Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 9 novembre 2016

Les Amis de l'Emancipation Sociale et les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
vous proposent

le dernier film de Gilles Perret

la Sociale

Ce film nous transporte dans les luttes populaires et les avancées sociales extraordinaires qu'elles ont permises et, parmi elles : la Sécurité Sociale. Comment la création de la Sécu s'est appuyée sur la mobilisation militante et sur la classe ouvrière. Une vraie lutte de classe face au patronat, aux forces réactionnaires qui n'en voulaient pas. Cette bataille est d'actualité, dans le programme de régressions sociales à l'oeuvre. Nous avons à rappeler combien cet outil social de lutte pour une société plus juste et sécurisée doit être préservé.

Le film sera suivi d'un débat/échanges en présence de 
Stephane Perriot
monteur du film 

Nous le programmons 
mardi 6 décembre - 20h15 - le Colisée à Montbéliard
mercredi 7 décembre - 20h30 - Méliès à Lure
jeudi 8 décembre - 20h30 - Majestic à Vesoul
vendredi 9 décembre - 20h30 - Victor Hugo à Besançon
Pourquoi nos chaînes sont si dures à briser ?
Le poids de la démoralisation
à cause des défaites, des trahisons ?
De ces dernières années,
Mais aussi durant tout le 20ème siècle
En France, mais aussi à travers le monde
Démoralisation notamment
Dans les milieux militants, politiques et syndicaux.
Le mouvement social a secoué cette démoralisation,
Cette torpeur, ces conservatismes,
Sans réussir pour l’instant à les dépasser.
La température sociale n’est pas encore montée assez haut
Pour faire fondre nos chaînes ?
Chaînes qui sont aussi dans nos têtes.
Mais peut-être qu’une nouvelle génération est née
Peut-être que les graines semées vont germer
Des réseaux tissés,
Des rencontres, parfois intergénérationnelles,
à travers les Nuits Debout, les convergences des luttes, les blocages
La vieille taupe creuse sous les fondations du capitalisme
Comme l’écrivait Rosa Luxemburg
C’est une question de vie ou de mort
Et peut-être à une échelle de temps courte…

José Filipe 
Paru sur la page Nuit debout Rouen



Le PES n° 27 (octobre 2016) est paru

Au sommaire :

édito "La société au bord de la crise de nerf" (ci-desssous)
Palestine : the times they are not a-changin
Nicaragua : Santé et Solidarité
Le Brexit et après (sur le blog ci-dessous)
Sommes-nous en présence d'une révolte contre le salariat ?
Revenu minimum garanti : réforme ou révolution ?
ZAD : Valls sans retour
Ils, elles luttent
Nous avons lu

pour vous abonner
- par mail : 5€ pour 10 numéros
- par courrier : 18€ (pour 10 numéros)
écrire à
Pour l'Emancipation Sociale
Gérard Deneux
76 avenue Carnot
70200 Lure
et adresser un chèque à l'ordre de PES 

La société au bord de la crise de nerf

Et comment pourrait-il en être autrement quand se conjuguent exaspérations et expectative, rejet et désintérêt, face à la réalité de l’atmosphère irrespirable remplie de miasmes perturbateurs qui font suffoquer les plus endurcis : les paysans qui n’en peuvent plus de libre-échange étouffés par les gros agrariens de la FNSEA, ces salariés qui saluent la mobilisation contre la loi El-Khomri mais qui, dans leur grande masse, sont tétanisés par l’ambiance délétère du chômage, de la précarité et saturés de la peur du terrorisme jusque dans leurs habitations par TV interposée. Ces Nuits debout où l’on glose à satiété sur la démocratie réelle, la 6ème République, mais où l’on hésite à soutenir le mouvement social et l’on reste sans réelles perspectives… Et face aux exilés qui reconstruisent toujours des bidonvilles, ces pauvres sur les trottoirs parisiens, se mêlent élan de solidarité et, contradictoirement, xénophobie et « pauvrophobie ». Et puis vient la jacquerie de la maison poulaga. Cette basse-cour se révolte contre le surmenage de la base, les gardes statiques qui délaissent les gros malfrats et les petits délinquants. Certes, parmi les pandores beaucoup sont proches du FN mais leur ras-le-bol est surtout dirigé contre leur hiérarchie, contre le syndicalisme clientéliste de collaboration avec l’Etat. Ils n’ignorent pas que la Cour des comptes a dénoncé la gabegie de cette cogestion qui représente 54 millions d’euros par an, soit 1 000 emplois à plein temps.

Et pratiquement toutes les franges de la société de se lamenter, de rejeter la caste politicienne et en redemander, car les choix électoraux ne peuvent être que des choix par défaut. On vire Sarko pour Hollande à défaut de l’inénarrable Strauss Khann que les médias avaient (en son temps) présenté comme le meilleur économiste. Puis le macho-libertin ayant sombré dans les arcanes judiciaires, la construction médiatique du bonasse Hollande présenté comme un habile tacticien ne promit finalement que de la (dé)confiture. Et les primaires nous resservent les plats. Les éditocrates font les yeux doux à Juppé. Sarko, le camelot de la droite extrême se démène encore malgré toutes les casseroles qui l’entravent et le FN attend de récolter la mise.

Overdose qui creuse toujours plus le fossé entre les dirigeants autoproclamés et les dirigés médusés. C’est dans ces conditions que le Président (a)normal se déboutonne et met la hollandie en charpie. Tous les solfériniens en conviennent, celui qui bavasse pendant des heures avec les journalistes pour se trouver le meilleur en son miroir, se déballonne pour rabaisser ses collaborateurs : leur « peu d’envergure », leur « manque de charisme » (Bartolone), les « inaudibles » (Ayrault), voire la « formatée à la langue de bois » (Belkacem). Il s’en prend aux juges qui ne seraient pas seulement des « petits pois » (Sarko, sic) mais des « lâches ». N’en jetez plus ! Les « ploucs » (Sarko) ou les « sans dents » que l’on méprise vont-ils réagir ? La crise de nerf n’annonce-t-elle pas les pleurs à venir ? A en croire les sondages en effet, en dehors des abstentions qui viennent, faudrait choisir contre la Hollandie en déroute, la droite Juppérienne qui promet le report de 2 à 3 ans de l’âge de la retraite, 4 heures de travail hebdomadaire supplémentaires, la suppression de l’impôt sur la fortune, la hausse de la TVA, la dégressivité des allocations chômage, la suppression de 300 000 à 500 000 fonctionnaires(1). Cette purge thatchérienne, annoncée en mode despotique à coups d’ordonnances, démontre, s’il en est besoin, que les élections en l’absence d’une perspective de la gauche de gauche et d’une mobilisation sociale d’ampleur sont inutiles. A l’heure où le néolibéralisme est de plus en plus rejeté, où les classes moyennes croient encore pouvoir s’en sortir, où les rancoeurs attisent la xénophobie, la crise  de nerf risque de durer…


(1)   Lire l’édito de Serge Halimi dans Le Monde Diplomatique, novembre 2016   
Revenu minimum garanti : réforme ou révolution ?

A l’approche des échéances électorales, présidentielles et législatives, voilà que resurgit, dans les discours de droite et de « gauche », le débat sur le Revenu d’existence, appelé aussi Revenu minimum garanti, allocation universelle, revenu inconditionnel… Ayant admis que l’on doit vivre avec un taux élevé de chômeurs, les tenants du libéralisme et de la marchandisation du monde concluant qu’il est « naturel » qu’il y ait des très pauvres et des très riches, conviennent qu’il est nécessaire de trouver des systèmes de compensation de ces déséquilibres « inéluctables ». Le Revenu de Base (nous le nommerons ainsi dans ce texte, englobant les autres formulations) atténuerait les inégalités. Cette approche séduisante, au premier regard, est peu sympathique à l’analyse.

Le Revenu de Base, outil de lutte contre la pauvreté et contre les inégalités ? 

Le plein emploi serait une valeur d’un autre temps. Il s’agit de repenser les modèles économiques et sociaux à cause du chômage, de la précarisation, de la soutenabilité de la croissance. Partant de ces postulats, un certain nombre de libéraux et sociaux-libéraux sont favorables au Revenu de Base, comme un revenu universel et individuel, attribué à chacun sans conditions de ressources. Il libèrerait l’individu de la tutelle de l’Etat (à la différence d’autres allocations appuyées sur des contraintes et des justificatifs). Il remplacerait partie ou tout des allocations sociales. Il serait instrument d’émancipation car il garantirait des moyens de subsistance réguliers et à vie. Chacun, ainsi, pourrait choisir son mode de vie. Cette notion, globale et aux contours flous, fait consensus chez les libéraux, comme les candidats potentiels à la présidentielle Nathalie Kosciusko-Morizet,  JP Poisson ou Frédéric Lefebvre (LR), proposant un revenu universel en remplacement de tout ou partie des prestations sociales et familiales. Les sociaux-libéraux ne sont pas en reste qui, de Benoît Hamon à Valls en passant par la Fondation Jean Jaurès(1), sont sur la même longueur d’ondes. Les divergences portent sur le montant, variant de 450€ (en-dessous du RSA !) à 750€ par personne, avec des variantes pour les retraités et les enfants. Ce fut même à l’ordre du jour du Sénat, le 19 octobre dernier, la commission parlementaire rendant son rapport et préconisant de mener des expérimentations de différentes formes dans divers territoires.

Tout le monde s’entend sur une définition minimale du Revenu de Base. Ceux qui défendent la version libérale, se réfèrent notamment à Milton Friedman (fondateur de l’école de Chicago) qui développait (dès 1962 dans Capitalisme et liberté), son programme de « combat contre la pauvreté » qui, « tout en fonctionnant par l’entremise du marché, ne devrait ni fausser celui-ci ni entraver son fonctionnement ». Il proposa un revenu minimum sous forme d’un crédit d’impôt universel, baptisé « impôt négatif ». Il s’agit de se libérer l’emprise de l’Etat en permettant que le Revenu de Base se substitue aux prestations sociales (assurance maladie, chômage, famille, vieillesse), et allège, ainsi, les entreprises des cotisations patronales !   
Pour ceux qui défendent la version plus socio-libérale, la nuance n’est guère perceptible : chaque individu recevra de la collectivité, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, sans condition, ni contrepartie, une somme régulière, cumulable avec d’autres revenus dont ceux du travail.

D’autres, comme Baptiste Mylondo, du courant de la décroissance, défendent, avec le Mouvement Utopia(2), le principe que chacun contribue à la société de manière différente, au-delà du travail, par la formation, l’aide à ses proches, l’engagement associatif… Pour eux, le Revenu de base ne suffira pas pour réduire les inégalités et la pauvreté, d’autres mesures sont nécessaires et  notamment un impôt sur le revenu fortement progressif, une taxe sur le patrimoine, un revenu maximum (de 1 à 4).

Enfin, à l’opposé du système capitaliste duquel l’on ne sort pas, avec les propositions évoquées ci-dessus, Bernard Friot (3) prône le Salaire à vie, une mesure « révolutionnaire » qui distribue à chacun un salaire, de l’âge de 18 ans à la mort, financé par la cotisation (nous y reviendrons dans la 2ème partie).  

On le voit bien, ce qui est en jeu est un projet politique qui réorganise l’ensemble de la société et son fonctionnement. Entre ceux qui continuent à penser qu’il faut liquider les prestations sociales (comme la Sécurité Sociale), le Revenu de Base peut être une aubaine : il en serait fini des cotisations patronales ! Même le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB), affirmant « qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les systèmes publics d’assurances sociales mais de compléter et d‘améliorer la protection sociale existante », admet qu’il pourrait remplacer certaines prestations du régime de solidarité financées par l’impôt comme le RSA ou la CSG. De même, les allocations familiales pourraient être revues. Certes, le système actuel contraint à des contrôles des allocataires, des lourdeurs administratives, la non réactivité lors des changements de situation, ce qui, prétend-il, disparaîtrait avec le versement d’un Revenu de Base régulier. Ces positions sont ambivalentes dans leurs conséquences, car elles peuvent être l’aubaine pour supprimer les cotisations sociales ou encore réduire les dépenses publiques, en fermant des services devenus inutiles. De même, cela pourrait encourager des salaires plus bas ou des temps partiels sous-payés, le revenu de base servant de compensation, se muant ainsi en subventions aux patrons.      

Aux Pays Bas et en Finlande des expériences vont être mises à l’essai. A Helsinki, le Revenu de Base est vu comme un moyen d’améliorer l’efficacité de la protection sociale et de relancer l’activité en poussant les inactifs à reprendre du travail puisque le cumul sera possible ; cela permettra de « chasser les trappes à inactivité ». En 2017, une expérience pour 2 ans sera tentée dans quelques localités. C’est une béquille. Il n’est pas question de lutter contre la pauvreté, ni d’instaurer un droit au revenu, encore moins de se libérer de l’emploi. Rien de révolutionnaire mais une réforme de l’aide sociale. Et quand on apprend que même les gourous de la Silicon Valley débordent d’enthousiasme pour le revenu garanti pour tous !!! « Y Combinator, l’un des premiers incubateurs de start-up de la Silicon Valley a annoncé son intention de recruter un chercheur et une équipe de volontaires pour étudier la faisabilité du revenu garanti. Pourquoi ? Il y a la vieille allergie à l’Etat-providence, que le revenu universel, combiné à un démantèlement total des services publics, pourrait définitivement réduire à néant. Ensuite, l’automatisation croissante de l’industrie risque à terme de multiplier encore le nombre de chômeurs : le versement à tous d’un petit pécule garanti et sans conditions permettrait d’éloigner la menace d’un soulèvement populaire. Enfin, la nature précaire des emplois serait mieux supportée si les employés disposaient par ailleurs d’une ressource stable. Pour toutes ces raisons, le revenu garanti est souvent perçu comme un cheval de Troie au service des compagnies high-tech qui cherchent à se donner une allure altruiste. Adieu encombrantes vieilleries de l’Etat social. Adieu, régulations qui protégeaient encore un peu les droits des travailleurs. Adieu, questionnements pénibles sur la propriété des données personnelles extorquées aux internautes »(4).

Le capitalisme a l’art de récupérer, à son profit, des idées même les plus progressistes, pour mieux les torpiller. L’idée du revenu de base avance dans un brouillard volontairement entretenu, car il peut tout à la fois rétablir une certaine égalité, mais tout à l’inverse, permettre de supprimer tous les conquis sociaux qui constituent le salaire socialisé.

Le Revenu de base est suggéré par les néolibéraux qui pensent que l’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie, que le système de sécurité sociale doit disparaître ainsi que les services publics et que les allocations minimales peuvent exister pour les « pauvres ». Partant de l’idée que les inégalités dopent l’initiative personnelle et la concurrence, ils préconisent de réduire les dépenses publiques, de circonscrire les droits sociaux en n’en garantissant que certains pour les plus démunis. Ainsi déconnectée de l’inégalité, la pauvreté n’est plus l’effet de l’inégale répartition des richesses mais peut être attribuée aux efforts insuffisants des allocataires sociaux pour réussir. Les aides sociales entretiennent les chômeurs dans le chômage. Macron n’affirmait-il pas : « Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre. J’essaierais de me battre d’abord »(5). Les néolibéraux ont réussi à faire passer l’idée que la pauvreté peut être combattue sans redistribution des richesses, renforçant l’idée qu’il suffit de se battre pour réussir. Ils veulent nous faire oublier que si la richesse des uns existe, c’est qu’elle se construit sur l’appauvrissement des autres.

Pour renverser le capitalisme, il faut renverser notre pensée

N’y aurait-il que les riches et les classes aisées qui auraient le droit de choisir leur vie ? Que vais-je entreprendre, en matière de formation, de travail ou pas ? Comment vais-je vivre bien ?  
Devons-nous considérer que le travail n’aurait qu’une vertu : rapporter de l’argent ? Ou peut-on imaginer que participer à la richesse collective justifierait certains droits,  dont celui d’échapper à la misère ? Dans cet esprit, le revenu garanti pour tous pourrait avoir du sens.
Doit-on considérer que le travail doit être obligatoirement aliénant, pénible ? Ou peut-on avancer qu’il participe à l’émancipation individuelle et collective, dans le sens où il donne accès à des connaissances, à des relations, e qu’il met en oeuvre la responsabilité collective ?
En répondant à ces quelques questions, on inverse la perception des choses : « Le chômeur indemnisé n’est pas un profiteur en puissance mais une personne compensée pour la privation dont elle souffre, celle de ne pas participer à la production collective ». .

Penser le travail autrement : le salaire à vie

Le salaire à vie, salaire universel, que l’on travaille ou pas, serait donné de l’âge de 18 ans à la mort, comportant 5 niveaux, de 1 500€ net à 6 000€ net ; il introduit le revenu maximum. Son montant serait fixé en fonction de la qualification personnelle et non par rapport au poste de travail occupé. Il aboli le marché du travail et, par conséquent, le chômage. C’est une reconnaissance pour toutes celles et ceux qui ne « travaillent » pas (les mères au foyer, les retraités, les sans travail…) et participent à la production collective, marchande et non marchande.  

Impossible ? Non nous dit Bernard Friot. La cotisation, telle qu’elle a été conçue et mise en œuvre pour financer les retraites, la sécurité sociale ou l’assurance chômage pourrait être étendue aux salaires. Actuellement cette mutualisation représente l’équivalent de 40% de la masse salariale, versés dans les caisses de la Sécu, des retraites, etc…, soit 476 milliards en 2014, très supérieur au budget de l’Etat, représentant 22% du PIB. Ces cotisations sociales sont transformées en salaire (le salaire socialisé) ; elles ne génèrent aucun profit, aucune  accumulation marchande (sauf lorsqu’il y a des déficits (le trou de la Sécu ou des allocations chômage), ce qui «oblige » les institutions à emprunter sur les marchés de capitaux, générant ainsi une rente financière). Ces cotisations peuvent être gérées par les salariés (comme les caisses de protection sociale l’étaient à l’origine). 

« Sur la base de ce déjà-là, on peut envisager la socialisation de l’intégralité du salaire par une cotisation qui se substituerait à la paie versée par un employeur. Il n’y aurait plus d’actionnaires, ni de patrons payant « leurs » salariés mais des directions d’entreprises qui verseraient une cotisation et recruteraient des salariés qu’elles n’auraient pas à payer ». Une caisse des salaires collecterait la cotisation. Le travail ne serait plus une marchandise que vend le salarié à son employeur contre une rémunération. La relation d’assujettissement du premier au second disparaîtrait.

Impossible de mettre ça en œuvre sans sortir du capitalisme. Bernard Friot affirme qu’il ne faut pas taxer le profit, il faut le supprimer. En supprimant le profit, on supprime la propriété lucrative pour instaurer une propriété d’usage. Tout employé d’une entreprise deviendrait copropriétaire d’usage de celle-ci et on ne pourrait plus faire de profit sur la propriété.

Cerise sur le gâteau, la cotisation pourrait aussi financer l’investissement. Actuellement, seuls les propriétaires et dirigeants décident de l’usage des profits générés par les entreprises. Une cotisation spécifique permettrait de financer les projets d’avenir. Les salariés géreraient la caisse et décideraient des projets. Ce mécanisme s’appliquerait aux services publics, financés par l’impôt, au logement, à l’énergie, aux communications, au crédit. « A terme, affecter l’intégralité de la richesse produite à la cotisation et donc au salaire socialisé, constituerait un acte politique fondamental : la définition de la valeur, sa production, sa propriété d’usage et sa destination reviendraient aux salariés, c’est-à-dire au peuple souverain » conclut Bernard Friot. C’est la socialisation de l’économie. Néanmoins, cette revendication structurelle ne peut être mise en œuvre sans « révolution » au sens d’un bouleversement des rapports de forces et des rapports sociaux dominants.


A l’issue de ce tour d’horizon rapide (6) pour démasquer les vrais des faux amis, il ne saurait être question d’accepter un revenu minimum pour ceux qui sont classés « inemployables », permettant de glisser sous le tapis les conquis sociaux, comme la Sécurité sociale, etc. Le partage de la richesse, donc la lutte contre les inégalités et la pauvreté, passe par un changement radical et une sortie du capitalisme. Les mesures d’aménagement proposées par la création d’un revenu de base, peuvent être une étape, mais surtout pas dans la version des néolibéraux et des sociaux-libéraux (à la mode Macron/Valls/Hollande). Un long combat à mener. C’est l’une des pistes pour la réelle transformation sociale. 

Odile Mangeot, le 25 octobre 2016
PS : cet article appelle à des commentaires, des compléments. N’hésitez pas à les écrire.


(1)   Think tank socialiste
(2)   Mouvement politique de réflexion, appelant au dépassement du capitalisme (compte des membres de EELV, du PG et du PS ainsi que des associations)
(3)   Bernard Friot, sociologue, a fondé le Réseau Salariat www.reseau-salariat.info. A écrit notamment L’enjeu du salaire (2012) et Emanciper le travail (2014) 
(4)   Blog du Monde Diplomatique : L’utopie du revenu garanti récupérée par la Silicon Valley (29.02.2016) Evgeny Morozov 
(5)   Sur BFM TV, le 18.02.2015
(6)   Cf article paru dans PES n° 16 (août 2015) « Face aux projets pour un revenu à vie » de Jano Celle

Sources :
-        le Monde diplomatique juillet 2016 Une idée révolutionnaire…ou pas. Le revenu garanti et ses faux amis de Mona Chollet
-        Manuel d’économie critique– hors-série du Monde Diplomatique, paru en septembre 2016, réalisé à partir des programmes d’économie de première et de terminale. Il a pour objectif de rendre l’économie accessible au plus grand nombre et en souligner la nature politique. Rappeler que, comme la chose publique, l’économie est l’affaire de tous et permettre à chacun de s’en emparer. Loin des dogmes, il s’agit de remettre l’économie au service de la société.  


Encarts

La Sociale, le nouveau film de Gilles Perret
Sera diffusé à l’initiative des Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté et les Amis de l’Emancipation Sociale les :
mardi 6 décembre 2016, au cinéma le Colisée à Montbéliard (20h15)
mercredi 7 décembre 2016 au cinéma Méliès à Lure (20h30)
jeudi 8 décembre 2016 au cinéma Majestic à Vesoul (20h30)
vendredi 9 décembre 2016 au cinéma Victor Hugo à Besançon (20h30

Après Ma mondialisation, Walter retour en résistance, De mémoires d’ouvriers ou encore Les jours heureux, Gilles Perret nous transporte dans les luttes populaires et les avancées sociales extraordinaires qu’elles ont permises. Parmi elles, la création, il y a 70 ans, de la Sécurité Sociale. D’où elle vient, ce qu’elle est devenue et ce qu’elle pourrait devenir. Une Histoire peu ou pas racontée jusqu’à ce jour nous concerne tous. 

Les films seront suivis d’un débat en présence de Stephane Perriot, monteur du film.



Direction des Ressources Heureuses
 Julien Brygo et Olivier Cyran
Extraits d’un article paru dans le Monde Diplomatique d’octobre 2016

« Les patrons n’exagèrent-ils pas un peu dans leur souci de faire le bonheur de leurs salariés ? Aux forçats du travail qui rament pour des queues de cerise et n’auraient peut-être pas songé à se poser pareille question, l’émission « Envoyé spécial » (…) vient d’administrer une édifiante leçon de rattrapage. (…) Elle nous emmène sur les pas de Sophie, chief happiness officer dans une start-up parisienne (…). Inventé aux Etats-Unis, ce nouveau métier, que l’on pourrait traduire par « chef du service bonheur » consiste à « créer une bonne ambiance au bureau » en égayant le personnel par des repas, des soirées ou des sorties propres à souder le groupe et à galvaniser son ardeur à la tâche ».
Dans le même genre, « le 4 avril dernier, en pleine mobilisation contre la loi travail, alors que l’exaspération face aux ravages de la précarité et à l’épidémie des boulots de merde, enflait dans la rue, l’émission Happy boulot (…) - tous nos conseils pour bien démarrer votre journée de travail – (…) s’inquiétait des excès de générosité auxquels en sont réduits les employeurs.
et les patrons en donnent tant que  ‘le risque à terme, c’est d’être à court d’idées de gentillesses’. Voilà un angle d’attaque que les syndicalistes utilisent trop rarement : cette tendance lourde du patronat à gâter ses employés ».
La mode du bien-être au travail (…) ruisselle parfois au compte-gouttes sur les échelons inférieurs de la hiérarchie, comme l’explique le patron des salades en sachet Florette (…), cet adepte du lean management clame son attachement aux « théories qui encouragent les salariés à travailler avec beaucoup de liberté »… Rappelant que « l’entreprise ne peut pas être une démocratie » » (tout de même !) il a pris des « mesures pour encourager le bien-être(…) il a ouvert une salle de sieste équipée de poufs Fatboy »…

Cette surexposition médiatique des gâteries patronales ne relève pas seulement d’un aimable dérivatif (…) elle consacre aussi la ligne de démarcation qui structure le monde du travail. D’un côté, une aristocratie laborieuse dotée de bons revenus (…). De l’autre, les millions de sujets d’un marché du travail que l’on ne saurait même plus qualifier de salariat, tant y prolifèrent les statuts au rabais …La condition des trimardeurs de l’industrie des services se dégrade au même rythme que celle des « statutaires », pour lesquels le « bien-être au travail se résume souvent à l’espoir de ne pas sortir trop abîmés des techniques managériales mises en place pour les essorer. Dans les entreprises et services publics qui l’ont adopté, le lean-management (…) s’illustre moins par des massages de pieds que par des burnout en série…(à la Poste et dans les hôpitaux)(…) au CHI de Toulouse où quatre membres du personnel infirmier se sont donné la mort au cours de cet été…
Le Brexit et après… (suite)
Vers une nouvelle crise financière ?

Comme annoncé dans le précédent numéro, le Brexit n’est que l’une des formes que prend la crise du capitalisme financiarisé. Il n’est pas question, dans le contenu limité de cet article, de rendre compte de toutes les fragmentations, contradictions qui accompagnent le processus de délitement actuel qui parcourt le monde. Certes, ce qui occupe le devant de la scène, la fièvre nationaliste et xénophobe, les guerres et ce que l’on dénomme sous le vocable de terrorisme, sont dramatiques. Mais, de façon plus souterraine, l’état de l’économie financiarisée après la crise de 2007-2008 est tout aussi alarmant. Quoiqu‘on en dise, la crise est toujours là, les banques privées toujours malades ; quant aux banques centrales, tout comme les Etats, elles n’arrivent pas à la maîtriser, pire, elles aggravent pour partie le mal endémique du système, accentuant l’exacerbation des contradictions sociales. Les éléments d’analyse qui suivent se limiteront pour l’essentiel à la situation européenne.

1 – Des banques prives toujours malades

Dans sa dernière estimation - les fameux stress-tests - l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) déclarait à son issue que 51 banques sur 130, représentant  70% des actifs bancaires, sont défaillantes. 30% de leurs crédits sont « pourris », « le scénario catastrophe est toujours à l’ordre du jour ». Ce rapport n’a toutefois pas rendu publics les prêts défaillants. La Banque Centrale Européenne (BCE), échaudée peut-être par l’échec de cette institution l’ABE n’ayant pas détecté en 2010-2011 les failles des établissements bancaires irlandais et grecs au bord de l’implosion, a estimé, pour sa part, que 56 banques étaient défaillantes, dont 25 complètement « vérolées ». Les exemples qui suivent, en mettant sous le boisseau les plus connus (Grèce, Portugal, Chypre, Irlande(1), Autriche(2), indiquent l’ampleur du phénomène et les tentatives désespérées, voire désespérantes, pour y faire face.

Au Royaume Uni
On sait que la City est pratiquement la première place financière mondiale. Sans examiner l’état d’une banque particulière, mise à part la suppression de 3 000 postes à la Lloyds ainsi que la fermeture de 200 agences dans le pays, force est de constater l’effort (démesuré ?) de la banque centrale, la Banque d’Angleterre, pour sauver les banques privées(3) : injection massive de liquidités et, dernièrement, 70 milliards de livres en plus (82 milliards d’euros), ce qui porte la manne à 445 milliards de livres ; soutien aux banques en difficultés de 100 milliards de livres pour qu’elles puissent continuer à accorder des crédits notamment dans le bâtiment, l’industrie et les services ; rachat d’obligations (emprunts) d’entreprises pour un montant de 10 milliards. Et ça n’a pas l’air de suffire puisqu’il a été question d’imposer un taux  négatif pour les comptes d’épargne. Ce véritable racket des épargnants n’a pas eu lieu… sous prétexte euphémisant de la « peur d’effets pervers ». Le taux d’emprunt à la banque centrale, dit taux directeur, a été quant à lui baissé de 0,50 à 0,20%.

En Italie
360 milliards d’euros de créances douteuses accumulées dans ce pays. Le cas le plus emblématique, c’est Monte dei Paschi (MDP). Cette banque la plus vieille du monde créée en 1472, possèderait 27,7 milliards de crédits irrécouvrables, la BCE lui ordonnant de se débarrasser au plus vite de 9,2 milliards de crédits pourris. Pour ce faire (comme dans le cas de Daxia en France et en Belgique), une banque pourrie appelée « véhicule spécial »… accumulerait tous ces « déchets », en espérant à l’avenir pouvoir les recycler par la revente et… la spéculation(4). Pour avoir prêté à des PME désormais en faillite et de manière inconsidérée, cette banque chute dans un trou noir. Ses actions ont perdu 80% de leur valeur entre janvier et juillet de cette année et, au troisième trimestre, ses pertes nettes représentent 1,15 milliard d’euros. Le plan de sauvetage prévoit 5 milliards d’euros à trouver pour la renflouer, la suppression de 2 600 postes et la fermeture de 500 agences. Malgré tout, et au-delà de cet exemple, les classes dirigeantes européennes craignent la contagion de la crise bancaire italienne au reste de la zone euro. Mais « ça va mieux » comme dirait Hollande ! 

En Allemagne
La célèbre Deutsche Bank est au bord du gouffre. Cette banque mondialisée (plus de 100 000 salariés dont 4 000 en Allemagne) dont le bilan représenterait (virtuellement !) 58% du PIB du pays, est non seulement menacée d’une amende de 14 milliards d’euros par l’administration états-unienne et ce, pour « fraude » au sub-primes, mais elle est devenue, aux dires des commentateurs, « un énorme fonds spéculatif » dirigé par un « club d’arrogants », un « repaire de parieurs ». En fait, tout a commencé dans les années 80 de dérégulation financière, cette banque, fierté nationale, adoptant la culture anglo-saxonne néo-libérale, s’est lancée à la conquête de la bancocratie mondiale par les moyens de fusions-acquisitions (Morgan Grenfell anglaise, les Bankers Trust US), tout en se dotant de traders aux bonus mirobolants et afin de spéculer sur des produits financiers à risques. Avant même la crise trop d’investissements spéculatifs et de crédits hypothécaires US ont été revendus à prix d’or ; et puis ce processus s’est accumulé sous forme de manipulations sur les marchés des devises, du carbone et sur le taux interbancaire Libor. La rigueur allemande, cette illusion propagandiste, masquait la grande fraude systémique de la première banque allemande qui est l’objet de 7 000 litiges. L’abcès purulent du rapace a été crevé, des milliards d’euros dépréciés et des milliers d’emplois vont être supprimés. Mais, à vrai dire, la Commerce Bank n’est guère dans un meilleur état. Malgré l’entêtement rigoriste affiché par Merkel, on voit difficilement le gouvernement allemand rester passif face à l’insolvabilité potentielle de ses plus grandes banques. Quoique, élections obligent, il semble temps d’attendre… la catastrophe annoncée. 

2 – Mais que fait la BCE… tout ce qu’elle peut ?

Cette institution qui fait partie et doit soutenir la bancocratie européenne connaît une situation ambigüe. Les banques privées redoutent les exigences nouvelles, lui imposant la détention de fonds propres qui les bride, refusent la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement. Elles entendent continuer à utiliser l’argent des déposants pour spéculer. Elles s’opposent par ailleurs à la suppression des paradis fiscaux qui leur permettent, par l’intermédiaire de leurs filiales, de s’exonérer d’une imposition qu’elles jugent trop lourde. Elles réclament des liquidités pour se recapitaliser face aux pertes qu’elles ont subies à cause de leur propre cupidité. Elles s’effraient de voir leurs actionnaires les déserter au profit d’emprunts d’Etat peu rémunérateurs mais… plus sûrs.

La BCE, elle, fait tout ce qu’elle peut pour tenter de relancer les affaires, la fameuse croissance. Son taux directeur, les prêts qu’elle consent aux banques privées, a été ramené à 0%, comme pour dire aux banques privées, avec cet argent scriptural vous pouvez prêter à des taux bien plus avantageux. Las, les banques n’osent plus d’où leurs excédents qu’elles replacent à la BCE pour les faire fructifier. Las, la BCE s’est fâchée, désormais ces placements seraient inscrits à des taux négatifs pour les inciter à prêter plutôt qu’à thésauriser. Mais, hélas, ça ne marche pas ! Alors la BCE s’est lancée dans un programme dit ambitieux de rachat de dettes privées détenues par les banques puis par les grandes entreprises, et ce, excusez du peu, à raison de 80 milliards d’euros par… mois. Mais ce jusque mars 2017… enfin décembre, et puis, après, ce sera une réduction progressive de ces rachats. Elle a entrepris de fixer la liste de 175 multinationales qui peuvent en profiter dont AXA, TOTAL, LVMH, SANOFI, BMW, BASM, Daimler, La Poste, EDF… JC Decaux… Et pourtant, ceux-ci n’ont aucune difficulté à se financer auprès des marchés mais on espère, en haut lieu de l’expertocratie, que ce coup de pouce lucratif pourrait se diffuser sur les PME et sous-traitants qui se financent auprès des banques. L’objectif affiché est d’arriver à faire baisser le coût de financement des grandes entreprises, en espérant que cet effet dopant leur permettra d’accroître leur production et de gagner de nouveaux marchés… au détriment d’autres concurrents. Mais toutes les banques centrales mettent en œuvre cette même politique à somme nulle, sauf dégâts collatéraux de faillites et de concentration capitaliste. Objection ! Cette politique en Europe va faire baisser l’euro par rapport au dollar et donc diminuer le coût des produits importés… mais augmenter le prix des produits exportés : concurrence vous dis-je ! En tout état de cause, l’addiction à ces mesures et à l’argent facile rend la tâche de retrait difficile. Ces béquilles, si elles étaient ôtées, feraient remonter le coût des emprunts et mettraient encore plus en difficultés des pays comme le Portugal.  

Bref, face à la stagnation, la crainte de la récession, la mévente et la baisse des prix qui pourrait s’enclencher, il faut bien faire quelque chose monétairement parlant et même se réjouir d’une remontée du prix du pétrole pour augmenter un peu l’inflation et éviter la déflation catastrophique. Et Draghi, le monseigneur de la BCE, de tempêter : la BCE ne peut pas tout, c’est aux gouvernements de faire des réformes structurelles pour baisser le prix de la force des travailleurs, ces manants coûtent trop cher. Pas si simple pour les gouvernants !

3 – D’autres moyens pour tenter de juguler l’apparition d’une nouvelle crise ?

Certes, la BCE n’est pas responsable de tous les maux, même si ses interventions risquent d’aggraver le mal en provoquant l’éclatement de bulles financières au sein de cette institution. Face à la gravité de la situation on entend même des néo-libéraux entonner des chants keynésiens, les grands travaux, la hausse des rémunérations en Allemagne… mais l’appel aux Etats surendettés ne rencontre pour l’heure aucun écho. Pour la plupart, sauver une nouvelle fois les banques semble impensable au regard de leurs opinions publiques ou impossible vu leur situation financière. De nouvelles nationalisations temporaires ou des garanties d’Etat sont improbables pour l’heure. En France, pour ne prendre que cet exemple, la dette publique s’élève à 2 137,6 milliards d’euros, elle a doublé depuis 2002 pour atteindre 97,5% du PIB. Malgré la baisse du taux d’emprunt, les intérêts de la dette sont passés de 37 à 42 milliards d’euros.

Reste l’accentuation de la déréglementation pour relancer le commerce mondial. Les faillites récentes de sociétés de tankers et la concentration-absorption dans ce secteur inquiètent tout autant que le ralentissement chinois. Alors plus que jamais, pour l’Europe et l’Amérique, le Grand Marché Transatlantique (TAFTA), le CETA (Canada/UE) semblent la solution pour l’oligarchie occidentale. L’épisode wallon et l’espoir qu’il a fait naître, furent de courte durée. Pour Jean Claude Junker, président de la commission européenne, « il n’y a rien de changé, tout est affaire d’interprétation » comme l’assurance que la protection sociale ne serait pas affectée ou la possible clause de retrait si les produits agricoles européens venaient à en souffrir. Quant aux tribunaux d’arbitrage, ils ne seraient mis en place qu’après la période dite d’application transitoire ; Charles Michel, le premier ministre belge, a été encore plus catégorique « pas une ligne du traité n’a été modifiée ». Mais la messe n’est pas dite. Le Parlement européen donnera certainement son feu vert. La ratification des 28 parlements nationaux semble plus problématique car la mobilisation va s’amplifier. Le néo-libéralisme a désormais du plomb dans l’aile et nombreux sont convaincus que le CETA est le cheval de Troie du TAFTA étatsunien. D’autant que l’Union européenne a d’autres traités bilatéraux en instance.

Demeure également pour le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, la baisse drastique de la masse salariale : réduction du nombre de fonctionnaires, baisse des prestations sociales et des salaires. Tous s’y essaient en rencontrant plus ou moins des résistances défensives. Le recours aux mini-jobs, aux contrats courts, bref, à la précarité, semble une voie plus assurée car elle ne rencontre pas la même vivacité d’opposition syndicale dans un milieu atomisé. Quoique l’exemple des travailleurs détachés, cette concurrence entre nationaux et étrangers est venu buter sur les protestations syndicales. Cette forme de surexploitation occasionnant la baisse des salaires a profité aux capitalistes allemands (400 000 travailleurs détachés), français (229 000), belges (160 000). Le recours à des sociétés boîtes aux lettres loueurs de bras venus d’ailleurs provoquant de la sous-traitance en cascades, ce dumping social est devenu trop scandaleux. La vertu outragée de la Commission, face aux prétendus abus sur lesquels elle se voilait la face, l’a amenée à réagir. Un projet de révision de la directive de 1996 prévoit que ces travailleurs détachés, outre qu’ils devraient être payés au SMIC, pourraient prétendre à un treizième mois, à des anciennetés de carrière… voire à la prime de Noël. Tollé des  gouvernements croate, roumain, lituanien, lettonien, slovaque. Contre cette pudique avancée sociale annoncée, ils invoquent la subsidiarité (c’est à nous seuls de décider), prétendent que « leurs » nationaux sont stigmatisés. Ces nationalistes n’entendent pas que s’installent, à l’ouest, ces expatriés, y fassent venir leurs familles ce qui priverait ces pays et leurs dirigeants de précieuses devises qu’ils envoient à leurs familles. La paix sociale nationale est à ce prix. La Hongrie d'Orban compte 400 000 détachés expatriés ! C’est pas la veille que la directive de 1996 va être réformée.

Entretemps, les licenciements et la précarité s’amplifieront. Certains pensent que c’est la seule solution, il suffit de mettre au rencart définitivement les inaptes, les déclassés, les surnuméraires en leur laissant un revenu minimum, baptisé universel. Ainsi les prestations sociales et les administrations qui les servent seraient « dégraissées ». Ces libertariens gagnent du terrain idéologique (5), ils appuient d’ailleurs leurs propos sur le développement des nouvelles technologies.

Modernisation, vous dis-je ! Il y a bien sûr le recours à cette nouvelle économie dite collaborative où ceux qui gèrent les plateformes encaissent les dividendes des ordres qu’ils donnent à ceux qu’ils emploient sans aucune couverture sociale. Mais des autoentrepreneurs fictifs ont porté plainte. La condamnation de ces sociétés en Grande-Bretagne pourrait être un sérieux coup de frein à l’expansion de cette nouvelle forme d’exploitation(6). On envisagera peut-être demain que ces bricoleurs informatiques avaient un train de retard. Le mieux n’est-il pas de remplacer l’homme toujours rétif par la machine passive. Et c’est bien ce processus qui semble en marche aux USA. Remplacer l’homme par des algorithmes a d’abord frappé les cols bleus, désormais sont touchés les avocats, les comptables, les analystes financiers. Les camions sans conducteur sont apparus sur les routes du Nevada en 2015. Or, les sociétés de chauffeurs de camions sont les premiers pourvoyeurs d’emplois dans 29 Etats. D’après Andrew Stern, ex-président du syndicat des employés de services, 3,9 millions d’emplois sont menacés ainsi que plusieurs milliers dans les assurances, la réparation mécanique, la restauration… Autrement dit, la crise financière pourrait se conjuguer avec une crise sociale d’ampleur, voire une crise économique déstabilisant l’industrie. Des effets de déséquilibre entre le secteur de construction des moyens de production et de transport d’un côté et le secteur de production des biens de consommation de l’autre sont susceptibles d’affecter toute l’économie. Mais le pire n’est jamais certain.

<<<>>> 

Les éléments financiers et économiques relatés ci-dessus suggèrent qu’une crise financière de plus grande ampleur que celle de 2007-2008 pourrait survenir à tout moment. Le Brexit, dès qu’il sera mis en œuvre, sera-t-il une accélération ; la bulle immobilière dans ce pays ou en Chine sera-t-elle l’élément déclencheur ou s’agira-t-il des prêts-étudiants aux USA, voire l’effondrement des valeurs technologiques boostées jusqu’à la déraison dans leur mise en Bourse ? Il est pour l’heure impossible de répondre à ces questions d’autant que le système peut trouver des solutions provisoires pour différer, restreindre le cataclysme à venir. L’un des remèdes majeurs que nous avons évoqué consiste à surexploiter la force de travail employée qui appelle, contradictoirement, la résistance, la mobilisation des salariés. Toutefois, au-delà de cette lutte de classe, les surcapacités productives bridées par la difficulté à écouler les marchandises produites demeureront. En tout état de cause en effet, le fait d’injecter un tombereau de liquidités (de capital « fictif », ce que font les banques centrales et les banques privées avant la crise) repose sur une hypothèse des plus fragile. La finance introduite ainsi n’est en effet qu’un à valoir sur la richesse produite en fin de course. Le cycle emprunt-production-vente s’il n’est pas poursuivi jusqu’à son terme, produit inévitablement des dérèglements du système même si, en aval, la finance a pu de manière illusoire, ponctionner le capital industriel et le capital commercial.

D’autres phénomènes propres à ces dérèglements sont tout aussi inquiétants. Les résistances quant aux effets sur les corps sociaux, comme on le sait, peuvent prendre la forme de replis égoïstes, nationalistes et xénophobes, plutôt que de se concentrer, notamment, sur la réduction du temps de travail et la contestation radicale des castes politiciennes qui prétendent continuer à prôner des solutions contre le Bien commun. Crises financière, économique, sociale sont intimement liées. Encore faut-il y ajouter la crise écologique dont, d’ailleurs, nous ne parlons pas assez dans notre périodique.

Gérard Deneux, le 31 octobre 2016


(1)   Sont particulièrement sur le grill, Allied Irish Bank, Bank of Ireland 
(2)   En Espagne, Banco Popular et en Autriche, Raiffeisen
(3)   N’ayant pas accepté l’euro, le Royaume « Uni » dispose toujours de sa banque centrale et de banques privées émettant des livres.
(4)   Pour illustrer ce mode de recyclage, il suffit d’évoquer le cas de l’Espagne. Des villes vides, voire inachevées, ont pu être vendues à des résidents étrangers, Russes, Français… sans pouvoir éponger toutes ces créances.
(5)   Lire l’article d’Odile Mangeot sur ce thème, dans ce numéro
(6)   Cf encart L’économie « collaborative » sanctionnée



Encarts



La 5ème bulle dans la Silicon Valley ?

C’est ce que prévoit Stuart Graaler(1). Les plateformes numériques de services, Facebook, Twiter, Uber, Airbus ont des valorisations boursières hors de toute proportion raisonnée. Twiter, par exemple, déficitaire de 470 millions de dollars en 2014, a creusé ce trou à 1,27 milliard au 1er trimestre 2016. Uber Chine, quant à lui, s’est effondré après une perte d’un milliard par an. Ce système de valorisation repose sur l’espoir de profits mirobolants à venir, mais, désormais, les « investisseurs » boudent devant la poule qui ne pond pas les oeufs d’or attendus. Serait-ce une bulle comme celle d’internet en 2000 à la puissance démultipliée ? L’indice Nasdaq qui relatait cette montée en puissance de ces valeurs a également mesuré leur effondrement : 78% de perte en 30 mois ! Pour l’auteur, le monde numérique porté par des start-up, valorisé jusqu’à la démesure par des stock-options n’est qu’une pyramide de Ponzi d’un nouveau genre.
(1)   Le Monde du 27.10.2016  


L’économie « collaborative » sanctionnée !

Sous cette appellation se dissimulent des plateformes numériques, loueuses de bras, en l’occurrence des chauffeurs dits autoentrepreneurs. Sauf qu’à l’issue d’une plainte de deux chauffeurs londoniens, le tribunal en a jugé autrement. L’entreprise californienne qui sévit au Royaume-Uni, elle qui est valorisée en Bourse à hauteur de 62 millions de dollars, emploie 30 000 chauffeurs Uber, rien qu’à Londres. Elle devrait, au terme du jugement, payer salaire minimum, prendre en charge les cotisations patronales, les congés, instituer des pauses régulières. Et régler le fisc. La firme a fait appel, prétextant que « ses » chauffeurs ne sont pas ses employés mais des clients auxquels elle vend des services. Qui plus est, elle n’est pas britannique, son entreprise est enregistrée aux Pays-Bas et ne doit rien au trésor britannique… Le juge a pourtant démonté cette fiction juridique : ces soi- disants autoentrepreneurs rémunérés 5,60 livres par heure, loin du salaire minimal fixé à 7,20 livres, ne peuvent développer « leur » entreprise. Les contrats qu’ils signent avec Uber, outre leur caractère ésotérique propre à la novlangue, sont des contrats de louage de main d’oeuvre. Ainsi, le licenciement, détourné de son sens, devient une « désactivation », ou une « déconnection » si le « client-chauffeur » refuse 3 courses prescrites. Quant à l’embauche, elle n’est qu’un enrôlement volontaire. Ces autoentrepreneurs à qui on dicte des ordres ne connaissent ni leurs clients, ni le prix de la course et comme de « vulgaires » exécutants doivent suivre l’itinéraire prescrit.
Pour les syndicats qui ont soutenu les deux chauffeurs londoniens, l’affaire est d’importance pour les 450 000 chauffeurs qui, à travers le Royaume-Uni, dépendent de 9 entreprises du même type qu’Uber. Ils s‘attendent toutefois à une longue bataille judiciaire dans ce pays jusqu’ici, champion du  néolibéralisme.