Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 9 juillet 2013

Et les femmes dans « émancipation et quartiers populaires » ?

Par rapport au texte précédent traitant de la difficile politisation dans les quartiers populaires[1], Serge Halimi qui en a apprécié la teneur, a néanmoins signalé ses carences s’agissant de la question des femmes. Pour autant que notre expérience restreinte puisse être généralisable, nous pouvons dire qu’à partir de 2003/2004, les femmes ont été très présentes dans les débats organisés sur la situation au Proche Orient (Palestine) ou la guerre contre l’Irak, la loi contre le foulard à l’école ou la participation au Forum social européen (celui de Saint Denis en 2003).ou sur la laïcité. Ces jeunes femmes se sentaient totalement concernées, elles découvraient avec le même élan que les jeunes hommes, la nécessité de la résistance à l’oppression. Pour certaines, l’islam tel que répandu par Tarik Ramadan, a pu être le déclencheur de leur engagement. Mais, il y avait autre chose dans ce premier engagement collectif : leur volonté de comprendre le monde, de chausser des lunettes permettant de découvrir des journalistes, sociologues, des associations qui militaient pour le respect des libertés, pour la libre détermination des peuples et pour leur émancipation individuelle et collective. Certaines, avec ou sans foulard, s’engagèrent avec enthousiasme, participant aux débats, aux rassemblements et aux manifestations, laissant espérer qu’elles allaient prendre toute leur place dans le débat public, même si elles restaient sur une prudente réserve, quoiqu’à l’écoute, n’intervenant guère, la plupart découvrant la « politique ». Tout doucement, la présence de femmes « voilées » s’imposait aux autres et devenait « normale » car elles prenaient la parole.

C’était aussi l’époque de la naissance du forum social des quartiers populaires, là encore, brassant jeunes hommes et jeunes femmes, sans stigmatisation des différences d’appartenance religieuse ou de sexe. Ces rencontres étaient de véritables lieux d’expression de représentant(e)s des quartiers populaires où la parole libre s’exerçait. Malheureusement ils furent trop boudés par les associations ou encore les partis politiques. Aujourd’hui, ce mouvement s’essouffle et se divise[2], d’autant que certains de leurs leaders ont des blessures narcissiques profondes, voire de déchirements familiaux du fait de leurs itinéraires sociaux particulièrement éprouvants (échec scolaire, précarité, chômage). Leur conscience politique autodidacte par médias interposés ou sous influence initiale de Tarik Ramadan, pour certains, les poussent  à s’insurger mais leur engagement reste erratique. En l’occurrence, la non reconnaissance qu’ils subissent se transforme en attitude de surcompensation, tout particulièrement chez les jeunes hommes, ego surdéveloppé, décontraction affichée comme moyen d’exister… ; ce virilisme de démonstration tranchait avec l’attitude « disciplinée », beaucoup plus sereine des jeunes femmes sans que l’on sente à aucun moment une attitude de soumission chez celles-ci, au contraire. Leur émancipation se focalisant plutôt sur la poursuite d’études et ou dans l’engagement social.

Curieusement,  la loi contre le foulard, en exacerbant les débats, a libéré l’expression des jeunes hommes et des jeunes femmes et cela nous a semblé de très bon augure. Mais, il faut pourtant admettre, que cette période s’est refermée, cet essai ne s’est pas transformé. Il semble que la révolte des quartiers populaires en 2005 sur fond de pauvreté et de précarisation a fait resurgir un racisme latent amplifié par les médias, l’attitude des politiques et la répression policière, judiciaire qui s’en sont suivies, ont en quelque sorte bloqué les mouvements qui démarraient. Dès lors, les débats pour lesquels nous fumes sollicités, concernèrent les violences policières (3 victimes locales dont 2 morts et un jeune énucléé). Et, sur ces questions, nous n’avons pas réussi à élargir le soutien aux forces militantes politiques ou associatives, tant le rejet des populations « maghrébines et musulmanes » était prégnant. De surcroît, nous n’avons pas réussi à faire émerger des « leaders autonomes» issus des quartiers, parmi les jeunes refermés sur eux-mêmes, sur la défensive, dévalorisés à cause du chômage et la pauvreté ;  ils semblaient en retrait concernant la lutte contre les violences policières comme si la peur d’être encore plus stigmatisés les tenaillait. Certes, les femmes, jeunes et moins jeunes ont accompagné ces manifestations, mais nous étions plutôt dans le soutien affectif que dans la volonté de faire émerger une force collective pour la vérité et la justice.

Pour être plus complet, il faudrait pouvoir mesurer l’ampleur des déchirements familiaux, attisés par la stigmatisation raciste qui s’est développée, à la fois consentie par les plus âgés et rejetée par les plus jeunes. Pèsent également les séparations (les « vieux » retournant au bled périodiquement) laissant les grands frères vieillissants et les plus jeunes en France. Entre recherche de travail, travail précaire, débrouille et fumette, nombre de jeunes hommes « tiennent les murs » tout en développant, pour survivre, des affectations (attitudes) viriles en cercle fermé. Ceux qui sont les plus stables, sereins dans leur avenir, étudiants, peuvent faire preuve d’un engagement déterminé mais ils sont encore des exceptions. Cependant, des exemples existent de groupes de jeunes garçons et filles qui, s’organisant dans un centre social et culturel, partent en Palestine, bâtissent un documentaire, le diffusent, s’engagent, prennent la parole. Il reste, cependant, un travail très important de politisation, d’accompagnement dans la compréhension de ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient, par exemple. Comment expliquer qu’un débat sur les révoltes arabes ou sur la Syrie ne mobilise que très peu celles et ceux qui hier venaient en nombre pour la Palestine ou contre la guerre en Irak ? En fait, la conscience autodidacte constituée à partir de sites internet ou de lectures rapides sur des médias soutenant pour certains des thèses complotistes circulant en boucles, ne leur permet pas de saisir les bouillonnements qui affectent l’ensemble du monde, y compris de la société dans laquelle ils ou elles sont inséré(e)s, qu’ils (elles) le veuillent ou non.

Cette modeste contribution fondée sur notre militantisme dans un quartier de Belfort et sur Delle n’offre pas un éclairage suffisant pour mesurer le degré d’indépendance, d’émancipation des femmes d’origine maghrébine. Toutefois, notre sentiment ne s’accorde pas avec les clichés largement répandus dans les médias. Il suffirait à notre sens de peu de choses pour qu’une prise de conscience plus large puisse s’opérer et qu’un réel déblocage se produise. Nous pensons que les « évènements », en Egypte particulièrement, pourraient constituer des révélateurs insoupçonnés pour autant que ne se répète pas la tragédie algérienne.

Le 6 juillet 2013     

Gérard Deneux et Odile Mangeot  



[1] Quartiers populaires et émancipation 16 juin 2013
[2] Sujet évoqué dans le texte précédent
Les Amis de l’émancipation Sociale
CONTRE la suppression du SMUR
CONTRE les politiques de régression sociale

Le SMUR à Lure, comme à Luxeuil, Maîche, Champagnol, doivent être maintenus. Nous avons tous besoin de ce service d’urgence et de réanimation de proximité en cas d’accident. La suppression de ce service et du personnel, remplacés par un hélicoptère pour faire des « économies » sur notre santé, c’est plus de 30 minutes pour accéder aux soins, c’est la mort probable. Les Sapeurs Pompiers, les personnels de santé l’ont exprimé :

C’est un recul inacceptable ! ASSEZ ! Non aux déserts médicaux !

Après la suppression de nombre d’hôpitaux et de maternités de proximité, sous prétexte de modernité, la réduction de l’accès aux urgences, et à Lure, la suppression du Tribunal de Grande Instance (et demain, celle du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, de la Sous-Préfecture ?), le gouvernement « hollandais » poursuit la politique de Sarko, celle dictée par les gouvernements de la zone euro sous la férule de l’oligarchie financière.

Pour un vrai débat sur les responsables de cette situation.
Le débat démocratique accessible à tous ne doit être ni esquivé, ni escamoté. Certains disent que vous ne lisez pas, que vous êtres vite lassés des explications qui pourraient être données. Les Amis de l’émancipation sociale, au contraire, ne croient qu’en l’intelligence des peuples malgré tout le poids de la propagande médiatique et politicienne.

>>> Ce ne sont pas les étrangers, les sans papiers exploités qui sont responsables des politiques d’austérité comme veut le faire croire le FN fascisant de la Le Pen
>>> Ce ne sont pas les fonctionnaires de l’Agence Régionale de Santé qui sont responsables de la politique de destruction du système de santé mais les gouvernements successifs, y compris celui de Hollande qui n’a pas annulé la loi Bachelot, cette loi, qui, au nom de la rentabilité, ferme des hôpitaux, supprime des personnels de santé…

 Ce qu’il nous faut construire c’est l’unité populaire contre les politiques d’austérité qui tuent, comme en Grèce (les suicides ont augmenté de 26.5%), en Italie (9 millions de personnes ne peuvent plus se soigner), au Portugal (1/3 des centres de santé manquent de matériels).

Ce n’est pas l’avenir que nous voulons !
C’est cette politique qui désespère qu’il faut mettre en cause. Seules les luttes populaires peuvent faire reculer l’oligarchie financière. A cette politique de plus en plus rejetée, corrompue, qui veut nous soumettre, opposons notre politique, celle que nous déciderons ensemble.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Ce sont les dividendes aux actionnaires, la réduction des impôts pour les plus riches, les facilités d’évasion fiscale pour les escrocs en col blanc, la spéculation permise par le capitalisme financiarisé qui détruisent les prestations sociales, privatisent les services publics, suscitent les délocalisations et la désindustrialisation du pays. C’est le capital qui coûte trop cher et non pas le travail qui produit des richesses.

Les banquiers et leurs actionnaires ont été renfloués avec l’argent public, l’Etat s’est endetté et ce serait à nous de nous serrer la ceinture, mal manger, mal se soigner, mal vivre… pour rembourser les créanciers ??? NON !!! Il faut imposer un moratoire sur la dette de l’Etat, supprimer les dépenses inutiles et de prestige (aéroport Ayrault  à Notre Dame des Landes, etc.). Il faut exiger la suppression des dettes illégitimes et une véritable politique de satisfaction des besoins et de création de richesses partagées !

Les responsables de cette situation ne sont pas les peuples européens mais la Troîka (Commission européenne, Banque centrale et FMI) qui dicte  les politiques d’austérité à nos gouvernements consentants !

Refusons la soumission à ces diktats imposés à tous les peuples !
Rejetons leurs politiques d’austérité et exigeons une politique de solidarité !


Le 4 juillet 2013                                                                          contact : amis.emancipation.sociale@gmail.com  ou 03 84 30 21 06
A propos de la situation en Egypte

Ceux qui connaissent les Amis de l’émancipation Sociale savent que, face au surgissement d’évènements, nous tentons d’alimenter le débat rationnel pour en saisir la signification. Ces échanges ne peuvent qu’être contradictoires, tout en évitant les jugements de valeur ne reposant sur aucune argumentation. Les textes que nous proposons à la lecture comme ceux de Jacques Chastaing (qui possède, par ses liens et sa maîtrise de la langue arabe, une connaissance approfondie de la réalité du terrain en Egypte, surtout s’agissant des luttes sociales qui s’y déroulent), méritent d’être partagées, comme d’autres réflexions (d’Alain Gresh, etc.)  sans qu’on les taxe a priori « d’islamophobes », ou « idéologiques », « partisanes », « émotionnelles », voire « pseudo-révolutionnaires ».

Mais, en fait, quelle est notre grille de lecture aux AES ? C’est à cette question que je voudrais répondre brièvement, tout en en posant d’autres, s’agissant de la situation en Egypte, et ce, afin de relancer le débat :
-          Le capitalisme dérégulé, financiarisé qui s’est imposé depuis les années 80 dans le monde, provoque la montée des inégalités ; face à l’oligarchie financière arrogante, captatrice des richesses, les peuples ne peuvent plus supporter la misère, les privations, la perte d’acquis sociaux qui leur sont imposés
-          Le maître d’œuvre de cette suprématie reste et demeure les Etats-Unis, ses instruments (FMI, Banque mondiale, OTAN) et ses alliés, les bourgeoisies plus ou moins corrompues, dictatoriales ou « démocratiques », et ce, malgré le déclin états-unien relatif et la montée en puissance d’Etats émergents qui lui disputent sa suprématie.
-          Avec la fin de la « guerre froide », l’écroulement de l’URSS et des capitalismes d’Etat autocratiques et nomenklaturistes, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de guerres et de révolutions et ce, pour le moins, depuis la guerre de Yougoslavie  jusqu’à la guerre en Irak. La guerre, c’est le moyen de tenter de maintenir l’hégémonie des puissances dominantes, de se libérer des processus révolutionnaires en cours. Entre les deux s’immiscent des forces qui essaient de tirer leur épingle du jeu en s’alliant soit avec les puissances régionales qui les soutiennent, soit en basculant du côté du peuple. Mais le peuple, que veut-il ? Que peut-il ?

Ceci posé, venons-en à la situation en Egypte. Un processus révolutionnaire est engagé, il est né (comme en Tunisie…) de la frustration des masses populaires qui ne supportent plus de vivre avec un dollar par jour pour 50% d’entre eux, qui aspirent à la démocratie et à la justice sociale.

L’Etat Moubarak, rappelons-le, c’est d’abord l’Etat de l’armée du moins de son état-major et sa cohorte d’officiers qui possèdent un immense empire économique prédateur et le soutien des Etats-Unis. Mais c’est aussi une armée de conscription qui peut basculer du côté du peuple. Pour l’heure, cet Etat est resté pratiquement intact malgré quelques aménagements dus à la pression des masses populaires. La « démocratie » parlementaire et présidentielle qui s’est instaurée n’a rien réglé. Les Frères Musulmans l’ont emporté tout en demeurant sous le contrôle, et de l’armée, et des Etats-Unis malgré les frictions qui se sont produites.

Le parti des Frères Musulmans au pouvoir, n’a pas d’autre programme que celui du maintien du néolibéralisme, ses relations avec ses bailleurs de fonds du FMI en font foi. Etranglé par le poids de la dette, il s’est tourné vers le Qatar, son allié, et, pour en desserrer l’étau  a même tenté une sortie vers la Turquie et l’Iran. Peine perdue, d’autant qu’il n’a satisfait aucune demande sociale, pressé par le FMI d’abandonner les subventions aux plus démunis. Ainsi, la reconnaissance des nouveaux syndicats débarrassés de la tutelle des petits Moubarak n’a pu être véritablement obtenue. Dans son bras de fer avec l’état-major de l’armée et les institutions, il s’est heurté à des fins de non recevoir. N’ayant pas fait appel au peuple contre l’Etat, il s’est retrouvé isolé et s’est raidi dans des positions de plus en plus sectaires et autoritaristes. Bref, il a échoué.

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le peuple, du moins une très large fraction de celui-ci, se soit mobilisé. Cette vague immense qui a envahi les rues et les places en Egypte pour réclamer liberté et justice sociale, ne peut être considérée comme quantité négligeable. 17 millions ! Même si ce chiffre peut être contesté, les images ont parlé.

Mais qu’en est-il de ceux qui prétendent en être les porte-paroles ? La gauche laïque et libérale a conclu un pacte avec l’état-major de l’armée pour court-circuiter ce mouvement et destituer Morsi. Pouvait-il en être autrement ? Peut-être, si le mouvement avait été « dirigé » par des « révolutionnaires » plus clairvoyants laissant la possibilité à Morsi de démissionner ou de composer. Etait-ce possible ? En apparence, oui, il suffit de lire attentivement l’interview de Rached Ghannouchi[1] pour s’en convaincre. Je le cite : « J’ai rencontré l’opposition, représentée par Hamdine Sabahi (chef de file de la gauche nassérienne et membre de la coalition anti-Morsi). Il demandait des réformes politiques, le remplacement du chef du gouvernement et de plusieurs ministres par de nouveaux responsables désignés par Morsi mais approuvés par l’opposition… J’ai transmis ces revendications (à Morsi)… J’ai pensé que cela était possible aussi en Egypte (comme en Tunisie) mais les Frères Musulmans n’ont pas accepté ces demandes ». Cette possibilité aurait-elle changé la donne ? Certainement. L’armée aurait été laissée sur la touche et une alliance entre la petite bourgeoisie anti-impérialiste et la bourgeoisie affairiste des Frères aurait été possible… sans rien régler sur le fond. Comme on le sait, l’armée a pris les devants, confisquant (pour partie) la possible victoire partielle des classes populaires au profit d’une coalition improbable. L’alliance entre bourgeoisie d’Etat militarisée et une coalition dite de gauche mais dirigée par El Baradeï, le libéral pro-américain. Qu’on le veuille ou non, cette prise de pouvoir qui exclut les Frères divise le peuple car ceux-ci représentent toujours une fraction des déshérités, même s’ils ne sont pas prêts à satisfaire leurs intérêts, même si leur « gouvernance » lamentable leur a aliéné une partie de leur base.

L’on pense, à cet égard, à la lucidité de Lénine qui après la « révolution » de 1905 a l’intelligence tactique de rencontrer et tenter de convaincre le pope Gapone de rejoindre le camp révolutionnaire[2]. Mais comparaison n’est pas raison.

A l’inverse de ceux qu’effraie l’hypothèse d’une guerre civile meurtrière à l’image de ce qui s’est passé en Algérie, il convient de souligner que la situation en Egypte est bien différente. La coalition des anti-Frères comprend non seulement des libéraux, des nassériens, une gauche laïque et certainement revancharde, mais aussi les salafistes anti-Morsi, s’appuyant qu’ils le veuillent ou non, sur l’appareil d’Etat toujours intact ou presque. Pire, dans cette alliance contre nature, on trouve également en bonne place d’anciens responsables du parti de Moubarak. Rejetés du pouvoir, les Frères Musulmans pourraient se dédouaner de n’avoir pas voulu ou pu résoudre les problèmes de pauvreté. Leur « échec », occulté par leur évincement du pouvoir contribuera à préserver une partie de leur légitimité car, en tout état de cause, l’armée comme la coalition improbable qui s’est mise en place risque d’être bien incapable de satisfaire les revendications populaires.

Les Etats-Unis, les instruments dont ils disposent, leurs alliés saoudiens, les pétromonarchies parviendront-ils à juguler le mouvement à coups de subventions ? Rien n’est moins sûr. Le processus révolutionnaire entamé en 2011 va se poursuivre, nous avons connu la tragédie algérienne, nous allons connaître plus sûrement la « farce » égyptienne. La coalition des anti-Morsi va éclater, le mécontentement populaire va resurgir après une brève période d’euphorie déjà gâchée par l’affrontement entre deux fractions du peuple, d’autant que les programmes des élites qui prétendent le représenter ne veulent pas affronter réellement les classes dominantes et l’appareil d’Etat qui sert leurs intérêts, y compris ceux de l’impérialisme US et de ses alliés.    

Car, en définitive, l’émergence  d’un réel programme de transformation sociale et politique porté par les classes populaires, n’est pas encore à l’ordre du jour. Un long chemin reste à parcourir pour que des mots d’ordre, tels ceux que j’énonce ci-après, aient acquis une réelle popularité se transformant en nécessité historique :

-          La terre à ceux qui la travaillent, institution de coopératives paysannes, ce qui dépouillerait les latifundistes et empêcherait un nouveau morcellement des terres comme ce fut le cas sous Nasser
-          Les usines aux travailleurs. Autogestion. Expropriation des expropriateurs. Socialisation de tous les secteurs stratégiques de l’économie. Institution de coopératives ouvrières à partir d’un nombre de salariés préalablement définis
-          Souveraineté nationale, donc récusation et annulation de toutes les dettes d’Etat et socialisation des banques placées sous contrôle populaire
-          Planification démocratique de la production qui réponde aux besoins de la population et d’abord des classes populaires
-          Edification d’une administration au service du peuple et contrôlée par le peuple, destruction de l’ancien appareil d’Etat
-          Développement des services publics et, en premier lieu, ceux relatifs au bien-être général (santé, retraites, prestations sociales, éducation)
-          Destitution des généraux et officiers compromis, élections des officiers par les corps d’armée eux-mêmes. De telles mesures ne peuvent être mises en œuvre qu’en cas de basculement révolutionnaire d’une partie de l’armée vis-à-vis du peuple tout en s’opposant à leur état-major
-          Construction d’alliances avec d’autres pays sur la base d’échanges équitables.

Les éléments d’un tel programme peuvent sembler utopiques mais ils sont partie intégrante de l’instauration d’une démocratie sociale et politique réelle pour le peuple et par le peuple. La situation en Egypte est-elle mûre pour une telle révolution ? Certes non ! Mais l’on peut raisonnablement penser que, tant en Egypte que dans le reste du monde, elle pousse en ce sens. Toutefois, une telle  hypothèse ne peut se concrétiser que sur la base d’une nouvelle hégémonie, une nouvelle manière de penser l’évolution de l’Egypte, une certaine tolérance par rapport aux croyances crispant les rapports entre les fractions populaires et une situation internationale plus favorable.

Bien sûr, le retour en arrière voire une stabilisation provisoire des rapports de forces entre classes sociales est toujours possible. Quant à ceux qui manient avec quelque imprudence les notions dominantes de coup d’Etat, de démocratie représentative, d’Etat de droit, de Constitution, je ne peux que les inviter à exercer leur lucidité pour analyser ce qu’elles occultent en termes de rapports de classes et d’intérêts dominants qui s’y logent. De même, à l’arrière-plan des croyances religieuses qui imprègnent la société égyptienne (et bien d’autres) je ne peux que leur suggérer de détecter les forces politiques et économiques qu’elles représentent plus ou moins confusément[3]. En tout état de cause pour l’heure, s’agissant de l’Islam politique, même en Tunisie, une théologie de la libération n’a pas (encore ?) réussi à naître. Mais rien ne dit que l’impossible ne peut advenir, car cette croyance (comme d’autres) ne peut être insensible à la lutte des intérêts qui la traversent.

Gérard Deneux, le 8 juillet 2013

PS : Pour celles et ceux qui voudraient s’armer pour mieux comprendre la situation au Proche et Moyen-Orient, je ne peux que conseiller la lecture du livre de Gilbert Achcar « Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe ». Editions Actes Sud.
   



[1] Président du parti Ennahda en Tunisie – dans le Monde du 10 juillet 2013
[2] Cf livre « le dimanche rouge » de Jean-Jacques Marie – édition Larousse
[3] On ne peut négliger le poids des influences, y compris (très) matérielles de l’Arabie Saoudite d’un côté et du Qatar de l’autre, tout comme on ne peut dans d’autres régions, ignorer l’islam dans ses divisions (sunnites, chiites…) qui, elles-mêmes sont porteuses d’intérêts n’ayant rien à voir avec la démocratie et l’émancipation sociale (comme en Iran, par exemple, ou en Syrie).
Egypte, le 5 juillet 2013 par Yannis

La colère de beaucoup d’Egyptiens contre l’incapacité de Morsi à répondre aux problèmes de l’Egypte est légitime, en revanche un coup d’Etat d’une armée criminelle contre un président élu est inacceptable. La seule voie légitime et démocratique pour virer le gouvernement de Morsi aurait été de voter pour un autre parti à la fin du mandat présidentiel, si la majorité du peuple le souhaite.

L’armée a déjà réinstauré les méthodes du régime de Moubarak. Sous le gouvernement des Frères Musulmans, la majorité des médias était plutôt hostile à Morsi et jouissait d’une liberté de critique assez élevée. Aujourd’hui l’armée a fermé l’ensemble des chaînes de télévision susceptibles de soutenir les Frères Musulmans (en plus d’avoir interdit toute diffusion de manifestations pro Morsi sur la chaine nationale) et cela, avec le soutien des leaders de l’opposition. Aujourd’hui encore 10 manifestants pro Morsi ont été tués par la police égyptienne. Tous ceux qui contestent le coup d’Etat et dénoncent la spoliation des urnes sont encerclés par des chars, 300 responsables des Frères Musulmans ont été arrêtés (dont le guide de la confrérie) de manière arbitraire, en dehors de toute légalité et certains arrivent à justifier cela au nom de la démocratie (le ridicule ne tue pas).

A ceux, en France, qui lisent les évènements avec une grille de lecture laïcarde, sachez que Baradei (leader de l’opposition) a même fait alliance avec les salafistes de Hizb Nour pour contrer les Frères Musulmans, et ce parti a signé la feuille de route de l’armée. ça ne m’étonne pas que le premier pays à avoir salué ce coup d’Etat ne soit autre que l’Arabie Saoudite. Baradei qui est prédit comme le futur premier ministre avait fait un score minable aux élections, sa seule chance d’obtenir le pouvoir était un coup de force, de plus sa proximité avec l’administration américaine est connue. Dans un article du New York Times du 31 janvier 2011, il est clairement établi que ce dernier est un outil de la stratégie américaine en Egypte. L’ancien conseiller au département d’Etat américain Philip D. Zelikow, affirmait que la stratégie américaine était de ne pas montrer qu’ils soutiennent Baradei pour que celui-ci puisse faire avancer les intérêts des USA en Egypte, en restant crédibles dans l’opinion publique égyptienne « nous ne devons rien faire pour donner l’impression que nous l’aimons ».

Les électeurs de Morsi dépossédés de leur victoire ne resteront pas les bras croisés, le risque de guerre civile est donc bien présent, de plus, l’armée a déjà réprimé dans le sang par le passé, elle peut tout à fait recommencer. Les Egyptiens victimes des difficultés économiques se rendront compte très rapidement que le départ de Morsi ne va rien changer à l’effondrement de l’économie égyptienne, bien au contraire, la division et les tensions qui sont à leur apogée aujourd’hui vont favoriser le blocage économique.


Enfin, si un nouveau gouvernement d’un autre parti est élu, il est très probable que ceux qui seront alors l’opposition agissent de la même manière que les opposants actuels et mobilisent les foules à chaque mécontentement en exigeant eux aussi la destitution du président. Ainsi l’instabilité et le blocage politique deviendront une tradition égyptienne et un cercle vicieux sans fin.

lundi 8 juillet 2013

Egypte, l’armée et le peuple unis ?

mercredi 3 juillet 2013, par Alain Gresh
Le 1er juillet, à l’issue de manifestations gigantesques dans les rues égyptiennes, l’armée a publié un communiqué affirmant « son soutien aux demandes du peuple » et donnant « à tout le monde » quarante-huit heures, délai de la « dernière chance [pour] assumer leurs responsabilités en ce moment historique ». Si ces demandes ne sont pas satisfaites, poursuit-elle,« ce sera aux forces armées d’annoncer une feuille de route, et des mesures supervisées par elles en coopération avec toutes les forces patriotiques et sincères [...] sans exclure aucun parti ».
Bien que cette dernière partie de la phrase — « sans exclure aucun parti » — vise à rassurer les Frères musulmans, qui craignent le retour à l’ordre ancien et l’emprisonnement, leur direction a rejeté cet ultimatum et le président lui-même a affirmé qu’il resterait à son poste. Et il semble peu probable que le président Mohammed Morsi puisse survivre à cette épreuve. Même le porte-parole du parti salafiste Nour (25 % des voix aux élections législatives), Nader Bakkar, expliquait à son demi-million d’abonnés sur Twitter que le calife Othman, troisième successeur du Prophète, avait préféré renoncer à la vie plutôt que de faire couler le sang des fidèles.
Avec le retour probable de l’armée sur le devant de la scène, c’est la principale avancée du président Morsi durant son court règne qui est remise en cause. C’est lui en effet qui, en août 2012, avait renvoyé le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) dont la gestion du pays pendant un an et demi s’était révélée catastrophique (lire « Egypte, une nouvelle étape ? »).
Il n’est pas inutile de rappeler que :
  • le CSFA porte une responsabilité majeure dans la transition chaotique qui a suivi le départ de Hosni Moubarak ;
  • durant la révolution et la période où elle a exercé le pouvoir, l’armée a réprimé, arrêté, fait disparaitre, torturé des centaines de personnes, comme l’a confirmé un rapport publié par le quotidien britannique The Guardian (lire « Vers une intervention de l’armée en Egypte ? ») ;
  • l’armée a tiré sur les manifestants qui protestaient contre les attaques visant les coptes. Ce massacre s’est produit devant le siège de la télévision (Maspéro) en octobre 2011 (lire « Egypte : sanglante répression contre les coptes »).
Que, dans ces conditions, le mouvement Tamarod, à l’origine de la campagne de signatures pour démettre Morsi, proclame : « L’armée s’est rangée aux côtés du peuple », a de quoi inquiéter. D’autant que l’opposition a repris cette idée. Ils ont la mémoire courte.
Pourtant, si l’armée peut revendiquer son retour aux affaires, c’est que Morsi a échoué. Et cet échec est éclatant dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’édification d’un Etat de droit ou du développement économique et social.
Il est important de comprendre les raisons de cet échec. Morsi n’a pas été capable de rassurer un pays divisé, ni ceux qu’inquiétait un parti discipliné, souvent sectaire et à tendances hégémoniques. Morsi a été le président des Frères, pas celui des Egyptiens. Il a par ailleurs fait preuve d’une incompétence qui a surpris bien des observateurs qui pensaient que les Frères disposaient de cadres pour gérer l’appareil d’Etat. En revanche, on ne peut vraiment pas parler d’islamisation de l’Etat, constate sur son excellent site The Arabist, Issandr El Amrani (« Morsi’s Year », 27 juin). C’est d’ailleurs un des reproches principaux des partis salafistes.
Mais si Morsi porte les responsabilités de son échec, on ne peut oublier certaines données :
  • L’essentiel de l’appareil étatique échappe à la présidence. Je ne parle même pas de l’armée, mais aussi de la police qui n’a pas pu – ou pas voulu – protéger les sièges des Frères musulmans attaqués durant ces derniers mois. Quant au ministère de l’intérieur, il a publié le 30 juin un communiqué gonflant le chiffre des participants aux manifestations !
« Morsi a appelé tous les leaders de l’opposition, en particulier au sein du Front de salut national (FSN) qui comprend la plupart des membres de l’opposition laïque, à participer à dix réunions différentes, avec peu de succès. En ce qui concerne les nominations, le conseiller politique de Morsi, Bakinam El-Sharqawi, déclarait récemment qu’à chaque fois que le président avait demandé aux groupes laïques des candidats pour occuper les postes les plus élevés au sein du gouvernement, y compris des postes de ministres et de gouverneurs, ils avaient refusé. »
Il a été d’autre part la victime d’un paysage médiatique profondément bouleversé depuis la révolution. Dans un autre billet du 30 juin intitulé « The delegitimization of Mohamed Morsi », The Arabist notait aussi l’entreprise de dénigrement à l’encontre du président — associée, il faut le dire, à une campagne anti-palestinienne, le Hamas étant accusé d’avoir fourni des lance-pierres aux Frères en janvier 2011 !
« Même en tenant compte de ses piètres résultats, l’une des caractéristiques de la vie politique de l’année écoulée est d’avoir été une machine implacable de diabolisation médiatique et de délégitimation de l’administration Morsi, bien au-delà des erreurs dont Morsi est lui-même responsable. Quiconque regarde CBC, ONTV, al-Qahira wal-Nas et d’autres stations satellites, ou lit des journaux hystériques comme al-Destoural-Watan ou al-Tahrir (et de plus en plus al-Masri al-Youm), est abreuvé par une propagande anti-Morsi permanente. Certaines de ces attaques étaient méritées, mais, même de la part d’un journaliste respecté comme Ibrahim Eissa (un des principaux adversaires du président Hosni Moubarak), le discours contre Morsi était hors de contrôle. »
On est loin de l’image avancée par Reporters sans frontière peignant les Frères en prédateurs de la presse – même si certains journalistes ont pu être poursuivis. Jamais la liberté d’expression n’a été aussi large en Egypte.
Ce qui est inquiétant, note Esam El-Amin, c’est que l’opposition, obnubilée par son hostilité aux Frères, a redonné une légitimité aux membres de l’ancien régime présents dans l’appareil d’Etat, dans la police, dans les instances judiciaires, à tous les niveaux :
« Dans la bataille idéologique entre anciens partenaires révolutionnaires, lesfouloul [ci-devants, partisans de l’ancien régime] ont été capables de se réinventer et de devenir des acteurs majeurs aux côtés des groupes laïques contre les Frères et les islamistes. Récemment, M. El Baradei s’est déclaré prêt à accueillir dans son parti tous les éléments du Parti national démocratique de Moubarak, tandis que Sabbahi affirmait que la bataille contre les fouloul était maintenant secondaire, le conflit principal étant désormais avec les Frères et leurs alliés islamistes. »
Le fait que des millions de personnes soient descendues dans la rue ces derniers jours est la preuve que le peuple en Egypte n’est pas prêt à rentrer chez lui tant que ses revendications de justice sociale et de liberté n’auront pas été satisfaites. Ces manifestants ont affirmé que la révolution n’est pas terminée. C’est une réalité que les gouvernants de demain, quels qu’ils soient, devront prendre en compte.

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