Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 30 juin 2013

A Jean-Jacques. Pour clarifier le débat et le poursuivre

Le Conseil d’Administration des AES, réuni le 10 juin, a débattu de ta (trop ?) courte contribution qui, pour partie, impute aux AES des opinions qui ne sont pas les leurs, en se focalisant sur un certain nombre de notions employées qui, prises hors de leur contexte, peuvent prêter à confusion. Pour les resituer, il convient de partir de l’analyse qui est la nôtre.

Nous sommes persuadés que la crise du capitalisme, la déroute théorique du néolibéralisme, les vaines tentatives pour s’en accommoder… provoquent dans le champ politique une décomposition-recomposition des « appareils » politiques « traditionnels ». Elle est activée par le rejet, la désaffection de l’électorat à leur égard face à leur « impuissance » apparente à lutter contre le chômage, la désindustrialisation, la précarité… L’électorat, pour les composantes qui ne s’abstiennent pas, se tourne par conséquent vers des solutions plus radicales à « gauche » comme à « droite » et exprime, de manière pour l’heure circonscrite dans le temps et dans l’espace, son mécontentement, sa protestation, voire sa colère.

J’entends par partis et organisations traditionnelles, ceux et celles qui, d’une part, se situent dans l’orbite des institutions de la 5ème République et s’accordent à penser qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme et au système capitaliste. D’autre part, j’y inclus ceux et celles qui restreignent la démocratie à ses aspects parlementaires ou de délégation de pouvoir. Il ne peut, à mon sens, y avoir de rupture avec le capitalisme sans une lutte des classes qui fraye la voie à des formes démocratiques nouvelles permettant aux ouvriers et aux couches populaires de prendre réellement leur destin en main[1]. Cette appréciation renvoie aux « insuffisances » des partis, façonnés pour concourir dans le cadre imposé par le système électoral, en dépendant financièrement et fonctionnant de fait comme des systèmes oligarchiques dont le sommet coopté sort de l’ENA ou des couches supérieures de la société. L’UMP et le PS en sont des exemples frappants et les exceptions ne font que confirmer la règle. L’appareil d’Etat et ces oligarchies partidaires, voire syndicales (comme la CFDT), organisent un certain consensus pour maintenir l’hégémonie de la classe dominante, y compris avec sa fraction la plus affairiste, ce qui n’est pas sans provoquer les scandales à répétition bien vite étouffés sous le verbiage moralisateur répudiant des brebis galeuses et présentant la « classe » politique comme parangon de vertu. En fait, « sans qu’ils soient tous pourris », la collusion entre le monde des affaires, l’Etat et les grands partis institutionnels est avérée, pour le moins sur le plan des idées et des mesures qu’ils prennent.   

Par ailleurs, si « l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante », cela signifie que la « base », les classes ouvrières et populaires en sont largement imprégnées. Ce constat justifie, par conséquent, la lutte politique et idéologique, la diffusion d’éléments d’éducation populaire suscitant des brèches dans le mode de pensée dominante. Ces brèches peuvent faire éclore de nouveaux engagements politiques étant entendu que la mobilisation, les manifestations, grèves… possèdent, à bien des égards, des effets de politisation bien plus massifs.

Il n’y a donc pas lieu, à mon sens, de réduire « notre analyse » à l’opposition entre des appareils et une « base mythique ». Il s’agit là d’une caricature ou, pour le moins, d’un étiquetage renvoyant notre association à la résurgence de je ne sais quel anarcho-syndicalisme (qu’il faudrait d’ailleurs décrypter dans ses contextes et ses variantes).

Ce qui précède repose sur une approche dynamique (ou dialectique) du processus de recomposition du champ politique. Il n’est pas anodin de constater (en Europe mais pas uniquement) l’émergence de nouveaux partis à « gauche » et à l’extrême droite et les conflits, scissions qui secouent les partis dominants, leurs alternances au pouvoir, voire leur union sacrée pour sauver le système lorsque les masses sont en mouvement (Grèce, Italie…). Ce qui ne signifie pas qu’à « gauche » la solution soit trouvée pour rejouer une gauche plurielle dans le cadre du système réaménagé. Les débats internes qui secouent Syriza en Grèce[2], voire ceux qui agiteront d’ici peu le Front de Gauche, en sont la preuve.

Croire qu’à terme « partis, syndicats et associations doivent converger », qu’ils appartiennent de fait à un « même camp », c’est s’illusionner sur leur nature et leurs capacités de s’adapter. Si la crise s’approfondit, si comme on peut le supposer, le précariat s’étend, si les mesures de régressions sociales s’accentuent malgré les protestations revendicatives, toutes les organisations en seront affectées, les unes se renforceront dans leur radicalisation, les autres connaîtront déchirements et délitement. En ce qui concerne ceux qui sont dans un même camp, les critères déterminants pour en faire partie seront dans l’immédiat les prises de position sur les contre-réformes des retraites, de l’indemnisation du chômage, la lutte contre les paradis fiscaux, la récusation des dettes illégitimes, la rupture avec l’obligation de transposer les directives européennes et avec le respect des traités européens et, en positif, la volonté d’extension du salaire socialisé, la réduction des inégalités et plus généralement l’opposition ouverte au gouvernement solférinien et sans aucun ménagement. Dans cette optique l’éducation populaire, la diffusion d’analyses à débattre sur la situation du moment sont susceptibles de préparer l’avenir en faisant émerger de nouveaux militants issus des couches populaires, en favorisant la clairvoyance de ceux qui « bien qu’encartés » ont le souci chevillé au corps de la « justice sociale et de l’égalité ».

Donc, tout porte à « croire » que les luttes vont s’aiguiser au sein des « appareils » comme en dehors (à moins d’une reprise conjoncturelle à la « croissance » que l’on ne voit guère venir), y compris lors des compétitions électorales prochaines. A cet égard, si notre charte (dans son état actuel) spécifie que nous n’avons pas vocation à y participer en tant qu’association, cela ne signifie nullement que nous ne pourrions jamais prendre position et encore moins interdire en notre sein à des militants ou adhérents d’avoir une double appartenance compatible avec la charte.

La conception que nous défendons repose à la fois sur le constat d’une « insuffisance » des forces à la gauche du Parti Solférinien et une vision gramscienne du champ politique. En d’autres termes, le champ politique, social, intellectuel est agité par des forces politiques qui, même si elles n’en ont pas le label, font bouger les lignes, recomposent ce champ. Pour ne citer que quelques exemples, il suffit d’évoquer le rôle joué par ATTAC vis-à-vis de la dénonciation des paradis fiscaux, de la financiarisation du système capitaliste ou par le GISTI, la Cimade, le DAL… dans les fonctions politiques qu’ils assument vis-à-vis des sans papiers, des travailleurs immigrés et des sans logements. Nous considérons donc que, par nos actions, interventions, nous avons cette vocation politique à faire bouger les lignes, et ce, en toute modestie... compte tenu des obstacles à surmonter qui tiennent à la morosité de la conjoncture présente.

Sur les autres questions abordées dans ta contribution, je ne m’y attarderai pas dans le présent texte, sauf pour souligner ce qui, pour moi, relève de quelques évidences.

Lorsque la classe dominante, et ceux qui la servent, apparaissent décidés à faire payer la crise aux travailleurs et par conséquent à rembourser les créances de l’Etat (plus de 1 800 milliards d’euros), il y a lieu de craindre qu’au-delà des mesures de diminution des prestations sociales, le précariat s’étende. Il est concentré pour l’essentiel dans les quartiers populaires de relégation, désertés par les partis politiques « traditionnels ». Leurs populations sont stigmatisées, victimes du racisme, c’est ce qui a pu nous déterminer à agir dans leur direction[3]. D’autres franges sont touchées par cette paupérisation larvée, dans le monde rural ou dans les zones pavillonnaires. Agir dans leur direction c’est affirmer que, de leur politisation sur des bases antilibérales voire anticapitalistes, doit advenir « un autre monde possible » et qu’elles doivent en être les acteurs.

S’agissant de l’égalité hommes-femmes, dans ce cadre, nous devons surtout nous préoccuper de celles qui subissent le travail partiel contraint, les inégalités salariales, la domination machiste[4]… Et dans tous les cas, lutter contre les mesures de discrimination qui interdisent l’accès à l’école de jeunes filles voilées, une toute petite minorité dont l’islamophobie s’est emparée. D’autres moyens que l’exclusion auraient été possibles ![5]

Sur la « défense » de la Sécurité Sociale, je ne puis qu’opiner, tout en soulignant qu’il y aurait lieu d’en souligner les imperfections et limites, y compris dans son application après la guerre. Mais ce débat renvoie à la conception de la transformation sociale à faire advenir et plus précisément à l’extension du salaire socialisé.

Fraternellement
Gérard,
Le 12 juin 2013          



[1] A ce propos, lire de Nicos Poulantzas « l’Etat, le pouvoir, le socialisme » réédité par les Praires ordinaires. Il est édifiant.
[2] Lire à ce sujet l’excellent article du Monde Diplomatique du mois de juin de Baptiste Dericquebourg sur Syriza « Prendre le pouvoir sans perdre son âme ».
[3] Voir mon texte pré-bilan à ce sujet
[4] Lire l’excellent travail de terrain réalisé par Saïd Bouamama, retracé dans le livre collectif « Femmes des quartiers populaires » édition le temps des cerises
[5] A ce sujet, lire l’ouvrage du marxiste Pierre Tévanian « La haine de la religion » aux éd. la Découverte