessus de leurs moyens alors qu’éclatent des affaires de corruption qui les désignent à l’opprobre public, pots de vin, rétro-commissions, voitures de luxe… L’affaire Gürtel qui atteint tous les trésoriers du PP et va provoquer des mises en examen spectaculaires, tout comme l’affaire dite ERE de détournement en Andalousie d’aides aux salariés licenciés servant en fait des élus et adhérents du PSOE et du PP, sont emblématiques (100 millions volés). Au total, selon une estimation basse, ce sont 40 milliards d’euros par an qui auraient été détournés ! La caste (politiciens des partis dominants, banquiers, capitalistes du BTP…) est désignée, notamment dans les réseaux sociaux et la petite chaîne de télévision alternative, la télé K et son émission hebdomadaire la Tuerka(1).

Le coup de tonnerre du 15 mai 2011

Dans ce contexte, les mobilisations à caractère économique se succèdent. Le 15 mai, à l’issue d’une longue journée de manifestations, le soir, un groupe de 40 personnes décide de camper sur la Puerta del Sol en réclamant la « démocratie réelle maintenant ». Dans la nuit du 15 au 16, les forces anti-émeutes dispersent violemment la centaine de personnes. Les campeurs lèvent les mains : « Voici nos armes ». La répression est filmée par téléphones portables, retransmise sur les réseaux sociaux ; elle suscite une telle émotion populaire que le lendemain, 17 mai, dans plus de 200 villes les places centrales sont occupées. Le mouvement du 15 M est lancé : 200 avocats volontaires se mobilisent ainsi que de nombreux médecins. Des assemblées citoyennes se succèdent, hors partis et organisations ; les individus prennent la parole délégitimant le pouvoir en place : « Nous sommes ceux d’en bas ».

Le 20 mai, à l’approche des élections municipales et législatives qui vont suivre, la commission électorale déclare les campements illégaux. Colère sur les places  noires de monde : « Nous sommes tous illégaux ». Le pouvoir n’ose réprimer. Les victoires électorales du PP ne changent rien, au contraire, elles durcissent la contestation : devant les municipalités, les manifs de casseroles proclament : « ils ne nous représentent pas ». Certes, la victoire de la droite a un goût amer mais l’abstention a bondi de 5% et, surtout, 651 000 bulletins blancs et nuls ont été dénombrés. La colère redouble lorsque, le 26 mai 2011, les partis dominants (PP et PSOE unis) introduisent dans la Constitution la « règle d’or budgétaire » : le remboursement de la dette est prioritaire sur toute dépense publique. Le « coup d’Etat financier » est dénoncé avec virulence.

Le 12 juin, les campements sont levés : un million de personnes y ont participé de manière intensive. Certes, il y a une certaine lassitude vis-à-vis de l’intransigeance du pouvoir, l’absence d’alternative claire mais la volonté d’en découdre est toujours présente : « Nous ne partons pas, nous nous propageons ».

3 – Le nouveau cycle de mobilisations : la PAH et les marées (2012-2013)

La Plateforme contre les prêts et les expulsions se renforce et essaime dans plus de 220 villes. En 2016, on dénombre plus de 1 600 expulsions stoppées et 2 500 familles relogées « illégalement » dans des squats. La PAH lance une initiative législative populaire qui recueille plus de 1,5 million de signatures. Malgré son caractère « modéré » (moratoire sur les expulsions, reconversion des prêts en loyers encadrés), le parlement refuse d’en débattre. Une campagne de scratches est lancée : ce sont des manifestations devant les résidences des députés, avec force bruits de casseroles, désignant à l’opprobre public la caste. Des contradictions au sein des députés aboutiront à une loi édulcorée pour calmer le jeu.

De 2012 à 2013, des marées de toutes les couleurs sont autant de coups de boutoir contre le pouvoir. Elles prennent la forme de marathons, de chaînes humaines, de manifestations, de diffusions vidéo sur les réseaux sociaux. Il y a les marées vertes à la suite du non renouvellement de 3 000 postes d’enseignants contractuels, des coupes budgétaires dans les cantines scolaires et de l’introduction de cours de religion. Puis les marées blanches des femmes protestant contre les crèches privées trop chères et contre l’inégalité salariale, les marées grenat sur la santé publique et les restrictions de couverture des Espagnols émigrés dans d’autres pays européens (2 millions !). Les marées bleues s’insurgent contre la privatisation de l’eau, la marée jaune contre les restrictions budgétaires en matière culturelle qui affectent tout particulièrement les bibliothèques. Les marées marron contre la pollution et pour l’environnement écologique, les marées rouges pour l’emploi et contre la précarité.

Toutes ces marées convergent le 25 février et le 22 mars 2013. Ce fut d’abord la manif « contre le coup d’Etat des marchés financiers » puis « la marche de la dignité » : des cortèges partis de 8 villes convergent sur Madrid et rassemblent des milliers de personnes pour réclamer « Du pain, du travail, un toit pour toutes et tous ».

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Le processus de mobilisations destituant n’a pas trouvé, malgré les assemblées citoyennes, sa traduction politique. La naissance et le développement d’un nouveau parti à caractère hybride, s’inscrivant dans le cours électoral qui va suivre la séquence de mobilisations, peut-il provoquer la rupture avec le système bipartisan acquis au néolibéralisme et aux politiques d’austérité ? Ce sera le sujet du prochain article.
Il n’en demeure pas moins, au vu des évènements relatés ci-dessus, que la légitimité du système issu de la transition est ébranlée. Demeurent les questions de l’articulation des mouvements sociaux avec des propositions alternatives crédibles. En outre, la succession des élections démontre que c’est, pour le moins, l’hégémonie du PSOE qu’il convient de briser. De même, les forces politiques traditionnellement à gauche du PSOE (syndicats et Izquierda Unida, PS + dissidents du PSOE) n’ont guère impulsé les mouvements ; ils ont, de fait, été débordés, voire ignorés. Enfin, le nombre d’activistes et de manifestants, s’il reflète un processus de prise de conscience, ne réduit pas pour autant la distance entre les militants et la masse mobilisée, bien qu’il prouve, pour reprendre les termes du « comité invisible » que « ce n’est pas le peuple qui produit le soulèvement, c’est le soulèvement qui produit le peuple » contre les classes dominantes. Reste à en tirer les leçons, y compris en France.

Gérard Deneux, le 20.01.2017

Sources : Podemos, la politique en mouvement d’Alberto Amo et Alberto Minguez, 2016, ed. La dispute

(1)   voir prochain article sur l’émergence et le développement de Podemos