Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 24 juin 2013

Quartiers populaires et émancipation

Les populations françaises, d’origine maghrébine, subissent plus que d’autres les effets de la crise, des politiques d’austérité et la relégation dans les cités populaires en déshérence. Les mobilisations, le « travail » d’éducation populaire auxquels nous avons participé, les réflexions qui en sont issues ainsi qu’une demande de formulation sur les difficultés rencontrées, voire les échecs subis, constituent la trame du texte qui suit. L’on souhaiterait qu’il puisse lancer le débat pour inciter à une approche constructive de la diffusion d’idées, de comportements en rapport avec le « ressenti » de ces populations stigmatisées et précaires ainsi qu’un mode particulier de politisation, lui-même problématique.

Le ressenti de la crise et de ses effets

La crise financière de 2007-2008 ainsi que l’impact des politiques néolibérales subies auparavant, n’a guère affecté, pour le moment, la politisation des populations d’origine maghrébine. Cette appréciation, qu’il convient certes de nuancer, repose sur plusieurs facteurs explicatifs. Les 30/40 ans, ceux qui furent les « grands frères », instrumentalisés, soit se sont lassés de ne remporter aucune victoire significative, soit se sont intégrés dans le système. Les résistants, malgré toute la débauche d’énergies, ne sont qu’une poignée au regard de l’entreprise de mobilisation, de politisation critique qu’il faudrait entreprendre.

Sans emplois fixes, intérimaires intermittents, vivant du RSA ou de petits boulots, ils sont de fait « étrangers » au monde du travail, ne se sentent pas appartenir à une classe sociale. Vulnérables, relégués, ils sont victimes à la fois des stigmatisations racistes, des contrôles au faciès, de la violence policière et du désintérêt des organisations politiques et syndicales à leur encontre. Dans le champ politique franco-français, ils sont un désert que l’on tient à distance. Ainsi, s’expliquent les rejets de « s’intégrer » à des combats qui, pour eux, ne seraient pas les leurs. A quoi bon défendre les services publics qui ont déserté les quartiers ? A quoi bon défendre les niveaux de retraites puisqu’ils sont persuadés qu’ils n’en percevront jamais les fruits ?… La crise, ils la vivent depuis la fin des années 80. Cette époque fut d’ailleurs le moment pour les « grands frères » d’une politisation paradoxale. Soif de reconnaissance, espoir que les problèmes des quartiers, avec ladite politique de la ville, allaient pouvoir être pris en compte. Ce ne fut pas le cas, la démolition des barres HLM s’est accompagnée d’une dispersion des familles toujours reléguées plus loin, les plus aisées trouvant à se loger dans un habitat plus individuel. Et puis, surtout après l’effondrement des tours jumelles à New York et les attentats terroristes, la stigmatisation raciste et les violences policières se sont poursuivies, voire intensifiées, sans qu’aucune condamnation exemplaire ne s’ensuive malgré la débauche d’énergies des associations, comme le Mouvement Immigration Banlieues. La soif de respect, de justice, de vérité s’est heurtée à la morgue de l’appareil judiciaire et policier et à l’indifférence des partis de « gauche » comme à celle, pour l’essentiel des organisations de défense des droits de l’Homme. Quant aux médias, ils ont construit l’image des « classes dangereuses »… d’autant plus acceptée que le racisme a pris la forme d’une islamophobie non avouée, attisée par les débats sur l’identité judéo-chrétienne de la France et l’affirmation d’une laïcité de rejet digne du petit père Combes. Or, pour une partie d’entre elles, ces populations rejetées ont retourné le stigmate qu’on leur projetait en s’en affublant comme une marque de leur dignité bafouée. Sans pour autant négliger l’impact d’un certain islam rétrograde, force est de constater que, parmi ceux que nous avons côtoyés, les positions de tolérance étaient et sont toujours largement dominantes. A une nuance près, écorchés, à fleur de peau, ils ne supportent pas les attitudes « paternalistes » à leur encontre telles qu’ils ont pu les subir avec les partis socialiste, voire communiste. Cette affirmation d’autonomie s’est affermie au contact de la mouvance de Tariq Ramadan, les incitant à devenir des citoyens à part entière, tout en cultivant leurs spécificités culturelles et cultuelles. Même si son impact s’est aujourd’hui dilué, il reste prégnant tout en étant profondément perturbé par la « nature » du printemps arabe. Nous y reviendrons ci-après.

Soulignons auparavant les effets contrastés de la crise dans sa dimension écologique. A la fois victimes autant que d’autres de la pollution, ils peuvent être indifférents ou brusquement intéressés par l’impression catastrophique qu’elle prend. De là à l’imputer à un vaste complot ourdi par l‘impérialisme américain le pas peut être aisément franchi lorsque l’on évoque les firmes industrielles tel Monsanto. La victimisation dont ils sont l’objet est en quelque sorte incorporée et renvoie à leur impuissance et à leur propre expérience de vie. Au demeurant, cette « prise de conscience » des dégâts du productivisme, de la « nature » de la société salariale qui leur est proposée sous la forme du précariat, les images de la société consumériste et de la réussite sociale pour autant qu’on ait du fric facile a des effets paradoxaux : « acharnement » dans les études pour certains, isolement psychologique et paupérisation pour d’autres, trafic et petite délinquance pour une petite minorité déclassée. Il y a ceux qui « tiennent les murs » et leur ennui tout en affirmant une virilité d’existence, ceux qui restent toujours incompris malgré les galères subies, ceux qui avec culot s’imposent, s’intègrent plus ou moins dans le monde du travail et puis tous ceux qui ont ce besoin de reconnaissance toujours plus ou moins nié.

A cet égard, les militants des quartiers populaires (MIB, Divercité, FUIQP, PIR) reproduisent plus ou moins ces ambivalences qui tiennent également à leurs itinéraires. Nés de la marche pour l’égalité, refusant l’instrumentalisation par SOS Racisme, ils luttent contre l’Etat (violences policières, racisme) tout en lui demandant de leur reconnaître des droits qu’il leur dénie. Le recours à la justice s’avérant inopérant, ils se tournent vers le système électoral pour se faire entendre, reconnaître. Certains se veulent, dans leur projet, les représentants des quartiers populaires, tout en sachant que minoritaires au 1er tour d’élections locales, ils devront intégrer des listes pouvant prétendre être majoritaires au second tour. Malgré les efforts d’unification entrepris, les divisions, querelles d’egos, leurs faibles moyens, l’ostracisme dont ils font l’objet les renvoient à leur faible enracinement et à leur manque de perspectives globales. A une exception près très controversée, celle du Parti des Indigènes de la République, qui prétend regrouper de manière autonome les héritiers de la colonisation pour mieux affirmer ces derniers, en s’appuyant sur l’analogie à la lutte des femmes qui auraient remporté ses succès en s’opposant aux hommes ou du moins en affirmant leur propre autonomie. Il s’agit là d’une vision réductrice qui ne prend pas en compte tous les aspects d’une société en mouvement dès les années 1966-1967 jusque dans celles des années 1970. Du reste, cette « stratégie » importée des Etats-Unis se heurte au souhait de reconnaissance et « d’intégration » spécifique des populations d’origine maghrébine qui souhaitent être non pas des Français à part mais des Français à part entière. Encore faut-il préciser que ces populations vulnérables ont tendance à s’identifier aux peuples (voire aux régimes) dont leurs parents sont issus ce qui complique encore leur mode de politisation.  

Une politisation ambigüe

Rejetée, humiliée, stigmatisée, la génération des 30/40 ans s’est politisée à la fois lors de la marche pour l’égalité des droits mais également en identification avec le sort réservé aux Palestiniens et plus généralement, aux pays du Maghreb. D’où l’ambigüité des prises de position et des mobilisations caractérisées à la fois par l’émotion populaire suscitée lors des invasions de l’Irak et de l’agression israélienne de la bande de Gaza, ainsi que par l’émission de jugements de défense des « nationalismes » arabes. Cette ambigüité source de confusion, allait être mise à mal par l’évolution de la situation au Moyen et Proche-Orient. Défendre l’Autorité palestinienne ou le Hamas organisation de résistance ? L’unité de « l’islam civilisationnel » face aux déchirements des sunnites et des chiites ? Reconnaître le Hezbollah chiite comme organisation de lutte contre le sionisme tout en se gardant de souligner ses relations avec la Syrie et l’Iran et son opposition  à l’Arabie Saoudite et aux Pays du Golfe ? Face aux « leçons » de démocratie des Occidentaux vis-à-vis des régimes « nationaux » du Maghreb pouvait-on encore présenter Bouteflika l’Algérien, ou le Libyen Kadhafi, voire Assad le Syrien comme des solutions adaptées à ces pays ? Un anti-impérialisme sommaire avivé par les politiques bushiennes a longtemps occulté la réalité de ces régimes et continue encore à faire des ravages notamment vis-à-vis de la révolte syrienne.

Il n’empêche, les printemps arabes ont commencé à changer la donne. Il en a résulté un grand trouble, une perte de repères compensée pour partie par une vision complotiste de l’Histoire. L’espoir s’est transformé en désarroi. Comment être solidaires des gens vis-à-vis desquels ils s’identifiaient alors qu’ils se déchirent ? Pour ceux qui ont pu assister aux conférences-débats que nous avons organisés, des éclairages ont pu être donnés, en faisant intervenir par exemple l’Union juive français pour la paix avec des représentants de l’AFPS ou Alain Gresh ou encore Gilbert Achcar... Il n’empêche. L’arrivée au pouvoir des islamistes dits modérés en Tunisie, en Egypte démontre de plus en plus que l’islam n’est pas la solution d’autant que les mobilisations qui continuent, se heurtent à la répression conduite par les pouvoirs « islamistes ». L’intervention occidentale en Libye, la répression saoudienne au Bahreïn, la solution de paix précaire au Yémen et la guerre civile armée en Syrie n’ont fait qu’ajouter de la confusion dans les esprits tétanisés par la tournure volcanique de l’Histoire dans ces pays.

En outre, l’identification à l’islam comme moyen de retourner le stigmate dont ses populations sont l’objet n’est guère tenable. Cette identité éclatée qui souffre par ailleurs d’être affublée des qualificatifs de délinquance génétique du fait même de la dérive de certains d’entre eux et des politiques dites sécuritaires  n’a pas (encore) trouvé les moyens de se reconstruire. Qui plus est, comme signalé ci-dessus, elle s’est sentie agressée à la fois par des positions laïcardes relayées par la Droite et l’Extrême Droite mais aussi par une partie de la Gauche et par des politiques sécuritaires extrêmement brutales. Il y a d’ailleurs parmi la classe dominante et ses représentants, une grande hypocrisie : prôner la civilisation judéo-chrétienne, la France qu’on aime sinon on la quitte, tout en entretenant les meilleures relations avec les dictatures arabes hier ou les régimes autocratiques et théocratiques comme le Qatar et l’Arabie Saoudite.

Français à part entière mais différents, victimes du racisme et des violences policières mais trouvant peu de relais dans le champ politique et associatif, Français à part néanmoins car intégrés dans aucune classe sociale et ne pouvant se réclamer d’une classe ouvrière elle-même éclatée, Français n’ayant droit à aucune part, identifiés aux classes dangereuses de plus en plus ghettoïsées, Français à la méfiance épidermique, s’attelant pour certains à survivre y compris dans le business illégal à la recherche de notoriété et de reconnaissance.

La politique d’éducation populaire en leur direction ne saurait être par elle-même suffisante, surtout si elle ne provient pas de leurs rangs, pour briser le carcan de vulnérabilité qui les contraint, soit à des révoltes sporadiques, soit à la passivité subie ou à l’échappement individualiste quelle qu’en soit la forme.

La mobilisation populaire comme celle qui s’est déroulée à Marseille pourrait activer une politisation desserrant le joug qui les oppresse. Pourquoi pas une nouvelle marche des Français pas comme les autres, ces nouveaux beurs comme préconisée par Saïd Bouamama ? Si ce n’est pas le cas, avec les politiques austéritaires, l’on risque d’assister à de nouvelles « émeutes » d’autant que les jeunes des banlieues de 2013 sont encore plus imprévisibles que leurs aînés.

Gérard Deneux et Odile Mangeot, 19 juin 2013