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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 23 décembre 2015

Syrie. Irak. Afghanistan…
Vers l’extension du domaine de la guerre ?
2ème partie

L’article qui suit (comme celui paru sur le même thème dans PES n° 18) a été rédigé le 8 novembre 2015. Les évènements qui se sont produits depuis, confirment bien que nous sommes dans une séquence d’extension du domaine de la guerre. Ils n’infirment pas non plus la pérennité des deux coalitions (russe et états-unienne) qui ont contribué et favorisé la perpétuation des conflits dans cette région du monde.

En effet, malgré les tentatives de Hollande/Le Drian, la grande alliance contre l’Etat Islamique, ennemi principal, semble un mirage. D’ailleurs, la reconduction des sanctions contre la Russie tend à le prouver. Il n’en demeure pas moins que l’objectif affiché par les Etats-Unis, de fracturer l’appareil d’Etat syrien, pourrait ouvrir une brèche dans l’aléatoire possibilité de sortir de la guerre menée contre le régime de Bachar Al Assad. Cette issue semble, pour l’heure, inatteignable. En outre, dans cette perspective, des groupes islamistes » pourraient rejoindre les rangs de l’EI.

Les attentats meurtriers au Liban, au Sinaï, à Paris et les réponses liberticides apportées, surtout en France, démontrent que le piège de Daech fonctionne : diviser les populations occidentales selon leurs confessions, répandre la peur, le racisme et la haine, acculer les puissances occidentales à intervenir militairement encore plus massivement contre le califat en espérant rallier ainsi d’autres populations sunnites dans le monde, y compris en Asie. D’ailleurs, la situation est à cet égard des plus préoccupantes en Malaisie. Au demeurant, c’est d’abord l’extension de l’EI en Libye et en Afrique qui inquiète les puissances occidentales, leurs alliés et leurs subordonnés.

En outre, la pénétration unilatérale de l’armée turque en Irak, aux côtés des Kurdes irakiens et ce, sans  autorisation du gouvernement irakien, démontre bien que la coalition occidentale hétérogène risque à tout moment d’éclater tout en aggravant les contradictions entre l’Iran et la Turquie, et au sein même de l’OTAN dont fait partie la Turquie.

Enfin, au Yémen, la guerre meurtrière, menée par l’Arabie Saoudite qui a envahi ce pays et formé à cet effet une coalition avec les pays du Golfe, connaît un tournant dramatique : des hôpitaux bombardés, une concurrence mortifère entre Al Qaïda et les partisans de l’EI aboutissant à des attentats contre les membres de la clique qui prétend revenir au pouvoir. Quant aux Houthistes et d’autres, ils résistent toujours… Tant est si bien que les Emirats Arabes Unis ont décidé de se désengager militairement de ce bourbier, obligeant les Saoudiens à recourir à des mercenaires venus de nombreux pays. Bref, de recourir à la diplomatie guerrière du carnet de chèques…

Sans qu’il faille réviser en quoi que ce soit l’analyse qui suit, et comme souligné par les discussions qui ont eu lieu au sein du comité de réalisation à ce sujet, il conviendrait de revenir sur l’origine, la nature et l’exacerbation du conflit à caractère confessionnel, entre chiites et sunnites, et sur les possibilités de faire émerger un régime syrien sans Bachar Al Assad, même si cette hypothèse n’est, pour l’heure, qu’un leurre.


La stratégie des Etats-Unis après les « missions » guerrières dévastatrices

En Somalie, en Afghanistan et en Irak, elle a consisté à « pivoter » vers l’Asie et à se confronter avec la Chine. C’est le sens qu’il convient de donner à l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste pour ne plus dépendre de son allié encombrant qu’est l’Arabie Saoudite, suivie des Etats du Golfe. Il en est de même des négociations poursuivies avec succès du Traité Trans-Pacifique. Pour autant, la surpuissance américaine ne pouvait pas totalement se désintéresser du sort chaotique du Moyen Orient : tout en se tenant à distance du charnier syrien, Washington entendit affaiblir suffisamment le régime de Bachar Al-Assad pour imposer un pouvoir d’obédience sunnite avec l’accord d’une fraction de l’appareil d’Etat syrien. Il s’agissait dans cette hypothèse de ménager les intérêts de l’Arabie Saoudite et de la Turquie, tout en affirmant la rhétorique des  « lignes rouges », l’utilisation des armes chimiques. La reculade sur les bombardements au gaz asphyxiant fut rendue acceptable avec l’accord du démantèlement des armes chimiques proposé et organisé par les Russes. Pour Obama, il n’était pas question d’envahir la Syrie avec des GIs, mais de continuer à utiliser les différentes fractions rebelles comme chair à canons pour affaiblir Assad. La même stratégie prévalait en Irak contre l’EI. A l’automne 2011,  Obama, contre Hillary Clinton, la CIA et le Pentagone avait, en effet, imposé cette ligne dans son refus d’apporter un soutien militaire direct à la rébellion. Les Saoudiens, les Turcs devaient s’en charger. La détérioration de la situation militaire, suite à la progression de l’Etat Islamique, la détermination des Kurdes syriens et surtout l’intervention russe allaient modifier quelque peu cette orientation, tout comme l’accord nucléaire avec l’Iran. L’Armée Syrienne Libre fut dotée d’armes antitanks mais toujours privée de missiles sol-air contre les avions et hélicoptères syriens. Ce pari cynique repose à la fois sur la certitude supposée que les Russes vont s’embourber en Syrie et qu’en définitive, l’économie russe en récession ne pourra pas supporter l’effort militaire qui lui est imposé.  Cette vision à plus ou moins long terme qui espère la déstabilisation interne, tant de la Russie que de l’Iran, semble négliger plusieurs facteurs. L’état de guerre renforce pour l’heure les pouvoirs de Poutine et des mollahs. Il sous-estime la virulence des affrontements qui renforce les forces de l’Etat Islamique qui déstabilise tous les régimes d’obédience sunnite, soutenus vaille que vaille par les USA. La récente prise de Kunduz par les Talibans, la réaction démesurée de l’aviation américaine en sont la preuve (cf encart Kunduz). La décision de renoncer le 15 octobre au retrait des troupes US d’Afghanistan, prévu pour janvier 2017, augure-t-elle un changement de stratégie ? A quoi servent les 9 800 GIs présents s’ils se voient interdire de patrouiller, si 5 500 d’entre eux restent cantonnés sur quatre bases : Bagram, Kaboul, Kandahar, Jalalabad ?

Le soft Power semble avoir atteint ses limites d’autant que l’engagement russe risque de lui tailler des croupières. D’où la deuxième décision d’engager, outre les 3 000 conseillers US en Irak, des troupes spéciales sur le terrain. La voie de la confrontation-concurrence-arrangement avec l’impérialisme russe est ouverte. Pouvait-il en être autrement alors même que la coalition hétéroclite dirigée par les Etats-Unis contre l’EI ne permet aucun résultat tangible et ce, malgré 7 000 « frappes » qui n’ont permis aucune victoire sur le terrain. Les millions de dollars engloutis ont suscité la corruption généralisée du régime irakien et permis l’entrée en force des Iraniens encadrant des milices chiites. Il est désormais probable, dans l’hypothèse d’une montée en puissance des Russes et des Iraniens dans cette région, que les faucons US reprennent langue au Pentagone et ce, avant même la présidentielle américaine prévue le 20 janvier 2017.


Les alliés encombrants d’Obama


Des voix s’élèvent, en Occident, pour affirmer que l’Iran serait, de fait, une force stabilisatrice dans la région du Golfe et, qu’en définitive, il conviendrait de transférer la responsabilité du chaos sur l’Arabie Saoudite. Cette « petite musique » qu’accompagnent les visites de députés français à Damas, prêts à pactiser avec le tyran, la visite à Moscou du vibrionnant Sarkozy, annoncent-elles un basculement géostratégique ? Pas si sûr. En fait, cette agitation révèle plutôt la déception occidentale vis-à-vis du « grand frère » américain, incapable de maîtriser la situation chaotique que son pays a provoquée au Moyen-Orient. C’est plutôt un sauve-qui-peut impuissant face à la vague des migrants qui fuient les guerres et aux menaces d’attentats djihadistes en Europe. Ceci n’empêche nullement les dirigeants européens, France et Allemagne en premier lieu, de vendre des armes à l’Arabie Saoudite, à l’Egypte… Quant à Hollande et Cie, depuis qu’il s’est transformé en pleureuse du « lâchage américain un samedi soir de la fin août 2013 », alors qu’il espérait monter à l’assaut de la Libye, il semble en retard d’une guerre. « Ni l’EI, ni Bachar », c’est dépassé. C’est avec Bachar contre l’EI qui a le vent en poupe. Ceci dit, Obama comme l’OTAN ont des alliés bien encombrants. Mises à part l’Union Européenne inexistante, l’Allemagne sur la réserve, la France, plus ou moins sur la touche, entend toujours être de la partie.


La France de Hollande et autres Valls, Fabius, Le Drian

Tout semble indiquer que la politique suivie prône le retour des faucons à la Maison Blanche et mise sur la perpétuation de la guerre au Moyen-Orient pour faire des affaires, tous azimuts. Hollande, le frustré d’une guerre, celle qu’il s’apprêtait à faire en Syrie, s’est précipité pour reconnaître la peu fiable «coalition nationale syrienne » comme « seul interlocuteur légitime » anticipant ainsi l’effondrement rapide du régime de Bachar Al-Assad. Peine perdue ! Lorsque l’Arabie Saoudite a envahi le Yémen, Hollande s’est ingénié à renforcer l’armement de ses amis les wahhabites, ceux qui exportent la vision la plus régressive de l’islam et sont les coproducteurs involontaires des terroristes de l’EI : 30 patrouilleurs pour 600 millions d’euros, des missiles de courte portée, 4 satellites espions, pour 3 milliards, plus des matériels militaires qui seront livrés à l’armée libanaise. Ce va-t-en-guerre pour l’industrie de l’armement française en fut chaleureusement remercié. Il fut le seul chef d’Etat occidental à participer au Conseil de Coopération du Golfe, cette coalition qui met à feu et à sang le Yémen (5 000 morts dont la moitié de civils, 25 000 blessés, des hôpitaux bombardés). Ce nouveau Guy Mollet reste aveugle face aux exactions perpétrées par ce régime : les tortures pratiquées, l’oppression de la minorité chiite, les peines de mort précédées de flagellations et pratiquées par décapitation et crucifixion en place publique, ne l’affligent pas. En représentant de l’impérialisme français, il prétend tirer les marrons du feu de ces guerres meurtrières. Les sanctions contre l’Iran à peine levées, en bon VRP, il s’est précipité, avec sa suite, afin d’y faire du business. Les volte-face incohérentes ne le perturbent pas : en première ligne derrière les USA pour bombarder l’EI en Irak, affirmant « ni l’EI ni ASSAD » et puis prétendant à la « légitime défense » pour frapper en Syrie, il perturbe « l’ami américain » qui entend bien marginaliser ce prétendant à un nouveau partage d’influence au Moyen-Orient.

L’Arabie Saoudite

Le royaume wahhabite a pu espérer affaiblir l’Iran, le Hezbollah libanais et se débarrasser de Bachar El-Assad. La fourniture d’armes aux « rebelles » syriens et leur unification partielle dans « l’armée de la reconquête » pouvait lui assurer le proche effondrement du régime syrien. L’intervention russe change la donne, tout comme leur enlisement au Yémen. La perte d’influence sur les populations sunnites est indéniable. En Irak d’abord, où elles furent marginalisées par les chiites sectaires au pouvoir et ensuite par la domination de l’EI sur toute une partie de ce territoire. Après la répression des Frères musulmans en Egypte, les tentatives de réconciliation avec le Qatar n’ont pas refermé les plaies. La Turquie conteste également cette hégémonie « religieuse » pour y substituer une vision ottomane plus « moderne ». Plus fondamentalement, le pouvoir wahhabite est affaibli. Le prix bas du baril de pétrole pour concurrencer le pétrole de schiste américain fut non seulement une impasse mais a surtout provoqué des difficultés économiques que l’on pensait hier improbables. Le pouvoir qui, pour la première fois de son histoire, accuse un déficit budgétaire a dû rapatrier 70 milliards de dollars placés à l’étranger. Qui plus est, des divisions internes entre princes saoudiens fragilisent ce pouvoir despotique aux abois. La corruption de la famille des Saoud laisse augurer des luttes de clans fratricides. Le cri d’alarme du petit-fils du fondateur du régime est à cet égard significatif : « nous approchons de plus en plus de l’effondrement de l’Etat et de la perte du pouvoir ». Comme signes d’Allah,  l’effondrement d’une grue sur la mosquée de la Mecque (plus de 100 morts) puis la tragédie sur les lieux saints à l’occasion du ramadan (1 849 morts) semblent donner raison à Téhéran comme à tous les djihadistes d’Al Qaida à l’EI, le régime saoudien a failli face aux mécréants.

Comment réagir à l’intervention russe qui vise surtout « l’armée de la reconquête » et l’Armée syrienne libre ? S’incliner c’est nourrir la légitimité de l’EI, s’en accommoder en espérant que la Russie diluera l’influence de l’Iran en Syrie est un pari douteux, justifiant les attentats en Arabie Saoudite et c’est se heurter aux religieux qui prêchent le djihad au sein même du royaume. Et les pétrodollars ne peuvent pas tout. A preuve le retournement d’Al Sissi l’Egyptien, malgré les 3 milliards de dollars fournis pour payer les commandes de matériels militaires russes et l’acquisition des navires Mistral dont la France s’est débarrassée. Reste le deal alléchant proposé à Poutine : la commande de 950 véhicules de combat d’infanterie, la promesse d’investir 10 milliards en Russie pour affaiblir les sanctions européennes contre le relèvement du prix du baril de pétrole et un droit de regard sur les livraisons d’armes à l’Iran. Ce jeu de poker menteur révèle surtout la fébrilité du roi Salman, traité par certains de ses proches « d’incapable ». Plus généralement, ce sont toutes les monarchies du Golfe qui sont désormais sur la sellette de l’Histoire.

La Turquie d’Erdogan

Sa stratégie initiale a volé en éclats. Se présentant comme l’influence substitutive à l’Arabie Saoudite pour incarner l’aile à la fois conservatrice et moderniste de l’islam sunnite, la Turquie a pu apparaître comme la puissance s’opposant à la fois aux Etats-Unis et à Israël. Défenseur des Palestiniens et des Frères Musulmans, la conjoncture dite du printemps arabe lui fut dans un premier temps favorable. A cet égard, l’utilisation cynique du conflit syrien a mis  le régime syrien en difficulté, tout comme les Etats-Unis. D’un côté Erdogan et les pétro-monarques s’entendaient pour aider les rebelles syriens, de l’autre, Erdogan laissait l’Etat islamique recruter des djihadistes en Turquie et refusait aux Etats-Unis la possibilité d’utiliser la base militaire installée dans son pays pour les bombarder. Ce double jeu visait à anéantir au plus vite le régime de Bachar Al-Assad et à stopper l’influence grandissante des Kurdes de Syrie.

C’était sous-estimer Bachar al-Assad et ses alliés iraniens et russes. La guerre se prolongeant, l’accueil de 2.2 millions de réfugiés, la résistance des Kurdes à Kobané ont mis Erdogan en difficulté alors même que l’économie turque et les rêves de grandeur autocratique indisposaient de plus en plus nombre de Turcs. La révolte de la jeunesse à Ankara sur la place Ghezi allait faire basculer le régime dans la répression. Les élections qui devaient confirmer la volonté de présidentialisation du régime furent un fiasco. Dès lors, dévoilant sa véritable nature, le régime despotique de l’AKP lança ses troupes à l’assaut des permanences du Parti légal kurde et jeta son pays dans la guerre civile. Se présentant comme le seul rempart de l’unité de la Turquie, la guerre contre le PKK assimilé aux terroristes de l’EI reprit de plus belle. Si les nouvelles élections provoquées par le refus d’Erdogan de partager le pouvoir lui furent apparemment favorables, son dessein de présidentialisation automatique n’est pas atteint. Entretemps, la fourberie d’Erdogan s’est retournée contre lui. Les partisans du califat islamique ont provoqué des attentats meurtriers en Turquie même, à Ankara (plus de 100 morts), à Diyarbakir (4 morts), à Suruc… Ils sont bien décidés à se venger de l’autorisation donnée aux forces US d’utiliser la base américaine et de son retournement contre les cellules dormantes installées en Turquie. La police turque s’attaque désormais aux 3 000 djihadistes qu’elle a laissé s’installer, à cette « autoroute djihadiste » qu’était devenue la Turquie. Un autre danger de démembrement de la Turquie apparaît. Outre la sécession kurde à l’Est, le territoire situé de part et d’autre de la frontière avec la Syrie fait resurgir la vieille revendication d’autonomie du Sandja d’Alexandrette. En 1939, la Turquie a incorporé unilatéralement ce territoire, avec l’accord de la France coloniale occupant par mandat de la SDN la Syrie.

Eradiquer les forces kurdes en Syrie semble désormais hors de portée d’autant que les dernières violations de l’espace aérien turc par des avions de combat russes sonnent comme un avertissement. Qui plus est, si, comme c’est possible, Alep tombait aux mains de l’armée syrienne avec l’appui des Russes et des Iraniens, ce serait, comme l’estiment certains experts, 2 à 3 millions de réfugiés qui s’achemineraient notamment vers la Turquie. « L’acteur le plus cynique et le plus manipulateur » comme le désigne le journaliste Olivier Zajec(1), peut compter sur la pusillanimité des Européens affolés. L’UE, Merkel en tête, lui a proposé 1 milliard d’euros pour contenir les exilés contre des visas pour les travailleurs turcs. Elle semble toute disposée à fermer les yeux sur les exactions du régime, sa presse muselée, sa justice aux ordres et sa police répressive. Quant aux Russes, ils détiennent une arme redoutable : la dépendance énergétique de ce pays vis-à-vis du gaz russe (60% de son approvisionnement). Déjà les projets de gazoduc et de construction d’une centrale nucléaire ont été repoussés.

Bref, l’autocratie turque vacille et ce, malgré les succès de l’AKP aux dernières élections. La vision de reconquête ottomane n’est plus de mise. Quelle va être l’attitude d’Obama vis-à-vis de ce membre de l’OTAN alors que Russes et Américains sont en concurrence afin d’aider les Kurdes syriens à combattre l’Etat islamique pour des motifs différents ?

… et de quelques autres : Israël, Egypte, les Kurdes, l’OTAN…

Netanyahou semble tétanisé par l’effacement régional des USA et l’apparente convergence Washington-Téhéran. Tous ses efforts pour contrecarrer l’accord sur le nucléaire iranien ont été vains. Qui plus est, la poursuite de la colonisation de la Palestine, les provocations sur les lieux saints de Jérusalem, qui sont sous administration jordanienne, ont suscité la révolte palestinienne ; elles ont aiguisé les contradictions avec le roi de Jordanie. La dérive extrémiste et religieuse (Etat juif) semble de plus en plus incontrôlable et ne peut que renforcer la déterminations des rebelles salafistes et djihadistes dans le Golan occupé. L’intervention russe provoque une grande fébrilité d’autant que l’aviation israélienne a continué de bombarder clandestinement les convois d’armement destinés au Hezbollah au Liban et que la Russie entend livrer avant la fin de l’année ses missiles S300 à l’Iran. Le 21 septembre, Netanyahou s’est en effet précipité à Moscou pour tenter de négocier avec Poutine « le futur ordre régional » dans cette région. Si la Russie souhaite certainement éviter un clash avec Israël, elle n’est pas maître de la situation explosive du Liban et de la capacité du Hezbollah à s’imposer au Liban Sud, voire de menacer Israël en cas d’incursions.

Quant à l’Egypte d’Al Sissi, au grand dam de l’Arabie Saoudite, elle a applaudi l’intervention russe en Syrie, tout comme les Emirats Arabes Unis et la Jordanie. Tous ces régimes fragiles sont en effet menacés par l’hydre islamiste de l’EI qui conteste leur légitimité. Al Sissi a fort à faire au Sinaï et à la frontière égypto-libyenne. Un appui des Russes serait… bienvenu.

Bref, toutes ces dictatures et tous ces pouvoirs réactionnaires rendent la coalition sous l’égide des Etats-Unis de plus en plus équivoque.

Restent les Kurdes syriens, « jaloux » de leur autonomie, efficaces dans le combat contre l’EI, que les USA soutiennent par des frappes aériennes contre leurs ennemis et par la livraison d’armes (50 tonnes de matériels auraient été livrés par parachutage). Le PYD, ce parti considéré comme une branche du PKK, est courtisé également par les Russes qui prétendent le protéger de la vindicte d’Erdogan. Une délégation du PYD a d’ailleurs été reçue dernièrement à Moscou.

Il semble donc que les USA ne contrôlent plus grand-chose, même pas le gouvernement irakien qui s’est tourné vers l’Iran, pas même les Kurdes irakiens dont les divisions et la corruption freinent toute offensive au sol contre l’Etat Islamique et l’Irak, explosée en trois partie distinctes, Kurdes au Nord, gouvernement chiite au centre et au Sud-ouest, l’EI). Pour Obama, sortir de ce guêpier est un dilemne sans solution !

Il semble même impensable de réitérer une opération du type de celle mise en œuvre en Syrie où l’OTAN est intervenue en alliance avec l’aviation du Qatar pour le résultat que l’on connaît : deux gouvernements qui s’affrontent, un troisième nommé par le représentant de l’ONU et l’apparition de l’EI sur toute une bande côtière…

Au quartier général de l’OTAN on a d’autres chats à fouetter ou plutôt à caresser. Ne pas accroître les divisions de l’Europe, rassurer les pays de l’Est, en particulier la Hongrie et la Slovaquie effrayées par l’ours russe et la partition de fait de l’Ukraine. De surcroît, la Turquie, membre de l’OTAN, imprévisible tout comme la Russie poutinienne, inquiètent le quarteron des généraux qui phosphorent sur ces nouvelles « guerres hybrides ».

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Tout ce qui précède tend à démontrer que l’extension du domaine de la guerre dans les pays voisins de la Syrie, n’est pas à exclure. Le maillon le plus faible qui pourrait céder, c’est le Liban. Encore que d’autres affrontements en Turquie, en Jordanie, dans le Golfe persique, sont potentiellement possibles. L’EI est ses « métastases » sont loin d’avoir été vaincues. La Turquie, qui désormais entend bloquer l’autoroute du recrutement de djihadistes qu’elle a laissé perdurer, est en passe de connaître, outre la guérilla kurde, des attentats de représailles des « fous d’Allah ». La délégitimation d’Erdogan prendra du temps mais le processus est en marche.

Pour conserver son avantage, Poutine, comme il l’a fait en Tchétchénie, pourrait à la fois faire preuve de la plus grande brutalité guerrière, provoquant encore plus d’exilés fragilisant ainsi la Turquie et les Etats de l’Union Européenne et, par ailleurs, exercer une diplomatie qui le place en arbitre de la situation. N’a-t-il pas déclaré que « le règlement politique en Syrie ne peut se faire qu’avec la participation de toutes les forces politiques ethniques et religieuses » excepté les terroristes qu’ils soient « modérés » ou apocalyptiques.

En d’autres termes, la pétaudière du Moyen-Orient qui ne ravit que les marchands de canons est encore loin d’aboutir au grand marchandage à venir. Certes, de grandes manœuvres souterraines sont déjà à l’œuvre, comme le lâchage d’Assad contre le Donbass ukrainien qu’évoquent certains commentateurs. Restent deux inconnues de taille. D’une part, la réaction des Etats-Unis qui ne peuvent rester l’arme au pied, et, d’autre part, une absence de taille pour l’heure, celle d’une nouvelle irruption des peuples, à l’instar de celle des printemps arabes, qui bouleverserait les plans des puissants.


Gérard Deneux, le 8 novembre 2015