Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 16 octobre 2014

Le chaos ukrainien

Dans un article précédent (1), intitulé « Ukraine, vers la guerre ou la partition », en conclusion, je laissais entendre que « si le pire n’est jamais certain, tous les dérapages sont néanmoins toujours possibles ». Or, depuis, le déroulement des évènements a prouvé que nous avons eu, dans ce pays, et la guerre limitée et la partition toujours programmée.

Aux 200 morts résultant de la révolte de Maïdan, entraînant la fuite du Président Ianoukovitch, il faut, au 15.09.2014, en ajouter 2 600 dont 900 militaires, victimes de l‘offensive ukrainienne contre les « séparatistes pro-russes ». Les bombardements et les combats ont été d’une telle violence qu’ils ont contraint 400 000 civils à fuir leurs habitations. Qui plus est, 230 000 à 300 000 personnes ont été déplacées et 283 000 se sont réfugiées dans les Etats voisins. Quant aux civils qui sont restés sur place, ils vivaient la plupart du temps (avant le cessez-le-feu… provisoire) terrés dans des caves et, vu les destructions, sans eau ni électricité. En outre, les villes de l’Est meurtries, comme Louhansk, ayant subi deux mois de bombardements, sont des cités mortes, sans eau, sans électricité, ni réseau téléphonique. Dans la ville précitée, l’immense usine de locomotives a été entièrement détruite, de même, à Loutoufino, l’entreprise de machines-outils n’est plus qu’un amas de ferrailles calcinées.

Comment en est-on arrivé à ce point de non-retour ? Faut-il croire, comme les médias  nous portent à le penser(2), qu’il s’agirait d’une lutte entre les « gentils » pro-européens de Kiev et les « méchants terroristes » pro-russes armés par Poutine ? Que dire du cessez-le-feu obtenu suite à la rencontre de Minsk en Biélorussie ? Comment appréhender cette réunion de l’OTAN les 4 et 5 septembre, à Newport, et la tournée d’Obama dans les pays baltes ? Porochenko et son gouvernement peuvent-ils se maintenir au pouvoir ? Tenter de produire des éléments de réponse à ces questions c’est d’abord revenir sur l’enchaînement des faits ou l’engrenage du « pire » s’est enclenché.  

1 - Le roi du chocolat et la « crème terroriste »

La révolte de Maïdan, au centre de Kiev, a surgi lors du choix cornélien auquel a dû procéder le président en exercice, l’oligarque Ianoukovitch porté au pouvoir par le parti des régions (surtout de l’Est) après la faillite des oligarques pro-révolution orange (3). L’économie de prédation qu’il dirigeait était en quasi-faillite, une « aide » d’urgence était nécessaire pour le maintenir à flot. Face à sa demande, l’Union européenne et le FMI ne proposaient que 3 milliards de dollars, assortis de mesures d’austérité impopulaire et de dispositifs anti-corruption malmenant la véritable maffia économique, soutien du régime. Quant à la Russie, son offre était plus alléchante : 11 milliards de dollars accompagnés de remises de dettes de gaz impayées. Le choix « pro-russe » fut vite fait, trop vite, car il fut suivi immédiatement de l’occupation de la place Maïdan par une foule déterminée, à laquelle se sont jointes des forces ultra-nationalistes et d’autres, ouvertement fascistes. Cette confrontation violente avec le pouvoir mêlait revendications démocratiques, hostilité aux oligarques, illusions sur l’union européenne et sentiments ultra-nationalistes antirusses.

Un terme de cette opposition irréductible de la rue fut trouvé (4) lors de la formation d’un nouveau gouvernement dit de transition après la fuite de Ianoukovitch et la volte-face de parlementaires acquis à sa cause. C’est sous la pression conjointe des puissants oligarques, l’ingérence des puissances européennes et la pression de la rue qu’il vit le jour. Ceux qui avaient acquis d’immenses fortunes en faisant main basse sur les biens publics privatisés à vil prix, les mêmes qui avaient financé la « révolution orange », porté au pouvoir Ioutchenko (le grêlé suite à une tentative d’empoisonnement) et permis l’ascension de l’égérie Ioulia Timochenko, tous ceux-là, malgré leurs contradictions, devaient voir leurs intérêts préservés, voire, pour certains d’entre eux, décuplés au terme de l’accord d’association avec l’Union européenne, et ce, sous l’aile protectrice de l’OTAN. Tel était le scénario envisagé car, en définitive, la preuve semblait faite que la rébellion de Maïdan ne ressemblait en rien aux prémices d’une possible révolution. Toutefois, cette vue de l’esprit ne prenait pas en compte les intérêts de la puissance russe, ni la fièvre ultranationaliste à l’ouest. Il devenait de plus en plus difficile dans ces conditions de trouver un compromis entre les baronnies financières, entre l’Est et l’Ouest. Enivrés par la fébrilité pro-occidentale et nationaliste de la rue, les parlementaires votèrent le 23 février l’abolition du statut du russe, 2ème langue officielle. Ces boutefeux, tout à leur provocation, ne pouvaient pas ignorer que 38% des Ukrainiens pratiquent cette langue. Cette manipulation des peurs et des sentiments identitaires de l’ouest ne pouvait qu’exciter la colère des russophones. Ils étaient jusqu’alors méfiants, dans l’expectative vis-à-vis de la révolte de Maïdan. Sous l’instigation de la propagande de Moscou, ils devinrent hostiles, voire sécessionnistes dans leur grande masse. Et ce fut à l’Est un Maïdan à l’envers, même s’il ne connut pas la même ampleur. Le rapprochement vis-à-vis de Moscou semblait d’autant plus naturel (quand bien même la méfiance persistait) que le commerce avec cette puissance assurait, pour l’essentiel, l’irrigation économique de l’Est ukrainien : le Donbass possède en effet d’énormes quantités de charbon, il fut le cœur industriel et minier de l’URSS. Officiellement, 95 mines sont toujours en activité. 

Face à ce gouvernement imposé, Poutine se déclara protecteur des populations russophones, contre ce « coup d’Etat » auquel il n’avait pas été associé. Il le qualifia de fasciste bien que les éléments d’extrême droite y siégeant fussent minoritaires. Et il prit de court ses adversaires, Kiev et les gouvernements occidentaux. Décidé à éviter la perte de sa base navale stationnée en Crimée, il organisa, fin février, un référendum bâclé et récupéra dans son giron, le 18 mars, cette presqu’île peuplée majoritairement de Russes (5).

Pendant des décennies, les Etats-Unis traitèrent avec dédain le pouvoir poutinien, les Etats européens, quant à eux, pensaient amadouer « l’ours russe » par le développement de relations économiques et financières sans en saisir la nature bien différente de celle de son prédécesseur Eltsine. Pourtant bien des signes auraient dû les avertir que la mise sous tutelle de la Russie n’était plus de mise : les massacres en Tchétchénie, l’intervention de l’armée russe en Géorgie, son soutien au boucher El Assad en Syrie. S’appuyant sur les divisions des Etats européens, leur dépendance énergétique au gaz, jouant sur les velléités de la puissance US, Poutine allait démontrer qu’il était un maître au poker menteur, jouant tantôt l’apaisement, tantôt  la force pour mieux s’imposer car, entretemps, les braises sur lesquelles avaient soufflé Washington et Bruxelles s’enflammèrent. Le nouveau gouvernement prétendument assuré de leur soutien allait mener la guerre contre une partie de sa population.

De la guerre de Kiev contre le Donbass

L’embrasement de l’Est se traduisit d’abord par des manifestations, sit-in autonomistes acclamant Poutine, puis très rapidement, des confrontations avec la police mise en déroute à coups de cocktails molotov. Très vite, des rebelles armés et des milices pro-russes occupèrent les bâtiments publics dans les villes de Donetsk, de Louhansk notamment, se proclamèrent République populaire, menacèrent de nationaliser les biens privatisés, tout en chassant les représentants de Kiev qui rapidement se réfugièrent à Sébastopol.

Dans le même temps, face à cette militarisation à caractère séparatiste, soutenue, armée par Poutine et infiltrée de mercenaires et conseillers russes, le gouvernement assura la même montée aux extrêmes. L’armée et les groupes fascistes furent mobilisés pour la reconquête du territoire occupé par les « terroristes séparatistes » qu’il fallait écraser sous les tirs d’artillerie lourde.

D’ailleurs, Porochenko avait été élu par le Parlement sur la promesse de gagner la guerre contre les « séparatistes », de maintenir à tout prix l’unité de l’Ukraine, de ne pas céder face aux revendications fédéralistes et de ne jamais négocier avec ces rebelles. Le roi du chocolat, l’un des hommes les plus riches d’Ukraine allait de fait s’enliser dans « la crème des terroristes ».

Persuadée que Poutine n’oserait aller trop loin que les sanctions occidentales finiraient par le faire reculer, forte du soutien apparent de l’Union européenne, des Etats-Unis et de l’OTAN, l’armée ukrainienne fut lancée à l’assaut. Après de meurtriers combats, bombardements, pilonnages de l’artillerie, les villes « séparatistes » semblaient devoir tomber les unes après les autres et l’ordre nationaliste s’imposer. D’autant que le 2 mai, la répression à Sébastopol inaugurait un cycle marquant la volonté de ne tolérer aucune dissidence. La manifestation anti-Maïdan s’était traduite, en effet, par l’incendie de la maison des syndicats où périrent 30 Ukrainiens. Les fascistes de « Secteur droit » à l’avant-garde de la répression étaient déterminés à faire régner la terreur « anti-prorusse ».

Toutefois, contre toute attente, l’infiltration russe s’amplifiait, des armes sophistiquées et les contre-attaques des milices portaient des coups à l’armée ukrainienne mal organisée, des officiers s’enfuyaient… ils ne s’attendaient pas à cette « résistance » acharnée. Le nombre de morts s’accumulait, la population désemparée, en manque de vivres et d’eau, commençait à filtrer dans la presse, même si les médias occidentaux n’en parlaient guère. Le plan poutinien pouvait dès lors se mettre en place. Il fut de fait retardé par l’intense émotion suscitée par le tir provoquant le crash du Boeing MH17 qui volait à 10 000 mètres d’altitude. Les 298 victimes provoquèrent une vive émotion, attisant la rhétorique d’Obama dénonçant le « nationalisme débridé de Moscou », affirmant qu’il comptait élargir l’OTAN à la Géorgie, qu’il allait aider l’Ukraine et multiplier les sanctions. La réponse fut fournie par Medvedev : à sanctions, contre-sanctions et la menace d’interdire le survol du territoire russe par les compagnies aériennes occidentales, ce qui ne manquerait pas, si elle était exécutée, de provoquer leur faillite. Des Mac Do furent fermés et des produits occidentaux interdits d’importation. Quant à Poutine, il joua l’apaisement le 9 août en appelant les dirigeants occidentaux au « bon sens » lors du lancement du projet d’exploration conjointe entre le Russe Rosneft et l’américain Exxon Mobil dans l’Arctique et en ironisant sur les sanctions. 


2 – De l’opération humanitaire russe à l’intervention militaire

Face à la détérioration de la situation sanitaire et sociale de la population du Donbass, et surtout prenant en compte l’encerclement de Donetsk qu’était en train d’opérer l’armée ukrainienne, en passe de couper cette ville de celle de Louhansk, bastion des « séparatistes », Poutine déclara que la Russie allait procéder à une intervention humanitaire massive : 1 800 tonnes de vivres, de médicaments et d’équipements de première nécessité seraient livrées. Si, sans conteste, les populations soumises à des tirs d’artillerie massifs étaient, tout particulièrement à Louhansk, privées d’eau et d’électricité et victimes de pénurie alimentaire, il s’agissait essentiellement pour Poutine de retarder le plan d’assaut final prévu par Porochenko. La suite des évènements allait le démontrer. Kiev ne pouvait s’opposer frontalement à cette opération mais posait en revanche ses conditions : strict contrôle à la frontière, avec chargement et déchargement des 260 camions russes, sous contrôle de la Croix Rouge. Des tractations sans effet s’en suivirent, les convois étant bloqués à la frontière. Le feu vert fut donné par Poutine, au bout d’une semaine d’immobilisation, de franchir la frontière : Kiev tout comme les gardes-frontières furent pris de court n’osant tirer sur un tel convoi ce qui aurait non seulement justifié une intervention militaire russe mais également provoqué la réprobation internationale. Face aux protestations embarrassées de Washington, Vitali Tchourkine, responsable permanent de la Russie à l’ONU se fit ironique : « Les Etats-Unis n’ont pas le monopole en matière d’humanisme ».

Les muscles propagandistes des défilés militaires et la rencontre de Minsk

Les 22 et 23 août, les convois humanitaires étaient à Lougansk. La trêve s’imposait. Dès les déchargements opérés, ils repartirent.

Face à cette opération de retardement de l’offensive ukrainienne et au mécontentement des ultra-nationalistes de son propre camp, persuadé que la victoire lui avait été volée, Porochenko se devait de montrer sa détermination. Le 24 août, allait donc être le théâtre d’une démonstration propagandiste. A Kiev, l’on assista à un défilé militaire d’un millier de soldats, à Odessa à une parade navale, ce à quoi répondit à Koursk un humiliant défilé de prisonniers ukrainiens déguenillés, conspués par la foule et une exposition d’armements saisis. Dès lors, les évènements allaient se précipiter. Poutine se présentant comme un faiseur de paix face aux belligérants prêt à en découdre à nouveau, proposa à Porochenko aux abois une rencontre à Minsk, en Biélorussie. Le 26 août, en présence de Catherine Ashton comme potiche de l’Union européenne, il prescrivit un cessez-le-feu et invita son homologue ukrainien à dialoguer avec ses compatriotes… « séparatistes » en l’assurant qu’il ne désirait que l’autonomie au sein d’une république fédérale. Sinon… le gaz serait coupé cet hiver. Si aucun accord ne fut conclu, les discussions tendues se déroulèrent sur fond d’intervention russe car, à juste titre, Moscou était persuadé, comme le déclara un diplomate onusien que « personne (parmi les Etats occidentaux) ne veut se lancer dans une aventure militaire contre la Russie ».

En effet, si les Etats-Unis faisaient valoir, par la publication d’images satellites, des convois militaires comprenant plus de 1 000 soldats, de véhicules blindés, de l’artillerie et des moyens de défense aérienne s’acheminaient vers Donetsk, il ne s’agissait pas d’invasion mais seulement d’une « ingérence inacceptable » : au nord, des renforts et des livraisons d’armes et au sud, l’ouverture d’un nouveau front à partir de la côte de la mer d’Azov et la chute rapide de la ville de Novoazovsk. Cette offensive militaire russe circonscrite au Donbass ne se limite pas à rééquilibrer le rapport des forces en présence mais brise la tentative d’encerclement de Donetsk, mettant l’armée de Kiev en déroute en provoquant de lourdes pertes. Porochenko allait-il négocier avec les « séparatistes » ? Ce qui est sûr c’est que la panique s’empara du gouvernement de Kiev qui en appela, sans succès à l’OTAN, à Washington et à l’UE. Panique d’autant plus forte que Marioupol au sud de l’Ukraine, cette ville de 500 000 habitants située à 40 km des troupes « pro-russes » semblait menacée. Les corps d’armée qui y stationnaient, réquisitionnèrent les usines, des tranchées furent creusées et une chaîne humaine d’un kilomètre largement médiatisée fut organisée. La prise de Marioupol aurait été un désastre pour le pouvoir ukrainien. Mais l’OTAN se contenta de vociférer et la Russie imposa de fait un cessez-le-feu attendant que le fruit mûr tombe de lui-même : l’économie ukrainienne était exsangue et l’armée ukrainienne à bout de souffle après sa 3ème phase de mobilisation de réservistes et ses lourdes pertes. Il suffisait d’attendre et d’observer les réactions des puissances occidentales.

3 – En attendant… la suite du chaos avant… la partition soft ?

Au lendemain de la rencontre de Minsk, le 28 août, alors même que la défaite ukrainienne ne faisait plus de doute, Hollande dans un élan de sympathie poutinien déclarait : « Les autorités (sic !) ukrainiennes doivent faire preuve de retenue dans les opérations militaires, décider d’une large décentralisation au bénéfice des régions russophones et écarter toute provocation ». Quelques jours plus tôt, Merkel jouant les intermédiaires entre Poutine et Porochenko, tout en prônant la décentralisation du pouvoir ukrainien, se justifiait ainsi : « Je veux trouver une voie de sortie qui ne nuise pas à la Russie ». En outre l’Allemagne fit savoir qu’elle n’armerait pas l’Ukraine et ne financerait pas la reconstruction du Donbass. L’Union Européenne divisée entre la vieille et la nouvelle Europe peut-elle se contenter d’une mise sous tutelle des régions de l’Est de ce pays et de l’avancée menaçante de l’Eurasie poutinienne dans l’espace de l’ex-URSS ? Déclarer la guerre à la Russie, puissance nucléaire, en utilisant l’OTAN ? Impensable, pour les pays qui n’y adhèrent pas !

La conférence de l’OTAN et la rhétorique d’Obama

Reste que cette structure guerrière sous égide anglo-saxonne n’a pas manqué de procéder à de la surenchère… sans guère se mouiller. Des promesses de soutien à Kiev ont certes été formulées et ont encouragé Porochenko dans sa croyance que Moscou finirait par céder : assistance technologique et logistique, fonds de soutien de 15 millions d’euros pour réformer l’armée, aide au traitement des blessés mais… pas d’adhésion à l’OTAN.

Toutefois, les 4 et 5 septembre, se tint à New Port, au Pays de Galles, un grand raout en présence de 60 chefs d’Etats et de gouvernements entourés tous de leurs ministres de la défense et des affaires étrangères. L’inquiétude et l’apparente détermination étaient de mise : la Pologne et les pays baltes réclamèrent (6) des bases permanentes sur leur territoire, l’on déclara que si l’Alliance militaire ne concernait que 28 pays et pas un de plus, « la porte restant néanmoins ouverte ». La création d’une force de réaction rapide fut décidée. Elle devrait être composée de 5 000 hommes, une unité de 800 hommes pourrait être prête en deux jours et le reste devrait être opérationnel en 5 à 7 jours. Restait à la constituer ! Les dépenses militaires de l’OTAN se chiffrant à 900 milliards de dollars par an dont 75% sont assurés par les Etats-Unis, Obama, lui qui souhaite « diriger de l’arrière », fit la leçon aux gouvernements européens : chaque Etat devrait consacrer au moins 2% de son PIB aux dépenses militaires communes dont 20% pour des investissements nouveaux. Il était inadmissible que les budgets européens d’armement soient en baisse depuis 2012 ! Il fallait faire grossir le mastodonte OTAN même si la Russie ne consacrait annuellement que 80 milliards pour ses dépenses militaires. Une nouvelle course aux armements était-elle à l’ordre du jour afin de satisfaire les marchands de canons et ce, en pleine période d’austérité imposée ? « Voyager léger pour frapper fort » ce slogan adopté pour baptiser la force de réaction rapide capable d’intervenir dans tout pays menacé d’incursion russe n’allait-il pas entraîner un engrenage guerrier somnambulique ? L’Union européenne avait-elle besoin d’une mise sous tutelle de l’ensemble de l’Ukraine ? Quant aux peuples, aux parlements nationaux, il ne fut nullement question de les consulter et encore moins qu’ils décident de quoi que ce soit à ce sujet.

Obama, lui qui avait affirmé  avec emphase que la souveraineté nationale de l’Ukraine ne saurait être mise en cause, cautionnant ainsi l’offensive de Kiev « contre son propre peuple » pour reprendre le mot de Poutine, ne pouvait que réaffirmer que l’hégémonie US ne saurait être mise en doute même si les faits lui donnaient tort. Il n’y a pas, dit-il en substance, de « zone d’influence naturelle » russe… mais la volonté d’élargissement de l’OTAN à s’étendre à la Géorgie, à la Moldavie… et demain à l’Ukraine ne saurait être mise en cause. Il exhorta les pays membres de l’OTAN à prendre des engagements concrets pour aider l’Ukraine.

Cette rhétorique ne suffisant pas à rassurer certains pays, il entreprit une tournée… triomphale aux pays baltes, inquiets des appétits de « l’ogre russe ». Ce fut, pour reprendre le mot d’un général français cité par le Canard Enchaîné, « une séance de câlinothérapie à l’américaine ».

Poutine vis-à-vis de la force de cette démonstration verbale répondit à la Pologne antirusse en diminuant drastiquement les livraisons de gaz, et le 8 septembre, aux pays baltes par une opération commando kidnappant l’espion estonien Eston Kohver et ce, le jour même où s’achevait le sommet de l’OTAN dont les pays membres, testés ne réagirent guère…

Les lendemains ne sont pas prêts de chanter

C’est que, comme suggéré dans un précédent article, les Etats européens, tout particulièrement leurs transnationales ont beaucoup à perdre dans une escalade avec Moscou. Pour ne prendre qu’un exemple, le plus emblématique, les exportations allemandes vers la Russie ont chuté de 15% et les chefs d’entreprises de ce pays mènent un intense lobbying contre les sanctions.

Quant à l’Ukraine, elle est au bord de la faillite, le FMI prévoyant une contraction de son PIB de 6.5% en 2014. L’Etat est rongé par la corruption, les caisses sont vides et une grande partie du Donbass considère que le divorce avec Kiev est consommé. Les élections prévues le 26 octobre (sans la partie Est ?) risquent d’être le théâtre de bien des surprises et surenchères fascisantes. Jusqu’à présent, les aspirations sociales et démocratiques ont pu être occultées mais, face à la déconfiture de Porochenko, un nouveau Maïdan est probable. Ce ne peut être, compte tenu des forces politiques en présence, qu’un nouveau chaos dont pourrait enfin sortir une force de transformation sociale réelle. Mais, dans l’immédiat, rien n’est moins certain. La partie ouest s’achemine vers la dépendance européenne et ses ajustements structurels, la partie Est à reconstruire va connaître le joug poutinien et ce, dans un contexte international où la « grande coalition » sous l’égide d’Obama a les yeux tournés vers le bourbier irakien et l’hydre de l’Etat islamique.

Gérard Deneux, le 17.09.2014

(1)   PES n° 2 avril 2014
(2)   lire l’article du Monde Diplomatique « Les bons, la brute et la Crimée » d’Oliver Zajec – avril 2014
(3)   Ianoukovitch présenté unilatéralement comme pro russe a eu en effet, pour conseiller, Paul Mawfort de 2004 à 2013, celui-là même qui conseilla Reagan puis GW Bush
(4)   Pour la suite de ces évènements, se reporter à mon article précédent
(5)   La Crimée a été cédée à l’Ukraine par Khrouchtchev
(6)   Entre le 28 septembre et le 5 octobre 1939, Staline se fait accorder des bases en Estonie, Lettonie et Lituanie et ce, sous la menace et dans le cadre du pacte germano-soviétique. Après la guerre, ces pays seront intégrés à l’Union soviétique.


Encart

Porochenko tente de masquer qu’il est allé à Canossa

On vient d’apprendre que le Parlement ukrainien avait adopté, le 16 septembre, une loi d’autonomie pour la région du Donbass. Elle disposerait du droit de créer sa propre police, de nommer procureurs et juges, de gérer les budgets locaux et l’économie. La possibilité de coopération transfrontalière autonome avec la Russie est même reconnue. Quant à la langue russe, elle possèderait un statut équivalent à l’ukrainien. Pour convaincre les députés, Porochenko a brandi la menace russe. Poutine lui aurait dit que si elle n’était pas votée, Marioupol serait prise par la force armée. Pour : 277 voix sur 450, celle loi fut votée.
Et puis, l’on passa aux réjouissances théâtrales « grandiloquentes » pour faire passer la pilule à Strasbourg et à Kiev. Les deux parlements en duplex sur grand écran ratifièrent l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE sans vote et par standing ovation comme pour mieux faire oublier « Tout ça pour ça », les 3 000 morts et le fait que l’accord effectif de libre échange est reporté… en janvier 2016.
Réaction de Moscou : c’est un début… en attendant des gages de non adhésion à l’OTAN. Quant aux rebelles, ils parlent de 1ère étape… et sont plutôt sceptiques. En outre, le cessez-le-feu est des plus fragiles. Ces 3 derniers jours on dénombrait la mort d’une dizaine de civils et de 3 soldats ukrainiens dans les environs de Donetsk.
L’élection des parlements régionaux est prévue pour le 7 décembre alors même que les législatives sont maintenues au 26 octobre.
Le 18.09.2014