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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 2 septembre 2015

Nauru. Les Maldives. Bikini.
 Ces paradis sont des enfers

C’est l’incroyable et pourtant bien véridique histoire de l’île de Nauru, contée par Naomi Klein(1), ainsi que deux articles du Monde(2) qui m’ont incité à penser que ces îles du Pacifique sont le reflet ahurissant du « capitalisme du désastre »(1). Elles préfigurent, malgré toutes les contorsions humanitaristes, un avenir qui se dessine comme une probabilité insoutenable.

Nauru. Du paradis à la décharge humaine.

Pendant des centaines de milliers d’années, sur des récifs coralliens de l’Océanie, des oiseaux migrateurs ont fait escale, y trouvant crustacés et mollusques à leur goût. Leurs excréments déposés sur les récifs formèrent une masse rocheuse se couvrant peu à peu d’humus, de forêts, de cocotiers. La population peu nombreuse sur cet oasis tropical de 21 km2 était tout aussi paisible que ses plages de sable fin : elle se nourrissait de poissons, de volailles sauvages et de fruits abondants.

Vint le temps de la colonisation et la surprenante découverte : cette île fabriquée par la fiente d’oiseaux n’était qu’un immense gisement de phosphate de chaux. Des firmes germano-britanniques puis australiennes entreprirent l’extraction systématique de ce minerai pour fertiliser les terres agricoles d’autres pays. Dans les années 60, derrière les plages et le rideau de cocotiers, l’île était dévastée, la forêt avait disparu pour ne laisser qu’une immense carrière à ciel ouvert. Le centre de l’île était devenu inhabitable. Deux routes, l’une menant au centre, lieu d’extraction, l’autre faisant le tour de l’île où se concentraient les habitants et leurs résidences sur une étroite bande côtière, symbolisaient le désastre à venir lorsque les réserves de phosphates seraient épuisées et donc la fin des redevances fournies par les sociétés minières.

En 1968, Les Nauruans crurent avoir trouvé le moyen d’assurer leur survie. Ils placèrent leurs recettes minières dans le marché immobilier australien et hawaïen, avec pour objectif de réhabiliter leur île…

Dans les années 70-80, la presse occidentale se fit l’écho de l’extraordinaire reconversion de ce lieu d’extrême opulence : le PNB par habitant classait ce pays comme le plus riche après… l’Arabie Saoudite. Mieux ! Tous les habitants avaient accès aux logements gratuits climatisés, aux fêtes permanentes et extravagantes, le chef de police était muni d’une rutilante Lamborghini. Bref ! L’argent coulait à flots et la jeunesse en moto, souvent ivre, faisait le tour de l’île en moins de 20 minutes. Ombres au tableau : désoeuvrement, obésité, diabète et chute de l’espérance de vie… dans cette île paradisiaque vivant de l’export d’engrais agricoles mais où pratiquement tous les produits de consommation devaient être importés, y compris les fruits et légumes.

Mais, reconvertir la rente minière en rente immobilière à caractère spéculatif s’avéra une option désastreuse lorsque ces revenus s’effondrèrent. Pour y pallier, l’île se reconvertira en 1990 en paradis fiscal. De la rente immobilière on passa à la rente financière adossée au blanchiment d’argent. L’effondrement de l’URSS, le pillage des biens publics privatisés assurèrent une courte conjoncture favorable. Gangsters et oligarques russes, comme d’autres aventuriers de la finance, furent hébergés sur cette île de plus de 400 banques fantômes (selon certaines estimations, ce sont 70 milliards de dollars qui y trouvèrent refuge). Depuis la crise de 2007-2008, pour les 9 500 habitants de l’île, une nouvelle reconversion s’imposait…

Une nouvelle période s’ouvrait en effet. Celle des guerres dévastatrices au Moyen-Orient, des crises de régime entraînant la désignation de boucs émissaires ethniques et religieux et celle des désastres écologiques et climatiques. Les dirigeants de la République… du Nauru ont donc accepté, sous l’influence de la « démocratie » australienne, « d’accueillir », de devenir un centre de concentration des « demandeurs d’asile ». La sous-traitance étant de mode, les « indésirables » dans le continent australien sont donc acheminés et parqués dans une prison à ciel ouvert. Les Nauruans, désormais, travaillent au gardiennage d’un véritable camp de concentration infesté de rats, au milieu de l’île aride, où les journalistes sont interdits d’accès. Hommes, femmes, enfants pakistanais, birmans, bangladais, irakiens, sri-lankais, s’y entassent. Malgré la surveillance, des vidéos, des témoignages sont parvenus à les tirer de l’oubli : suicides, grèves de la faim, révoltes s’y sont multipliés. Amnesty International dénonce « Nauru la cruelle » et le rapport du Haut-Commissariat des Réfugiés de l’ONU s’insurge « contre les traitements inhumains et dégradants ». Demain, ou plus tard, des subsides de riches donateurs humaniseront peut-être cet enfer tropical dont le point culminant n’est situé qu’à 71 mètres du niveau de la mer et dont 90% du territoire est dévasté par l’activité minière.

Un sentiment d’angoisse pénètre, paraît-il, les Nauruans, coincés qu’ils sont entre le désert intérieur, les terrifiantes inondations menaçant les côtes, la hausse du niveau de l’océan et une dette de 800 millions de dollars. Aujourd’hui, l’aéroport international (!) ne reçoit plus que de rares avions. Quant aux cargos, ils ne passent plus qu’une fois par mois pour décharger quelques vivres et surtout des migrants interceptés… « L’opération Pacifique », cette dénomination euphémisée et cynique de l’île prison pour réfugiés, a paraît-il trouvé des adeptes en France. Comme l’Australie, il suffirait de trouver une île (grecque ?), des gardiens et pourquoi pas, comme le gouvernement australien, un peu plus de 13 millions d’euros pour faire fonctionner un camp européen de « rétention »... Sauf, qu’il faudrait encore tirer de Nauru, comme disent les experts, un « retour d’expérience ». Dans cette île, en effet, tous les gardiens ne sont pas sûrs et la convention de Genève sur les réfugiés demeure un obstacle à faire sauter. Eh bien ! Les Nauruans, opposants au régime, bien que parlementaires furent exclus de cette instance, ceux-là et les autres, sont menacés de peines de prison. Quant aux avocats et représentants d’ONG, ils n’obtiennent pas de visas. L’Europe forteresse vaut bien un requiem pour les droits des indésirables et quelques entorses « sécuritaires » !!!


Des Maldives à Bikini

Dans l’océan Indien, l’archipel des Maldives, avec ses 1 200 îles paradisiaques, fait rêver, du moins ceux qui font partie des touristes les plus aisés. En fait, les lagons, les eaux cristallines que parcourent les voiliers des Occidentaux fortunés, occultent la division du monde qu’elles représentent. La nature n’y est pour rien, les Maldiviens qui occupent 200 de ces îles en sont l’illustration. Ils sont 345 000 habitants et la spécialisation de ces micro-territoires du Sud oriental nous renvoie l’absurde image de notre contemporalité. Pour les touristes occidentaux, les sites spécialisés, îles-hôtels, îles-aéroports, îles touristiques, tout ce qui procure 80% de la richesse des Maldiviens, prévalent.

Pour les Maldiviens, il y a la capitale à Malé, territoire le plus peuplé, mais il y a aussi l’île du Président, l’île élevage, l’île citerne, des îles prisons et même, une île poubelle. Mais, là, le paradis a un tout autre visage : le régime est plus wahabite que celui des Saoudiens. La charia est loi, le port du niqab est obligatoire pour les femmes et, en 2014, la peine capitale a été étendue aux enfants. Il paraît que les Maldiviens seraient, non une réserve d’Indiens, mais de djihadistes dont nombre d’entre eux combattraient en Syrie et en Irak. Pour eux, il y aurait même des îles repos. Comme sur une grande partie de la planète, aux Maldives, coexistent deux mondes séparés qui se font face : l’un s’apprêtant à engloutir l’autre.

A Bikini, cet engloutissement, grandeur nature, s’est accompli… définitivement en juillet 1946.

Bikini, c’est un ensemble de récifs coralliens et d’îles bordées de sable blanc, entourant un immense lagon aux eaux turquoise. Ce serait encore un paradis pour les plongeurs… s’ils pouvaient y aborder. Il y avait là, plus d’un millier d’habitants, il n’y en a plus, ne reste de la présence humaine que 4 à 6 « résidents non permanents » qui s’y relaient.  

Certes, la guerre du Pacifique est passée par là, à preuve les carcasses rouillées de bâtiments US qui croupissent dans le lagon. Mais c’est avant le 1er juillet 1946 que la population a été « évacuée » (raflée ?). Après Hiroshima et Nagasaki, la bombe atomique se devait d’être perfectionnée pour « garantir la paix et la démocratie ». Vingt-deux « essais » jusqu’en 1958, date de l’explosion de « Castel Bravo », cette bombe H mille fois plus puissante que celle d’Hiroshima. Trois îles sous l’impact ont disparu, à jamais… pour faire avancer la science !

Au cours de ces « expériences », les populations ont été déplacées, toujours un peu plus loin vers le Sud. Quelques « résidents non permanents » s’y succèdent pour observer les résultats de la puissance (in)humaine : radioactivité, sécheresse, typhons et, avec le changement climatique, l’irrésistible montée des eaux.

L’humour cynique de ladite Communauté Internationale tente de rassurer. En 1998, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) recommandait de ne pas repeupler l’atoll Bikini. En 2010, l’UNESCO le déclara patrimoine mondial de l’Humanité, symbole de « l’entrée (mortifère ?) dans l’âge nucléaire ». N’étaient-ils pas dans la droite ligne du discours d’Eisenhower qui, en 1959, prônait les « atomes pour la paix, le bonheur et le bien-être » ? (3) 

Quand le Maire de Bikini, de ce petit millier d’habitants expatrié sur les îles Kili et Ejit, s’avisa de demander, pour son peuple, l’asile aux Etats-Unis, cette outrecuidance ne lui valut, pour toute réponse, qu’un silence méprisant. L’administration américaine n’avait-elle pas versé, pour solde de tous comptes, 500 millions de dollars aux victimes des radiations !

En juillet 1946, aux Etats-Unis, fut lancée la mode du bikini, ce maillot deux pièces n’avait rien à voir avec l’atoll du même nom. Pour le plaisir des yeux, sur les plages ensoleillées, la genre humain put reluquer, parmi celles qui en portaient, quelques bombes anatomiques. Ainsi va l’humanité. Il en sera ainsi tant que les peuples ne sauront pas l’histoire qu’ils font ou laissent faire, y compris, voire surtout, dans les pays dits démocratiques.

Gérard Deneux le 12.08.2015

(1)  Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, Naomi Klein – éditions Fayard. Dans son précédent ouvrage La stratégie du choc, sous-titre Capitalisme du désastre, Naomi Klein relate le libéralisme sauvage qui s’est emparé de l’URSS après son effondrement privatisations-spoliation et émergence des oligarques. Editions Fayard  
(2)  Sources : articles du Monde des 5/6 et 10 août 2015 ainsi que la tribune signée par Pascal Carcanade, Laurent Cibien, Luc Fiollet. A noter que ces 3 auteurs ont réalisé un film-documentaire « Nauru, l’île perdue » et que Luc Fiollet lui a consacré un livre Nauru, l’île dévastée, éditions la Découverte, 2010

(3)  Lire à ce sujet Les sanctuaires de l’abîme. Chronique du désordre de Fukushima  de Nadine et Thierry Ribault, éditions l’encyclopédie des nuisances. Nous est contée, entre autres, la manière dont le Japon fut doté par les USA de l’industrie nucléaire et comment nombre de criminels de guerre amnistiés ou blanchis furent propulsés à de « hautes » responsabilités.