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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 13 mars 2013


Les enjeux de la guerre au Mali

Quitte à revenir sur le processus ayant conduit Hollande et la classe dirigeante française à intervenir militairement au Mali, cet article se propose d’en souligner les raisons profondes occultées par les médias. Elles tiennent essentiellement à la défense des intérêts des grands groupes industriels et financiers nationaux. En effet, au-delà de la réalité tragique des «prises d’otages», du terrorisme instrumentalisé avec plus ou moins d’efficacité par le DRS algérien ou les prêcheurs financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, au-delà de la marginalisation économique et sociale des Touaregs du Nord-Mali, au-delà de la posture de chef de guerre adoptée par Hollande pour la civilisation, les droits de l’Homme et la démocratie, se profilent, derrière le masque des apparences médiatiques, des enjeux réels sonnants et trébuchants.

Si l’impérialisme français n’a pas adopté l’attitude prudente conseillée par Juppé, orfèvre en la matière, c’est qu’il y avait en quelque sorte urgence. Sa déclaration sonnait pourtant comme un avertissement : «Nous n’avons certainement pas les moyens (surtout par temps d’austérité budgétaire) de nous déplacer (militairement) sur un territoire 2 à 3 fois comme la France», d’autant que cette région du Sahel débordant le Mali est grande comme l’Europe. Qui plus est, sur fond de  rivalités inter-impérialistes et régionales, cette région est minée par la misère sociale au sein d’Etats en déliquescence avancée car y prospèrent la corruption, les trafics en tous genres et des petits seigneurs de guerre illuminés, sur fond de marginalisation des populations touaregs.

C’est dans ces circonstances que Hollande, nouveau galonné, s’est lancé dans une aventure militaire périlleuse. La classe dominante lui a dit qu’il en avait les moyens et les appuis. Malgré l’influence de nos rivaux dans cette partie de l’Afrique, il faut poursuivre le retour néocolonial dans cette zone, inauguré par Sarko en Côte d’Ivoire ainsi qu’en janvier 2012 où fut sauvé «notre ami» Bozizé en Centrafrique et sauvegardé son régime corrompu et népotique, installé dix ans plus tôt avec «notre» bénédiction logistique : 600 paras largués sur Bangui n’ont-ils pas stoppé la marche de la rébellion sur cette capitale ? Pour eux, la gestion politico-militaire et affairiste entre la France et le Mali doit être poursuivie tout comme la lutte obsessionnelle contre les flux migratoires. Certes, l’apport de cette diaspora représente pour cette économie étranglée par les politiques néolibérales d’ajustements structurels, plus que l’aide au développement, soit 189 milliards de francs CFA mais le problème n’est pas là ! Par conséquent, la politique de gribouille et de convoitise dans un Mali fantoche et assujetti doit être poursuivie, il en va de la sauvegarde de «nos» bijoux de famille.

Pauvre Mali assis sur un tas d’or

Attali ne s’y est pas trompé. Sur son blog, le 28 mai 2012, il écrivait : «La France doit agir car les gisements d’uranium au Niger ne sont pas loin. (Il faut) mettre en place une coalition du type de celle qui a fonctionné en Afghanistan» (!) et, par conséquent, sous-traiter les premières lignes d’affrontement à la CEDEAO et aux Tchadiens comme nous avons su le faire, en son temps, avec les tirailleurs sénégalais. Et Hollande de lui répondre le 27 août : «Au nord-Mali s’est constituée une entité terroriste… qui lance un défi à nos intérêts… et à notre population (sic)».

Pauvre Mali,  «bénéficiaire» des avantages du colonialisme, pays de 14 millions d’habitants dont 75% sont analphabètes et 92% ne maîtrisent pas le français, langue nationale néocoloniale. Ils vivent dans la misère, à 70% en milieu rural et  n’ont pour seule consolation pour nombre d’entre eux que l’invocation du Dieu de l’Islam que les prêcheurs malakites et wahhabites leur distillent[1]. Leur espérance de vie est de 51 ans ; quant à leur indice de développement, il place leur pays au 175ème rang sur 187.

Et pourtant, ils sont assis sur un tas d’or qui ne leur appartient pas ! Leur pays est en effet le 3ème producteur d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana. Outre le bétail, l’arachide et la monoculture «recommandée» par le FMI et la Banque Mondiale qui ont imposé privatisations, fermetures d’entreprises, diminution des maigres prestations sociales, saccagé le réseau d’écoles et de santé publiques, leur sous-sol est riche en fer, terres rares et pétrole. Ces richesses, pour l’essentiel, restent à exploiter à «l’aide» des 6 000 ressortissants français et quelque 1 000 européens qui squattent les postes dirigeants dans les entreprises et les banques. Il reste aux Maliens l’exode rural et l’émigration.

Si le pétrole malien doit bientôt être exploité, d’autres richesses minières sont encore plus prometteuses : au sud-ouest du Mali, à Faléa, la société canadienne Rockgate possède des permis d’exploration sur 1/3 de la surface de cette commune pour y implanter des mines d’uranium, d’argent et de cuivre. Sur les 2/3 restants, c’est à une société sud africaine qu’est confiée l’exploration de l’or et de la bauxite. Les rôles, à en croire l’ambassadeur français du Mali, sont déjà répartis : «le futur exploitant de la mine d’uranium sera AREVA» ; c’est à faire pâlir d’envie Montebourg, lui le ministre dit du redressement productif,  déclarant : «cette filiale a de l’avenir». Quant au paysage dévasté, lunaire, promis aux habitants de Faléa, mieux vaut ne pas en parler…     

Sahel, le grand jeu

L’intervention néocoloniale française ne se réduit pas au Mali. Sur le gâteau sahélien lorgnent les USA, l’Algérie, la Chine qui a ouvert en 2010 la mine d’uranium à Azelit au Nord-Niger ; Total y est en concurrence avec Qatar Petroleum dans le bassin Taoudeni en Mauritanie qui, sous 1.5 million de km2, recèlerait pétrole et gaz. Ce désert est pour les multinationales un véritable eldorado, y compris futuriste dans les vastes déserts d’Algérie, de Mauritanie et du Mali.

La société de renseignements américaine Stratfor le recommandait en novembre 2009 : «L’Europe a besoin d’alternatives à l’énergie russe… le rapport de forces (qu’elle a) avec l’Afrique est positif. En d’autres mots, si le Mali emmerde les fermes solaires, l’Europe peut démolir le Mali ». «Ce projet exigerait le développement d’une infrastructure de sécurité compétente pour intervenir en profondeur contre les tribus berbères (sic) et les réfractaires d’Al Qaïda». Le projet a séduit l’allemand Siemens : des panneaux solaires répartis sur une surface de 900 km2 coûteraient 400 milliards d’euros. A cette fin, cette entreprise a créé la société Désertec. Saint Gobain s’y est associé en entraînant Alstom, AREVA, EDF, GDF Suez et a mis au point le consortium Medgrid en 2010. Désertec et Medgrid associés-concurrents sollicitent des financements publics dans le cadre du plan solaire européen. Des câbles sous la Méditerranée transportant de l’électricité en Europe, ce serait pour demain. Pour l’heure, en France, l’énergie nucléaire a encore de l’avenir via l’Afrique. 

En 2009, en pleine préparation du putsch qui allait porter à la tête de l’Etat du Niger, Mahamadou Issoufou, Areva a obtenu le contrat d’exploitation d’un gisement d’uranium exploité à ciel ouvert. Sa surface : 8 kms sur 2,5kms. La roche miraculeuse est à une profondeur maximale de 130 mètres. Depuis, ce sont des milliers de m3 de roches qui sont broyées, traitées avec des produits chimiques, lavées avec 12 à 13 millions de m3 d’eau par an. L’uranate produit est ensuite exporté en France. L’eau dans le désert ? Elle est prélevée dans une nappe phréatique très profonde et qu’importe si les puits traditionnels sont, pour certains d’entre eux, déjà asséchés, qu’importe si cette nappe n’est pas prête de se renouveler ! D’ailleurs, des précautions ont été prises : hormis aux ouvriers, la zone a été interdite au bétail comme aux populations sur un «périmètre sanitaire» (!) de 450 km2 autour du complexe industriel d’Imouraren, d’autant que l’aire de stockage des résidus radioactifs et la présence de bassins d’évaporation l’exigent. Politiquement, dans ce pays, à part «les bandes de terroristes», rien à craindre pour AREVA : Issoufou est un ancien dirigeant de la SOMAïR, une de ses deux filiales, l’eau du sous-sol en quantité démesurée, dit-on, est gratuite et les profits permettent d’entretenir la corruption de la caste dirigeante et de l’armée nigérienne. Quant à la police elle a l’habitude du racket auprès des populations. D’ailleurs, le 11 juin 2012, le Président Issoufou, reçu à l’Elysée par Hollande, a ravi ce dernier en lui annonçant l’accélération de la production d’uranium, une croissance de 15% de son pays lui ayant permis d’augmenter son budget de 30% de 2011 à 2012 grâce aux revenus du pétrole et de l’uranium. On ne sait s’il a évoqué la situation alimentaire critique de «ses» populations et la baisse du budget de la santé publique et encore moins la situation des travailleurs dans les mines. Sur place en effet c’est un système semi-esclavagiste qui fonctionne : AREVA «gère la population comme des prisonniers», «décide qui doit déguerpir, qui doit avoir de l’eau le matin ou le soir, qui va être soigné». Quant aux ouvriers, ils triment 12 heures sur 24 et les conditions de travail sont dramatiques. La grève déclenchée le 25 avril 2012, pour non respect de la réglementation du travail, n’a pas fait la une des médias, ni la marche de protestation à Arlit le 9 juin, ni la nouvelle grève qui, le 21 août 2012, a affecté la société de l’Aïr exploitée par SOMAïR. Pour les dirigeants de cette entreprise, les grévistes sont des «ennemis du développement» et il n’est pas question, ou si peu, d’améliorer les conditions de travail.

En février 2011, Raphaël Granvaud[2] écrivait : «Le quadrillage militaire du Sahel opéré depuis plusieurs années par les USA et la France ne fait que renforcer la crédibilité d’AQMI et son attrait auprès des populations tenues à l’écart des richesses (minières et pétrolifères) que cet arsenal militaire entend sécuriser. Tant que le terreau (de misère) sur lequel prospèrent les réseaux terroristes… n’aura pas disparu on pourra continuer à rouler des mécaniques et déplorer les morts». Mais dans la Françafrique qui se renouvelle pour que rien ne change, l’impérialisme français dispose «d’amis», de moyens militaires pour y défendre sa présence à cette porte d’entrée du Nord-Mali au Sahel afin de sécuriser l’accès à son pré carré de matières premières et éviter que nos rivaux ne nous prennent de vitesse.

«Nos» amis, «nos»  moyens et «nos» rivaux

Des «amis»,  bien qu’infréquentables et parfois difficilement contrôlables, la classe dominante française n’en manque pas dans son ancienne Afrique occidentale française (AOF) : Ouattara en Côte d’Ivoire fraîchement installé, Denis Sassou Nguesso au Congo Brazzaville, Bozizé en Centrafrique, Paul Biya au Cameroun, Bongo au Gabon et au Niger Issoufou, Compaoré au Burkina Faso lui qui a liquidé le leader indépendantiste Sankara. Il y a également, quoiqu’il sente le souffre, le Mauritanien Mohammed Ould Abdel Aziz, plus qu’irrité par les accusations de Noël Mamère, qui a osé, pensez- donc, affirmer ce que tous savaient, à savoir qu’il est le «parrain de la drogue» dans la région, la Guinée Bissau lui servant de base arrière. Enfin, il y a le guerrier dictateur Idriss Deby, lui à qui «nos» forces spéciales ont plusieurs fois sauvé la mise. Ses troupes aguerries sont en première ligne au Mali (déjà plus de 30 Tchadiens tués depuis le début de l’intervention). Certes, toutes ces marionnettes sont versatiles, elles ont tendance à se revendre au plus offrant mais, sur place depuis longtemps, les «conseillers militaires et autres espions» les surveillent et possèdent, au cas où, des hommes de rechange. Certes, la partie devient serrée depuis que «nos» alliés rivaux s’en mêlent.

Mais le gouvernement français, quel qu’il soit, dispose, sur place, «pré-positionnées» au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie et au Mali (le 1er RPIMA de Bayonne s’y est installé avant l’intervention), de forces spéciales d’intervention rapide et de troupes récemment évacuées d’Afghanistan. La base militaire de Djibouti, bien qu’éloignée du «théâtre des opérations» peut toujours servir, les transports aériens ça existe même si «nous» n’en disposons pas suffisamment.

Enfin, c’est indéniable, la «République française» de type bonapartiste possède un avantage certain sur toutes les autres. Décision d’entrer en guerre peut être prise en moins de 24 heures, sans passer par le Parlement, même s’il est composé d’un grand nombre de godillots bien disposés vis-à-vis des intérêts des grands groupes industriels et financiers. Quant à l’opinion publique, les médias s’en chargent en distillant la charge émotionnelle : sauvez les otages et les «ressortissants français » aux mains des  terroristes !

Quant aux pays de l’Union Européenne, ils sont, c’est selon, indifférents faute de moyens ou intéressés tout en étant compréhensifs… Ils vont laisser la France, qui connaît le terrain, aller au charbon pour mieux tirer les marrons du feu ensuite. C’est le cas de l’Allemagne notamment : sa classe dirigeante, Merkel en tête, attend de saisir les opportunités qui se présenteront pour mieux assurer son leadership dans l’Union. Et une guerre ne peut que conforter sa 3ème place de vendeur d’armes dans le monde !

A court terme, la coalition France-CEDEAO peut annihiler ou réduire les «bandes terroristes et djihadistes», cette bataille peut être gagnée avec la puissance de feu. Quant à la guerre, elle risque politiquement d’être perdue. A moyen terme, en effet, reste une inconnue de taille : les ethnies marginalisées, les peuples qui n’en peuvent plus de la misère, de la corruption de leurs élites népotiques, de la caste militaire qui les réprime et les rackette…

Gérard Deneux, le 5 mars 2013 

Prochain article «La décision chaotique d’entrer en guerre».

Les sources pour cet article sont  essentiellement extraites de
«Billets d’Afrique et d’ailleurs», revue mensuelle édité par Survie

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[1] Ce sera abordé dans le prochain article
[2] «Areva en Afrique. Une face cachée du nucléaire français» Raphaël Granvaud – édition Agone
Du même auteur, lire «Que fait l’armée française en Afrique ?» édition Agone (2009)