Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 24 octobre 2016

Le Brexit et … après

De quoi le Brexit est-il le symptôme ? Assiste-t-on à la défaisance de l’Europe libérale ? La montée des nationalismes et de l’extrême droite semble confirmer cette tendance du pire. La crise de 2008, contrairement à ce que claironnaient les castes politiciennes, n’a pas été résorbée. Elle est, de fait, en passe de se transformer en crise sociale profonde dont les effets délétères n’ont rien d’émancipateur. En tout état de cause, au vu de la situation au Royaume-(des)Uni, l’euro n’est pas en cause même s’il provoque des dégâts dans les pays les plus faibles.

Il convient d’abord de revenir sur l’arrogant pari du 1er Ministre Cameron, appelant les Anglais à se prononcer pour ou contre la sortie de l’Union européenne. Ensuite, il y a lieu de souligner les conséquences du Brexit pour les Anglais eux-mêmes et leur caste politique, minée de ses contradictions internes, reflet des dégâts sociaux qu’ils ont provoqués. Enfin, le Brexit n’est que l’une des formes que prend la crise du capitalisme mondial. C’est ce qu’il conviendra d’illustrer.

Le pari arrogant de Cameron

Face à la crise de 2008, les conservateurs au pouvoir, après avoir promis de la « compassion pour les pauvres », ont mené une politique d’austérité drastique, réduisant les allocations sociales, sabrant les dépenses budgétaires, développant la précarité du travail (contrat zéro heure), tout en déversant des cadeaux fiscaux pour les riches. Les inégalités sociales et géographiques ont explosé, aggravées encore par la concurrence effrénée entre travailleurs, y compris « ces étrangers » venus de l’Union européenne et tous ces exilés qui se pressent à la porte de Calais et parviennent à la forcer. Quant à la City et tous ses spéculateurs, ils ne se sont jamais mieux portés et prétendent toujours assurer leur prédominance malgré la désindustrialisation qui affecte « leur » pays. La hausse des prix de l’immobilier, à titre d’exemple, est révélatrice. La dette moyenne des propriétaires de logement est de 82 525 euros, soit le double de celle de l’UE. A Londres, les prix ont grimpé de 113% entre 2013 et 2015, de plus de 63% sur l’ensemble du territoire.

Malgré tout, Cameron, en 2014, pouvait se vanter d’avoir évité la sécession de l’Ecosse (55.3% de Non à l’indépendance), tout comme d’avoir contenu les velléités du Pays de Galles (62%). Mieux, en 2015, son succès inespéré aux législatives lui permettait de se passer des (ultra)libéraux. C’était sans compter avec la montée de l’UKIP xénophobe et nationaliste, les divisons des conservateurs et le réveil du travaillisme avec Jérémy Corbyn. Ces contradictions internes à la classe politique n’étaient que le reflet déformé d’une colère montante que le scrutin à un tour et le poids des médias ne pouvaient exprimer.

Tout en surfant sur les crispations nationalistes et xénophobes, Cameron, l’apprenti sorcier, fit pression sur l’Union européenne pour plus de libéralisme et fut autorisé à supprimer les droits sociaux sommaires versés aux immigrés européens, et ce, pendant plusieurs années. Il s’agissait, pour les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, de lui donner des gages pour engager la campagne du référendum en faveur du maintien dans le marché européen. Ce ne fut pas suffisant au grand dam de la City persuadée que le Oui à l’Europe l’emporterait. Il faut dire que la campagne référendaire fut particulièrement affligeante démontrant, si besoin en est, la décrépitude des dirigeants des partis dominants : surenchère sécuritaire et anti-immigré et démagogie outrancière. Le pompon du graveleux est sans conteste à attribuer à Boris Johnson qui assimila les réglementations européennes à de la nazification, traitant Obama de moitié kényan, comparant Hillary Clinton à l’infirmière sadique d’un hôpital psychiatrique et, summum, insulta Erdogan « ce branleur fantasque », pour finalement avouer récemment qu’il avait souhaité que le maintien dans l’UE fut obtenu « d’un cheveu ». Bref, dans cette ambiance pestilentielle, le pari de Cameron de ressouder le parti conservateur fut perdu, ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’officialisation de son départ, de s’éloigner en sifflotant. Cet arrogant immature a donc quitté la scène publique. Quant au parti travailliste, il est au bord de la scission. La caste des élus n’a pu admettre les réticences des militants et de Corbyn à s’enthousiasmer pour l’Europe financiarisée. Le nouveau leader du parti, qui a le soutien des centrales syndicales et des jeunes, se trouve confronté au comité exécutif qui entend le destituer et passer outre les 130 000 nouvelles adhésions depuis le référendum. Il vient de décider d’une nouvelle élection du président du parti en lui opposant le prétendant Owen Smith, tout en interdisant de vote tous ceux qui n’auront pas cotisé 25 livres dans les deux jours… à compter de la décision prise à cet effet. Mais l’histoire n’est pas écrite pour autant. Reste que la caste d’élus sur la ligne de Blair juge que pour se faire réélire, rien ne vaut l’optique libéralo-européiste ! (1)

Le Royaume-(des)Uni, déchiré, voire ingouvernable

Celle qui a succédé à Cameron, Thérésa May, tient d’abord à faire oublier ses penchants pro-UE, sa vision libérale en faveur de la City et sa xénophobie latente. Avant d’être élue elle faisait carrière dans la banque, son époux est d’ailleurs un financier et, comme le ministre de l’intérieur du gouvernement précédent, elle était partisane d’une rupture avec la convention européenne des droits de l’Homme qui empêchait certaines expulsions. Plus fondamentalement, il s’agit pour elle désormais de rassurer l’électorat et d’éviter l’implosion du parti conservateur. Et de faconde démagogique, elle n’en manque pas. Elle affirme vouloir « gouverner non pour quelques privilégiés » mais pour « ceux qui ont perdu la maîtrise de leur vie ». Il faudrait relâcher l’austérité et prôner l’interventionnisme d’Etat pour éviter de céder les fleurons industriels qui restent et, en 2020, tout serait réglé, les « injustices criantes » résolues. C’est avouer que le Royaume est le plus inégalitaire d’Europe et que l’ultralibéralisme prôné par Boris Johnson et d’autres ne serait plus de saison. Bref, le vœu de la City d’être la grande Singapour de l’Europe, pratiquant le dumping fiscal tout en ayant recours aux paradis fiscaux, serait enterré. Elle annonce également une réforme scolaire pour « offrir de meilleures chances aux gens ordinaires issus de la classe ouvrière » et la suppression des examens d’entrée ultra-sélectifs dans les établissements réservés à l’élite, instituant une ségrégation dès l’âge de 11 ans. Pour le reste, les écoles et universités transformées en entités privées, dirigées par des chefs d’établissement et leurs sponsors, elle reste muette.

Tout ça  c’est pour la galerie d’autant que son cabinet composé de Brexiteurs et d’anti-Brexiteurs, y compris le charlatan Boris Johnson nommé ministre des affaires étrangères, risque de compliquer sa tâche œcuménique,. Alors, Brexit hard ou Brexit light ? Un think tank européen vient déjà au secours de cette lutte fratricide en proposant l’accès libre au marché européen, assorti de quotas d’Européens et de la soumission aux règles européennes tout en ayant le droit de proposer des amendements. Tout cela pourrait très bien convenir au patronat et à la City, le premier tient à pouvoir surexploiter la main d’oeuvre étrangère, la seconde ne peut envisager de n’avoir plus accès au marché des capitaux européens.

Pour l’heure, c’est la valse-hésitation qui pourrait durer jusqu’en 2020 ( ?). En effet, la classe dominante émet de fortes réticences à transformer le résultat du vote référendaire en action. La question qui demeure, pour elle, est de savoir comment toujours bénéficier du marché européen, tout en en n’étant plus membre ! L’UKIP souverainiste d’extrême-droite, dont le slogan « Reprenez le contrôle » signifie ne plus dépendre des institutions européennes, a de quoi crier au scandale si, subrepticement, le Royaume Uni conservait un pied dedans. Les tensions ne peuvent donc que s’exacerber, raison pour laquelle le cabinet britannique tarde à activer l’article 50 du traité européen, permettant à la procédure de rupture et de négociation de s’enclencher. D’autant que l’Ecosse entend demeurer dans l’UE, l’Irlande du nord en bénéficier, tant et si bien que surgit le débat sur l’unification de l’Irlande afin de rester dans l’UE. Et c’est sans compter sur Gibraltar, cette enclave coloniale en terre espagnole. Outre ces intérêts divergents des classes dominantes, un climat délétère suscité par la campagne référendaire s’instaure. La chasse aux Polonais semble ouverte. Ils sont 800 000 et subissent un climat d’hostilité et des agressions physiques. Les actes xénophobes sont en progression (+ 42%) et l’on dénombre plus de 3 000 plaintes. A Harlow situé à 50 kms de Londres, plusieurs centaines de Polonais ont manifesté leur indignation mais ne peuvent contrer, à eux seuls, l’accusation de faire baisser les salaires et de faire concurrence aux natifs. Pour l’heure, les syndicats semblent impuissants à enclencher la riposte solidaire. Le Royaume se fragmente tout comme l’Union européenne.   

Désunion et défaillances de l’Europe

Ce qui se passe au-delà de la Manche amène à constater que l’euro, contrairement à ce que certains avancent, n’est pas la seule cause des contradictions qui minent l’Union européenne. Certes, on est loin de la zone de prospérité promise. En fait, l’euro n’a fait qu’exacerber les différences entre pays, en rendant impossible la dévaluation monétaire en cas de difficultés, afin de redynamiser l’exportation. L’euro c’est un marché libre où le plus fort l’emporte d’autant qu’aucune mesure n’a été prise pour harmoniser cet espace concurrentiel, bien au contraire. Pas d’homogénéisation fiscale, sociale, ni de mutualisation des dettes. Face à la concurrence entre systèmes sociaux différents, ne restait en cas de « problème » que l’ajustement à la baisse des salaires directs et indirects, bref, pour le dire autrement, l’accroissement du taux d’exploitation des classes ouvrières et populaires,  le chômage agissant dans le même sens. Ajoutons à ces facteurs l’absence de budget européen et l’austérité budgétaire renforcée après la crise de 2008 et, donc, l’impossibilité d’investissements publics, aggravée par l’endettement des Etats suite au renflouement des banques. Dans le cadre du système capitaliste, le repli nationaliste a pris de l’ampleur, exploité qu’il fut par les forces d’extrême-droite. Les guerres suscitées au Moyen-Orient et l’afflux des exilés qu’elles occasionnent, ne pouvaient que renforcer cette tendance mortifère en l’absence de réel mouvement social de rupture. Les accommodements dérisoires n’ont provoqué que le recul de ceux qui semblaient les prôner, à savoir les forces politiques et syndicales acquises au social-libéralisme.

Plus fondamentalement, ce qui est observable, ce sont les contradictions entre les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE et les révélations sur l’affairisme qui gangrène les institutions européennes.

En effet, les eurocrates comme les conservateurs anglais n’ont pas anticipé le Brexit, assurés qu’ils étaient que le Oui à l’Europe tant vantée l’emporterait. Face à la colère instrumentalisée qui monte, ils sont eux-mêmes divisés et affaiblis. Hollande supplie Merkel (qui ne veut rien savoir) de discuter d’une relance même des plus modestes. Le moteur franco-allemand, malgré les apparences, est durablement grippé. Merkel se heurte à la fois au SPD voulant mettre un frein à l’austérité qui érode sa base électorale, et à l’extrême-droite l’AFD qui surfe sur la xénophobie ; elle en sort fragilisée au sein de son propre parti, CDU-CSU. Quant à l’Italien Matteo Renzi, interdit de donner des ingrédients au moteur hoquetant franco-allemand, il peste : « l’austérité européenne a échoué » : non seulement l’endettement de l’Etat est à son comble, mais une crise bancaire pointe. Et pour ne rien arranger à la situation, son parti, le PD, bascule dans l’euroscepticisme, affronté qu’il est à la montée de la Ligue du Nord et au mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo. Enfin, malgré les trémolos humanistes, l’Italie subit come la Grèce le choc migratoire et les égoïsmes nationaux, lui enlevant tout espoir d’une véritable solidarité européenne. Les exilés affluent, 4% de plus qu’en 2015, malgré la mortifère mer Méditerranée où, depuis le 1er janvier, 127 000 morts ont été répertoriés.

Quant aux pays de l’Est, non seulement ils récusent les institutions européennes, mais ils s’allient pour les contester avec des relents fascisants. Le groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie), opposé à l’immigration, revendique plus de souveraineté des Etats, prétendant qu’en dernier ressort, ce sont les parlements nationaux qui doivent décider. Pire, comme tétanisés, ceux qui prétendent au leadership de l’Europe ne trouvent rien à redire lorsque le ministre hongrois de l’éducation et de la culture décore de la croix de chevalier de l’ordre ( !) un antisémite notoire : Zsolt Bayer, journaliste, est un spécialiste des appels à la haine contre les Roms, « ces animaux qu’il faut éliminer », contre les Juifs qui « mouchent leur morve dans les piscines » car il faut bien « libérer la race européenne blanche et chrétienne ». Quant à son maître Victor Orban, il a réhabilité pour l’histoire révisionniste, Horthy, cet allié zélé d’Hitler. Bref, l’Europe du règne des transnationales et de la finance sous l’égide austéritaire de l’Allemagne part en quenouille. La fragmentation est en marche, actuellement, pour le pire. Cette crise politique dite de gouvernance risque d’ailleurs de s’accentuer dans les prochains mois. Hollande risque de valser, Merkel elle-même voit son avenir politique compromis, Renzi joue sa survie à l’automne lors du référendum constitutionnel. Les Pays-Bas connaissent une poussée de l’extrême-droite qui ne se dément pas ; depuis 10 mois, l’Espagne est sans gouvernement et l’Autriche risque d’avoir un président d’extrême-droite. Les discordes européennes ont de beaux jours devant elles.

Quant à la commission européenne et à son président Junker, ils demeurent impuissants malgré de menues propositions que personne ne veut entendre : création de 200 ( !) gardes-frontières en Bulgarie, un plan d’investissement de 315 milliards portés à 500 milliards d’ici… 2020. Et le FMI, l’OCDE l’appuient en recommandant une augmentation des investissements publics en faveur des infrastructures. Mais l’Allemagne, rivée à l’orthodoxie budgétaire, ne veut rien savoir, les dettes des Etats doivent être remboursées, les créanciers ne sauraient souffrir. C’est que les banques allemandes mêmes sont en grande difficulté. La Deutsche Bank se voit sommée par le ministère de la justice US de payer une amende de 12.5 milliards d’euros pour des malversations sur le marché immobilier étatsunien. Si cet établissement des plus systémiques devait faire défaut, un effet domino s’ensuivrait sur l’ensemble du système financier international. Autrement dit, contrairement aux apparences, la crise de 2008 pourrait rebondir.

En tout état de cause ce qui affaiblit encore plus cette Europe oligarchique auprès des populations, c’est son affairisme. Les politiciens qui prétendent la diriger sont aussi cupides que les actionnaires et financiers dont ils ne sont que les serviles laquais prêts à tout pour s’enrichir  encore plus.   

Après bien d’autres, les affaires Barroso et Neelie Kroes : s’agissant de la seconde, nous n’en dirons pas plus qu’en précisant que cette commissaire européenne à l’énergie travaillait en sous-main pour un groupe résidant dans un paradis fiscal pour racheter à bas coût les actifs d’entreprises en faillite comme Enron. Quant au premier, celui qui a cédé sa place à Junker le luxembourgeois qui a fait de son pays un paradis fiscal, il s’en va benoîtement travailler avec son carnet d’adresses pour Goldman Sachs, cette banque US qui a maquillé les comptes de la Grèce. Il est recruté, n’en doutons pas, pour obtenir que la City de Londres, malgré le Brexit, puisse obtenir un « passeport européen » pour les capitaux qui y sont basés. Et que lui reprocher ? Il a respecté la règle dite de « refroidissement » de 18 mois avant de se faire embaucher. Il a accepté de ne toucher pendant cette période que 40% de son ancien salaire de président de la Commission, soit la modique somme de 15 000 euros par mois. Certes, sa retraite après 10 ans de service n’est que de 200 000 euros annuels, quoiqu’il ait réussi par ailleurs depuis son départ à cumuler 22 fonctions dont on ne retiendra ici que l’enseignement ( !), la culture, la direction de l’Opéra de Madrid, le siège au sein du groupe Bilderberg où il retrouve les magnats de l’industrie et de la finance mondiales. Ainsi va l’oligarchie mondialisée à laquelle il appartient. Il soutient qu’on lui fait un mauvais procès discriminatoire et n’a que faire de la pétition de 140 000 signataires contre lui. Son compère Junker a bien eu du mal à le protéger du scandale public. Restent les règles européennes opaques pour enterrer l’affaire après ces remous intempestifs. Le Comité d’éthique, secret, nommé par le président, examinera et rendra un avis confidentiel. Quant à oser porter l’affaire devant la Cour de justice européenne, encore faut-il l’accord unanime et conjoint de la Commission et du Conseil européens. Parions qu’il ne sera pas privé de son droit à pension…

Fragmentations, contradictions, fièvre nationaliste et xénophobe, affairisme et connivences, ainsi va l’Europe telle qu’elle s’est construite ; mais on ne peut en douter, pour les peuples, le cauchemar n’en finira pas tant que ne surgiront pas des forces radicales de transformation sociale et de rupture avec ce système. Pour l’heure on est loin du compte. D’ailleurs le Brexit n’est que l’une des formes que prend le processus de crise mondiale du capitalisme. Ce sera l’objet d’un prochain article.

Gérard Deneux, le 27.09.2016 


(1)   On vient d’apprendre que Jérémy Corbyn a été réélu avec une forte majorité de plus de 61% dépassant le score de 59% qu’il avait obtenu en 2015