Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 25 octobre 2014

US-RABIN-ARAFAT-DEATHEntretien avec
Julien Salingue

Le 13 septembre 1993, les représentants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien signe, sur la pelouse de la Maison Blanche, à Washington, une« Déclaration de principes », plus connue sous le nom d’accords d’Oslo, qui en cinq ans, aurait du aboutir à la création d’un Etat palestinien viable et indépendant. Plus de 20 ans plus tard, il n’y a pas d’Etat palestinien. Pire, la domination israélienne sur les territoires occupés n’a jamais été aussi forte, la colonisationse poursuit à vitesse grand V et les Palestiniens continuent d’être mis en prison. Et on en oublierait presque la situation à Gaza…. Avec son nouveau livre, La Palestine d’Oslo, Julien Salingue, nous livre les clés essentielles pour mieux comprendre les raisons d’un tel échec. A lire absolument . Entretien conduit par le Courrier de l’Atlas.
Que vous inspirent les accords d’Oslo ?
Julien Salingue. Deux décennies après leur signature, il est difficile de porter un jugement positif sur les accords d’Oslo. Alors qu’ils ont été présentés, en 1993-1994, comme une étape décisive dans le règlement du conflit entre Israël et les Palestiniens, qui devait déboucher rapidement sur la coexistence de deux États, force est de constater qu’il n’en est rien aujourd’hui. L’emprise israélienne sur les territoires occupés n’a jamais été aussi forte, la colonisation se poursuit à une vitesse inégalée par le passé, la répression contre les Palestiniens, à l’image de ce qui s’est passé cet été à Gaza [opération dite Bordure protectrice, est d’une violence inouïe, et rien ne semble indiquer que ces tendances pourraient être inversées.
Loin d’avoir été une solution pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens, les accords d’Oslo ont en réalité contribué à diluer la question palestinienne en transformant une lutte de libération nationale en construction d’un pseudo-appareil d’État, l’Autorité Palestinienne (AP), intégré au dispositif de l’occupation et ne permettant donc pas de lutter contre cette dernière. 
Êtes-vous surpris par l’échec des accords d’Oslo?
Julien Salingue. Absolument pas! Contrairement à une légende communément répandue, les accords d’Oslo ne réglaient absolument aucune des questions fondamentales : colonisation, occupation, réfugiés, etc. Les accords d’Oslo ouvraient une période dite « intérimaire », au terme de laquelle lesdites questions devaient être évoquées. Or, le principe même et les conditions de cette période intérimaire étaient annonciateurs du pire: l’État d’Israël s’engageait en effet à se «redéployer» au sein des territoires palestiniens (et non à se « retirer » des territoires palestiniens, la nuance est de taille), confiant la gestion des zones évacuées (appelées «zones autonomes») à une administration autochtone: l’AP. Or, et ce dès le début du « processus d’Oslo », les redéploiements israéliens ont été conditionnés à la capacité de l’AP à «gérer» ses zones autonomes, c’est-à-dire à y maintenir l’ordre. En d’autres termes, on a demandé aux Palestiniens de cesser de lutter pour leurs droits alors que ceux-ci n’étaient pas satisfaits, en échange de la promesse de leur éventuelle future satisfaction. Qui pouvait raisonnablement penser qu’un tel processus serait fonctionnel ?
Peut-on y trouver tout de même quelques points positifs ?
Julien Salingue. Évidemment, la fin de l’occupation directe et permanente des grandes villes et des camps de réfugiés palestiniens, et la fin de la tutelle israélienne sur les services de santé, sociaux, éducatifs, etc. ont pu représenter un soulagement pour tout ou partie de la population. De même, la naissance d’institutions palestiniennes, avec un parlement, des ministères, une Présidence, etc., ont apporté fierté et dignité chez nombre de Palestiniens. Tout le problème est que ces quelques acquis n’ont été obtenus qu’en échange d’un renforcement de l’occupation et de la colonisation israéliennes et de la promesse d’un renoncement à la lutte pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens. Jouir d’une « autonomie » et d’une « liberté » toutes relatives au sein de « zones autonomes » qui s’apparentent de plus en plus à des prisons à ciel ouvert n’était sans doute pas l’objectif de celles et ceux qui se sont soulevés à la fin des années 1980 contre l’occupation israélienne.
Qui est responsable de l’échec des accords d’Oslo ?
Julien Salingue. Je suis tenté de répondre que ce sont les accords d’Oslo qui sont responsables de l’échec des accords d’Oslo : il n’y a jamais eu de « processus de paix », seulement une poursuite de l’occupation par d’autres moyens. L’échec d’Oslo n’est pas l’histoire de rendez-vous manqués, de mauvais choix ou de mauvaise volonté de la part de l’un et/ou l’autre des acteurs. L’échec d’Oslo est l’échec programmé d’un processus par lequel on a tenté d’imposer aux Palestiniens de renoncer à leurs droits et de renoncer à les revendiquer, au nom d’une autonomie illusoire et d’un transfert d’une partie des compétences et prérogatives de l’administration coloniale à une administration autochtone sans réelle souveraineté. On pourrait donc dire que les responsables sont tous ceux qui ont entretenu l’illusion d’un «processus de paix» que la réalité démentait chaque jour. Mais bien évidemment, la problématique centrale demeure la même depuis des décennies : l’occupation et la colonisation israéliennes, et le déni de droits pour les Palestiniens.
Est-ce que les accords d’Oslo ont favorisé l’ascension du Hamas ?
Julien Salingue. En un sens, oui. Le Hamas s’est clairement opposé aux accords d’Oslo, affirmant qu’ils étaient une compromission inacceptable et un abandon des droits nationaux des Palestiniens. Ils ont donc refusé de rejoindre les institutions de l’autonomie, boycottant les élections, et affirmant que tôt ou tard il faudrait en revenir à la lutte directe contre l’occupation et que l’AP s’effondrerait. La poursuite de l’occupation et de la colonisation, les pratiques mafieuses de la direction de l’AP et l’échec du processus négocié ont donné raison au Hamas: ils sont apparus rapidement comme la seule organisation d’envergure nationale qui combinait à la fois assistance à la population, poursuite de la résistance et refus de la capitulation. D’où leur ascension, qui avait en réalité commencé dès les années 1980.
Le Hamas et l’Autorité Palestinienne (l’AP) peuvent-ils gouverner ensemble?
Julien Salingue. Gouverner, peut-être. En effet, la gestion d’un pseudo-appareil d’État comme l’AP se réduit de plus en plus un travail de « techniciens », sans réel enjeu d’orientation politique. Il faut gérer l’assistance à la population, la redistribution des aides internationales, les projets de « développement économique », les forces de sécurité, etc. Un gouvernement de « technocrates » soutenu par le Hamas et les proches d’Abbas est tout à fait envisageable, même si deux problèmes demeurent : le contrôle sur les aides internationales (l’argent) et sur les forces de sécurité (les armes). Ce sont sur ces deux points que les discussions achoppent régulièrement, et pour l’instant le gouvernement d’union ne tient que parce que le Hamas a décidé de se mettre en retrait de la gestion de l’appareil d’État.
Mais l’essentiel se situe ailleurs, et il concerne la stratégie pour la lutte de libération nationale, qui ne se confond pas, loin de là, avec la gestion de l’AP qui n’est, comme nous l’avons dit, qu’une administration. Quelles résistances ? Quel programme ? Quels rapports avec Israël ? Quelles exigences dans les négociations ? Quel système d’alliance internationale ? Etc. Autant de questions sur lesquelles le Hamas et la direction Abbas sont loin, très loin d’être en accord, et qui ne pourront se régler dans le cadre d’accords techniques sur la cogestion de l’appareil AP. Toute la question est la refonte du mouvement national palestinien, avec la perspective d’une nouvelle Organisation de Libération de la Palestine (OLP), intégrant l’ensemble des forces palestiniennes (dont le Hamas) et tirant le bilan de la tragicomédie du « processus d’Oslo ». (23 octobre 2014; propos recueillis par Nadir Dendoune)

jeudi 16 octobre 2014

Les Amis du Monde diplomatique Nord Franche-Comté, les Amis de l’Emancipation Sociale
et les Amis du cinéma de Vesoul
vous invitent à découvrir le film

Les jours heureux
Quand l’utopie des résistants devint réalité
de Gilles Perret

Jeudi 23 octobre 2014  
 à  Vesoul  à 20h30 au cinéma Majestic (tarifs habituels)
et
Vendredi 24 octobre 2014
à Lure à 20h30 au cinéma Méliès (5.50€)

Suivi d’un débat en présence du monteur du film
 Stephane Perriot


Entre mai 1943 et mars 1944, sur le territoire encore occupé, des hommes, résistants, vont changer durablement le visage de la France. Ils rédigent le programme du Conseil National de la Résistance intitulé « Les jours heureux » qui donnera naissance à la sécurité sociale, aux retraites par répartition, aux comités d’entreprises… Enthousiasmant ! Et, aujourd’hui, nous assisterions sans rien dire au détricotage des « jours heureux » ? Nous en appelons à la résistance de tous pour refuser massivement les reculs sociaux que poursuit le gouvernement Hollande-Valls, à la suite de Sarkozy. Soyons utopiques. Imaginons le possible !                                                                  Contact : 03 84 78 29 87




Les Amis du Monde diplomatique Nord Franche-Comté et  les Amis de l’Emancipation Sociale vous convient à une conférence-débat


Mercredi 22 octobre 2014 
 Belfort  à 20h30 - Maison du Peuple (salle 327), entrée gratuite


Sur le thème
Génocide des Tutsi au Rwanda.
Quelles responsabilités françaises ?


en présence de
Raphaël Doridant
Membre de l’association Survie






20 ans après le génocide des Tutsi, la première condamnation d’un génocidaire présent en France a ouvert une brèche dans l’impunité qui a été la règle jusqu’à présent. Mais le déni, l’intox et les manipulations se poursuivent pour occulter les différents volets de la complicité française. Des révélations d’anciens officiers français présents au Rwanda, des publications récentes et l’action persévérante de l’association Survie vont-elles permettre qu’enfin les plus hautes autorités de l’Etat français renoncent au discours de justification de la politique menée au Rwanda entre 1990 et 1994 ? Nos dirigeants pourront-ils encore longtemps nous duper sur la réalité de la Françafrique ? Venez en débattre.                                                                                                                                         
Le Collectif Unitaire pour la Palestine vous invite à

8 HEURES POUR
LA PALESTINE

SAMEDI 18 OCTOBRE 2014
BELFORT au Centre Social et culturel de la Pépinière
de 15h à 23h


15h30 – projection du documentaire Cinq caméras brisées
de Guy Davidi, Emad Burnat (2011).
Un journaliste palestinien raconte le combat de son village pour empêcher
la construction d’une barrière de séparation sur ses terres

17h30 – Conférence-débat en présence de
Jean-Claude Meyer
Union Juive Française pour la Paix
« Vers la fascisation de la société israélienne ? »
et Julien Salingue
chercheur spécialiste de la question palestinienne, auteur de « A la recherche de la Palestine » 
  « La résistance des Palestiniens »

20h30 – Poèmes, chansons, slams, messages de paix pour la Palestine
par des artistes locaux

21h – Repas palestinien au prix de 15€ par adulte et 8€ par enfant

et tout au long de l’après-midi :
Exposition photos commentée
Vente de produits palestiniens
Vente de livres


Organisé par les Amis de l’émancipation Sociale, Collectif Freedom for Palestine, NPA,
 Parti de Gauche, la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie

avec le soutien des Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
Le chaos ukrainien

Dans un article précédent (1), intitulé « Ukraine, vers la guerre ou la partition », en conclusion, je laissais entendre que « si le pire n’est jamais certain, tous les dérapages sont néanmoins toujours possibles ». Or, depuis, le déroulement des évènements a prouvé que nous avons eu, dans ce pays, et la guerre limitée et la partition toujours programmée.

Aux 200 morts résultant de la révolte de Maïdan, entraînant la fuite du Président Ianoukovitch, il faut, au 15.09.2014, en ajouter 2 600 dont 900 militaires, victimes de l‘offensive ukrainienne contre les « séparatistes pro-russes ». Les bombardements et les combats ont été d’une telle violence qu’ils ont contraint 400 000 civils à fuir leurs habitations. Qui plus est, 230 000 à 300 000 personnes ont été déplacées et 283 000 se sont réfugiées dans les Etats voisins. Quant aux civils qui sont restés sur place, ils vivaient la plupart du temps (avant le cessez-le-feu… provisoire) terrés dans des caves et, vu les destructions, sans eau ni électricité. En outre, les villes de l’Est meurtries, comme Louhansk, ayant subi deux mois de bombardements, sont des cités mortes, sans eau, sans électricité, ni réseau téléphonique. Dans la ville précitée, l’immense usine de locomotives a été entièrement détruite, de même, à Loutoufino, l’entreprise de machines-outils n’est plus qu’un amas de ferrailles calcinées.

Comment en est-on arrivé à ce point de non-retour ? Faut-il croire, comme les médias  nous portent à le penser(2), qu’il s’agirait d’une lutte entre les « gentils » pro-européens de Kiev et les « méchants terroristes » pro-russes armés par Poutine ? Que dire du cessez-le-feu obtenu suite à la rencontre de Minsk en Biélorussie ? Comment appréhender cette réunion de l’OTAN les 4 et 5 septembre, à Newport, et la tournée d’Obama dans les pays baltes ? Porochenko et son gouvernement peuvent-ils se maintenir au pouvoir ? Tenter de produire des éléments de réponse à ces questions c’est d’abord revenir sur l’enchaînement des faits ou l’engrenage du « pire » s’est enclenché.  

1 - Le roi du chocolat et la « crème terroriste »

La révolte de Maïdan, au centre de Kiev, a surgi lors du choix cornélien auquel a dû procéder le président en exercice, l’oligarque Ianoukovitch porté au pouvoir par le parti des régions (surtout de l’Est) après la faillite des oligarques pro-révolution orange (3). L’économie de prédation qu’il dirigeait était en quasi-faillite, une « aide » d’urgence était nécessaire pour le maintenir à flot. Face à sa demande, l’Union européenne et le FMI ne proposaient que 3 milliards de dollars, assortis de mesures d’austérité impopulaire et de dispositifs anti-corruption malmenant la véritable maffia économique, soutien du régime. Quant à la Russie, son offre était plus alléchante : 11 milliards de dollars accompagnés de remises de dettes de gaz impayées. Le choix « pro-russe » fut vite fait, trop vite, car il fut suivi immédiatement de l’occupation de la place Maïdan par une foule déterminée, à laquelle se sont jointes des forces ultra-nationalistes et d’autres, ouvertement fascistes. Cette confrontation violente avec le pouvoir mêlait revendications démocratiques, hostilité aux oligarques, illusions sur l’union européenne et sentiments ultra-nationalistes antirusses.

Un terme de cette opposition irréductible de la rue fut trouvé (4) lors de la formation d’un nouveau gouvernement dit de transition après la fuite de Ianoukovitch et la volte-face de parlementaires acquis à sa cause. C’est sous la pression conjointe des puissants oligarques, l’ingérence des puissances européennes et la pression de la rue qu’il vit le jour. Ceux qui avaient acquis d’immenses fortunes en faisant main basse sur les biens publics privatisés à vil prix, les mêmes qui avaient financé la « révolution orange », porté au pouvoir Ioutchenko (le grêlé suite à une tentative d’empoisonnement) et permis l’ascension de l’égérie Ioulia Timochenko, tous ceux-là, malgré leurs contradictions, devaient voir leurs intérêts préservés, voire, pour certains d’entre eux, décuplés au terme de l’accord d’association avec l’Union européenne, et ce, sous l’aile protectrice de l’OTAN. Tel était le scénario envisagé car, en définitive, la preuve semblait faite que la rébellion de Maïdan ne ressemblait en rien aux prémices d’une possible révolution. Toutefois, cette vue de l’esprit ne prenait pas en compte les intérêts de la puissance russe, ni la fièvre ultranationaliste à l’ouest. Il devenait de plus en plus difficile dans ces conditions de trouver un compromis entre les baronnies financières, entre l’Est et l’Ouest. Enivrés par la fébrilité pro-occidentale et nationaliste de la rue, les parlementaires votèrent le 23 février l’abolition du statut du russe, 2ème langue officielle. Ces boutefeux, tout à leur provocation, ne pouvaient pas ignorer que 38% des Ukrainiens pratiquent cette langue. Cette manipulation des peurs et des sentiments identitaires de l’ouest ne pouvait qu’exciter la colère des russophones. Ils étaient jusqu’alors méfiants, dans l’expectative vis-à-vis de la révolte de Maïdan. Sous l’instigation de la propagande de Moscou, ils devinrent hostiles, voire sécessionnistes dans leur grande masse. Et ce fut à l’Est un Maïdan à l’envers, même s’il ne connut pas la même ampleur. Le rapprochement vis-à-vis de Moscou semblait d’autant plus naturel (quand bien même la méfiance persistait) que le commerce avec cette puissance assurait, pour l’essentiel, l’irrigation économique de l’Est ukrainien : le Donbass possède en effet d’énormes quantités de charbon, il fut le cœur industriel et minier de l’URSS. Officiellement, 95 mines sont toujours en activité. 

Face à ce gouvernement imposé, Poutine se déclara protecteur des populations russophones, contre ce « coup d’Etat » auquel il n’avait pas été associé. Il le qualifia de fasciste bien que les éléments d’extrême droite y siégeant fussent minoritaires. Et il prit de court ses adversaires, Kiev et les gouvernements occidentaux. Décidé à éviter la perte de sa base navale stationnée en Crimée, il organisa, fin février, un référendum bâclé et récupéra dans son giron, le 18 mars, cette presqu’île peuplée majoritairement de Russes (5).

Pendant des décennies, les Etats-Unis traitèrent avec dédain le pouvoir poutinien, les Etats européens, quant à eux, pensaient amadouer « l’ours russe » par le développement de relations économiques et financières sans en saisir la nature bien différente de celle de son prédécesseur Eltsine. Pourtant bien des signes auraient dû les avertir que la mise sous tutelle de la Russie n’était plus de mise : les massacres en Tchétchénie, l’intervention de l’armée russe en Géorgie, son soutien au boucher El Assad en Syrie. S’appuyant sur les divisions des Etats européens, leur dépendance énergétique au gaz, jouant sur les velléités de la puissance US, Poutine allait démontrer qu’il était un maître au poker menteur, jouant tantôt l’apaisement, tantôt  la force pour mieux s’imposer car, entretemps, les braises sur lesquelles avaient soufflé Washington et Bruxelles s’enflammèrent. Le nouveau gouvernement prétendument assuré de leur soutien allait mener la guerre contre une partie de sa population.

De la guerre de Kiev contre le Donbass

L’embrasement de l’Est se traduisit d’abord par des manifestations, sit-in autonomistes acclamant Poutine, puis très rapidement, des confrontations avec la police mise en déroute à coups de cocktails molotov. Très vite, des rebelles armés et des milices pro-russes occupèrent les bâtiments publics dans les villes de Donetsk, de Louhansk notamment, se proclamèrent République populaire, menacèrent de nationaliser les biens privatisés, tout en chassant les représentants de Kiev qui rapidement se réfugièrent à Sébastopol.

Dans le même temps, face à cette militarisation à caractère séparatiste, soutenue, armée par Poutine et infiltrée de mercenaires et conseillers russes, le gouvernement assura la même montée aux extrêmes. L’armée et les groupes fascistes furent mobilisés pour la reconquête du territoire occupé par les « terroristes séparatistes » qu’il fallait écraser sous les tirs d’artillerie lourde.

D’ailleurs, Porochenko avait été élu par le Parlement sur la promesse de gagner la guerre contre les « séparatistes », de maintenir à tout prix l’unité de l’Ukraine, de ne pas céder face aux revendications fédéralistes et de ne jamais négocier avec ces rebelles. Le roi du chocolat, l’un des hommes les plus riches d’Ukraine allait de fait s’enliser dans « la crème des terroristes ».

Persuadée que Poutine n’oserait aller trop loin que les sanctions occidentales finiraient par le faire reculer, forte du soutien apparent de l’Union européenne, des Etats-Unis et de l’OTAN, l’armée ukrainienne fut lancée à l’assaut. Après de meurtriers combats, bombardements, pilonnages de l’artillerie, les villes « séparatistes » semblaient devoir tomber les unes après les autres et l’ordre nationaliste s’imposer. D’autant que le 2 mai, la répression à Sébastopol inaugurait un cycle marquant la volonté de ne tolérer aucune dissidence. La manifestation anti-Maïdan s’était traduite, en effet, par l’incendie de la maison des syndicats où périrent 30 Ukrainiens. Les fascistes de « Secteur droit » à l’avant-garde de la répression étaient déterminés à faire régner la terreur « anti-prorusse ».

Toutefois, contre toute attente, l’infiltration russe s’amplifiait, des armes sophistiquées et les contre-attaques des milices portaient des coups à l’armée ukrainienne mal organisée, des officiers s’enfuyaient… ils ne s’attendaient pas à cette « résistance » acharnée. Le nombre de morts s’accumulait, la population désemparée, en manque de vivres et d’eau, commençait à filtrer dans la presse, même si les médias occidentaux n’en parlaient guère. Le plan poutinien pouvait dès lors se mettre en place. Il fut de fait retardé par l’intense émotion suscitée par le tir provoquant le crash du Boeing MH17 qui volait à 10 000 mètres d’altitude. Les 298 victimes provoquèrent une vive émotion, attisant la rhétorique d’Obama dénonçant le « nationalisme débridé de Moscou », affirmant qu’il comptait élargir l’OTAN à la Géorgie, qu’il allait aider l’Ukraine et multiplier les sanctions. La réponse fut fournie par Medvedev : à sanctions, contre-sanctions et la menace d’interdire le survol du territoire russe par les compagnies aériennes occidentales, ce qui ne manquerait pas, si elle était exécutée, de provoquer leur faillite. Des Mac Do furent fermés et des produits occidentaux interdits d’importation. Quant à Poutine, il joua l’apaisement le 9 août en appelant les dirigeants occidentaux au « bon sens » lors du lancement du projet d’exploration conjointe entre le Russe Rosneft et l’américain Exxon Mobil dans l’Arctique et en ironisant sur les sanctions. 


2 – De l’opération humanitaire russe à l’intervention militaire

Face à la détérioration de la situation sanitaire et sociale de la population du Donbass, et surtout prenant en compte l’encerclement de Donetsk qu’était en train d’opérer l’armée ukrainienne, en passe de couper cette ville de celle de Louhansk, bastion des « séparatistes », Poutine déclara que la Russie allait procéder à une intervention humanitaire massive : 1 800 tonnes de vivres, de médicaments et d’équipements de première nécessité seraient livrées. Si, sans conteste, les populations soumises à des tirs d’artillerie massifs étaient, tout particulièrement à Louhansk, privées d’eau et d’électricité et victimes de pénurie alimentaire, il s’agissait essentiellement pour Poutine de retarder le plan d’assaut final prévu par Porochenko. La suite des évènements allait le démontrer. Kiev ne pouvait s’opposer frontalement à cette opération mais posait en revanche ses conditions : strict contrôle à la frontière, avec chargement et déchargement des 260 camions russes, sous contrôle de la Croix Rouge. Des tractations sans effet s’en suivirent, les convois étant bloqués à la frontière. Le feu vert fut donné par Poutine, au bout d’une semaine d’immobilisation, de franchir la frontière : Kiev tout comme les gardes-frontières furent pris de court n’osant tirer sur un tel convoi ce qui aurait non seulement justifié une intervention militaire russe mais également provoqué la réprobation internationale. Face aux protestations embarrassées de Washington, Vitali Tchourkine, responsable permanent de la Russie à l’ONU se fit ironique : « Les Etats-Unis n’ont pas le monopole en matière d’humanisme ».

Les muscles propagandistes des défilés militaires et la rencontre de Minsk

Les 22 et 23 août, les convois humanitaires étaient à Lougansk. La trêve s’imposait. Dès les déchargements opérés, ils repartirent.

Face à cette opération de retardement de l’offensive ukrainienne et au mécontentement des ultra-nationalistes de son propre camp, persuadé que la victoire lui avait été volée, Porochenko se devait de montrer sa détermination. Le 24 août, allait donc être le théâtre d’une démonstration propagandiste. A Kiev, l’on assista à un défilé militaire d’un millier de soldats, à Odessa à une parade navale, ce à quoi répondit à Koursk un humiliant défilé de prisonniers ukrainiens déguenillés, conspués par la foule et une exposition d’armements saisis. Dès lors, les évènements allaient se précipiter. Poutine se présentant comme un faiseur de paix face aux belligérants prêt à en découdre à nouveau, proposa à Porochenko aux abois une rencontre à Minsk, en Biélorussie. Le 26 août, en présence de Catherine Ashton comme potiche de l’Union européenne, il prescrivit un cessez-le-feu et invita son homologue ukrainien à dialoguer avec ses compatriotes… « séparatistes » en l’assurant qu’il ne désirait que l’autonomie au sein d’une république fédérale. Sinon… le gaz serait coupé cet hiver. Si aucun accord ne fut conclu, les discussions tendues se déroulèrent sur fond d’intervention russe car, à juste titre, Moscou était persuadé, comme le déclara un diplomate onusien que « personne (parmi les Etats occidentaux) ne veut se lancer dans une aventure militaire contre la Russie ».

En effet, si les Etats-Unis faisaient valoir, par la publication d’images satellites, des convois militaires comprenant plus de 1 000 soldats, de véhicules blindés, de l’artillerie et des moyens de défense aérienne s’acheminaient vers Donetsk, il ne s’agissait pas d’invasion mais seulement d’une « ingérence inacceptable » : au nord, des renforts et des livraisons d’armes et au sud, l’ouverture d’un nouveau front à partir de la côte de la mer d’Azov et la chute rapide de la ville de Novoazovsk. Cette offensive militaire russe circonscrite au Donbass ne se limite pas à rééquilibrer le rapport des forces en présence mais brise la tentative d’encerclement de Donetsk, mettant l’armée de Kiev en déroute en provoquant de lourdes pertes. Porochenko allait-il négocier avec les « séparatistes » ? Ce qui est sûr c’est que la panique s’empara du gouvernement de Kiev qui en appela, sans succès à l’OTAN, à Washington et à l’UE. Panique d’autant plus forte que Marioupol au sud de l’Ukraine, cette ville de 500 000 habitants située à 40 km des troupes « pro-russes » semblait menacée. Les corps d’armée qui y stationnaient, réquisitionnèrent les usines, des tranchées furent creusées et une chaîne humaine d’un kilomètre largement médiatisée fut organisée. La prise de Marioupol aurait été un désastre pour le pouvoir ukrainien. Mais l’OTAN se contenta de vociférer et la Russie imposa de fait un cessez-le-feu attendant que le fruit mûr tombe de lui-même : l’économie ukrainienne était exsangue et l’armée ukrainienne à bout de souffle après sa 3ème phase de mobilisation de réservistes et ses lourdes pertes. Il suffisait d’attendre et d’observer les réactions des puissances occidentales.

3 – En attendant… la suite du chaos avant… la partition soft ?

Au lendemain de la rencontre de Minsk, le 28 août, alors même que la défaite ukrainienne ne faisait plus de doute, Hollande dans un élan de sympathie poutinien déclarait : « Les autorités (sic !) ukrainiennes doivent faire preuve de retenue dans les opérations militaires, décider d’une large décentralisation au bénéfice des régions russophones et écarter toute provocation ». Quelques jours plus tôt, Merkel jouant les intermédiaires entre Poutine et Porochenko, tout en prônant la décentralisation du pouvoir ukrainien, se justifiait ainsi : « Je veux trouver une voie de sortie qui ne nuise pas à la Russie ». En outre l’Allemagne fit savoir qu’elle n’armerait pas l’Ukraine et ne financerait pas la reconstruction du Donbass. L’Union Européenne divisée entre la vieille et la nouvelle Europe peut-elle se contenter d’une mise sous tutelle des régions de l’Est de ce pays et de l’avancée menaçante de l’Eurasie poutinienne dans l’espace de l’ex-URSS ? Déclarer la guerre à la Russie, puissance nucléaire, en utilisant l’OTAN ? Impensable, pour les pays qui n’y adhèrent pas !

La conférence de l’OTAN et la rhétorique d’Obama

Reste que cette structure guerrière sous égide anglo-saxonne n’a pas manqué de procéder à de la surenchère… sans guère se mouiller. Des promesses de soutien à Kiev ont certes été formulées et ont encouragé Porochenko dans sa croyance que Moscou finirait par céder : assistance technologique et logistique, fonds de soutien de 15 millions d’euros pour réformer l’armée, aide au traitement des blessés mais… pas d’adhésion à l’OTAN.

Toutefois, les 4 et 5 septembre, se tint à New Port, au Pays de Galles, un grand raout en présence de 60 chefs d’Etats et de gouvernements entourés tous de leurs ministres de la défense et des affaires étrangères. L’inquiétude et l’apparente détermination étaient de mise : la Pologne et les pays baltes réclamèrent (6) des bases permanentes sur leur territoire, l’on déclara que si l’Alliance militaire ne concernait que 28 pays et pas un de plus, « la porte restant néanmoins ouverte ». La création d’une force de réaction rapide fut décidée. Elle devrait être composée de 5 000 hommes, une unité de 800 hommes pourrait être prête en deux jours et le reste devrait être opérationnel en 5 à 7 jours. Restait à la constituer ! Les dépenses militaires de l’OTAN se chiffrant à 900 milliards de dollars par an dont 75% sont assurés par les Etats-Unis, Obama, lui qui souhaite « diriger de l’arrière », fit la leçon aux gouvernements européens : chaque Etat devrait consacrer au moins 2% de son PIB aux dépenses militaires communes dont 20% pour des investissements nouveaux. Il était inadmissible que les budgets européens d’armement soient en baisse depuis 2012 ! Il fallait faire grossir le mastodonte OTAN même si la Russie ne consacrait annuellement que 80 milliards pour ses dépenses militaires. Une nouvelle course aux armements était-elle à l’ordre du jour afin de satisfaire les marchands de canons et ce, en pleine période d’austérité imposée ? « Voyager léger pour frapper fort » ce slogan adopté pour baptiser la force de réaction rapide capable d’intervenir dans tout pays menacé d’incursion russe n’allait-il pas entraîner un engrenage guerrier somnambulique ? L’Union européenne avait-elle besoin d’une mise sous tutelle de l’ensemble de l’Ukraine ? Quant aux peuples, aux parlements nationaux, il ne fut nullement question de les consulter et encore moins qu’ils décident de quoi que ce soit à ce sujet.

Obama, lui qui avait affirmé  avec emphase que la souveraineté nationale de l’Ukraine ne saurait être mise en cause, cautionnant ainsi l’offensive de Kiev « contre son propre peuple » pour reprendre le mot de Poutine, ne pouvait que réaffirmer que l’hégémonie US ne saurait être mise en doute même si les faits lui donnaient tort. Il n’y a pas, dit-il en substance, de « zone d’influence naturelle » russe… mais la volonté d’élargissement de l’OTAN à s’étendre à la Géorgie, à la Moldavie… et demain à l’Ukraine ne saurait être mise en cause. Il exhorta les pays membres de l’OTAN à prendre des engagements concrets pour aider l’Ukraine.

Cette rhétorique ne suffisant pas à rassurer certains pays, il entreprit une tournée… triomphale aux pays baltes, inquiets des appétits de « l’ogre russe ». Ce fut, pour reprendre le mot d’un général français cité par le Canard Enchaîné, « une séance de câlinothérapie à l’américaine ».

Poutine vis-à-vis de la force de cette démonstration verbale répondit à la Pologne antirusse en diminuant drastiquement les livraisons de gaz, et le 8 septembre, aux pays baltes par une opération commando kidnappant l’espion estonien Eston Kohver et ce, le jour même où s’achevait le sommet de l’OTAN dont les pays membres, testés ne réagirent guère…

Les lendemains ne sont pas prêts de chanter

C’est que, comme suggéré dans un précédent article, les Etats européens, tout particulièrement leurs transnationales ont beaucoup à perdre dans une escalade avec Moscou. Pour ne prendre qu’un exemple, le plus emblématique, les exportations allemandes vers la Russie ont chuté de 15% et les chefs d’entreprises de ce pays mènent un intense lobbying contre les sanctions.

Quant à l’Ukraine, elle est au bord de la faillite, le FMI prévoyant une contraction de son PIB de 6.5% en 2014. L’Etat est rongé par la corruption, les caisses sont vides et une grande partie du Donbass considère que le divorce avec Kiev est consommé. Les élections prévues le 26 octobre (sans la partie Est ?) risquent d’être le théâtre de bien des surprises et surenchères fascisantes. Jusqu’à présent, les aspirations sociales et démocratiques ont pu être occultées mais, face à la déconfiture de Porochenko, un nouveau Maïdan est probable. Ce ne peut être, compte tenu des forces politiques en présence, qu’un nouveau chaos dont pourrait enfin sortir une force de transformation sociale réelle. Mais, dans l’immédiat, rien n’est moins certain. La partie ouest s’achemine vers la dépendance européenne et ses ajustements structurels, la partie Est à reconstruire va connaître le joug poutinien et ce, dans un contexte international où la « grande coalition » sous l’égide d’Obama a les yeux tournés vers le bourbier irakien et l’hydre de l’Etat islamique.

Gérard Deneux, le 17.09.2014

(1)   PES n° 2 avril 2014
(2)   lire l’article du Monde Diplomatique « Les bons, la brute et la Crimée » d’Oliver Zajec – avril 2014
(3)   Ianoukovitch présenté unilatéralement comme pro russe a eu en effet, pour conseiller, Paul Mawfort de 2004 à 2013, celui-là même qui conseilla Reagan puis GW Bush
(4)   Pour la suite de ces évènements, se reporter à mon article précédent
(5)   La Crimée a été cédée à l’Ukraine par Khrouchtchev
(6)   Entre le 28 septembre et le 5 octobre 1939, Staline se fait accorder des bases en Estonie, Lettonie et Lituanie et ce, sous la menace et dans le cadre du pacte germano-soviétique. Après la guerre, ces pays seront intégrés à l’Union soviétique.


Encart

Porochenko tente de masquer qu’il est allé à Canossa

On vient d’apprendre que le Parlement ukrainien avait adopté, le 16 septembre, une loi d’autonomie pour la région du Donbass. Elle disposerait du droit de créer sa propre police, de nommer procureurs et juges, de gérer les budgets locaux et l’économie. La possibilité de coopération transfrontalière autonome avec la Russie est même reconnue. Quant à la langue russe, elle possèderait un statut équivalent à l’ukrainien. Pour convaincre les députés, Porochenko a brandi la menace russe. Poutine lui aurait dit que si elle n’était pas votée, Marioupol serait prise par la force armée. Pour : 277 voix sur 450, celle loi fut votée.
Et puis, l’on passa aux réjouissances théâtrales « grandiloquentes » pour faire passer la pilule à Strasbourg et à Kiev. Les deux parlements en duplex sur grand écran ratifièrent l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE sans vote et par standing ovation comme pour mieux faire oublier « Tout ça pour ça », les 3 000 morts et le fait que l’accord effectif de libre échange est reporté… en janvier 2016.
Réaction de Moscou : c’est un début… en attendant des gages de non adhésion à l’OTAN. Quant aux rebelles, ils parlent de 1ère étape… et sont plutôt sceptiques. En outre, le cessez-le-feu est des plus fragiles. Ces 3 derniers jours on dénombrait la mort d’une dizaine de civils et de 3 soldats ukrainiens dans les environs de Donetsk.
L’élection des parlements régionaux est prévue pour le 7 décembre alors même que les législatives sont maintenues au 26 octobre.
Le 18.09.2014


Hollande-Valls : la politique de l’offre au patronat

Le pacte dit de responsabilité consiste à offrir au patronat une réduction des cotisations patronales de 41 milliards d’euros. Il s’agit en fait d’un transfert de ressources publiques qui n’alimenteront plus les recettes de la sécurité sociale, compensé par une réduction des dépenses publiques de 50 milliards. Autrement dit, la politique budgétaire d’austérité allège le patronat de ces « charges » sociales et espère réduire, à terme, le déficit public et la dette de l’Etat par une relance de la croissance et de l’embauche.

Elle est fondée sur la croyance ou l’espoir d’un prétendu civisme du patronat. D’ailleurs, Hollande et Valls l’exhortent à devenir vertueux, les cadeaux devant entraîner au moins quelques contreparties en termes d’embauches et de réduction du chômage. C’est là, bien évidemment, une ineptie et un aveuglement grotesque. Ils rejoignent l’idée ou plutôt l’illusion que le patronat serait disposé à relancer l’investissement et l’accroissement de la production au vu de cette manne financière alimentant leur trésorerie afin de produire à meilleur coût : soit en partant à la reconquête du marché hexagonal, voire reconquérant des parts de marché à l’extérieur, soit en produisant moins cher, le coût du travail ayant été réduit pour ce faire, et dans le même mouvement, en embauchant !

Ce cercle de logique formelle est une aberration réelle et ce, pour plusieurs raisons. Elles tiennent pour l’essentiel à la méconnaissance apparente du caractère du capitalisme financiarisé et à sa crise. L’homme qui prétend être « l’ennemi de la finance » semble aveugle à sa réalité prédatrice.

En effet, les dividendes des actionnaires ont augmenté en un an de 30.3% en France, pays européen le plus prodigue pour les rentiers du capital. Quant à l’investissement productif, il régresse : 0.8% au 2e trimestre, 2.4% sur les quatre derniers trimestres. Qui peut ignorer que les PDG, placés à la tête des entreprises par les actionnaires, gavés de stock-options et autres prébendes, ne sont responsables que devant leurs actionnaires qui ne leur demandent qu’une chose : dégager des profits à court terme pour les redistribuer sous forme de dividendes. Comment peut-on croire qu’ils vont mordre la main qui les nourrit ? Cette cohérence prédatrice du capitalisme financiarisé n’admet d’ailleurs aucune faille parmi les entreprises du CAC 40. Les seuls risques sont les fusions-acquisitions-concentrations que font peser sur elles leurs concurrents internationaux. Pour y résister et pour garder leurs actionnaires volatiles, demeure l’adage suivant : les « dégraissages » et les licenciements d’aujourd’hui, accompagnés d’externalisations et délocalisations de la production, sont les profits de demain et les dividendes d’après-demain. Le patriotisme économique est pour elles une valeur archaïque à l’ère de la mondialisation, n’en déplaise au débarqué Montebourg !

Quant aux banques privées, largement internationalisées, disposant de filiales dans les paradis fiscaux, elles estiment, à juste titre de leur point de vue, que les taux rémunérateurs de leurs placements sur les marchés financiers sont bien plus juteux que les prêts risqués qu’elles pourraient accorder aux entreprises privées, tout particulièrement aux PME en manque de liquidités. Et ce n’est même pas la baisse du loyer de l’argent de la BCE, ramené à 0.5% par Mario Draghi, qui peut facilement les faire changer d’avis, ni même l’offre alléchante de 400 milliards à leur disposition à taux presque nul et à long terme. En effet, les bancocrates ne manquent pas de liquidités, ils demeurent surtout inquiets et frileux. Si les 255 banques européennes n’ont souscrit qu’à peine 85 milliards, c’est qu’elles sont essentiellement préoccupées par l’importance des créances pourries qu’elles détiennent ou, pour le dire à la manière de la novlangue euphémisée, elles ne sont pas sûres de la qualité de leurs actifs. Elles doutent par conséquent de leur capacité à résister à une nouvelle crise financière…

Pour l’heure, la stagnation de la machine économique, l’absence de « croissance » du capital productif, la préférence pour la rente, renvoient à ce que les économistes libéraux appellent pudiquement « surcapacité », « excès de l’offre » et « insuffisance de la demande ». Soit, en d’autres termes, la surproduction capitaliste, cause réelle de sa crise et de sa manifestation sous la forme de crack financier. Cette surproduction (relative face aux besoins réels) ne peut bien évidemment être résorbée par les 5 millions de chômeurs, les rémunérations peau de chagrin des précaires, le blocage des salaires et des pensions, ni la perte de revenus suscitée par la réduction des dépenses publiques (de santé, d’éducation) et le coût exorbitant des loyers.

On s’achemine donc vers la récession qu’aggravent les politiques d’austérité. Le débat sur l’inflation insuffisante reflète la peur de la baisse des prix qui s’articulerait avec la baisse drastique de la consommation et une mévente générale comme lors de la crise de 1929-1930.

Conscient de ces risques, Junker le nouveau président de la Commission Européenne, prétend lancer un grand plan de relance de l’investissement de 300 milliards d’euros. Pour Merkel et l’Allemagne en général, il ne s’agit pas de grands travaux publics assurés par les Etats comme le fit Roosevelt. Pas question que les Etats endettés s’endettent encore plus ; ce sont les entreprises privées qui doivent assumer. On a vu plus haut ce qu’il en est ! Pour Hollande, ne resterait que la voie espagnole ou portugaise, la diminution des salaires et l’augmentation des taux d’exploitation des travailleurs. Ne vante-t-on pas la croissance retrouvée de ces pays dont les salaires ont baissé de 20 à 25% sans pour autant que le taux de chômage en soit diminué ? Certes, à produire moins cher, ces pays trouvent des acquéreurs sur le marché européen. Et Gattaz est logique lorsqu’il demande que, toutes affaires cessantes, on en finisse avec les 35 heures, que l’on réduise les jours fériés, que l’on travaille le dimanche et que l’on supprime le SMIC.

Bref, l’on n’a pas fini de parler des offres à consentir au patronat…


GD, le 19.09.2014   
L’accaparement des terres africaines :
nouveau colonialisme

La terre arable est une marchandise en vente sur le marché international. Ce phénomène, véritable dépossession des peuples de leurs Biens, a pris des proportions assez méconnues, même s’il est dénoncé par divers organismes dont cet article s’inspire. Ce scandale d’accaparement de la terre arable s’amplifie dans de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie ou encore en Amérique latine. Il est pratiqué par ceux qui saisissent là une « opportunité de développement » en suçant tels des vampires  néo-coloniaux le Bien commun des peuples indigènes et ce,  de manière irréversible écologiquement et socialement.

Qui achète la terre arable ?

La revue Diplomatie[1] a recensé « les prises de contrôle des terres cultivables » dans le monde ; celles-ci se pratiquent sous diverses formes  (ventes ou baux de moyenne ou longue durée, exploitation directe des terres, métayage ou toute autre forme de partage de la récolte, soit par des fonds ou compagnies privées, actifs dans les secteurs de la nourriture et des biocarburants, soit par les Etats.  La liste des investisseurs privés publiée ne précise ni les superficies acquises, ni les lieux. On y remarque simplement que le Royaume Uni héberge le plus grand nombre des ces investisseurs, probablement tous installés dans la City londonienne et l’on y trouve des banques étatsuniennes : Goldman Sachs, Morgan Stanley... Cette liste mélange des groupes financiers polyvalents comme les banques précitées et des fonds spécialement fondés pour acheter des terres en Afrique comme Jarch Capital. Il est, en conséquence difficile de mesurer l’ampleur exacte des achats de terre en Afrique. La transparence est beaucoup plus grande du côté des Etats et permet de voir que la terre africaine n’intéresse pas que la Chine.

Liste des pays africains où des Etats étrangers ont pris le contrôle des terres arables
Soudan : Arabie Saoudite, Qatar, Egypte, Jordanie,
Koweït, EAU, Abou Dhabi, Corée du Sud, Bahreïn
Madagascar : Corée du Sud, Inde
Kenya : Qatar
Mali : Arabie Saoudite, Lybie
Sénégal : Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis
République Démocratique du Congo : Chine
Mozambique : Chine
Tanzanie : Chine
Ouganda : Chine, Egypte
Zimbabwe : Chine
Zambie : Chine
Afrique du Sud : Lybie
Libéria : Lybie
Egypte : Bahreïn, Japon, Koweït, EAU
Cameroun : Chine

La terre d’Afrique la plus convoitée par  les milliardaires et méga-sociétés[2]

20 pays africains vendent ou louent des terres pour l’agriculture intensive à une échelle choquante dans ce qui pourrait bien être le plus grand changement de propriété depuis l’époque coloniale.
« Nous avons quitté la route principale à Awassa, avons négocié notre chemin avec gardes de sécurité et parcouru un mile à travers un terrain vide avant de trouver ce qui sera bientôt la plus grande serre d’Ethiopie. Le gestionnaire de la ferme nous montre des millions de tomates, poivrons et autres légumes cultivés en lignes. Des ingénieurs espagnols sont en train de construire la structure d’acier, des technologies néerlandaises minimisent l’utilisation des eaux de deux forages et 1 000 femmes récoltent et emballent 50 tonnes de nourriture par jour. Dans les 24 heures, la production sera conduite 200 miles plus loin à Addis-Abeba et expédiée par avion  pour des commerces et des restaurants de Dubaï et ailleurs au Moyen-Orient. L’Ethiopie est un des pays les plus affamés dans le monde avec plus de 13 millions de personnes nécessitant une aide alimentaire mais, paradoxalement, le gouvernement offre au moins 3 millions d’hectares de ses terres les plus fertiles aux pays riches et à certains des individus les plus riches du monde au détriment de ses propres populations. Les terres des serres Awassa sont louées pour 99 ans à un homme d’affaires milliardaire saoudien, d’origine éthiopienne, Cheikh Mohammed al-Amoudi, l’un des 50 hommes les plus riches au monde. Sa société Star d’Arabie prévoit de dépenser jusqu’à 2 milliards de dollars en acquisition et développement de centaines de milliers d’hectares en Ethiopie ». 

D’après un rapport de l’ONU, à Madagascar, une société indienne, Varun International a loué ces dernières années 465 000 hectares de terres pour y cultiver du riz destiné au marché indien. Au Mali, les autorités ont concédé 100 000 hectares aux Libyens, là encore pour la production de riz. Au Soudan, la Corée du Sud a acquis 690 000 hectares où sera planté du blé. « Depuis 2006, entre 15 et 20 millions d’hectares de terres agricoles ont fait l’objet de transactions ou de négociations » entre les pays en développement et des investisseurs étrangers, précise Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Cette surface correspond à la totalité des terres agricoles de la France et au cinquième de celles de l’UE. 

Au Soudan, le plus grand pays d’Afrique avec d’énormes réserves en eau (Haut bassin du Nil), le plus convoité, la Chine intervient dans l’économie pétrolière (recherche, exploitation, transport et raffinage). Cette opportunité de développement explique, pour partie, l’activité politique souterraine pour faire éclater ce pays à l’Ouest (Darfour) et au Sud. La Chine, si elle est souvent citée au titre des pays investisseurs n’est pas la seule, les monarchies pétrolières arabes occupent une place très importante mais ne sont jamais montrées du doigt, pas plus que la Corée du Sud qui a pourtant acquis la moitié des terres arables de la République malgache. La population malgache a appris le 19 novembre 2009 par la presse internationale la signature entre la filiale du géant sud-coréen Daewoo, Daewoo Logistics, et les autorités malgache d’un bail emphytéotique de location pour 99 ans de 1,300 million d’hectares de terres arables de Madagascar. La surface louée correspond à la moitié des surfaces cultivables du pays, sans contrepartie financière versée à l’Etat malgache, le « prix de location » consisterait à investir dans les infrastructures nécessaires à la réalisation du projet[3].  

Selon une enquête de l’Observer jusqu’à 50 millions d’hectares de terres ont été acquis ces dernières années ou sont en train d’être négociés par des gouvernements et des investisseurs fortunés recevant des subventions d’Etat[4]. La ruée vers les terres a été déclenchée par la pénurie alimentaire dans le monde entier qui a suivi les fortes hausses des prix du pétrole en 2008, une pénurie croissante d’eau et l’insistance de l’UE selon laquelle 10 % des carburants pour les transports doivent provenir de biocarburants d’ici 2015. Dans de nombreuses régions, les contrats ont conduit à des expulsions, à des troubles civils et à des plaintes contre « l’accaparement des terres ». En tête de la ruée se trouvent les agro-industries internationales, des banques d’investissement, des hedge funds, des négociants en matières premières, des fonds souverains ainsi que des fonds de pension britanniques, des fondations et des individus attirés par certains des terrains les moins chers du monde. L’Arabie Saoudite, avec d’autres Etats du Moyen-Orient comme le Qatar, le Koweït et Abou Dhabi, est soupçonnée d’être le plus gros acheteur. En 2008, le gouvernement saoudien, qui était l’un des plus  gros producteurs de blé du Moyen-Orient, a annoncé qu’il devait réduire sa production intérieure de céréales de 12 % pour conserver son eau. Il a affecté 5 milliards de dollars pour accorder des prêts à taux préférentiel aux entreprises saoudiennes qui voulaient investir dans des pays à fort potentiel agricole.  En se tournant vers l’Afrique pour développer ses cultures de base, l’Arabie saoudite n’est pas seulement en train d’acquérir des terres d’Afrique mais elle s’assure l’usage, par an,  de centaines de millions de litres d’une eau rare.   

La terre pour les cultures servant à la production de biocarburants est également recherchée. La Chine a signé un contrat avec la RDC pour cultiver 2.8 millions d’hectares d’huile de palme pour les biocarburants. « Les entreprises européennes de biocarburants ont acquis ou demandé environ 10 millions d’acres en Afrique. Cela a entraîné des déplacements de population, en l’absence de consultation et de compensation, et des promesses non tenues au sujet des salaires et des emplois » a déclaré Tim Rice, auteur d’un rapport d’Action Aid. Il précise que « le vol de la terre à biocarburants en Afrique conduit déjà au déplacement des agriculteurs et de la production alimentaire. Le nombre de personnes souffrant de la faim va augmenter. Les entreprises britanniques se sont assurée de grandes étendues de terre en Angola, en Ethiopie, au Mozambique, au Nigéria en Tanzanie pour faire pousser des fleurs et des légumes ». Les entreprises indiennes, soutenues par des prêts publics, ont acheté ou loué  des centaines de milliers d’acres en Ethiopie, au Kenya, à Madagascar, au Sénégal et au Mozambique, où elles cultivent du riz, canne à sucre, maïs et lentilles pour alimenter leur marché intérieur.

 La chasse aux terres arables est mondiale. Nouvelle forme de colonialisme.

En Amérique latine, les communautés subissent une nouvelle razzia sur leurs terres. Aujourd’hui les accaparateurs de terres sont des fonds de pension américains et européens, des banques, et de riches individus tel Georges Soros. Louis Dreyfus, l’une des plus grosses multinationales céréalières du monde, propose un fonds dans lequel American International Group (AIG, chef de file mondial de l’assurance et des services financiers) a investi au moins 65 millions de dollars. Un nombre croissant d’investisseurs et de gouvernements d’Asie et des pays du Golfe concentrent leurs efforts sur l’Amérique latine qu’ils considèrent comme un endroit suffisamment sûr pour y délocaliser leur production alimentaire. Le ministre brésilien du Développement, Miguel Jorge, a récemment déclaré « Des princes saoudiens que nous avons rencontrés l’an dernier … ont expliqué au président Lula qu’ils n’ont pas l’intention d’investir dans l’agriculture au Brésil pour vendre ici ; ce qu’ils veulent, ce sont des sources de production alimentaire. Ils ont besoin de nourriture. Ce serait ainsi beaucoup plus efficace qu’ils investissent dans l’agriculture brésilienne et que nous devenions les fournisseurs directs de ces pays » Le Brésil n’est pas seulement une cible pour les nouveaux accapareurs de terres, il est aussi accapareur. En effet des investisseurs brésiliens, soutenus par le gouvernement, achètent des terres dans un nombre croissant d’autres pays d’Amérique latine ou en Afrique pour y produire de la nourriture et des agro-carburants. En Guyane, le gouvernement brésilien finance la construction de routes, de ponts et autres infrastructures pour ouvrir la savane de Rupununi à des projets agricoles à grande échelle. La semencière multinationale Rice Tech a fait des démarches auprès du gouvernement guyanais pour obtenir quelque 2 000 hectares de terres dans la même région, où un écosystème fragile et riche en biodiversité  abrite plusieurs populations indigènes.  

Olivier de Schutter considère que « ce phénomène inquiétant s’inscrit dans un cadre plus large, d’une course de vitesse pour l’accaparement des ressources naturelles, qu’il s’agisse de terres arables, d’eau ou de minéraux». « Les pays riches lorgnent sur l’Afrique non seulement pour un confortable retour sur capital, mais aussi comme une police d’assurance. Pénuries alimentaires et émeutes dans 28 pays en 2008, baisse des approvisionnements en eau, changement climatique et croissance démographique galopante ont fait de la terre un placement attractif. L’Afrique a le plus de terres et, en comparaison avec d’autres continents, elles sont bon marché »[5].

Vandana Shiva, écologiste indienne, a déclaré récemment que « l’agriculture industrielle à grande échelle, non seulement chasse les gens de la terre, mais aussi nécessite produits chimiques, pesticides, herbicides, engrais, utilisation intensive de l’eau, transport à grande échelle, stockage et distribution qui, ensemble, transforment les paysages en énormes plantations de monoculture. Nous assistons à la dépossession sur une échelle massive. Cela signifie que moins de nourriture est disponible et que la population locale en aura moins. Il y aura plus de conflits et d’instabilité politique et les cultures seront déracinées. Les petits fermiers d’Afrique sont les bases de la sécurité alimentaire. La disponibilité de nourriture de la planète va décliner ».

Le développement durable tel que préconisé par la politique de l’UE en faveur des agro-carburants apparaît nettement comme une nouvelle politique impérialiste. L’Europe veut économiser le pétrole mais dans le même temps elle va probablement, si les gouvernements africains n’y mettent bon ordre, contribuer à la dégradation des sols africains et à la surconsommation des réserves en eau. Le « durable » ne l’est pas pour tout le monde !
Les enjeux de cette nouvelle vague d’accaparement à grande échelle sont considérables. Cette razzia porte atteinte à la souveraineté nationale. Tout pays qui vend ou loue de vastes surfaces de terres cultivables à un autre pays ou à une entreprise étrangère accélère son démantèlement : de plus en plus de services sont supprimés, privatisés, pour satisfaire les intérêts du monde des affaires. Simultanément est favorisée la dépossession territoriale de nombreuses populations et communautés. La main d’œuvre se trouve disloquée et la migration s’intensifie. Les investisseurs arrivent avec leurs tracteurs et leurs semences, voire même leurs ouvriers ; ils se servent de l’eau et extraient les fruits du sol du « pays hôte » pour les ramener dans leur propre pays ou les vendre sur les marchés mondiaux. Les pays-hôtes ne peuvent pas être considérés comme des « exportateurs ».

L’accaparement des terres favorise l’expansion d’un modèle d’agriculture industrielle extrêmement destructeur. L’Etat, au lieu de protéger ses populations, protège les investissements des entreprises et des gouvernements étrangers, en criminalisant et en réprimant les communautés qui défendent leur territoire. Les structures de l’Etat « hôte » servent les intérêts des nouveaux « patrons », non pas sous forme de tribut comme dans l’ancien système colonial, mais à travers le nouveau système commercial néolibéral, où lois et règles sont fixées par des accords de libre-échange et des traités d’investissement qui remplacent les constitutions nationales et même la législation internationale.  L’accaparement des terres fait partie d’un processus long qui va permettre aux entreprises de l’agrochimie, de la pharmacie, de l’alimentation et des transports de prendre le contrôle de l’agriculture. Les accapareurs veulent restreindre encore les biens communs. Ils n’ont même plus besoin d’envahir ; ils n’ont qu’à signer des accords commerciaux. Ils n’ont plus besoin d’assurer l’entretien d’esclaves : ils savent qu’ils peuvent compter sur une abondante main d’œuvre bon marché. Ce n’est plus à eux d’écraser les rébellions, les gouvernements-hôtes s’en chargent.

Soutenir les résistances

Les terres, les ressources naturelles et la biodiversité constituent les principales richesses des pays pauvres. Les règles du seul profit appliquées partout et sur tout ce qui peut être considéré comme une « marchandise » à vendre ou à acheter sont odieuses d’autant qu’elles ne laissent aux paysans et habitants pauvres des pays riches en ressources naturelles, que le choix entre mourir de faim ou émigrer. La froideur et le cynisme de ceux qui acceptent, voire encouragent par leurs décisions politiques ce dépouillement des Biens Communs (eau, terre) sont effrayants pour l’avenir de la planète et de ceux qui y vivent. Le modèle de développement européen « Europe 2020 », approuvé les 25 et 26 mars 2010 lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, repeint aux couleurs d’une croissance « verte, intelligente et inclusive » ne remet pas en cause le modèle  2000-2010 et reste la copie conforme de « Europe ‘s 2020 Strategy : Big Business as Usual » de l’ERT (Table ronde des industriels européens)[6]. Rien de rassurant !
       
Pour nous, militants d’un projet radical de transformation sociale, il y a urgence à définir ce que sont les Biens communs de l’Humanité pour les protéger, les rendre inaliénables, pour tous les pays « pauvres » et  « riches », à décider de leur appropriation sociale. Pendant ce temps, les prédateurs (autorisés) rôdent et s’accaparent sans bruit de ce qui leur rapporte de l’argent. Le Monde (30.03.2010) relatait que «  le sable marin devient un objet de trafic. Le boom de la construction immobilière incite à une contrebande du matériau qui sévit partout dans le monde. Au Cambodge (c’est un exemple) certains fournisseurs privés peuvent remplir illégalement un bateau d’une capacité de 15 000 tonnes en aspirant pendant 3 jours et 3 nuits le sable d’un estuaire ou du rivage d’une île ».    
  
Les communautés autonomes des pays « pillés » résistent, défendent leur territoire et leurs systèmes de gestion des terres communales. Les communautés indigènes d’Amérique latine savent que sans le contrôle de leurs propres terres, elles perdent le contrôle de la production alimentaire et que leur système agricole devient tout simplement une nouvelle forme de métayage. Un nombre croissant de communautés se mobilisent pour exiger la maîtrise de leurs terres pour y faire leurs propres cultures, en utilisant et en échangeant leurs semences indigènes et les savoir-faire locaux. Elles exigent d’avoir le contrôle de l’eau, des forêts, des sols, des villages et des chemins. Elles défendent leur accès aux Biens communs de l’Humanité.

Odile Mangeot, juillet 2010

Cet article a repris de larges extraits d’un texte « La terre arable, une marchandise en vente sur le marché international ! » de COMAGUER
Voir également le site de GRAIN - petite organisation internationale à but non lucratif qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité http://www.grain.org   
Le site de la Confédération paysanne  http://www.confederationpaysanne.fr



[1] revue publiée par le groupe AERION, fondé par le géopoliticien français Alexis Bautzmann, directeur du Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux (CAPRI),membre de SIDE-EUROPE mouvement paneuropéen fondé par le Comte Coudenhove-Kalergi après la première guerre mondiale et de l’institut ASPEN France, think tank développé par Raymond Barre en 1983 dont l’objectif est « d’encourager l’ouverture sur le monde, la prise d’initiative et l’exercice des responsabilités au service du bien commun ». Aspen France est membre d’un réseau international créé aux Etats-Unis, présent en Allemagne, Italie, Roumanie, Inde et Japon. Madeleine Albright est membre de Aspen Etats-Unis. Les derniers présidents d’Aspen France ont été Yvon Bourges, Hervé Gaymard et Alain Terrenoire.
[2] D’après un article de John Vidal (11 mars 2010) dans The Guardian, sous la forme d’une enquête en Ethiopie, il rend compte des aspects principaux de la question
[3] Sources « Campagne contre l’accaparement des terres » de la Confédération paysanne – janvier 2009
[4] Données recueillies par GRAIN, Institut international pour l’environnement et le développement, l’international Land Coalition , Action Aid
[5] Devlin Kuyek, chercheur de GRAIN basé à Montréal
[6] constat du CEO – Corporate Europe Observatory, organisation de militants (dont Susan George) qui travaille sur l’influence du lobbying industriel sur les politiques européennes, soutenu par des ONG, notamment OXFAM, les Amis de la Terre et la Fondation pour une terre humaine