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jeudi 11 avril 2013


Les maux du Mali : Françafrique et néolibéralisme


Dans l’article précédent (paru dans le n° 242 mars 2013), j’ai traité des enjeux économiques qui, pour partie, rendent compte des raisons de l’intervention militaire française au Mali. Toutefois, ces fondements structurels ne sont pas suffisants ; il faut encore évoquer l’histoire du Mali et le contexte conjoncturel, éléments décisifs pour saisir la spécificité du processus décisionnel qui a prévalu sur tout autre, en particulier celui qui aurait dû amener les forces de l’ONU à prendre l’initiative de s’interposer entre les forces maliennes et les «rebelles terroristes».

De l’indépendance à l’Etat déliquescent

En 1962, face à l’ampleur du mouvement de décolonisation, l’indépendance est «accordée» à l’ancien Soudan français. C’est le temps où les indépendantistes rêvent d’une grande union panafricaine. Modibo Keïta, Président du Conseil du Soudan (ex français) est de ceux-là. Il va connaître plusieurs échecs et se replier successivement sur la fédération Sénégal/Mali puis sur le Mali. C’est également l’époque où les concessions gaulliennes n’ont pour objectif que de conserver la suprématie sur des Etats clients, manipulés par les réseaux Foccart. Toutefois, Modibo Keïta est loin d’être un pantin. Non seulement il mène des réformes sociales et économiques, mais soutenant le FLN algérien par ses prises de position, il participe à l’échec du projet gaullien de grand Sahara français. Tout va donc être tenté pour le déstabiliser et insérer le Mali dans la Françafrique néocoloniale. Il est renversé en 1968 par un coup d’Etat soutenu par Paris. Moussa Traoré prend le pouvoir et instaure une dictature.

La volonté d’unir les différentes ethnies composant le Mali, les projets de développement en particulier au Nord Mali au bénéfice des Touaregs notamment, sont abandonnés. Si le clan militaire au pouvoir se maintient face à la décomposition de la société malienne et sa paupérisation, il est confronté à des rebellions sporadiques qu’il réprime. La corruption généralisée devient un mode de gouvernement reposant sur le clientélisme.

En mars 1991, un puissant mouvement de révolte, suivi d’évènements sanglants, de soulèvements aboutissent à l’éviction du président-dictateur. L’heure est à la «transition démocratique» et au recours aux élections confisquées par les différents clans enrichis, ayant gravité autour du pouvoir. A Paris, sous la présidence de Moussa Traoré, on célèbre la «démocratie réussie», d’autant que l’heure est à la mondialisation libérale et que l’Etat malien endetté doit rembourser ses créanciers. De fait, ladite démocratie électorale n’est que le paravent des affaires prédatrices où la corruption, l’achat de voix, la captation de l’aide au développement assurent la «démocratie des milliardaires» aux ordres du FMI, de la Banque mondiale et de la France tutrice.  

Les plans d’ajustement structurel imposés dès la fin des années 1980 pour «résorber» la dette malienne s’accélèrent en 1997. Les entreprises publiques sont bradées quand elles ne sont pas liquidées, des terres agricoles sont vendues, la monoculture du coton imposée. C’est toute une machinerie à broyer les économies locales qui impose une régression sociale et économique sans précédent, conduisant à dresser les ethnies les unes contre les autres. Ce modèle de lumpen-développement est de fait une recolonisation conduite sous l’égide des politiques néolibérales. L’Etat se délite, les trafics en tous genres prospèrent, y compris celui de la cocaïne. C’est dans ce contexte de désespérance sociale que se développent l’émigration et l’implantation de l’islam réactionnaire au détriment de l’islam malékite historiquement implanté (Bamako). Dès les années 1990, financés par les Etats du Golfe, apparaissent des prêcheurs afghans, pakistanais, algériens. Si malgré tout la société malienne se maintient c’est surtout grâce à l’envoi d’argent des Maliens expatriés. 8 000, rien qu’à Montreuil, à comparer aux 6000 ressortissants français au Mali, travaillant pour l’essentiel pour des firmes hexagonales.

La démocratie décrédibilisée devient une farce, la participation électorale ne dépasse pas 15% des électeurs, elle permet néanmoins d’assurer un semblant de légitimité internationale à une caste de privilégiés pour laquelle règne l’impunité. Toutefois, la «société civile», les forces progressistes ne sont pas anéanties pour autant. Pour preuve, le Forum Social Malien de 2002 où sont dénoncés la démocratie formelle, l’Etat déliquescent, les détournements de biens publics. A côté des revendications altermondialistes sont prônées les aspirations des Touaregs jamais prises en considération par le pouvoir. Cette initiative sera d’ailleurs relayée par un documentaire remarquable, sorti en 2006 «Bamako». Malgré ce sursaut, la situation se dégrade…

Du coup d’Etat à l’intervention militaire française

En 2011, le Mali est en passe de devenir un narco-Etat maffieux. Sous la présidence d’ATT -Amadou Toumani Touré, 230 millions d’euros ont été détournés sans compter les sommes résultant du blanchiment de l’argent de la drogue, des commissions prélevées par les généraux-négociateurs sur les rançons versées lors d’enlèvements d’otages. Pour le gouvernement Sarkozy, ATT est devenu infréquentable, décision est prise de l’affaiblir, de soutenir la rébellion touareg du MNLA (1) pour mieux combattre AQMI (1) et autres terroristes se réclamant de l’islamisme le plus archaïque. L’ancien 1er ministre, Modibo Sidibé est le candidat de la France… ATT annonce des élections pour le 29 avril 2012 et son intention de céder le pouvoir à «un homme que la France voudrait bien installer» ainsi qu’une nouvelle constitution renforçant (encore !) les pouvoirs du Président. Ce scénario va capoter. La «rébellion» va prendre l’initiative.

Les groupes «rebelles» comprennent pour l’essentiel trois composantes : le MNLA, coalition d’anciens Touaregs indépendantistes, des militaires touaregs maliens ralliés qui ont joué les mercenaires en Libye. Ils revendiquent un Etat scissionniste du Mali ou, pour le moins, une large autonomie de l’Azawad, soit un territoire au Nord Mali plus grand que la France. Et puis, il y a Ansar Dine, beaucoup plus dangereux pour la société malienne. Ce groupe armé, plus puissant que le MNLA, veut imposer la charia dans un Mali uni. Il est dirigé par un ancien chef rebelle touareg, Iyad Ag Ghali qui fut conseiller de la présidence malienne et, à ce titre, négocia en 2003 la libération d’otages détenus par le GSPC (2) (ancêtre algérien de l’AQMI). Nommé conseiller au consulat d’Arabie Saoudite, salafiste intransigeant, il est de retour au Mali en janvier 2011 pour négocier la libération de trois otages d’AREVA enlevés au Niger. Il en tirera de généreuses commissions avant de prendre la tête d’Ansar Dine. De cet imbroglio les médias français se focaliseront sur l’AQMI et se garderont d’évoquer les relations troubles que ces groupes entretiennent avec des pays limitrophes (Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Algérie, Côte d’Ivoire…) sans parler du Qatar et de l’Arabie Saoudite.

Le 17 janvier 2012, l’attaque du camp militaire malien de Ménaka par le MNLA change en effet la donne (3). Rejoint par Ansar Dine, ils poursuivent leur offensive vers le Sud. En représailles, l’armée malienne cible, à l’aide d’hélicoptères un camp de civils touaregs et ce, le 23 février. Juppé «débarque» à Bamako le 27 février et en appelle au dialogue avec la rébellion. Il est hué lors de manifestations hostiles, d’autant que nombre de civils qui fuient les combats, déferlent déjà vers le Sud (4).

Humiliée, frustrée, une fraction de l’armée malienne, dirigée par le colonel Sanogo, chasse ATT et prend le pouvoir. Dès lors, l’on va assister à un imbroglio que l’intervention militaire française n’a pu, à ce jour, dénouer.

Les alliés de la France-Afrique, par l’intermédiaire de la CEDEAO (5) vont tenter de faire rentrer dans le rang le colonel putschiste, sans y parvenir. Sous la houlette de Blaise Compaoré, l’embargo et des sanctions visent à le faire céder. Un ultimatum est lancé et exécuté le 2 avril : non seulement, les ambassadeurs sont rappelés, les frontières fermées, les avoirs maliens gelés, les banques non approvisionnées, mais surtout, il est procédé au blocage d’une livraison d’armes achetées par l’Etat malien.

Les pompiers pyromanes accentuent encore l’état de déliquescence de l’armée malienne, incapable de faire face à la rébellion. Ils réussissent toutefois à imposer, pour 40 jours ( !) Dioncounda Traoré comme Président intérimaire et comme 1er Ministre, Modibo Diarra, ami de l’ex-dictateur Moussa Traoré et de Compaoré. Cet accord cadre du 6 avril fait coexister deux autorités, la junte militaire et des marionnettes dépendantes de soutiens étrangers. Quant aux tentatives de contre coup d’Etat, elles avortèrent (22 morts et des exécutions sommaires). Qui plus est, le 21 mai, des manifestants occupèrent le bureau du Président intérimaire qui, blessé, va être évacué vers... Paris, pour y être soigné.

Pendant ce temps… et dès le 27 juin, Gao et Tombouctou tombaient, le MNLA marginalisé après des combats meurtriers, la place était libre pour les exactions (destruction des mausolées ou saints musulmans, imposition de la charia wahhabite).

L’armée française n’était pas restée l’arme au pied. Dès le 10 janvier, des troupes d’élite sont acheminées par avion C-160 et appuyées par des hélicoptères, elles prennent position sur l’aéroport Servaré, menacé par l’offensive des Salafistes. Le 23 janvier, une note confidentielle est transmise à la présidence française pour une opération de reconquête, à charge pour les politiciens d’orchestrer un semblant de légalité.

Pas simple ! Entre l’ONU réticente qui n’envisage d’intervenir qu’en septembre 2013 à l’aide d’armées africaines sous équipées et pour le moins indisciplinées, entre la prudence intéressée des USA qui, en concurrence avec l’armée française, a installé une base au Nord Niger, entre l’Europe réticente et tous les autres espérant tirer avantage, après le chaos, d’un Sahelistan débarrassé des djihadistes. Il reste à la France l’option de s’enliser dans le bourbier malien.

Après quelques hésitations, le nouveau pouvoir social libéral, poussé dans ses retranchements et sous la pression de l’armée va amener pépère Hollande à enfiler les bottes de son prédécesseur Sarko. Il en va des intérêts de l’impérialisme français et de la sécurité de «nos» ressortissants, sans parler des otages toujours prisonniers malgré les sommes versées. D’abord, rassurer les dictateurs hier vilipendés, et en premier lieu le tchadien Idriss Déby, dont les troupes aguerries sont nécessaires. Ensuite, envoyer Fabius rencontrer Bouteflika l’Algérien, puis le propulser au Niger, au Burkina Faso, enfin le laisser déclarer à New York que le gouvernement illégitime du Mali réclame l’aide urgente de la France.

Entretemps, les velléités d’ingérence et d’influence du sinistre Compaoré auront été calmées. Par son secrétaire général, l’ONU lui reprochera d’avoir, comme médiateur de la CEDEAO, essayé d’intégrer le Qatar dans la «négociation» et d’écarter l’Algérie.

Le terrain diplomatique ayant été quelque peu déblayé (à quel prix ?), l’opération Serval, dûment programmée, est déclenchée. On connaît la suite mais non le terme de cette aventure. Sinon qu’en décembre 2012, à l’issue incertaine de cette nouvelle forme de guerre, les terroristes sont en apparence refoulés, 355 000 personnes sont des exilés dans leur propre pays et les bombardements français auraient fait plusieurs centaines de morts. Quant au sort des prisonniers, y compris des enfants soldats, peu de commentaires et à peine quelques images, comme pour l’ensemble de cette guerre.

Certes, Hollande fut accueilli en libérateur, mais malgré les promesses initiales, 1 000 soldats français demeureront sur place en attendant que… l’Etat failli se reconstruise. La messe n’est pas dite, la junte militaire toujours en place, la misère sociale encore plus profonde, l’intégrisme religieux et la corruption pourront y recruter de nouveaux adeptes dans un Mali sous protectorat international. Dans ces conditions extrêmement défavorables, le Mali peut-il retrouver l’héritage socialisant de Modibo Keïta. A court terme, rien n’est moins sûr : les ravages cumulés de la France-Afrique puis du  néolibéralisme ont sévi.

Gérard Deneux, le 9 avril 2013 

(1)  MNLA = Mouvement National de Libération de l’Azawad ; AQMI  Al-Qaïda au Maghreb Islamique
(2)  GSPC = Groupe salafiste pour la prédication et le combat
(3)  Contrairement à ce que laissent penser les médias, le Nord Mali n’est pas composé que de Touaregs et, eux-mêmes sont opposés à l’islam wahhabite
(4)  Le 24 janvier, 80 militaires maliens sont exécutés
(5)  CEDEAO = Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest