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mardi 11 février 2014

Le Grand marché transatlantique 

Lors du G8 en Irlande du Nord, entre soi, Obama et les dirigeants européens ont donné, le 17 juin 2013, le coup d’envoi solennel au Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. En anglais, on le nomme le TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) et pour nous ce sera, plus communément, le Grand marché transatlantique (GMT).

Le 23 mai 2013, le Parlement européen a donné son feu vert à l’ouverture des négociations ; le 14 juin, les 27 gouvernements ont approuvé le mandat donné à la Commission Européenne, sans que les Parlements nationaux aient été consultés, pour que le 8 juillet 2013, les négociations commencent à Washington. Elles se poursuivront au rythme d’une session tous les trois mois pour aboutir en 2015. La Commission européenne, négociateur unique, est assistée d’un comité spécial, le comité 207 dans lequel tous les gouvernements de l’UE sont représentés. Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas puisqu’ils sont associés en permanence à la négociation (dont Nicole Bricq ministre du commerce extérieur).

Tel l’AMI  - Accord multilatéral sur l’investissement – négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les 29 pays de l’OCDE, divulgué in extremis notamment par le Monde Diplomatique, 15 ans plus tard… voici l’Accord de Partenariat Transatlantique conçu, lui aussi, dans le plus grand secret. Heureusement, il y a eu fuite. Il est donc urgent d’en connaître les objectifs et les moyens avant de pouvoir en divulguer les dangers pour la démocratie et la souveraineté des Etats mais aussi pour les enjeux sociaux et environnementaux.


Le GMT, un nouveau stade de la marchandisation du monde.

C’est un accord de libre échange (ALE) comme il en existe déjà de nombreux dans le monde (500). Celui-ci est particulièrement inquiétant car il concerne les Etats-Unis et l’Union Européenne qui représentent la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges. Les USA y voient un moyen pour faire face à la concurrence des pays émergents et principalement de la Chine. Ils considèrent, tout comme un certain nombre d’Etats qu’il est nécessaire de poursuivre la libéralisation commerciale dans le monde, sans attendre l’aboutissement du cycle de Doha de l’OMC, trop lent, empêtré dans les négociations multilatérales du fait des résistances nombreuses des pays émergents en son sein. Se multiplient donc, parallèlement, dans la logique du libre échange, des accords entre deux Etats ou plus, comme l’Accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada,  le Partenariat transpacifique (PTP) avec 11 pays riverains du Pacifique (hors la chine) ou encore l’ALENA – Accord de libre échange Nord Américain (Canada/Etats-Unis/Mexique). 

L’initiative de grand marché entre les deux continents américain et européen est l’aboutissement d’un processus long. L’engagement de Van Rompuy/ Barroso et d’Obama le 13 février 2013 d’entamer la négociation du GMT est le résultat de multiples  rencontres officielles, appuyées par une intense activité de lobbying de la part des multinationales américaines et européennes auprès des dirigeants politiques et des membres de la Commission Européenne. Ce qui est à l’œuvre est la poursuite de la volonté de domination du marché mondial, par la libéralisation et la dérégulation, portée par des think tanks puissants : le Dialogue économique transatlantique (Trans-Atlantic Business Dialogue, TABD), créé en 1995 sous le patronage de la commission européenne et du ministère du commerce américain, rassemble de riches entrepreneurs qui militent pour un « dialogue » constructif entre les élites économiques des deux continents, l’administration de Washington et les commissaires de Bruxelles.

Pour rendre plus «sympathique» ce nouveau grand marché, le commissaire européen au commerce Karel de Gucht n’hésite pas à affirmer des retombées en termes de croissance de l’ordre de 1% du PIB, la création de «centaines de milliers d’emplois», même si une étude d’impact réalisée par la Commission elle-même démontre qu’il conviendrait plutôt de parler de 0.1 % de croissance sur 10 ans !

Les objectifs de l’Accord. La dictature des multinationales

«L’objectif de l’Accord est d’accroître le commerce et l’investissement entre l’UE et les USA en réalisant le potentiel inexploité d’un véritable marché transatlantique, générant de nouvelles opportunités économiques pour la création d’emplois et la croissance grâce à un accès accru aux marchés, une plus grande compatibilité de la réglementation et la définition de normes mondiales».
Il s’agit donc d’opérer sur les deux continents, selon les mêmes règles, pour ouvrir les marchés publics et privés à tous les niveaux de pouvoir (national, régional et local) et dans tous les domaines. Les termes sont limpides «L’accord prévoira la libéralisation réciproque du commerce des biens et des services ainsi que des règles sur les questions en rapport avec le commerce avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC».

L’accord affirme qu’il faut limiter les «discordances commerciales» en matière de commerce des marchandises. En termes clairs, il faut éliminer toutes les obligations comme les droits de douane et les taxes sur les importations. Dans le domaine agricole, où les mesures de protection sont  encore importantes, les conséquences seraient catastrophiques ruinant les modèles d’agriculture paysanne ou encore de circuits courts du fait de la concurrence industrielle américaine inondant les marchés de produits à bas coûts de production. La deuxième exigence est la limitation, voire la suppression des «barrières non tarifaires», c’est-à-dire les législations, les réglementations, les normes sociales, les normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales ou techniques considérées comme des «obstacles inutiles au commerce et à l’investissement».

En matière de commerce des services, c’est l’application de  l’AGCS (accord général du commerce des services) et des contraintes de l’OMC dont les deux principes suivants : celui de la nation la plus favorisée (TNPF) qui contraint un Etat accordant à un fournisseur une faveur spéciale, à l’appliquer à tous les autres membres de l’OMC et celui du Traitement National (TN) consistant à accorder aux étrangers le même traitement que celui qui s’applique aux nationaux. Par exemple, si l’Etat subventionne une école française, il devra subventionner l’école américaine qui vient s’installer en France. C’est la suppression de tout ce qui entrave la libre concurrence d’activités des services, encore «protégées» en Europe : santé, éducation, eau, énergie, recherche, sécurité sociale… Les législations devront s’aligner sur la norme la moins disante. Tous les territoires sont concernés : du sommet de l’Etat aux conseils municipaux, les élus devront redéfinir leurs politiques publiques pour satisfaire les appétits du privé qui lui échapperaient encore, dans tous les domaines : sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance maladie, prix des médicaments, liberté du net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration…   Si cet Accord aboutit, les multinationales auront pouvoir de faire ou défaire la loi.

Enfin, l’accord prévoit la protection de l’investissement (retour de l’AMI). Là encore les contraintes cumulées de l’OMC (TNPF et TN) rendront impossible toute politique industrielle en faveur d’une région défavorisée ou d’un type d’entreprise (PME) à moins de fournir aux investisseurs étrangers les mêmes aides. L’accord comprendra des dispositions concernant l’énergie et les matières premières : «Les négociations devraient viser à assurer un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière d’énergie et à garantir un accès libre et durables aux matières premières».  Les Etats ne seront plus maîtres de leur sol ni de leur pouvoir de fixer les prix des produits énergétiques sur le marché national.

Pour contraindre les Etats à appliquer ces mesures, une justice commerciale oligarchique.

La philosophie de  l’OMC ou de l’ALENA s’applique au GMT, autorisant une multinationale à poursuivre en justice un pays signataire qui n’abrogerait pas, par exemple, des mesures sociales considérées comme des distorsions au libre échange. En conséquence, un investisseur privé pourrait contrecarrer les politiques de santé, d’environnement… d’un Etat s’il estime ses profits menacés du fait de réglementations contraignantes, de projets «déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires» qui «annulent ou compromettent les avantages découlant de l’accord». C’est l’application du mécanisme de règlement des différends investisseur-Etats ; les «litiges» sont soumis à la décision de cours spéciales (composées de quelques avocats d’affaires) autorisées à condamner les Etats à réparation.

Sont déjà recensés dans le monde 518 plaintes de ce type très dommageables pour les Etats et leurs populations. La CNUCED relève que le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par 10 depuis 2000. Les affaires juteuses risquent d’aller bon train pour les avocats d’affaires !

Les exemples de condamnations financières se multiplieront, endetteront encore plus les Etats qui préfèreront annuler des règlementations protectrices des travailleurs ou de l’environnement plutôt que devoir débourser des sommes énormes.  A titre d’exemples : les Philippines ont déboursé à l’opérateur allemand Fraiport, 58 millions de dollars, correspondants au salaire annuel de 12 500 professeurs ou à la vaccination de 3.8 millions d’enfants. Dans le cadre de l’ALENA, la firme nord-américaine Métaclade a réclamé au Mexique 15.6 milliards de dollars pour son refus de rouvrir une décharge de produits toxiques qui contaminait les eaux et le Canada a déjà été poursuivi 30 fois par des firmes nord-américaines pour ses réglementations en matière de santé et d’environnement avec des pénalités de 226 millions de dollars au total. De la même manière, des sociétés européennes ont récemment engagé des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. Le géant de la cigarette Philipp Morris a assigné l’Uruguay et l’Australie devant un tribunal spécial, incommodé par leurs législations antitabac. Le groupe pharmaceutique US Eli Lilly veut se faire justice au Canada, coupable d’avoir créé un système de brevets rendant certains médicaments plus abordables. Le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique » qui encadre sévèrement les centrales à charbon.

L’on peut s’inquiéter, si cet accord aboutissait, sur le maintien de l’interdiction d’exploitation des gaz de schiste !  Les multinationales comme Chevron ou Total pourraient engager des poursuites contre l’Etat français.

Comment combattre la mise en place d’un système aussi antidémocratique ?

Les négociations de libéralisation globale étant bloquées, du fait des réticences de nombreux pays, l’OMC n’est plus l’instrument adéquat pour les oligarchies mondialisées. Sous l’impulsion des gouvernements les plus libéraux et d’abord de celui des Etats-Unis, des accords bilatéraux entre pays ou groupes de pays permettent de libérer la rapacité des firmes multinationales. La crise financière de 2007-2008, les surcapacités de production, le tassement de la croissance dans les pays émergents sont autant de facteurs conduisant les grands requins à contourner tous les obstacles à leur frénésie d’accumulation des profits : les normes de protection sociale et environnementale sont, pour eux, autant de contraintes réglementaires inacceptables. La démocratie, c’est pas moderne, l’espace des délibérations doit être restreint aux maîtres du monde assistés de leurs experts. La souveraineté alimentaire dans ce monde globalisé, c’est ringard. Le tissu industriel des petites et moyennes entreprises non soumises aux grands groupes, c’est archaïque… Tout ça doit disparaître pour laisser le champ libre aux transnationales.

Le GMT est donc à la fois une menace inacceptable face à ses conséquences sur les populations et une  usurpation des pouvoirs démocratiques au profit du «marché», c’est-à-dire des firmes multinationales. C’est un projet scandaleux qui considère que tout est marchandisable : la vie, la nature, l’Homme.

L’engagement des négociations est approuvé par tous les gouvernements européens, qui se taisent lorsqu’ils nous représentent dans les instances européennes et plus particulièrement au Conseil des ministres. Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, par la voix de sa conseillère (Mme Claude Revel) n’a pas un mot de résistance, encore moins de dénonciation. Au contraire, elle affirme qu’il faut «prendre acte et tirer parti de la tendance de la délégation de la règle au privé» !

Il est grand temps de faire connaître et de dénoncer ce projet (déjà bien engagé) niant la primauté des droits humains, sociaux, économiques, culturels et environnementaux, niant la conception alternative et solidaires des échanges internationaux fondée sur la coopération.

Des mouvements se constituent en Europe : le collectif «Stop Tafta» en France, en Belgique… Il est nécessaire de construire des solidarités avec les mouvements de résistance aux USA et de ne pas tomber dans un anti-américanisme global. Enfin, la solidarité doit s’étendre aux pays du Sud qui subissent déjà les ALE existants, portés par l’UE et les USA.

Deux échéances électorales proches (municipales et européennes) doivent nous permettre de prendre la parole pour informer ceux qui, candidats, sont dans l’ignorance de ce grand marché transatlantique, pour dénoncer ce «typhon qui menace les Européens»(1) et les classes populaires américaines.

Odile Mangeot

Sources :

(1)Le Monde Diplomatique   novembre 2013 «Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens»   

Agora Vox 26 décembre 2013 «Un partenariat transatlantique pour le meilleur des mondes»

«Stop au grand marché transatlantique» CADTM  23 janvier 2014 www.cadtm.org

«Le projet de grand marché transatlantique» par Raoul Marc Jennar http://www.jennar.fr