Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 5 janvier 2013


2013, année de tous les dangers,
année de tous les possibles émancipateurs


Le début d’année invite à un exercice, toujours aléatoire, de prospective. Le surgissement d’évènements inattendus déjoue bien souvent les pronostics de sens commun. D’ailleurs, l’année 2012 n’en a pas été dépourvue. On peut néanmoins se risquer à ce type de réflexion en s’appuyant sur les tendances fortes apparues dans la dernière séquence historique, quitte à rester mesuré sur les jugements émis.

Commençons par les Etats-Unis, ce pays toujours maître du monde, quoique en déclin. La crise de surproduction y a pris la forme d’un endettement massif dont il n’est pas prêt de sortir. Après le renflouement des banquiers, la bataille qui fait rage au sein des élites politiques consiste à déterminer sur qui faire porter l’effort fiscal et la réduction des dépenses publiques. Les politiques d’austérité, quelle qu’en soit la forme, risquent de plonger le pays dans la récession à moins que l’on assiste à une dévaluation du dollar et, concurremment, à des mesures inflationnistes. Quoi qu’il en soit, le 1 % des plus riches, tant décrié par le mouvement Occupy Wall Street, n’est guère prêt à céder du terrain, soutenu qu’il est par les Républicains et le Tea-Party, opposé au rôle régulateur de l’Etat fédéral. Quant à Obama et «ses» démocrates, on ne les sent guère décidés à mettre en œuvre une politique aux accents rooseveltiens. Qui plus est, la gauche y compris au sein des Indignés, n’ose guère s’attaquer au gouvernement et encore moins proposer des revendications concrètes[1]. Les inégalités criantes risquent encore de s’aggraver ce qui, peut-être, provoquera des mouvements populaires surtout si des coupes sombres dans les prestations sociales, déjà bien maigres, aggravent encore le sort des plus démunis.

Contradictoirement, la réduction des dépenses militaires, même si elle est impérative n’est pas à l’ordre du jour. L’armée, cet instrument de puissance, s’est déjà reconfigurée pour faire face aux évolutions des rapports de force mondiaux. Certes, malgré toutes les fanfaronnades, les guerres d’Irak et d’Afghanistan sont des défaites dont les leçons ont été tirées. L’occupation de territoires n’est plus une panacée, les opérations ciblées, y compris les assassinats par drones interposés, font désormais partie de l’arsenal guerrier «chirurgical» surtout au Moyen Orient. La raison en est simple : malgré le discours d’Obama au Caire tentant de se réconcilier avec le monde arabe, ce que retiennent les peuples c’est l’enlisement guerrier, le soutien inconditionnel à Israël et le printemps arabe qui a délogé ou déstabilisé les dictateurs et ploutocrates arabes, y compris en Arabie Saoudite et dans les autres pétromonarchies malgré l’idée et le soutien que leur accordait la première puissance mondiale. Bref, l’hégémonie US s’est là plus qu’ailleurs fissurée, et ce, malgré la disparition presque totale de l’URSS d’hier et le retour poutinien de la Russie d’aujourd’hui. Le processus révolutionnaire amorcé va certainement connaître de nouveaux développements sur fond de crise sociale et politique et d’ajustements structurels brutaux, du moins dans les pays ne disposant pas de la manne des pétrodollars.

D’ailleurs, il semble bien que la mise en coupe réglée du Moyen Orient ne fasse plus partie de l’agenda des Etats-Unis et ce, pour au moins deux raisons : l’extraction du gaz et du pétrole de schiste leur procure des ressources suffisantes et à moindre prix. Le recentrage de leur armada militaire en Asie démontre que l’épicentre du monde capitaliste s’est déplacé. On pourrait d’ailleurs assister au surgissement de mouvements écologistes contestant ce mode d’exploitation et de destruction de la nature ainsi qu’à un renouveau des mouvements pacifistes selon le degré de tension entre la Chine et le Japon. Pour les contrer quoi de mieux que la construction d’un nouvel ennemi : après le péril vert (et le «terrorisme islamiste»), quoi de mieux que le péril jaune !

En effet, dans l’espace asiatique de puissants mouvements tectoniques contradictoires sont à l’œuvre, sans que l’on puisse prévoir les lignes de faille qui surgiront pour en modifier le paysage politique : l’exemple du Japon est éclairant. Un mouvement de contestation demandant l’arrêt des centrales nucléaires après la catastrophe de Fukushima demeure mobilisé et pourtant la droite extrême militariste, pro-nucléaire l’a emporté. La mer de Chine est devenue un champ clos d’affrontements entre les différents protagonistes (Corée, Vietnam, Japon, Chine, Philippines, USA) afin de s’accaparer les ressources énergétiques et halieutiques. Ils pourraient dégénérer à tout moment sous l’effet de l’accroissement des dépenses militaires et des volontés belliqueuses accrues par la logique des blocs qui se constituent. En effet, la marginalisation de l’ONU depuis plus d’une décennie, de la Yougoslavie à l’Irak en passant par la Palestine, laisse supposer que désormais prévalent l’unilatéralisme, le fait accompli et, par conséquent, la montée irrépressible des tensions. 

Toutefois, comme dans les pays arabes, le poids démographique de la jeunesse éduquée, urbanisée, d’une classe ouvrière importante n’est guère propice au développement des mouvements xénophobes et nationalistes. Tout dépend bien évidemment de la capacité de manipulation des masses par les élites politiques au Japon, voire en Chine. Mais nous ne sommes plus dans les années 30-40. Le vieux se meurt. A preuve le puissant mouvement contre les viols en Inde dans cette société caractérisée, il y a peu, par son machisme et la prégnance des castes.

Bref, plus encore qu’au Moyen Orient, l’impérialisme US rencontrera des difficultés pour maintenir son leadership, confronté qu’il sera là plus qu’ailleurs à la sourcilleuse volonté d’indépendance des peuples et des Etats. Car dans la mémoire des peuples demeurent les affres de la 2ème guerre mondiale (les bombes atomiques sur le Japon), la guerre du Vietnam et les ingérences meurtrières des USA (Indonésie). Les élites dirigeantes pourraient certes s’appuyer sur le gendarme US ou sur la logique des blocs (Russie/Chine contre USA/Japon) mais, pour autant que cela serve leurs intérêts. Et l’on voit mal le pusillanime Obama faire plus que jouer la prudence, le défilé de son armada dans le Pacifique et le recours à la rhétorique vertueuse et grandiloquente dont il a le secret… mais, ce, sans effet notable. D’autant qu’il risque de se trouver sollicité de toutes parts et pas seulement en interne.

En Amérique latine, où la «basse cour» US se réduit comme peau de chagrin et où les coups d’Etat à l’instigation de la CIA semblent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre, le mouvement vers plus d’indépendance économique et politique vis-à-vis des USA semble pour l’heure irréversible. Du Venezuela à la Bolivie, de l’Equateur au Brésil, voire à l’Argentine… l’agenda des élites et classes dominantes semble défini par les puissantes mobilisations qui contestent tous les effets précédents du néolibéralisme. Il en fut ainsi au Chili lors de la contestation étudiante. L’altermondialisme, la lutte des sans terres, les caceroles et l’occupation d’usines autogérées ont laissé des traces dans les mémoires collectives. D’ailleurs, on assiste à une planétarisation de la contestation des politiques d’austérité autoritaires y compris au Canada (Québec).    

En Europe, maillon faible du dispositif capitaliste mondial, rien ne laisse supposer pour le moment une modification du rapport de forces en faveur des classes populaires, mise à part l’exception de la Grèce, et encore ! Certes, les conceptions économiques néolibérales se sont fracassées sur la réalité de la crise : le sauvetage des banquiers et autres créanciers, l’endettement des Etats en a, en partie, résulté. Mais les mêmes politiques sont à l’œuvre marquées désormais par l’urgence de l’austérité. La zone euro en est fragilisée, le commandement de la Troïka et l’Allemagne soumis à des critiques venant d’en bas. La récession surtout dans les pays du Sud de l’Europe semble le scénario le plus probable. Dans les pays à démographie vieillissante, marqués qui plus est à l’Est par la faillite des capitalismes d’Etat dits socialistes, la gauche radicale anti capitaliste peut-elle s’enraciner dans les classes ouvrières et populaires ? Rien n’est moins sûr ! Plusieurs phénomènes négatifs invitent au pessimisme : la désindustrialisation, la casse des collectifs ouvriers, l’atomisation des classes populaires masquée par la précarité, les illusions persistantes malgré les déconvenues dans les partis d’alternance y compris les socio-libéraux, le poids restreint des forces de transformation sociale et surtout le repli individualiste. D’autres facteurs régressifs sont à souligner : le refuge dans l’abstentionnisme, les divisions catégorielles et racistes ainsi que les difficultés qui y sont liées, à savoir le «désir» d’engagement collectif qui, à l’heure des nouvelles technologies, semble désuet. Quant aux luttes menées, voire celles à venir, du fait des licenciements programmés par la récession, elles revêtent des formes défensives sans réel impact politique à court terme. Face à cette réalité de contestation larvée les forces politiques d’alternance sont tentées de faire prévaloir l’union sacrée entre droite et gauche pour que rien ne change. Verra-t-on en France le parti Solferino s’allier à l’UDI de Borloo ? L’autre solution déjà mise en œuvre consiste dans le recours à des hommes providentiels, des ex-banquiers et technocrates comme Mario Monti en Italie, et ce, afin de mettre au pas des formations politiques hésitant à recourir aux politiques d’austérité. La «génération sacrifiée» longtemps baignée dans l’égotisme ne semble pas posséder les ressorts suffisants pour s’unir autour d’un projet de lutte anticapitaliste radical. Des explosions sociales surtout dans les quartiers populaires ou contre des projets mettant en cause l’environnement sont certes possibles. Mais elles risquent d’être brouillées par le système électoral bloquant toute percée sociale et par les positionnements politiques d’alliance avec les socio-libéraux visant à conserver quelques strapontins locaux.

A contrario, en Grèce et dans une moindre mesure, en Espagne et au Portugal, les mouvements de masse ont connu une ampleur sans précédent, l’effet de politisation et de rejet des partis traditionnels y est certain, sans pour autant qu’une perspective claire ne s’en dégage, à l’exception controversée de la Grèce. Dans ce laboratoire des politiques d’austérité draconiennes se font désormais face Syriza et l’Aube Dorée. Mais si la classe dirigeante, gauche et droite unies, est déconsidérée, la purge sociale qui est imposée crée un climat délétère, source de tous les dérapages. Rocard n’a-t-il pas laissé entendre qu’il fallait éviter le recours aux colonels comme si la dictature était déjà une option sur la table ?

Quant aux Indignés d’Espagne ou du Portugal, tétanisés par l’alternance de la démocratie représentative, ils  n’osent pas s’en prendre à ce type de régime qui leur est imposé. Il n’empêche, travaille en sourdine le processus de décomposition-recomposition du paysage politique. Que va-t-il en sortir ? A priori, en Espagne, comme au Royaume Uni ou en Belgique, des forces nationalitaires sont à l’œuvre. Les égoïsmes territoriaux, les replis nationalitaires se situent toujours dans l’orbite du système, tout comme la montée des Extrêmes-Droites fascisantes. Ce qui manque effectivement, c’est une effervescence militante anticapitaliste, faite d’engagements collectifs pugnaces, s’en prenant à la fois à la Troïka de Merkel et aux régimes et forces politiques qui s’en accommodent. Et dans cette perspective, l’isolement devant l’écran informatique est contre-productif : le semblant faire dans sa bulle n’est qu’un faire semblant inoffensif.

Si d’aventure, comme cela s’est produit au début du printemps arabe, sans d’ailleurs toucher les pays du nord de l’Europe, le processus révolutionnaire au Moyen et Proche Orient s’approfondissant, l’effet mimétisme pourrait de nouveau se dupliquer. Car contrairement à ce que pensent de nombreux Cassandre[2], dans cette région du monde rien n’est réglé. Mise à part la relégation définitive de trois dictateurs kleptocrates, les raisons de la révolte sociale sont toujours agissantes. Ceux qui prétendent aujourd’hui incarner le nouveau pouvoir semblent bien incapables d’introduire les mesures de justice sociale et d’égalité réelle attendues. Déjà plus ou moins disqualifiés, les Frères musulmans ne sont pas à l’abri de sérieuses déconvenues. Le dieu qu’ils invoquent pour les surmonter a l’odeur du souffre : le dollar. Ils quémandent l’aide du FMI ou celle des pétromonarchies. Il n’est pas sûr qu’une nouvelle dépendance avec son cortège de brimades liberticides, même si elle s’exerçait au nom d’Allah, serait facilement acceptée. La jeunesse urbaine, fer de lance du mouvement d’insurrection populaire, frustrée dans ses aspirations, les secteurs ouvriers combattifs décidés à faire reculer l’exploitation et l’oppression dont ils sont victimes, vont certainement occuper l’espace politique qui leur revient. A moins d’une répression sanglante, ni les élections truquées, ni les abstentions massives n’y changeront quelque chose.

Le pire c’est bien évidemment le contre exemple de la Syrie où le clan du dictateur s’accroche au pouvoir au prix d’une guerre civile meurtrière faisant resurgir les vieux démons de la martyrologie au nom d’Allah, s’efforçant de dresser les musulmans entre eux, chiites contre sunnites, et les religieux contre les athées. Cette région du monde, activée par la logique des blocs s’ingérant dans la lutte émancipatrice des peuples pour la pervertir, pourrait s’apparenter aux Balkans d’avant la guerre 14-18. Quoi de mieux qu’une guerre de civilisation masquant derrière les appétits occidentaux, grands russiens et chinois, la lutte pour l’hégémonie régionale entre les wahhabites et les mollahs ?  Certes, le pire n’est pas certain d’autant que les manifestations populaires au début de l’insurrection en Syrie n’avaient pas de caractère communautaire ou ethnique et qu’en Egypte, comme en Tunisie, des forces politiques nouvelles ont surgi y compris des dissidences des Frères musulmans. Mais le temps est compté.

L’Etat juif, le gouvernement d’extrême droite à sa tête, pousse à la surenchère contre l’Iran pour embraser toute la région. Sans que l’on puisse en prévoir les enchaînements et les dénouements catastrophiques, une attaque d’ampleur contre les sites nucléaires iraniens ressouderait la population de ce pays autour des mollahs au détriment de ses aspirations. Elle étoufferait également les revendications à mieux vivre exprimées par les Indignés israéliens. La volonté d’existence indépendante des Palestiniens s’abîmerait dans le gouffre des affrontements à caractère religieux.

A moins que se lève, comme ce fut le cas lors de l’invasion de l’Irak, un mouvement pacifiste mondial, l’aura déjà ternie de l’Etat juif en serait ainsi démonétisée et des liens entre les différents peuples, y compris israélien, changeraient la donne. D’ailleurs, ni le grand frère états-unien de l’Etat juif, ni son allié l’Arabie Saoudite théocratique, tout comme les pétromonarchies et l’Europe, encore moins la Chine dépendante pour son énergie, n’ont intérêt à un tel embrasement. Ils préféreraient miser sur l’épuisement des peuples pour imposer la «paix des braves» avec leurs hommes à eux, quitte pour chacun d’entre eux, à faire des concessions, y compris à l’ours poutinien.

Quant à l’Afrique, terrain de chasse de tous les impérialismes concurrents, il est le lieu de toutes les dictatures. De ce trou noir peuvent surgir des mouvements de masses imprévisibles, comme ce fut le cas en Afrique du Sud dernièrement.



En tout état de cause, l’année 2013 laisse augurer des soubresauts imprévisibles d’autant que les pronostics et hypothèses ci-dessus oblitèrent une donnée essentielle. En effet, la crise du capitalisme pourrait rebondir sous d’autres formes : crise immobilière en Chine, bulle des nouvelles technologies informatiques (secteur déjà saturé, les PC se vendent de moins en moins), dévaluation compétitive du dollar pour relancer les exportations US, désintégration de l’Europe (le Royaume Uni prenant le large, suivi d’autres pays), intervention de l’OTAN en Afrique (Mali, République Démocratique du Congo…). Tous ces dérapages sont de l’ordre du possible.

Souhaitons que ce pessimisme ne soit que conjoncturel. Encore faudrait-il qu’un cours nouveau fait de convergences, de solidarités s’impose contre des logiques meurtrières. Encore faudrait-il qu’ici et maintenant la chaleur humaine des regroupements s’opère pour écrire, diffuser laborieusement des éléments programmatiques en véritables alternatives au capitalisme. C’est tout le mieux qu’on peut nous souhaiter pour l’année 2013.


Gérard Deneux, Amis de l’émancipation Sociale,  le 5 janvier 2013     



[1] Voir l’article très documenté du Monde Diplomatique (janvier 2013) de Thomas Frank «Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même»
[2] héroïne de l’Iliade qui reçut d’Apollon le don de prévenir l’avenir, mais, se refusant à lui, il décréta que personne ne croirait en ses prédictions