Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 27 août 2013

Hommage à Tiennot
Pour que surgissent des militants de son envergure

Tiennot Grumbach fut de tous les combats malgré l’adversité d’une époque où les rêves se fracassent sur la réalité. Il a changé sans jamais se renier, osé se tromper afin de poursuivre le même combat pour la justice sociale et toujours aux côtés des exploités et des opprimés.

A 74 ans, il vient de s’éteindre douloureusement. Il était né en 1939, à Paris, et déjà dans la clandestinité pendant toute la guerre, pour échapper avec son frère aux rafles antisémites. Sorti de sa cache à Font-Romeu, ce jeune juif, neveu de Pierre Mendés France, s’affirme antifasciste et anticolonialiste. Les révélations sur la torture en Algérie le font adhérer au PSU. 1961, fin de la guerre d’Algérie, il embarque pour ce pays : «Je croyais à la révolution, à l’avènement d’un grand Etat démocratique, socialiste et populaire». Il y reste 3 ans. Puis, ce «pied rouge» reprend ses études, adhère à l’UEC, s’oppose à la ligne de compromission avec les socialistes Guy Mollet, Mitterrand et consorts. En 1966, il fonde avec Robert Linhart (1) l’UJCML (étudiants maoïstes, althussériens à l’origine). A l’époque «le fond de l’air est rouge», les luttes ouvrières insubordonnées (2) semblent faire écho aux luttes de libération nationale (Vietnam, Palestine…). Après 1968, maoïste libertaire, il fonde le journal «Ce que nous voulons ? Tout» pour les classes populaires. Il s’établit comme ouvrier à Citroën pendant 3 ans, de 1969 à 1971. Mais l’heure est au repli de la vague de contestation, à la crise des 30 Glorieuses, à la répression des «gauchistes» (3). En 1972, il ouvre son cabinet d’avocats pénalistes dans une banlieue populaire à Mantes-la-Jolie «pour pouvoir être utile à mes potes d’extrême gauche en tôle», y compris les soldats perdus d’une révolution introuvable comme Pierre Goldman. Puis, il se  spécialise dans le droit du travail, défend les sans grade, licenciés, broyés, forme des jeunes avocats pour «les droits et libertés des travailleurs». Au-delà des petites victoires qu’il a accumulées en faveur de ces dominés, son plus grand succès après des années de procédure est la reconnaissance des licenciements abusifs dont ont été victimes les mineurs révoqués lors des grandes grèves de 1948 à 1952.

Je l’avais côtoyé rue d’Ulm ou encore, il n’y a pas si longtemps, à Sochaux, mais je le connaissais surtout par son ami, et mon ami, Patrick Batten, avocat du droit du travail à Lyon. Il avait un parcours similaire bien que plus jeune, lui aussi est disparu trop tôt.

En ces temps de crise et de reculs, de consternations, de montée de l’extrême droite, de léthargie d’une classe ouvrière émiettée, d’indignations qui ne sont pas encore à la hauteur des enjeux, il est temps que surgissent des militants de son envergure afin que les faux amis du peuple retournent dans les ornières de la défunte SFIO (4).

Gérard Deneux, le 23.10.2013

(1)   Lire «L’établi» de Robert Linhart – éditions de minuit
(2)   «L’insubordination ouvrière dans les années 68» Xavier Vigna – Presses universitaires de Rennes
(3)   «Génération» tome 2 «Les années de poudre» Hervé Hamon et Patrick Rotman – Seuil

(4)   Lire à ce sujet «De l’abandon au mépris. Comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière» de Bertrand Rothé avec une préface de Gérard Mordillat - Seuil     
Les Mau-Mau tirés de l’oubli mais qui s’en soucie ?


Kenya, paradis pour touristes fortunés (943 000 en 2003), amateurs de safaris, ce pays de plus de 35 millions d’habitants, qu’ils ignorent pour ne visiter que les paysages à couper le souffle ou les réserves d’animaux sauvages. Dedan Kimathi, le nom du dernier Chef des Mau-Mau, capturé et pendu ne leur dit rien. Bien évidemment, les médias ont à peine parlé de ces cinq anciens rescapés qui, dès 2002, ont lancé une procédure judiciaire contre les britanniques colonisateurs et viennent d’obtenir l’accès et la publication des archives britanniques relatant les massacres, la torture dont furent l’objet leurs frères anticolonialistes.


Retour en arrière pour comprendre.

1880. Première installation des Anglais sur une frange de ce pays au moyen de la British Cie de l’Est africain. La colonisation est en marche. 1894, le sultanat d’Oman concède les territoires qu’il occupait sur les côtes africaines. 1920, le Kenya est une colonie britannique qui exploite les 250 tribus et les 11 groupes ethniques qui composent ce vaste territoire dont ils accaparent les meilleures terres et font prospérer la misère et les inégalités dans les vastes propriétés de monocultures de thé, de café, de noix de cajou… Le travail forcé est imposé aux populations.

1953. L’exaspération est à son comble, un poste de police est «attaqué» à Naivasha, la répression et la violence sont terribles : 13 000 morts dont 32 civils européens, les forces dites loyalistes, les «harkis» des Britanniques sont la cible des Kenyans révoltés, plus de 500 morts auxquels il faut ajouter 63 officiers blancs.

1956.  Les Kinkuyus,  l’une des ethnies de ce pays, s’organisent clandestinement et créent les Mau-Mau dont l’objectif est de se débarrasser des colons britanniques. Pour les dominants étrangers, ce n’est qu’une secte de sauvages à exterminer. La répression est barbare : tous les Kenyans qui ne les combattent pas avec les troupes d’occupation britanniques sont suspects : des villages sont rasés, des dizaines de milliers de personnes sont déplacées, entassées dans des camps, torturées, violées, empoisonnées avec de l’eau mélangée à du kérosène. Combien de morts ? On ne sait : 80 000, 300 000… On ne dénombre pas les «sauvages», on dirait aujourd’hui les terroristes. Huit ans durant, révoltes et répressions vont se succéder pour mater les Mau-Mau jusqu’à la pendaison de leur dernier chef. Mais qui s’en soucie ? Même pas Obama dont le grand père a eu les testicules écrasés à coups de barres de fer et les ongles percés par des épingles pour le faire parler. Il est passé dans l’autre camp !

1961. La rébellion matée, le colonisateur face à la montée des luttes anticoloniales dans le Tiers Monde  consent, après avoir fabriqué une élite locale à sa dévotion, à reconnaître «l’autonomie» de sa colonie dans le cadre du Commonwealth néocolonial.

2002. Après onze ans de procédures et de luttes contre la volonté des gouvernements britanniques d’étouffer, de détourner cet éclairage sur leur douloureuse histoire, les cinq Mau-Mau assistés de leurs avocats ont gagné. La crainte des autorités anglaises, c’est qu’il vienne à l’idée de quelques despérados du droit au Yémen, au Swaziland ou en Guyane ex-britannique, de suivre ce même chemin pour accéder à la vérité.

Cet exemplaire histoire n’est pas prête d’être inscrite dans les livres d’histoire, tout comme est ignorée la complicité génocidaire au Rwanda du gouvernement français (Mitterrand-Balladur) ainsi que celle des massacres au Cameroun (1), à Madagascar, voire en Algérie…    

A l’heure du retour la barbarie (Syrie, Egypte), il y a lieu de s’interroger sur la mémoire des peuples face à la couardise des médias et ce, malgré (ou à cause de) internet et le courage d’autres despérados (le soldat Bradley Manning condamné à 35 ans de prison ou Edward Snowden «exilé» au pays de Poutine (!).


Gérard Deneux, le 26.08.2013



(1)    Lire l’excellent livre de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, intitulé «Kamerun. La guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971)». éditions la découverte 

dimanche 18 août 2013

« Ce qui arrive aux islamistes aujourd’hui
 peut tout à fait arriver demain aux travailleurs et aux activistes de gauche »[1]


Qu’il y ait eu 700 morts et 4 000 blessés (chiffres de l’armée égyptienne) ou certainement beaucoup plus, la répression sanglante contre les Frères Musulmans est inacceptable pour ceux qui prônent l’émancipation sociale et politique du peuple égyptien. Ne pas la condamner c’est permettre à l’appareil d’Etat toujours tenu par les  hauts dignitaires de l’armée d’instituer un retour à l’ordre, y compris en instrumentalisant les affrontements à caractère religieux.

Nous tentons, ici, de comprendre ce qui se passe là-bas, à partir des sources que l’on trouve sur le site A l’encontre (et nous vous invitons à aller les lire sur alencontre.org) émanant des Socialistes Révolutionnaires égyptiens, de militants syndicaux ou encore de « spécialistes » tels Gilbert Achcar, Alain Gresh (sur le blog du Monde Diplomatique) et aussi celles de Jacques Chastaing (réseau des anticapitalistes du grand Est).

Dans son dernier texte, Jacques Chastaing nous invite à reprendre le film des évènements, ce que nous allons faire mais dans une toute autre optique que la sienne qui nous semble quelque peu optimiste quant au devenir du processus révolutionnaire face à l’appareil contre-révolutionnaire à l’œuvre. Sans se gausser de mots : « révolution », « auto-activité », « auto-organisation » mais sans nier l’ampleur des mobilisations et des prises de conscience qui s’opèrent, force est de constater que le processus révolutionnaire en cours n’a ni fissuré et encore moins brisé l’appareil d’Etat Moubarak.

Juin 2012. Face à la mobilisation et au « mécontentement » contre elle, l’armée, ou plutôt le quarteron des généraux qui la dirige, est tentée par un coup d’Etat. Elle se résout, pour éviter d’être fracturée, à laisser parler les urnes, espérant qu’en utilisant la force médiatique, son candidat l’emportera aux présidentielles.

Contre toute attente, et face à l’émergence du candidat nassérien qui arrive en 3ème position au 1er tour, c’est Morsi qui l’emporte contre le candidat des forces armées au second tour. L’abstention importante, la perte de voix considérable de Morsi par rapport aux élections instituant l’Assemblée constituante, révèlent déjà une légitimité populaire qui se fissure. Il n’empêche, les deux millions de membres des Frères Musulmans n’ont pas disparu et il faudrait pouvoir s’interroger sur la composition sociale de la confrérie, bien que l’on sache qu’elle est dirigée par une bourgeoisie affairiste liée au Qatar…

Que se passe-t-il dès lors ? Les Frères Musulmans s’empêtrent dans leur volonté d’assurer leur suprématie religieuse tout en se rangeant aux côtés de l’armée. Le soutien des Etats-Unis reste acquis, aucune réforme antilibérale n’est actée, le mécontentement des classes populaires face à la répression explose. L’armée laisse les Frères en première ligne pour mesurer l’impopularité de leur propre position. Morsi tente de se donner les pleins pouvoirs pour briser les mobilisations, grèves, manifestations qui se succèdent. L’armée attend son heure.

Et c’est alors que, « spontanément » se lève le mouvement Tamarod qui « aurait » récolté 20 millions de signatures pour exiger la démission de Morsi. Incontestablement, ce mouvement a existé mais il n’a pu prendre cette ampleur, et aussi vite, sans qu’on lui fournisse un appui logistique, financier et médiatique décisif. L’armée, la bourgeoisie libérale pro et anti-Moubarak lui ont assuré ce succès.

Les manifestations monstres (14 millions ? 30 millions ?), même si l’ampleur des chiffres peut être contestée, se sont déroulées avec l’accord et l’instrumentalisation de l’armée. Tamarod naïf ? Tellement représentatif qu’il exige qu’aucune banderole d’organisations, de partis ou de syndicats ne soit déployée mais que tout soit fait au profit de l’armée et de l’unité nationale autour d’elle !

« L’armée a volé les fruits de la révolution ». Lesquels ? Pas la justice sociale, ni le pain, rien n’a été acquis dans ce domaine ! La liberté, certainement, mais elle est déjà remise en cause depuis l’instauration de l’état d’urgence et la répression contre les Frères Musulmans, qui, dans cette affaire, jouent le rôle de boucs émissaires. Les Frères ne sont, dans leurs hauteurs dirigeantes, que les représentants d’une fraction de la bourgeoisie qui n’a pas réussi à acquérir des positions de forces au sein de l’appareil d’Etat.

Certes, « le peuple est trompé, baladé» et la répression risque désormais de s’étendre à d’autres secteurs, et ce, dans un climat de guerre confessionnelle. « Les Frères Musulmans (et tous ceux qu’ils drainent derrière eux) et l’armée vont-ils s’affaiblir mutuellement » ? (comme l’écrit Jacques Chastaing) Non ! La disproportion des rapports de force parle d’elle-même.

Car, où est le 3ème larron qui aurait pu s’interposer pour éviter ce bain de sang ? Appelle-t-il à une grève générale pour condamner la répression à balles réelles ? S’il ne le fait pas, qu’en sera-t-il demain lorsque la situation sera encore plus dégradée ? S’en prend-il aux entreprises gérées par l’armée. Occupe-t-il les usines ? Non, il n’en est pas encore là ! (et les quelques mouvements existant aux aciéries de Suez sont déjà « matés »). Il risque, demain d’être désorienté par cette coalition improbable autour de l’armée des généraux, à savoir des libéraux-démocrates qui, nationalistes ou de « gauche », entendent prôner le retour à l’ordre, le maintien de l’état d’urgence et l’appel « à retrousser les manches » pour honorer les dettes des créanciers internationaux. Etats-Unis, Europe ou encore Arabie Saoudite qui possède sur l’échiquier égyptien le point d’appui des salafistes d’El Nur.

Jacques Chastaing pourrait avoir raison : le processus révolutionnaire peut reprendre le dessus face au détournement confessionnel de ses objectifs mais rien n’est assuré. Si, comme on peut le penser, après la démission d’El Baradeï, la coalition improbable se délite, si des élections sont maintenues, si la contestation ouvrière et populaire s’amplifie contre l’armée, alors une brèche serait ouverte et la désagrégation de l’armée de conscrits inévitable … Mais, cela fait beaucoup de « si », mais c’est possible. Toutefois, les forces politiques révolutionnaires restent bien faibles et l’état de prise de conscience et d’organisation des ouvriers toujours pas en mesure d’imposer sa loi à la bande d’aigrefins qui entend les manipuler. A ce sujet, il convient de lire attentivement l’interview et l’analyse de la syndicaliste Fatma Ramadan, animatrice des syndicats indépendants[2] où elle affirme « la révolution n’a pas de noyau dur organisé et déterminé pour la continuer ». 

Gérard Deneux et Odile Mangeot, le 17 août 2013   
Amis de l’émancipation Sociale



[1] Citation extraite de l’interview de Sameh Naguib, membre dirigeant des Socialistes révolutionnaires égyptiens, paru sur le site A l’encontre alencontre.org 
[2] Publié sur le site A l’encontre, le 28 juillet, cet appel a été lancé le 26 juillet par Fatma Ramadan que nous avions rencontrée à Bâle (Contre Davos). Voir également sur ce même site que nous recommandons (alencontre.org) les textes relatifs à la composition du nouveau gouvernement intérimaire (cette coalition improbable), lire l’entretien avec Sameh Naguib – membre dirigeant des Socialistes Révolutionnaires égyptiens) publié le 6 août 2013 

Déclaration des Révolutionnaires socialistes d’Egypte (14 août 2013)

La sanglante dispersion des sit-in du parc Al-Nahada et de Raba’a al-Adawiyya n’est rien d’autre qu’un massacre; préparé à l’avance. Son objectif est de liquider les Frères musulmans (FM). Elle fait aussi partie d’un plan de détruire la révolution égyptienne et de restaurer l’Etat militaro-policier du régime Moubarak.
Les Révolutionnaires socialistes n’ont à aucun moment défendu le régime de Mohamed Morsi et des Frères musulmans. Nous avons toujours été aux premiers rangs de l’opposition contre ce régime criminel, failli qui a trahi les objectifs de la révolution égyptienne. Ce dernier a même protégé les piliers du régime Moubarak et son appareil de sécurité, ses forces armées et ses hommes d’affaire corrompus. Nous avons participé de toutes nos forces à la vague révolutionnaire du 30 juin 2013.
Nous nous sommes tout autant opposés dès le début aux sit-in des Frères musulmans ainsi qu’à leurs tentatives de rétablir Morsi au pouvoir.
Il faut cependant replacer les événements d’aujourd’hui dans leur contexte, c’est-à-dire leur utilisation par les militaires pour briser les grèves ouvrières. Nous avons également assisté à la nomination de nouveaux gouverneurs provinciaux, largement issus des rangs des restes de l’ancien régime, de la police et des généraux de l’armée. Puis, enfin, il y a les politiques menées par le gouvernement du général Abdel Fatah Al-Sissi. Celui-ci a adopté une feuille de route clairement hostile aux objectifs et aux revendications de la révolution égyptienne, c’est-à-dire: liberté, dignité et justice sociale.
Voici le contexte dans lequel se déroule le massacre brutal mis en œuvre par l’armée et la police. Il s’agit d’une répétition sanglante de la liquidation prochaine de la révolution égyptienne. Son objectif est de briser la volonté révolutionnaire de toutes et tous les Egyptiens qui réclament leurs droits – qu’il s’agisse des pauvres, des travailleuses et des travailleurs ou des jeunes révolutionnaires – en instaurant un état de terreur.
La réaction des Frères musulmans et des salafistes, qui consiste en attaques contre les chrétiens et leurs églises, est toutefois un crime sectaire qui ne fait que servir les forces de la contre-révolution. L’Etat de Moubarak et Al-Sissi, qui n’ont jamais défendu les Coptes et leurs églises [1], sont complices de cette abjecte tentative de provoquer une guerre civile, dont les chrétiens égyptiens seront les victimes des réactionnaires Frères musulmans.
Nous nous élevons fermement contre les massacres d’Al-Sissi, contre sa tentative hideuse de faire avorter la révolution égyptienne. Le massacre d’aujourd’hui n’est que la première étape sur le chemin de la contre-révolution. Nous nous élevons avec la même fermeté contre toutes les attaques contre les chrétiens d’Egypte et contre la campagne confessionnelle qui ne fait que servir les intérêts d’Al-Sissi et ses desseins sanglants.
Conduites par ceux qui sont entrés dans le gouvernement Al-Sissi, de nombreuses personnes qui se considèrent elles-mêmes comme libérales et de gauche ont trahi la révolution égyptienne. Ils ont fait commerce du sang des martyres pour blanchir l’armée et la contre-révolution. Ces personnes ont du sang sur les mains.
Nous, Révolutionnaires socialistes, ne dévierons pas un instant de la voie de la révolution égyptienne. Nous ne ferons jamais de compromis sur les droits des martyres révolutionnaires et sur leur sang pur: celui de ceux et celles qui sont tombés en affrontant Moubarak, celui de ceux et celles qui sont tombés en affrontant le Conseil suprême des forces armées, celui de ceux et celles qui sont tombés en s’affrontant au régime Morsi et celui de ceux et celles qui tombent actuellement en affrontant Al-Sissi et ses chiens de garde.
• A bas la domination de l’armée!
• Contre le retour de l’ancien régime!
• Contre le retour des Frères musulmans!
• Tout le pouvoir et toute la richesse au peuple!
Les Révolutionnaires socialistes d’Egypte – 14 août 2013
(Traduction A l’Encontre d’une adaptation réalisée en anglais par socialistworker.co.uk à partir de l’original arabe)
[1] Voir, à ce sujet, une précédente déclaration des RS sur notre site:http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-contre-les-massacres-et-le-mandat-donne-aux-militaires.html
Peut-on défendre les intérêts des médecins mercenaires ?


On connaissait les libertés prises par nombre de médecins avec les dépassements d’honoraires et autres dessous-de-table mais l’on était loin de se douter que les vacances de postes dans les hôpitaux étaient comblées par des médecins-mercenaires qui avaient « envie de liberté » au prix fort, assumé par les budgets des hôpitaux et les cotisations des assurés sociaux.

La liberté des hôpitaux de recourir à l’intérim, couplée à la pénurie de médecins, s’est transformée en contrainte financière. Ils sont désormais pris en otage par ces rapaces en blouse blanche. L’affaire n’est pas nouvelle puisqu’elle a été dénoncée dès 2003, pour le moins, dans un rapport de l’inspection générale des affaires sociales ainsi que par les Chambres Régionales des Comptes. Ces dernières ont mis en exergue les coûts exorbitants et les irrégularités de telles pratiques de recrutements temporaires : 67 millions d’euros en 2013, soit 350 équivalents temps plein. Et l’affaire semble tellement juteuse pour les postulants qu’ils sont de plus en plus nombreux à y recourir ; des praticiens titulaires n’hésitent pas à démissionner pour devenir mercenaires de la santé. Pensez donc, en 10 jours d’intérim, ils gagnent autant qu’en 1 mois à l’hôpital !

Jusqu’ici, les gouvernements successifs, les élus informés ont fait la sourde oreille, « que chaque hôpital se débrouille pour assurer la continuité du service ». Les Préfets sanitaires et leurs services (ARS) s’en sont lavé les mains, leurs prérogatives s’arrêteraient aux médecins titulaires et… aux finances mal tenues engendrant la nécessité de suppressions de lits et autres restructurations. Mais le phénomène prend de l’ampleur. En 2012, c’est une hausse de 30% en 3 ans qui a été constatée. Les mercenaires se vendent à prix d’or : en moyenne de 1 300 à 1 400 euros pour 24 heures de travail soit un SMIC mensuel. Mais cela peut aller à 3 000€ pour la même durée « limitée » de travail. Un groupe parlementaire (discret !) semble se pencher sur ce problème. Osera-t-il proposer qu’un organisme dépendant du ministère de la santé gère l’ensemble des remplacements à des tarifs qu’il imposera ? Ce serait ni plus ni moins étendre une pratique, existant dans l’éducation nationale, au secteur de la santé…. Faut-il léser ces rapaces ? Mettre en place un système de contrôle ? On entend déjà les cris d’orfraie de ces nouveaux pigeons à bec d’aigle croassant contre une atteinte intolérable à leur liberté et suggérant, malgré le démenti des faits, que la mise en concurrence des hôpitaux pour les attirer n’est que saine gestion.

Ce qui caractérise un service public digne de ce nom, c’est qu’il satisfasse en premier lieu les besoins des populations et qu’il contraigne, par conséquent, les médecins à s’installer là où ils se manifestent. En 2012, on comptait 15 000 postes de titulaires vacants. La grande union personnels de santé/usagers/élus ne se réalisera pas sans combattre les privilèges libéraux et leurs porte-parole, plus ou moins honteux, qui vont jusqu’à proposer aux jeunes médecins des incitations financières pour les mettre en concurrence avec les mercenaires trop gourmands.

Gérard Deneux, le 14 août 2013

d’après un article du Monde du 13 août 2013 de Laetitia Clavreul.



dimanche 4 août 2013

Gilbert Achcar
Gilbert Achcar
Entretien avec Gilbert Achcar
conduit par Jacques Babel

Le processus révolutionnaire de la région arabe ne cesse de surprendre les médias. Comment analyses-tu les événements récents en Egypte et en Tunisie?
Il y a certes des changements qualitatifs qui surviennent, mais le fait même qu’il y ait des rebondissements ne saurait surprendre dès lors qu’on a compris que ce qui a démarré fin 2010-début 2011 est un processus révolutionnaire de longue durée. L’idée que les victoires électorales de forces issues de l’intégrisme islamique en Tunisie et en Egypte allaient clôturer le processus s’est révélée complètement erronée.
Ces forces étaient vouées à l’échec dans la mesure où, pas plus que les régimes auxquelles elles succèdent, elles n’ont pas de réponse aux très graves problèmes sociaux et économiques qui sont à l’origine des soulèvements. Elles se situent dans la continuité des recettes néolibérales et ne sauraient donc résoudre ces problèmes qui ne font que s’aggraver.
Le processus révolutionnaire peut prendre des formes surprenantes, mais on va continuer à passer longtemps de bouleversement en bouleversement à l’échelle régionale avant une stabilisation de la situation qui supposerait, dans une hypothèse positive, un changement profond de la nature sociale des gouvernements vers des politiques axées sur les intérêts des travailleurs et des travailleuses.
Comment vois-tu l’affrontement en cours aujourd’hui en Egypte?
En Egypte aujourd’hui, il faut distinguer entre deux niveaux: les manœuvres et conflits autour du pouvoir, et la lame de fond populaire. Celle-ci connaît un deuxième déferlement depuis celui de 2011, mais qui débouche, comme le précédent, sur une intervention de l’armée.
Moubarak, déjà, avait été écarté en février 2011 par les militaires qui ont alors pris directement le pouvoir, le Conseil supérieur des forces armées s’emparant du sommet de l’exécutif. Cette fois-ci, ils se sont gardés de répéter la même opération s’étant brûlé les doigts à essayer de gouverner le pays dans une situation de bouleversement telle qu’elle entraîne une usure très rapide de n’importe quel gouvernement qui se cantonnerait à l’horizon des politiques néolibérales. Mais les civils désignés à la tête de l’exécutif ne peuvent cacher le fait que c’est l’armée qui exerce le pouvoir.
Cela dit, l’argument selon lequel, cette fois-ci, l’armée est intervenue contre un gouvernement démocratiquement élu relève d’une conception très droitière de la démocratie, selon laquelle les élus ont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent pendant la durée de leur mandat, même s’ils trahissent de manière flagrante les attentes de leurs électeurs et électrices. Une conception radicale de la démocratie implique le droit à la révocation des élus. C’est cette forme que le mouvement a prise en Egypte avec la pétition pour le départ de Morsi et de nouvelles élections qu’ont lancée les jeunes du mouvement «Tamarrod» (Rébellion), qui ont réuni en quelques mois un nombre impressionnant de signatures, bien supérieur au nombre de voix qu’avait obtenues Morsi pour son élection à la présidentielle. De ce point de vue, sa révocation était tout à fait légitime.
Par contre, le gros problème, c’est que plutôt que d’organiser le mouvement de masse afin de renverser Morsi par les moyens de la lutte de masse – la grève générale, la désobéissance civile – on a vu les dirigeants de l’opposition libérale et de gauche s’accorder avec les militaires et applaudir leur coup d’état dont la logique ultime est de capter le potentiel de mobilisation populaire et de le détourner en faveur du retour à un ordre musclé, comme le confirment aujourd’hui les agissements des militaires. Cela est extrêmement grave, et à ce niveau-là il y a une carence forte de la gauche égyptienne dans ses composantes majoritaires. Elle a redoré le blason de l’armée, et encensé le commandant en chef de l’armée (Al-Sissi).
Ce dernier est l’homme fort du nouveau-ancien régime. Bien que ministre de la Défense, il s’est permis d’appeler la population à manifester en soutien à l’armée en ignorant totalement le nouveau gouvernement.
Aujourd’hui, même les jeunes de Tamarrod commencent à s’inquiéter, mais un peu tard, de l’engrenage dans lequel ils se sont fait prendre eux-mêmes. Le coup d’Etat permet aux Frères musulmans de se refaire une jeunesse politique en se présentant en martyrs, victimes d’un putsch militaire. Ils ont reconsolidé leur base sociale, certes minoritaire – c’est maintenant clair – mais néanmoins importante. L’action des militaires redore leur blason.
Donc, il y a eu une usure très rapide des mouvements islamistes ayant occupé la place des anciens régimes en Tunisie et en Egypte, mais la faiblesse de la gauche pose maintenant un gros problème…
En dehors de la gauche révolutionnaire qui reste marginale en Egypte, le gros de la gauche s’est investi dans le Front du salut national. Les courants issus du mouvement communiste traditionnel ainsi que le courant nassérien qui reste le plus important au niveau de l’influence populaire ont participé à l’entreprise de mystification des gens sur le rôle de l’armée. C’est d’autant plus déplorable que ces mêmes forces étaient dans la rue contre l’armée dans les mois qui ont précédé l’élection de Morsi! Quand Hamdeen Sabahi, le leader nassérien, expliquait quelques jours avant le 30 juin que c’était une erreur d’avoir crié un an auparavant «à bas le gouvernement des militaires», il tirait les mauvaises leçons de l’histoire. Ce qui est une erreur, c’est de s’en repentir et de penser qu’il faut de nouveau applaudir l’armée.

Que penses-tu des dispositifs qu’essaient de se donner les Tunisiens pour mettre fin au pouvoir d’Ennahdha?
Malheureusement, on risque d’avoir en Tunisie un scénario semblable à celui que connaît l’Egypte: une gauche qui n’a pas la lucidité politique de se battre sur un programme de gauche, et qui s’apprête à nouer des alliances même avec les pans de l’ancien régime présents dans Nidaa Tounès [«Appel de la Tunisie» – initiative lancée par Beji Caïd Essebi, ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères sous Habib Bourguiba, avocat spécialisé dans les affaires d’arbitrage – devenue parti reconnu et autorisé en juillet 2012]. Ce type de démarche profite finalement aux forces islamistes qui ont beau jeu de dénoncer la compromission de la gauche avec les restes de l’ancien régime. Cela permet aux Frères musulmans ou à Ennahdha de se présenter comme porteurs de la légitimité et de la continuité de la révolution.
Il y a donc un problème de représentation politique des couches populaires en révolution?
Oui, le problème c’est qu’au lieu de chercher à conquérir l’hégémonie dans le mouvement de masse en se battant en premier lieu sur la question sociale, quitte à faire l’unité contre elle des partisans du néolibéralisme qui vont des intégristes aux hommes de l’ancien régime en passant par les libéraux, la gauche s’inscrit dans des alliances à courte vue avec des pans de l’ancien régime. Dans un pays comme la Tunisie, à mon sens, la centrale syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail) est une force socialement hégémonique et qui peut facilement le devenir politiquement. Or une muraille est dressée entre le syndical et le politique. La gauche tunisienne aujourd’hui à la tête de l’UGTT, plutôt que de lancer la centrale dans la bataille politique avec pour horizon un gouvernement des travailleurs, semble s’orienter vers des alliances contre-nature entre ses groupements politiques organisés dans le Front populaire, d’une part, et les libéraux et les restes de l’ancien régime, de l’autre.
Malgré ces difficultés de débouchés, les révoltes continuent dans de nombreux pays, on voit apparaître maintenant des mouvements «Tamarrod» en Libye, au Bahreïn…
Dans les six pays qui ont été les plus profondément touchés par les soulèvements de 2011, les mouvements de masse continuent. En Libye, c’est le bouillonnement permanent. Les médias ne le répercutent pas, mais il y a constamment des mobilisations populaires, notamment contre les intégristes; les institutions élues sont soumises à des pressions diverses de la base populaire.
Au Yémen, le mouvement continue, même s’il a été affaibli par le compromis dans lequel s’est engouffrée une partie des forces d’opposition. Des forces radicales, en particulier jeunes et de gauche, continuent à se battre contre ce simulacre de changement. Au Bahreïn, le mouvement populaire se poursuit contre la monarchie.
Et en Syrie, la guerre civile bat son plein, elle atteint un niveau hautement tragique avec aujourd’hui une contre-offensive féroce du régime soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais. La Syrie est un cas flagrant de cynisme des grandes puissances, qui laissent massacrer un peuple qui ne leur inspire que la méfiance.
Donc, deux ans et demi après le début du processus, celui-ci continue de plus belle?
Une dynamique révolutionnaire s’est enclenchée en 2011, un processus de longue durée qui va connaître des hauts et des bas, des épisodes de réaction, de contre-révolution et des rebonds révolutionnaires. Mais pour une issue positive à ce processus, il faudra que se dégagent des forces porteuses de réponses progressistes aux problèmes posés sur le plan social et économique.
A défaut, il y a d’autres scénarios possibles, de régression, de réaction, d’alliances répressives contre les populations entre ceux qui aujourd’hui semblent opposés, militaires et intégristes. Il n’y a aucune fatalité dans un sens ou dans l’autre, c’est une situation ouverte, en plein bouillonnement.
La gauche doit urgemment affirmer une troisième voie indépendante, contre les anciens régimes et contre les intégristes, pour la satisfaction des revendications sociales de celles et ceux qui ont porté ces soulèvements. (Propos recueillis le lundi 29 juillet par Jacques Babel)
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Gilbert Achcar, intellectuel militant marxiste originaire du Liban, est enseignant à la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres. Il a publié, entre autres, L’Orient incandescent, Ed. Page deux, 2003; Les Arabes et la Shoah. La Guerre israélo-arabe des récits, Actes Sud, Sindbad, 2009, Eichman au Caire, Sindbad, 2012; Le peuple veut, Ed. Actes Sud, 2013.
L’Europe ingouvernable ?


«L’image», colportée par les médias dominants, porte à croire que la Troïka formerait un bloc sous hégémonie allemande, prête à passer des compromis pour maintenir sa domination bienveillante vis-à-vis des contraintes de rigueur imposées aux peuples. Apparemment, la volonté d’imposer des politiques d’austérité n’est pas remise en cause mais cette unité relative masque des contradictions réelles entre la Commission européenne, la Banque Centrale, l’Allemagne et les différents Etats européens, ainsi que vis-à-vis du FMI. Cette institution financière supranationale, dans le rapport qu’elle a remis, souligne l’âpreté de ces contradictions. Les coups de boutoir de la mobilisation des peuples ne sont bien évidemment pas étrangers à cette prise de position tardive. Il ne s’agit aucunement d’une remise en cause des politiques d’austérité, ne serait-ce qu’une once de celles-ci, mais plutôt des modalités de leur mise en oeuvre. Ce dont il est question, c’est de la nature de la domination du couple franco-allemand sur l’ensemble européen et de l’intransigeance adoptée par le gouvernement Merkel : elles compromettraient les intérêts bien compris de l’ensemble de l’oligarchie financière et, donc, la stabilité du système capitaliste dans son ensemble. L’examen des jugements portés par le FMI est révélateur et leur dramatisation publique laisse supposer que les contradictions pourraient s’amplifier si le gouvernement allemand issu des élections  prochaines maintenait ses exigences «nationalistes» (1).


Les accusations du FMI

Le «rapport d’évaluation de la politique adoptée à l’égard de la Grèce» ne laisse planer aucune équivoque. Une sourde guerre intestine au sein de la Troïka est déclarée : la Commission européenne a fait preuve «d’amateurisme», «d’incompétence». Avec la complicité de la France et de l’Allemagne ses «échecs sont flagrants». Le couple franco-allemand aurait laissé pourrir la situation pour permettre à ses banques de récupérer ses prêts accordés à la Grèce, l’ardoise finale étant réglée par la Banque Centrale Européenne (BCE), devenue une «banque de défaisance», bref, une banque pourrie. Et le rapport d’insister, le solde de tous comptes va être réglé par les contribuables européens et le FMI qui a dû «avancer des fonds à un emprunteur (la Grèce) incapable de rembourser». Diantre ! C’est un «risque systémique exceptionnel», la possibilité d’un effondrement global. Autrement dit, c’est parce que les dirigeants français et allemands se sont fait les porte-parole exclusifs de leurs propres intérêts nationaux qu’on en est là. Leurs tergiversations ont permis à la rapacité de leurs banquiers de s’exercer puis de se délester de leurs actifs dès qu’ils furent dévalorisés, et ce, auprès de la BCE qui les a rachetés sur le marché dit secondaire (marché d’occasions).

Ce fut là un véritable sauvetage de l’actionnariat des banques et de leurs dirigeants ainsi que des prêts publics accordés antérieurement par la France et l’Allemagne. Et Paul Jorion de préciser qu’au 1er octobre 2010, le bilan des banques allemandes enregistrait 19,2 milliards d’euros d’emprunts grecs à rembourser et 14,4 milliards pour les banques françaises. Et l’addition est encore plus lourde si l’on y inclut le montant des prêts annulés des secteurs privé et public : 50,6 milliards pour l’Allemagne, 67 pour la France, ce qui correspond à un total représentant 58,1 % de la dette grecque à cette époque.

Le FMI, comptable auprès de l’ensemble des Etats, ses souscripteurs mondiaux qui n’admettent guère devoir «aider» l’Europe riche et tout particulièrement une fraction de l’oligarchie financière européenne, entend faire savoir qu’il n’est pas dupe des manœuvres auxquelles il a consenti et tient à dégager toute responsabilité sur les conséquences à venir. Que fait-il d’autre «en admettant qu’une restructuration immédiate (sans tergiversation) de la dette grecque aurait été meilleur marché pour les contribuables européens» ? De fait «les créanciers du secteur privé ont été intégralement remboursés grâce à l’argent emprunté par Athènes» auprès des Etats et du FMI, et ce, sous la férule de la Troïka imposant des contraintes austéritaires draconiennes. Mais, de fait, «la dette grecque n’a pas été réduite», elle «est dorénavant due au FMI et aux contribuables de la zone euro plutôt qu’aux banques et aux fonds spéculatifs». (2)

Tout ceci n’est guère une découverte  pour ceux dotés, pour le moins, d’un esprit critique altermondialiste minimum. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est l’accusation sous jacente, adressée tout particulièrement aux dirigeants allemands et secondairement aux français et que l’on pourrait résumer comme suit : vous  ne vous comportez pas comme une classe politique dirigeant l’ensemble des classes dominantes en Europe, qui plus est, la Commission n’est pas une instance fédérative, elle est à la botte des pays dominants de la zone euro. En agissant ainsi, vous mettez en cause l’Europe libérale et, à l’heure de l’ouverture des tractations transatlantiques avec les USA, c’est l’hégémonie américaine que vous mettez en cause en faisant prévaloir vos intérêts purement nationaux. C’est le «grand» marché que vous déstabilisez. Face à ces accusations, Barroso, Président de la Commission européenne, dans un coup d’éclat verbal, s’est fendu d’une profession de foi libérale et atlantiste contre l’expression culturelle française «réactionnaire» afin de montrer «qu’il ne serait pas soumis aux intérêts français, voire allemands». Inquiet, l’économiste néo-keynésien Paul Krugman ne dit pas autre chose, même si c’est sous un angle différent (3) : «Regardons la situation en Grèce. Combien de temps le consensus pro-européen peut-il survivre à une telle dégradation de la situation ?»... «On ne parle pas de troubles mineurs mais d’un chômage à 30, 40, voire 50% chez les jeunes de certains pays»… «Un cercle vicieux est enclenché… L’Europe en est à la 3ème année de récession … Cela rend tout dramatique».

FMI, dramatisation pour faire céder Merkel ?

On avait pourtant cru qu’un accord ou, pour le moins un compromis, avait été conclu entre les membres de la Troïka : que la BCE intervienne pour racheter sur le marché secondaire les obligations insolvables des banques privées, des assurances et des fonds dits d’investissement, semblait acquis malgré les garde-fou statutaires de cette banque européenne. Il semblait que la conviction de les sauver et ce, au prix de «l’injection quasi illimitée» de liquidités «fictives» afin d’assainir la situation, l’avait emporté. Cette mesure n’a-t-elle pas permis de mettre fin, au moins provisoirement, à la spéculation sur les taux des emprunts d’Etat et à l’inflation des prismes de risques ? Mieux, il semblait qu’il suffisait que Mario Draghi laisse entendre qu’il continuerait à y recourir, voire que la BCE intervienne pour directement prêter aux banques en difficultés comme en Espagne, sans passer par l’intermédiaire du Etats, en baissant le loyer de l’argent dispensé, pour qu’enfin les marchés se disciplinent, évitant toute spéculation dommageable sur les Etats ; les pays n’en ont-ils pas profité, comme la France, en bénéficiant de taux d’emprunts inespérés sur les marchés ? Ce qui nous a valu d’ailleurs la douceur d’une berceuse médiatique : «la crise est finie, super Mario !». Mais, contre toute attente intéressée, elle ne l’est pas, ni en Grèce, ni au Portugal, ni en Espagne, en Irlande ou en Italie. Ces pays s’enfoncent dans la récession et s’avèrent incapables de rembourser, dans ces conditions, les emprunts consentis par la Troïka.

Et l’idée d’ouvrir encore les vannes de la liquidité, par création monétaire de la BCE sous forme de rachat de dettes ne plaît pas à l’Allemagne, même si elle profite à la France. Car, dans le couple franco-allemand désuni, c’est Merkel qui porte la culotte et non pépère Hollande. Sauver les banques et d’abord les nôtres… oui ! Sauver les Etats impécunieux qui sentent venir la facilité et hésitent à prendre des mesures drastiques contre leurs peuples… non ! C’est donc le fameux compromis instituant le Mécanisme de Solidarité Européenne (MES), un fonds auquel doivent souscrire les Etats pour prêter avec le FMI aux Etats en difficultés, qui est mis en cause ainsi que son programme d’action dit OMT.

Passons sur l’argument inflationniste invoqué par Merkel et Cie qui en période de récession n’est guère envisageable à court terme, attardons-nous plutôt sur l’argutie démocratique beaucoup plus cynique.

Certes, la BCE n’a pas reçu mandat, du moins d’après ses statuts, pour racheter des dettes privées mais le MES qui oblige, sous le nouveau traité européen, les Etats à emprunter sur les marchés pour reprêter aux Etats «impécunieux»… encore moins ! Mais ces décisions (anti-démocratiques) ont bel et bien été prises par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro ! Qu’importe ! L’Allemagne entend faire jouer sa juridiction nationale pour remettre en cause ce compromis. Pourquoi ? Car, en définitive, «les rachats sur les marchés secondaires ne devraient pas faire baisser les primes de risque des divers pays, sauf à annuler le rôle disciplinaire du marché des taux et d’écarter (ainsi) les pays de la voie de la responsabilité financière» pour revenir rapidement au 3% de déficit public. C’est ce qu’a déclaré Yens Weideman, l’un des bras droits de Merkel. En d’autre termes, moins convenus, les «pouilleux du Sud»  doivent payer sans recourir au MES. L’Allemagne ne veut pas d’une «solidarité» européenne qui la pénaliserait, ni d’une BCE qui agirait comme la FED aux USA. Bref, la souveraineté des économies nationales doit être asservie aux marchés financiers, telle est la logique brandie par le recours à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : la souveraineté allemande est supérieure à toutes tes autres. Les plaintes des Allemands ont été jugées recevables et les auditions ont commencé les 12 et 13 juin derniers. On comprend mieux, dans ce contexte, la lourde fâcherie du FMI devant l’incapacité de la Commission de hausser le ton face à l’Allemagne qui ne joue pas le jeu de la solidarité européenne, vis-à-vis des intérêts de l’ensemble de l’oligarchie financière et s’en tient à soutenir une fraction d’entre-elle, les Allemands d’abord.

Si, à l’issue des élections en Allemagne, le jugement de la Cour constitutionnelle condamnait la liberté d’intervention que s’est octroyée la BCE avec l’accord des gouvernements européens, si elle limitait d’une manière ou d’une autre le recours au MES, l’on assisterait à un coup de force de l’Allemagne ; l’existence de la zone euro en serait à tout le moins plus que perturbée. En Union Européenne, cela signifierait que l’Allemagne, 1er souscripteur du fonds de solidarité, pays le plus riche, refuserait d’être le prêteur en dernier ressort.   

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Plus généralement, face à la dérive du système, le FMI semble s’inquiéter de l’incapacité des classes dominantes mondialisées d’assumer leur rôle hégémonique, tout particulièrement en Europe.

En effet, non seulement la collusion entre gouvernements et milliardaires n’est plus à démontrer mais, qui plus est, la rapacité de ces 1%, condamnés par les Indignés, est effarante et risque de briser la cohésion sociale précaire, le «bloc historique» constitué sous l’égide des classes dominantes. Ainsi, cette institution financière supranationale observe que «93% des gains (4) de croissance réalisés aux USA pendant la (timide) reprise économique sont allés aux 1% les plus riches»  alors même que «les secteurs industriels qui dépendent de la consommation des classes moyennes manquent de débouchés». «L’exacerbation désespérée» des masses devient incontrôlable, même si, en mal de propositions de rechange et d’alternative crédibles, elle peut encore être contenue dans les limites d’un parlementarisme de plus en plus décridibilisé. En effet, le «véritable pouvoir censitaire exercé par le capital et la rente» possède toujours à sa main des partis dominants de droite et de gauche, en capacité de canaliser le mécontentement populaire. «Ces deux ailes d’un même oiseau de proie» (5) ne sont pas encore identifiées en tant que telles, pire les tendances nationalistes, voire fascisantes viennent, de plus, brouiller les pistes. Ce que l’évolution du capitalisme allemand semble suggérer, c’est que le capitalisme de ce pays n’assume pas son hégémonie européenne, il lorgne sur les marchés de l’Est et de l’Asie plus profitables à sa possible expansion. Quant aux pays de l’Europe du Sud, ils seraient voués à n’être qu’une nouvelle terre d’extension néocoloniale, des supplétifs de la production allemande. La visite du ministre des finances de Merkel à la Grèce est significative : on veut bien aider vos PME, nos futurs sous-traitants, mais mettez fin aux débats sur le non paiement de votre dette sinon… Et surtout, maintenez votre position sur l’illégalité grecque de coopératives ouvrières.

Dans ce monde dit multipolaire qui, de fait, marque le relatif déclin états-unien et l’émergence d’autres puissances étatiques concurrentes, Obama parviendra-t-il à faire rentrer dans le rang la réticente Allemagne et les velléités françaises ? Rien n’est moins sûr ! L’ampleur des divergences d’intérêts au sein de l’oligarchie mondialisée pourrait bine être révélée lors des négociations transatlantiques… tout comme les démêlés du FMI avec la Commission. Mme Viviane Reding, vice-présidente de cette instance européenne, ne vient-elle pas de déclarer (6) que la «Troïka doit être abolie» en expulsant le FMI avec lequel elle s’est déclarée «en désaccord fondamental». Qui plus est, le FMI, l’institution de Washington, faute de financement assuré d’ici la fin 2014, pourrait «suspendre sa participation au programme « d’aide » à la Grèce».

Gérard Deneux, le 18 juillet 2013


(1)    Cet article s’inspire des analyses de Frédéric Lordon «De la domination allemande (ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas)» ainsi que la chronique de Paul Jorion, parue dans le Monde du 18 juin 2013
(2)    Lire l’édito du Monde Diplomatique de Serge Halimi de juin 2013
(3)    Entretien accordé au Monde du 18 juin 2013
(4)    Cité par Serge Halimi, dans le Monde Diplomatique de mai 2013. Les citations qui suivent sont extraites du même article
(5)    Upton Sinclair, cité par Serge Halimi. Il faudrait relire ses romans en particulier « La jungle » (capitaliste) paru en 1906 (éditions Gutenberg)
(6)    Le Monde du 18 juillet 2013







Egypte: «Ne laissez pas l’armée vous duper!»

Publié par Alencontre le 28 - juillet - 2013
Des «pro-Sissi», le 26 juillet au Caire
Des «pro-Sissi», le 26 juillet au Caire
Appel de Fatma Ramadan, le 26 juillet 2013 

«La permission» [demandée au peuple égyptien] par le général Al-Sissi, est un poison mortel 

Mes camarades, les travailleuses et travailleurs d’Egypte luttent pour leurs droits ainsi que pour une Egypte meilleure [1]. Les travailleuses et travailleuses égyptiennes rêvent de liberté et de justice sociale, ils rêvent de travail à une époque où les voleurs que l’on nomme «hommes d’affaires» ferment des usines afin d’empocher des milliards [de livres égyptiennes – L.E.]. Les travailleuses et travailleurs d’Egypte rêvent de salaires équitables sous la férule de gouvernements qui ne sont intéressés qu’à promouvoir les investissements sur le dos des travailleurs et de leurs droits, et même de leurs vies. Les travailleuses et travailleurs d’Egypte rêvent d’une vie meilleure pour leurs enfants. Ils rêvent de soins lorsqu’ils sont malades, mais ils n’en trouvent pas. Ils rêvent d’être entourés de quatre murs et d’un toit dans lesquels ils puissent tous trouver un vrai abri.
Avant même le 25 janvier [2011], vous avez revendiqué vos droits et vos grèves et manifestations pour les mêmes exigences qui sont restées sans réponse ont continué après le renversement de Moubarak. Autant les Frères musulmans que l’armée ont négocié à gauche, à droite et au centre, sans jamais avoir une seule fois pris en compte – même avoir eu à l’esprit – vos revendications et vos droits. Tout ce qu’ils ont en tête est de trouver comment éteindre les petits feux que vous avez allumés par vos luttes à une époque obscure, même si ces étincelles brûlent toutes les unes éloignées des autres.
L’armée n’a-t-elle pas mis un terme par la force à vos grèves à Suez, au Caire, dans le Fayoum et partout ailleurs en Egypte? Les militaires n’ont-ils pas arrêté beaucoup d’entre vous et n’avez-vous pas été traînés devant des tribunaux militaires alors que vous ne faisiez que pratiquer votre droit à vous organiser, à faire grève et à protester pacifiquement? N’ont-ils pas œuvré avec pugnacité pour criminaliser vos droits au moyen d’une législation interdisant à tous les Égyptiens d’organiser des protestations pacifiques, des grèves et des sit-in?
Arrivèrent ensuite Morsi et les Frères musulmans, qui suivirent les traces de Moubarak pour ce qui a trait aux licenciements [du travail], aux arrestations et à briser les grèves par la force. C’est Morsi qui a envoyé des chiens policiers contre les travailleurs de l’entreprise Titan Cement à Alexandrie, agissant à travers le ministère de l’Intérieur et ses hommes. La même police et les mêmes officiers de l’armée qui sont aujourd’hui hissés sur les épaules sont des tueurs, les tueurs de jeunes Egyptiens honnêtes. Ils sont l’arme des autorités contre nous tous – et il en sera toujours ainsi à moins que ces institutions soient nettoyées.
Les dirigeants des Frères musulmans planifient des crimes contre le peuple égyptien de manière quotidienne, ce qui a eu pour résultat l’assassinat de personnes innocentes, alors que l’armée et la police répondent à cela par une violence brutale et le meurtre. Mais que l’on se rappelle à quel moment l’armée et la police sont intervenues. Ils sont intervenus longtemps après que les clashes aient commencé et arrivent presque toujours à la fin, une fois que le sang a été répandu. Demandez-vous pourquoi ils n’empêchent pas ses crimes commis par les Frères musulmans contre le peuple égyptien avant même qu’ils ne débutent? Demandez-vous où résident les intérêts de la poursuite des combats et du sang versé? C’est autant dans l’intérêt conjugué de la direction des Frères musulmans et de celle de l’armée. De la même manière que les pauvres sont de la chair à canon dans les guerres entre Etats, les pauvres, les travailleurs et les paysans d’Egypte constituent le carburant de la guerre intérieur et du conflit. Les fils innocents de portiers n’ont-ils pas été tués aussi bien à Mokattam [dans la périphérie du Caire, collines où habitent des personnes riches ; dans une autre partie de cette région résident des couches très paupérisées dont le travail consiste à ramasser et à recycler les «déchets ménagers»] qu’à Gizeh?
Il nous a été aujourd’hui [vendredi 26 juillet] demandé de sortir [dans les rues] et de donner une autorisation à la fête meurtrière d’Al-Sissi. Nous avons découvert que les trois fédérations syndicales sont en accord: l’étatique Egyptian Trade Union Federation (ETUF), l’Egyptian Democratic Labour Congress (EDLC) et l’Egyptian Federation of Independent Trade Unions (EFITU) (de laquelle je suis un membre du comité exécutif).
Fatma Ramadan
Fatma Ramadan
J’ai débattu avec les membres du comité exécutif de l’EFITU afin de les convaincre de ne pas publier une déclaration appelant ses membres et le peuple égyptien à sortir dans les rues vendredi 26 juillet, confirmant [par leur déclaration] que l’armée, la police et le peuple ne forment qu’une seule main – ainsi qu’il est dit dans la déclaration. J’appartenais à la minorité, gagnant quatre autres voix contre neuf. Ainsi, les trois fédérations syndicales appelèrent les travailleurs à se joindre aux manifestations au prétexte de combattre le terrorisme.
Nous passons ainsi de Charybde en Scylla. Les Frères musulmans ont commis des crimes dont ils doivent être tenus responsables et poursuivis en justice, de la même manière que la police ainsi que les officiers et soldats du régime Moubarak doivent être tenus responsables et poursuivis pour leurs crimes. Ne soyez pas dupé en remplaçant une dictature religieuse par une dictature militaire.
Travailleuses et travailleurs d’Egypte, soyez attentifs car vos revendications sont claires comme de l’eau de roche.
Vous voulez du travail pour vous et vos enfants, vous voulez une paie équitable, des lois qui protègent vos droits contre les lois que les hommes d’affaire de Moubarak avaient conçues pour protéger leurs intérêts contre vos droits. Vous voulez un Etat qui réalise un véritable plan de développement, ouvrant de nouvelles usines afin d’absorber une force de travail croissante. Vous voulez la liberté, les libertés de tout type, liberté de s’organiser, liberté de grève. Vous voulez d’un pays où vous pouvez vivre en tant que citoyens libres sans torture et sans meurtre. Vous devez spécifier ce qui se dresse entre vous et ces revendications. Ne soyez pas dupé et emmené par l’armée dans des batailles qui ne sont pas les vôtres. N’écoutez pas ceux qui exigent de vous aujourd’hui et demain que vous arrêtiez de lutter pour ces revendications et ces droits au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Fatma Ramadan, 26 juillet 2013
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* Déclaration de Fatma Ramadan, membre du comité exécutif de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU). Fatma Ramadan était présente en Suisse, dans le cadre du contre-sommet L’Autre Davos fin janvier 2011, quelques jours avant que n’éclate la révolution du 25 janvier. Cette déclaration est une traduction, réalisée par A l’Encontre, d’une adaptation de l’original arabe (http://al-manshour.org/node/4316) publiée sur le site du réseau de solidarité avec les travailleurs du Moyen-Orient).
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[1] Du 26 au 28 juillet: un précipité de mobilisation et de bonapartisme
Nous avons publié divers articles sur ce site, d’une part, en soulignant la capacité et la volonté de résistance des Frères musulmans, et, d’autre part, en mettant en relief le rôle bonapartiste de du CSFA (Conseil supérieur des forces armées), avec Al-Sissi comme ministre de la Défense et «leader» de cette institution. Les mises en garde des Socialistes Révolutionnaires et de Fatma Ramadan dont nous publions ci-dessus la déclaration en date du 26 juillet illustrent et expliquent le contexte et l’orientation – que nous partageons – de socialistes révolutionnaires. (Voir, entre autres, celle des Socialistes Révolutionnaires – voir sur ce site celle du 26 juillet 2013: «Pas en notre nom» – et l’appel de Fatma Ramadan ci-dessus.)
Alexandre Buccianti et Perrine Mouterde (RFI), en date du 26 juillet à 2h56, font le constat suivant: «Les militaires égyptiens pratiquent la politique de la carotte et du bâton avec les Frères musulmans. D’un côté, le porte-parole de l’armée indique que «l’appel du général Al-Sissi ne constitue pas une menace envers un groupe politique en particulier» et, de l’autre, l’armée laisse aux Frères musulmans jusqu’à samedi 27 juillet «pour se rallier au processus de réconciliation politique». Les militaires ont précisé que passé ce délai ils «réagiront avec détermination à tout appel à la violence ou au terrorisme émanant de la confrérie ou de ses alliés». L’objectif recherché par les militaires est de provoquer une scission au sein de la confrérie où un début de division semble poindre. Depuis une semaine, un groupe, qui s’est baptisé «Frères musulmans non violents», multiplie les déclarations hostiles à la direction actuelle de la confrérie. Une direction dominée par les «qotbistes», partisans d’un changement de la société par la manière forte. La ligne plus traditionaliste de la confrérie est pour un changement par la prédication et l’action sociale.
Un symbole: le protrait de Morsi dans les barbelés protégeant la Garde républicaine
Un symbole: le portrait de Morsi dans les barbelés protégeant la Garde républicaine
Ce vendredi 26 juillet 2013, certains Egyptiens ont pourtant choisi de ne pas aller manifester. C’est le cas d’Ahmed Maher, le cofondateur du Mouvement du 6 avril, l’un des fers de lance de la révolution de 2011. Le mouvement rejette l’appel du général Al-Sissi à manifester. Ahmed Maher n’a pas pour habitude de bouder les manifestations. Depuis la fondation du Mouvement du 6 avril en 2008, il a été de toutes les luttes pour les libertés. Mais l’appel lancé mercredi par le général Al-Sissi ne l’a pas convaincu. «C’est leur boulot de protéger les Egyptiens, affirme-t-il. Pourquoi est-ce qu’ils nous demandent notre permission? Mais des amis, des mouvements, des responsables politiques vont aller soutenir Sissi.»
L’armée semble plus populaire que jamais. Ahmed Maher, lui, ne fait pas confiance aux militaires. Il n’a pas oublié les 16 mois où ils ont été au pouvoir après la chute d’Hosni Moubarak. «Quand j’ai rencontré les militaires deux jours après la chute d’Hosni Moubarak, poursuit-il, ils m’ont dit “tu es un héros”. Mais après ils ont ignoré nos revendications et ils ont essayé de protéger l’ancien régime. Ils nous ont trop menti, trop trahis. Comme les Frères musulmans après eux.»
Autre source de préoccupation, ces appels à mener une guerre contre le terrorisme. «Sissi n’a pas expliqué ce qu’il entend par terrorisme, dit Ahmed Maher. J’ai peur qu’après qu’il aura arrêté tous les membres des Frères musulmans, il décide que le Mouvement du 6 avril est une organisation terroriste.»
D’autres militants ou personnalités tentent de mettre en garde l’opinion contre l’influence de l’armée et contre les discours visant à faire de tous les islamistes des terroristes. Des voix encore difficiles à entendre.»
Les tentatives de médiation étaient vouées à l’échec. Non seulement elles ne conviennent pas à l’armée et à un secteur déterminé des Frères musulmans qui insiste sur l’instauration du «fascisme militaire». Ce qui replace une partie importante de la Confrérie dans une position de résistance face à un pouvoir militaire, renvoyant, de ce fait à leur histoire qui est plus facile à gérer, pour chercher à se reconstruire effectivement, qu’un pouvoir gouvernemental dans le cadre d’une crise socio-économique d’ampleur. Mais les propositions de médiation viennent aussi de personnalités qui se sont brûlé déjà les ailes, comme l’ancien Premier ministre de Morsi: Hicham Qandil. Ce dernier proposait que les prisonniers islamistes soient libérés au même titre que Morsi et qu’un référendum soit organisé sur la «légitimité de Morsi».
Le vendredi 26 juillet, les rassemblements et des manifestations se sont déroulés à travers le pays. Au Caire la tension est encore montée d’un cran après que la «justice égyptienne» eut ordonné le placement en détention du président déchu. Motif: son évasion en 2011 avec l’aide présumée du Hamas palestinien.
Selon Alexandre Brucianti. «Les accrochages ont commencé vers 3h30 du matin ce samedi, quand des manifestants Frères musulmans venus de la place voisine de Rabaa al Adawiya dans la banlieue de Madinet Nasr ont tenté d’occuper l’entrée Est du viaduc du 6-Octobre qui traverse Le Caire.
Les forces de police sont intervenues et des accrochages confus s’en sont suivis. Selon les partisans de l’ex-président Morsi, les forces de l’ordre ont fait usage de grenades lacrymogènes et de cartouches tandis que des balles auraient été tirées par des inconnus à partir de la cité universitaire d’Al-Azhar. Selon l’hôpital de campagne de la place Rabaa al-Adawiya, où les islamistes campent depuis près d’un mois, il y aurait déjà plus de morts. Un chiffre impossible à vérifier de source indépendante. Les accrochages ont eu lieu autour de la mosquée Qaed Ibrahim au centre d’Alexandrie, une mosquée autour de laquelle manifestaient les partisans de Morsi. Selon les Frères musulmans, ces derniers ont été attaqués par des policiers en civil qui leur ont tiré dessus. Le ministère de l’Intérieur affirme, par contre, que ce sont les Frères musulmans qui ont tiré de la mosquée sur des manifestants anti-Morsi. Il y a eu déjà eu sept morts, un chiffre confirmé. Une centaine de Frères musulmans sont barricadés, alors, dans la mosquée assiégée par les forces de l’ordre.»
De l'hôpital de campagne vers la morgue, le 27 juillet au Caire
De l’hôpital de campagne vers la morgue, le 27 juillet au Caire
Selon les témoignages recueillis par Daniel Vallot et Mathias Taylor (RFI), auprès de militants de la Confrérie au Caire, les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes, mais aussi de tirs à balles réelles. Ils assurent que des tireurs étaient embusqués et qu’ils visaient les manifestants avec l’intention de tuer. «C’est un massacre, raconte Safwat Higazy, dirigeant islamiste proche des Frères musulmans. L’armée a ouvert la voie aux policiers pour qu’ils nous attaquent et nous tuent!» Des snipers auraient, selon les manifestants, tiré directement au cœur de la foule. «Le général Al-Sissi a demandé au peuple égyptien de l’autoriser à tuer l’autre partie de la population, dénonce Safwat Higazy. Les partisans de ce coup d’Etat, les politiciens et les intellectuels de ce pays, ont-ils l’intention de laisser faire?» Les médecins de l’hôpital de campagne des Frères musulmans affirment pour leur part avoir constaté qu’un grand nombre de victimes ont été touchées à la tête et à la poitrine.
Le samedi matin, selon le journaliste Alexandre Buccianti (RFI), «on dénombrait une vingtaine de corps enrobés dans des draps blancs. De surcroît, une quinzaine de victimes avaient déjà été évacuées, selon les responsables de l’hôpital.» Un médecin explique: «Un très grand nombre de blessés ont été amenés ici, vraiment énormément. Certains sont morts tout de suite, car ils ont été visés à la tête et à la poitrine. Les gens qui leur ont tiré dessus ne l’ont pas fait pour blesser, mais pour tuer.»
Mais, «selon le ministère égyptien de l’Intérieur, la police n’a pas fait usage d’armes à feu. Elle n’a utilisé que des gaz lacrymogènes. Les autorités accusent par ailleurs les militants islamistes d’avoir tenté de bloquer l’une des principales routes de la capitale. Selon le ministère, les militants ont ouvert le feu sur les forces de l’ordre, les obligeant à répliquer.»
Selon Daniel Vallot, le 27 juillet 2013, à 11h50: «Sur la tribune dressée à l’extérieur, à proximité de cet hôpital, les orateurs islamistes se succèdent depuis ce matin pour haranguer la foule. Tous dénoncent un massacre organisé «volontairement, disent-ils, pour briser la mobilisation des pro-Morsi». Tous s’attendent à de nouvelles violences. Et notamment ici à Rabaa, où se trouve le gros des troupes pro Morsi, mais également de nombreux dirigeants islamistes, recherchés par les autorités égyptiennes.»
Et, «le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, a également déclaré envisager la dispersion «très prochainement» des deux sites occupés par les partisans du président déchu: les abords de la mosquée Rabaa al-Adawiya, à Nasr City dans la banlieue du Caire et le quartier de l’Université du Caire, dans le quartier de Gizeh.»
Le dimanche 29 juillet 2013, le nombre de personnes tuées s’élève à 65. Il est contesté, et des représentants des Frères musulmans parlent de 80 à 100 «martyrs». Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, a affirmé qu’il fera dissoudre très prochainement les rassemblements organisés par les islamistes. «Nous espérons que les manifestants reviendront à la raison», a-t-il notamment déclaré «et qu’ils vont mettre fin à ces occupations, pour éviter que le sang ne coule.» Une opération des «forces de l’ordre» se prépare.
Devant la mosquée de Rabaa, par exemple, il y a des milliers de personnes qui campent jour et nuit et pas seulement des militants aguerris, des familles entières, des femmes, des enfants. Slon un reporter: «Une intervention de la police et de l’armée sur place serait donc très risquée, mais visiblement les autorités de transition ont l’intention d’aller au bout et d’en finir avec ces campements qui servent de point de ralliement et de mobilisation aux pro-Morsi.»
Certains anti-Morsi prennent leur distance avec «les violences». Tamarod (Rébellion) est silencieux, du moins jusqu’à ce dimanche matin, 28 juillet.
La diplomatie américaine est inquiète. Elle ne désire pas que l’armée égyptienne, qui est au premier rang, le reste. Elle la soutient depuis longtemps. Mais le constat d’échec est clair. Les intentions des Etats-Unis se sont exprimées par la voix du patron du Pentagone, Chuck Hegel, qui insiste auprès de Al-Sissi sur la mise en place la plus rapide possible d’un «gouvernement intérimaire» et la «fin des violences». L’instabilité régionale ne convient pas à l’administration Obama, John Kerry le dit explicitement.
Une simple analyse démontre que le pouvoir états-unien est désormais incapable de contrôler la situation dans cette région: suite au désastre irakien; au manque de «solution» lui convenant en Syrie; à l’instabilité en Jordanie, sans parler du Liban. A cela s’ajoutent les initiatives du gouvernement Netanyahou en direction de l’Iran, dont le nouveau pouvoir effectue un tournant vers «l’Occident». Cela ne réjouit pas trop le gouvernement d’Israël qui, sans «l’ennemi iranien», doit faire face à une crise sociale interne. Les négociations en cours avec les Palestiniens ne changeront rien. D’où on ne peut conclure qu’à une nouvelle montée en force de la politique d’occupation et de colonisation. (A l’Encontre, le 28 juillet 2013)