Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 27 janvier 2015

Après le choc Charlie… le Syriza choc ?

C'est l'éditorial du n° 10 de Pour l'Emancipation Sociale
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L’unanimisme, né de l’effroi et de la compassion suite au choc des attentats terroristes, est-il déjà en train de s’effriter ? La concorde nationale orchestrée par Hollande trouvait pourtant sa source dans la condamnation muette de plus de 3 millions de personnes. Cette réprobation, Hollande voulut la transformer en approbation de sa politique sécuritaire-austéritaire. Il se voyait déjà en homme-orchestre d’une Sainte Alliance interventionniste contre le « djihadisme ». La feuille de route prescrite : une loi sur les suspects, les contre-réformes poursuivies. Toutefois, Valls s’angoissait des dégâts que lui-même et ses prédécesseurs avaient provoqués dans les couches populaires déshéritées et stigmatisées. Comment résorber cet « apartheid » social ? Malek Bouti surenchérissait en prônant l’état d’exception militaire dans les « zones » incontrôlables. A peine disparue sous le voile de la « communauté nationale », la réalité sociale fracturée réapparaissait. La cécité organisée n’était plus de mise, d’autant que les routiers dont les salaires de début de carrière stagnent sous le SMIC, bloquaient ici et là la prétendue douce « France réconciliée » dont rêvaient les nostalgiques d’un temps mythique.

Et ce fut le choc Syriza. Aux cortèges muets ici, répondait là-bas la libération de la parole. Ce contre-choc est surtout source d’angoisse pour les oligarchies financières et les castes qui les défendent mordicus. La victoire électorale de cette gauche de gauche, est celle du rejet des politiques d’austérité, prétendant mettre à genoux les peuples face aux banquiers assistés et ce, à coups de baisse des salaires, de paupérisation, de suppression des droits et prestations sociales, de privatisation et de bradage de la chose publique. La purge administrée par la Troïka sous la houlette de Merkel, si elle a conduit à l’effondrement de la richesse produite (- 20%), à l’augmentation de la dette publique ( !), a suscité à travers les tourments subis, l’éveil du peuple grec. Le PASOK effondré, la droite rejetée, c’est donc la possibilité d’une brèche qui s’ouvre, un nouveau chemin à explorer… semé d’embuches. Les pressions de la Commission Européenne et de la BCE, pour faire rentrer Syriza dans le rang, vont être à la mesure de la rapacité des banquiers. Mais, il y a le possible effet domino qui, d’Espagne au Portugal et ailleurs,  doit aider le peuple grec à déjouer tous les chantages. Syriza est au défi : osera-t-il abolir la dette grecque, mettre en cause les traités européens, et pour financer les mesures de reconquête sociale qu’il promet, nationaliser les banques, socialiser les secteurs stratégiques de l’économie, soumettre à l’impôt les propriétés foncières de l’Eglise orthodoxe, exproprier les armateurs avant qu’ils ne voguent sous d’autres pavillons ?


Etre, en France, solidaire du peuple grec, c’est mettre en cause, ici, le gouvernement, faire craquer cet unanimisme de façade qui voudrait, tout en faisant trébucher Syriza, en récolter quelques lauriers afin de ne pas disparaître comme son compère le PASOK. Déjà, les rapaces sont à l’œuvre. Le FN surfe sur le chaos pour s’approprier ce rejet de l’Europe du capitalisme financiarisé. L’épouvantail d’un autre traumatisme va être agité. Seul l’esprit critique, la lucidité retrouvée, l’auto-organisation dans une gauche de transformation sociale peuvent faire reculer les tentatives d’étouffer ce qui vient de naître. (le 26.01.2015)  
Le choc d’une tuerie et son instrumentalisation

Du 7 au 11 janvier, les attentats commis contre les journalistes de Charlie Hebdo, puis à titre « d’exercice » contre une policière, avant la tuerie dans l’épicerie kasher, ont provoqué un traumatisme, un élan de solidarité vis-à-vis des victimes, puis un grand moment d’émotion et des rassemblements bien encadrés. L’unanimisme apparent qui s’est dégagé de ces manifestations du 11 janvier, rassemblant plus de 3 millions de personnes dont 1.7 million à Paris, n’a pas laissé beaucoup de place à l’esprit critique. C’est pourquoi, ce numéro de PES lui donne une large place sous forme d’extraits recueillis. Persuadé qu’à cette occasion s’est mis en place un processus d’instrumentalisation où l’injonction à être Charlie étouffait, par le silence imposé, toute dissidence pour redonner du crédit à ceux qui sont (toujours ?) largement discrédités.

Avec le recul, il faut donc prendre la mesure de l’enchaînement des faits qui ont conduit à cet évènement hors normes, l’amplification médiatique et la récupération-manipulation (qu’elle soit consciente ou inconsciente) qui d’une réprobation terrifiée a conduit à la fabrication d’une union nationale puis à l’union sacrée internationale contre le terrorisme islamiste. Les causes, les facteurs explicatifs en ont été occultés et après la manipulation, la manipulation continue, par l’abus d’une rhétorique assez creuse. Mais qu’est-ce qui aurait fondamentalement changé dans cette société ? Ces évènements dramatiques feront-ils advenir la résorption du fanatisme de l’Etat islamique et d’Al Qaïda, ainsi que celle des fractures sociales et des inégalités ? Rien n’est moins sûr…

1 – Du 7 au 11 janvier. L’enchaînement des évènements

En 3 jours, les frères Kouachi et A. Coulibaly vont provoquer la mort de 17 personnes, en blesser plus d’une dizaine, avant d’être éliminés. Tout commence par le massacre à Charlie Hebdo. C’est le choc, la compassion, cette barbarie s’attaquant à la liberté d’expression semblait ici, « chez nous », impensable : on ne peut pas mourir pour des dessins. Des rassemblements spontanés eurent lieu dès le 7 et déjà l’émotion semblait bâillonner la raison tant la peur suscitait un unanimisme de désolation et un besoin de se rassembler pour refuser ce qui semblait être l’irruption des guerres menées ailleurs, loin de chez nous. La traque policière et médiatique allait encore amplifier ce mouvement et les interventions gouvernementales lui conférer une tonalité qui, d’union nationale dans la déploration en devint internationale.

Tout s’est d’abord enclenché par le coup de fil de l’urgentiste Patrick Pelloux, membre de la rédaction à Charlie au Président Hollande. Son empressement à se déplacer sur les lieux était certainement un geste de compassion mais il prit très vite la mesure de l’importance qu’il devait lui accorder. Et ce, d’autant plus que le soir-même, le porte-parole du PS puis Cambadelis lui-même appelaient à une marche silencieuse à laquelle ils conviaient l’ensemble des partis républicains… Très vite, l’Elysée reprenait la main. La traque policière des fugitifs, puis la tuerie de Coulibaly et son orchestration médiatique organisait de fait une dramaturgie inquiétante.

La traque policière et médiatique

La tension fut très vite à son comble. Ce fut un tsunami sur les réseaux sociaux et dans les médias. Scotchés à leur télé, l’oreille suspendue aux radios, en temps réel, très nombreux furent ceux qui suivirent la traque et les informations délivrées en boucle et s’alarmèrent des alertes successives et des pseudo-faits non vérifiés. Ainsi, l’on apprit la mise en cause d’un 3ème homme, dénoncé comme complice des Kouachi. Une identité fut livrée en pâture par un journaliste peu scrupuleux : Henry Mourad, ce lycéen de Charleville-Mézières qui à cette heure-là était en classe. Le démenti n’a guère causé de dégâts sinon l’humiliation du jeune homme, mais d’autres révélations plus ou moins exactes auraient pu mettre en cause la vie des otages prisonniers de Coulibaly dans l’épice casher. Entretemps, les rumeurs, les peurs et les commentaires hystérisés tant sur les réseaux sociaux que dans les médias suscitèrent une panique incontrôlée : la circulation ferroviaire fut coupée entre Amiens et Paris et quand on apprit que… semblait-il… les tueurs en fuite revenaient sur Paris, l’on annonça que les portes de Paris étaient bouclées. On affirma que des colis suspects piégés se trouvaient en gares du Nord, de Colmar et de Lyon… Et Paris fut quadrillée comme en temps de guerre : 88 000 policiers et gendarmes. La traque se poursuivant, 1 500 gendarmes, CRS… furent déplacés entre l’Oise et l’Aisne. La folle équipée des deux fanatiques se terminant dans une imprimerie à Dammartin, le siège put être suivi en direct sans autre image que celle de bâtiments, et de son que celui des armes automatiques. De même ou presque à l’hyper-casher aux abords du périphérique dans le 20ème arrondissement.

Il fallait expulser toute cette tension après le dénouement de ce qui ressemblait à une hystérie collective. L’on allait se détendre en marchant, tous ceux qui s’y rendirent furent tous Charlie, la plupart n’avait d’ailleurs jamais acheté ni lu ce périodique… mais tous étaient pour les valeurs de Charlie. Les grands moments de rassemblement allaient se faire sur cette ambiguïté et l’organisation de la concorde nationale pilotée de l’Elysée.

De l’union nationale à l’union internationale contre le terrorisme

Hollande s’y emploie. Il reçoit d’abord Sarko puis tous les chefs de partis, y compris Marine Le Pen : là, c’est le couac. Elle exige d’être intégrée dans le parterre républicain du cortège. Mélenchon s’insurge et demande que Valls renonce à organiser le cortège. Finalement, s’excluant de lui-même, le FN, oubliant ses charges contre les minarets, fait les yeux doux aux musulmans… de France et réduit ses boucs émissaires aux étrangers d’immigration. Hollande, même s’il reçoit tous les représentants pour les faire communier ensemble, sent que le Front uni de concorde nationale bat de l’aile, d’autant que Sarko et quelques-uns de ses affidés prétendent que l’on ne peut pas exclure le FN. C’est Merkel qui lui sauve la mise : ils devaient se rencontrer à Bruxelles le dimanche, et bien... elle viendra à Paris. L’équipe élyséenne, Hollande en tête, va transformer la manif pour tous les antiterroristes en union sacrée internationale contre l’islamisme guerrier et fanatique. Les coups de fil aux chefs d’Etats et de gouvernements se succèdent et puis presque tous veulent en être. Un vrai G44 : Cameron l’Anglais, Renzi l’Italien, Rajoy l’Espagnol, Juncker l’Européen et puis Oskar le Hongrois nationaliste fascisant, les pétro-monarques financeurs malencontreux des djihadistes, comme le Qatar… les représentants et dirigeants du Mali, d’Egypte, de Jordanie, du Niger et même le Palestinien Abbas précédé de Netanyahou, anxieux venu avec son gilet pare-balles et deux officiers de sécurité pour protéger ses flancs. Ah ! Il ne manquait qu’Obama, le représentant du pays où la police peut tuer en toute impunité des Noirs et des Hispaniques et son allié indéfectible, quoique de plus en plus réticent, l’Arabie Saoudite.

Les Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré, eux qui ont vomi les partis et les grands de ce monde, ils ne peuvent, récemment refroidis, se retourner dans leur tombe mais le cynisme est à son comble : ils sont tous Charlie, ces figures de la démocrature qui pressurent les peuples pour honorer les créances des banquiers et des spéculateurs et tous ces vrais et autres apprentis dictateurs qui violent la liberté de la presse, enferment les journalistes ou même sont des criminels de guerre patentés comme Netanyahou.

La manif est  hiérarchisée au cordeau : les chefs d’Etats et de gouvernements d’abord, séparés du reste, encadrés de CRS, les trottoirs vidés… pour la photo et quelques petits 300 mètres de marche… et puis, s’en vont. Derrière, les chefs de partis républicains, puis la cohorte des élus mêlés aux dignitaires religieux et aux responsables syndicaux ; au 4ème rang, les proches des victimes… enfin. Sarko a tenté de jouer des coudes pour la photo, mal lui en prit, le reflux s’imposait, la respectabilité l’exigeait. Quant à Hollande, son embrassade avec Pelloux, lui valut une merde de pigeon bien ajustée, l’esprit Charlie le narguait-il ? Et cette masse, tous derrière avec des pancartes de bon aloi, acceptait sans rire que tous ceux-là soient devant. La grande messe sacerdotale ayant eu lieu devant les caméras, les ténors du monde disparu, la manif silencieuse put s’ébranler. Les sociologues, pour peu qu’ils aient pu la scruter, nous diront peut-être qu’elle était précisément la composition de cette foule impressionnante(1). Ce n’était certes pas les gros bataillons syndicaux, peut-être trop « braillards », ni les intérimaires trop précaires qui formaient ce cortège encensant la République unie ! Il n’y avait pas beaucoup de têtes basanées et des quartiers populaires encore moins, c’est sûr car, déjà, nombre de musulmans avaient peur de l’amalgame. Les 6 millions devaient-ils payer pour 600 (nous dit-on) « fêlés » qui rêvent de djihad sanglant en France. Déjà, les jours précédents, des mosquées avaient été prises pour cibles par d’autres «fêlés », au Mans, dans l’Aude, à Villefranche-sur-Saône, à Aix-les-Bains, à Saint-Jucry dans le Tarn…

Non ! La voix bien intentionnée de Hollande le répétait, la concorde nationale devait prévaloir, et ce, sans soulever le voile sur les raisons ayant conduit à ces attentats.

2 – Le débat occulté sur les causes de la tragédie

Valls l’a déclaré, c’est la guerre au terrorisme ! A l’ennemi intérieur ou à l’Etat Islamique et aux groupes Al Qaïda du Sahel, au Yémen, en passant par l’Afghanistan et le Pakistan ?

Il y a d’abord cette frange marginale dont 22% seraient des convertis de fraîche date et qui, de désabusés, sont devenus des recrues potentielles pour le djihadisme. Ils sont français, nés dans des quartiers de relégation où sévit un chômage qui, pour les jeunes, peut atteindre le taux de 50%. C’est une génération perdue qui a le plus souvent trempé dans la déviance et la délinquance, faute de perspectives. Victimes comme beaucoup d’autres d’un malaise identitaire, exclus, ils prétendent donner du sens à leur vie qui n’a pas de sens. Les politiques d’austérité, de sans-emploi, de discrimination, de racisme culturel à peine voilé, prétendant que ces gens-là sont « inassimilables », ont créé un terreau favorable. «Les bruits et l’odeur » sont insupportables (Chirac), la France  (même si t‘en es exclu) « tu l’aimes ou tu la quittes » (Sarko). Encore que pour devenir djihadiste, il fallait en passer par de menus larcins, la délinquance ou la case prison et le voyage initiatique en Irak et en Syrie. Tel est le profil des Kouachi et Coulibaly qui dans leur parcours ont rencontré un prédicateur pour les mettre sur la voie de l’héroïsation pathologique. Mais ces itinéraires, que suivraient 3 à 5 000 européens partis dans ces pays du Moyen-Orient, selon Kerchove, coordinateur européen de la lutte antiterroriste, auraient-ils pensé franchir les frontières si l’existence de guerres lointaines n’avait déclenché chez eux une identification mortifère ? Même Villepin le reconnaît : « Les interventions occidentales… ont abouti à… l’émergence d’un ennemi djihadiste insaisissable et à l’effondrement des Etats et des sociétés civiles de la région (du Moyen-Orient). L’esprit de guerre… conduit… vers une guerre hors de tout contrôle ».

Les interventions successives en Afghanistan, l’URSS et les Etats-Unis prenant parti pour le gouvernement procommuniste pour le premier, la superpuissance américaine armant et soutenant financièrement les djihadistes dont Ben Laden, ont enclenché un processus guerrier qui s’est généralisé. Après la 1ère guerre contre l’Irak, une deuxième plus meurtrière encore pour évincer puis pendre le dictateur « laïque » Saddam Hussein, puis après le 11 septembre, la guerre contre le terrorisme déclenchée par Bush, les puissances occidentales vont d’échec en échec. Elles ont produit un monstre qu’elles n’arrivent pas à réduire. Et depuis l’intervention de la France de Sarko et  d’Obama en Syrie, le mal s’est répandu ; les printemps arabes écrasés ont fait le reste, notamment en Syrie. A voir les images des « combattants illégaux » enfermés sans preuve et sans procès à Abou Graïb, à Guantanamo, torturés, et savoir ensuite qu’en toute discrétion… certains d’entre eux étaient « externalisés » dans des prisons orientales (Egypte…) ou européennes pour être « mieux » torturés, n’a pu que provoquer la rage et la haine. Et il faut être aussi « fêlé » que Bush pour se demander « pourquoi ils ne nous aiment pas, nous les Américains ?». A l’heure des réseaux sociaux et de l’internet, la thèse du grand complot contre les Arabes et l’Islam a pu, dans ces conditions, prospérer, s’étendre jusque dans nos banlieues déshéritées. Les plus de 200 000 morts en Syrie, le recours du boucher Assad aux armes chimiques et aux bombardements massifs contre « sa » population sunnite, ont provoqué un foyer d’incandescence qu’il sera difficile d’éteindre. Le cynisme et le machiavélisme des uns et des autres sont à leur comble : Bachar El Assad a libéré des djihadistes qu’il pensait manipuler, ils sont devenus les cadres hallucinés d’Al Nosra et de l’Etat Islamique (EI) qui contrôlent un « pays » de la taille de la Grande-Bretagne, entre Irak et Syrie.

Les millions de dollars déversés, l’armement de l’armée irakienne n’ont produit que corruption et débandade, laissant entre les mains de l’EI des banques aussitôt pillées et un armement sophistiqué. La coalition hétéroclite formée par Obama, comprenant l’Arabie Saoudite, la France, le royaume de Jordanie et quelques autres,  n’augure rien de bon. Chacun joue en effet sa partition : Iran contre Arabie Saoudite et autres pétromonarchies, la Turquie, contre les Kurdes du PKK, soutient en sous- main les « islamistes », sunnites contre chiites… Bref, c’est le chaos là-bas, qui du Moyen-Orient au Sahel jusqu’au Yémen, a retenti comme en écho jusqu’au cœur de Paris. Le monstre djihadiste né du wahhabisme saoudien menace également tous les pouvoirs qui lui sont hostiles : les impies et les apostats y compris ces princes moyen-orientaux. Et c’est certainement la raison qui a poussé ces chefs d’Etats et de gouvernements à faire le déplacement à Paris pour proclamer : nous sommes déjà destabilisés, que vive la grande alliance contre le terrorisme ! Le Liban, la Jordanie sont au premier rang. Quant à l’Arabie Saoudite, elle édifie un mur, des fossés, à sa frontière avec l’Irak.

Et Hollande ? Après les interventions militaires de la France néocoloniale en Côte d’Ivoire, au Mali, en Centre-Afrique... il a de quoi se faire du souci. Toujours est-il qu’arborant les galons de défenseur de la Nation, il peut toujours regagner des points de popularité, surtout s’il sait instrumentaliser son image de protecteur sécuritaire et agiter des notions grandiloquentes.

3 – Après la manipulation, les manipulations continuent

Le son du clairon républicain raisonne et la chose publique n’en finit pas de se délabrer : privatisations, austérité, précarité, chômage, familles destructurées… Cette République bonapartiste, soudée désormais à l’Union Européenne néo-libérale, n’en finit pas de fracturer la société entre les exclus et les inclus de plus en plus angoissés vis-à-vis des lendemains qui s’annoncent. L’unisson républicaine du 11 janvier ne serait-elle qu’un appel nostalgique à une France d’hier où aurait régné une France rassemblée, de liberté, d’égalité et de fraternité ? Tout comme la nation, cette notion tant de fois manipulée, pour exorciser la réalité de la confrontation des intérêts de classes, et tenter de faire exister une communauté nationale, ces mots brandis ne guériront pas par enchantement les maux que subit la société.

Il en est de même des valeurs dont on ne sait trop ce qu’elles recouvrent. La liberté… pour qui ? d’exploiter, d’humilier, de fragiliser, de marchandiser, celle que les puissants utilisent comme une arme de domination, celle dont disposent encore ces couches moyennes qui y tiennent ? La liberté d’expression, de presse très souvent corsetée par les puissances d’argent ? Même celle qui est admise n’est pas absolue, elle n’admet pas le mensonge sur les génocides juifs, arméniens mais manipule le génocide rwandais. Elle ne fait pas bon ménage avec la culture de l’insulte ou de la diffamation. Elle se permet l’insolence, l’irrespect, la parodie, la satire et l’humour et encore : celui qui par dérision lança à Sarko « Casses-toi, pauv’con » ne fut-il pas condamné ?

Et savent-ils, ces enseignants confrontés à des troubles juvéniles, d’où vient ce rite imposé de la minute de silence ? Cet hommage aux disparus fut institué après la guerre 14-18, voté par les parlementaires en 1919, appliqué devant les monuments aux morts comme pour mieux absoudre la République qui les avait poussés dans la « grande boucherie », tout comme le Sacré-Cœur sur la butte Montmartre avait tenté d’exorciser le spectre des Communards fusillés en masse. Cette prière laïque du « plus jamais ça » n’est qu’une liturgie civile sans grand effet.    

Il paraît donc évident que ce n’est pas l’école, le salut au drapeau, le chant de la Marseillaise proclamant qu’il faut répandre « un sang impur dans nos sillons » et l’apprentissage de la laïcité qui conjureront le djihadisme potentiel.

Quant aux citoyens français de confession musulmane, ils ont encore, contrairement à la croyance chrétienne en désuétude, une sainte réprobation du blasphème. D’ailleurs, d’après Joëlle Fiss, spécialiste des Droits de l’Homme, un pays sur deux dans le monde, dispose d’une législation anti-blasphème. Même des Français « de souche », incluant des athées, pensent que la profanation des lieux et objets religieux est un sacrilège. Quant à la laïcité française, celle de 1905, de séparation des pouvoirs civils et religieux, elle se permet bien des accommodements : les prêtres alsaciens et mosellans, le Concordat aidant, ne sont-ils pas rémunérés comme des fonctionnaires ? Le laïcisme devrait d’abord balayer devant sa porte avant d’imposer, assimilation oblige, par exemple, le cochon dans les cantines scolaires. Bref, la rhétorique nationale, le recours à l’école fétichisée de Jules Ferry sont de bien piètres instruments pour réduire la fracture sociale et idéologique.

Et le jour d’après le 11 janvier ?

La grande communion ne sera-t-elle qu’un feu de paille ou un point de bascule vers le pire ou le meilleur ? Difficile à dire. Le fait que le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) et l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) aient appelé à cette manifestation, tout comme les « Eglises » chrétienne et juive, peut-il, par lui-même, résorber l’islamophobie ou, pour le moins, y contribuer ? Nombre de citoyens ont appris l’existence de Charlie Hebdo, et se sont arraché les journaux pendant ces quelques jours dramatiques. S’en suivra-t-il une plus grande clairvoyance ? Les rapports sociaux n’en seront pas modifiés pour autant. Les politiques d’austérité risquent bien de continuer à produire leurs effets délétères. L’exaspération contre les élites politiques,  momentanément réconfortées dans leur rôle, s’attendent d’ailleurs au pire. Valls ne dénonce-t-il pas « l’apartheid » que lui-même s’obstine à produire ? L’emploi de ce mot pour désigner la relégation des quartiers paupérisés démontre, s’il en est besoin, son propre effarouchement. Et toute la classe politique d’agiter, qui le « délit d’entreprise terroriste individuel », qui la « déchéance de nationalité », qui  « l’indignité nationale » privant les « intéressés » de tous leurs droits et les obligeant par conséquent à la clandestinité et aux trafics en tous genres. Vont-ils proposer une « loi des suspects », recourir à l’arbitraire, à un Patriot Act à la française respectant « l’Etat de droit » ?

Les attentats commis ne sont pas seulement des crimes, ils constituent un évènement politique qui produit déjà des effets : restriction des libertés ici, guerres à l’extérieur. L’embellie hollandiste risque d’être de courte durée. Mais un autre évènement peut dissiper la tentation sécuritaire et guerrière : celui d’une espérance sociale incluante où les luttes contre les religions s’engloutissent. Faut-il rappeler le Lénine de 1905 passant des heures à discuter avec le pope Gapone pour le convertir à la lutte contre le tsarisme (sans grand effet), ou les curés de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ou encore l’abbé Pierre en soutane, pour leur démontrer que la lutte frontale contre les religions est contre-productive ? Il faut s’en prendre aux pouvoirs d’Etat constitués, qu’ils soient prétendument laïcs ou religieux. Les semaines qui viennent peuvent inciter à changer la donne. Tout va dépendre de ce qui se produira en Grèce, en Espagne…

Gérard Deneux, le 22 janvier 2015  

(1)Déjà, certaines analyses mettent en cause la représentation dominante des manifestations du « peuple » du 11 janvier. Impressionnante par son nombre, mais silencieuse, « une population plutôt aisée, insérée et de gauche », avec une « surreprésentation de personnes âgées de 50 ans et plus ». (Jean Daniel Lévy du département politiques et opinions, Harris International). Il ajoute « Toute la société n’était pas dans la rue et je ne parle pas seulement de la « communauté » maghrébine… ». L’institut Cevipof note pour sa part que 73% des personnes interrogées ne sont pas satisfaites du fonctionnement de la démocratie et 9% seulement disent faire confiance aux partis politiques. Alors douce « France »… à suivre




samedi 10 janvier 2015


Intervention de Gérard Deneux, au nom des Amis de l’émancipation Sociale, le 8 janvier 2015 à Belfort,
  à l’appel au rassemblement pour Charlie


Charlie et ses figures iconoclastes, ses caricaturistes de talent, son esprit de dérision, son humour implacable contre les puissants, les despotes et contre les intégristes de tous poils, ont été frappés au cœur.

C’est Charlie que des barbares obscurantistes ont voulu assassiner. Des amis de la liberté sont tombés, mais déjà, d’autres amis sortent de l’ombre pour poursuivre leur combat, crayon à la main. L’esprit critique ne saurait être bâillonné, ne saurait être éradiqué. Certes, nous avons besoin d’une levée en masse qui dure, de la jeunesse et de tous les autres adultes, pour exprimer leur réprobation contre ceux qui n’ont pour argument que la haine qui les anime, contre ceux qui ne tolèrent pas ceux qui ne sont pas comme eux, contre ceux qui veulent imposer de force leur façon obscurantiste de penser.

Mais les questions qu’il nous faut élucider, c’est : d’où viennent ces monstres ? Que veulent-ils imposer par ces lâches assassinats ? Ils sont les produits des interventions militaires russes puis états-uniennes en Tchétchénie, en Afghanistan, en Irak… et ailleurs. Ils sont nés du chaos, des divisions ethniques et religieuses. Ils ont été alimentés, financés par les pétromonarchies, les mollahs et ce, avec la complaisance douteuse des impérialismes occidentaux. Ils prospèrent dans les camps de réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Les courbettes et les compromissions avec les monarques waahabites, avec les dictateurs Ben Ali, Moubarak, Bachar Al Assad, ont amené les esprits les plus faibles à exiger la vengeance. Les esprits rétrogrades des intégrismes archaïques ont trouvé là tout un terreau à formater. Et ici même, dans cette Europe du chômage, de l’austérité et de la montée du racisme, des jeunes déclassés, issus d’un lumpen-prolétariat sans perspective, trouvent matière à se grandir dans la haine de l’autre.

N’oublions pas que nos gouvernements ont leur part de responsabilité. Ils ont déclaré la guerre à la Lybie de Kadhafi, provoqué le chaos, et ils hésitent à combattre le monstre de l’Etat Islamique, sinon par quelques frappes aériennes. Ils ont hésité à envoyer des armes hier aux Syriens démocrates et aujourd’hui aux Kurdes syriens qui résistent, à Kobané.  Ils ont déclaré la guerre mais ne veulent pas vraiment la mener et s’étonnent, aujourd’hui, qu’elle surgisse sur le sol français. Que ne se souviennent-ils des largages d’armes aux résistants contre l’occupation nazie !

Il  n’y a pas si longtemps, les barbares nazis brûlaient des livres, traquaient, torturaient, brûlaient les Juifs, les Tziganes et tous ceux qui leur résistaient. Il n’y a pas si longtemps, faute d’arguments contre les communistes et les antifascistes, les fascistes mussoliniens recourraient à l’huile de ricin ingurgitée de force ou à coups de gourdin jusqu’à ce que mort s’en suive. Aujourd’hui, les assassinats, ciblés ou non, se font par drones pour les uns et par décapitation ou kalachnikov pour les autres.

S’il nous faut exprimer notre dégoût et notre condamnation des crimes commis à l’encontre de la liberté de conscience, de croyance, d’expression écrite ou caricaturale, il nous faut également,  contre un unanimisme de façade, dénoncer pour le moins les régimes qui recourent à la peine de mort contre les apostats. La liberté de changer de religion, de se déclarer agnostique ou athée, ne vaut pas la mort. Ceux qui pratiquent cette législation criminelle sont des assassins, tout comme ceux qui imposent, sur les cartes d’identité, l’ethnie ou la religion d’appartenance. On n’entend guère les partis de gouvernement condamner ces pétro-monarques, condamner ces pratiques qui, on le sait, ont conduit au génocide de 800 000 Tutsi, avec la complaisance du régime mitterrandien…

Nous avons besoin d’une levée en masse de tous, jeunes et moins jeunes, pour que vive l’esprit de Charlie. Mais l’esprit de Charlie et de son équipe amputée, c’est l’esprit de résistance contre tous les puissants, les despotes, les démocratures et tous les fondamentalismes et les racismes. Car les assassins qui ont sévi cherchent à répandre la peur, la panique, la stigmatisation de l’autre, du différent et veulent que, sur ce territoire, l’unité populaire à construire se transforme en guerre de tous contre tous, pour le seul bénéfice des plus puissants.