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vendredi 9 novembre 2012


La Santé malade de ses médecins et des politiques néolibérales

On savait la médecine malade du néolibéralisme[1] et nombre d’électeurs pouvaient s’attendre à ce que ça change, vraiment et maintenant. Mal leur en prit de s’illusionner ainsi. La loi Bachelot est maintenue, la tarification à l’activité connaîtra peut-être quelques retouches… expérimentales[2], les franchises sont immuables et l’industrie pharmaceutique intouchable.

Et pourtant, l’on semble s’acheminer vers des fractures sanitaires et territoriales. L’actualité récente a mis en exergue 4 points importants, trop peu médiatisés, qui méritent que l’on s’y attarde. La récente étude menée par la revue UFC Que choisir ? sur les dépassements d’honoraires, la négociation qui s’engageait au même moment sur ce sujet entre Sécurité Sociale et syndicats corporatifs de médecins. Entre temps, un fait divers[3] venait malencontreusement rappeler la pénurie de maternités et une enquête souligner la surexploitation des internes dans les hôpitaux.

Dépassements d’honoraires et fractures sociales et territoriales

L’accroissement des dépassements d’honoraires explose : de 1990 à 2010, leur poids financier est passé de 900 millions d’euros à 2,5 milliards. Ce sont bien évidemment les patients, à travers les augmentations imposées par leurs mutuelles (ou assurances) qui en supportent le coût. Quant à ceux qui n’en ont pas… Tout cela n’est pas autorisé (les secteurs 1 et 2 fixant des tarifs) mais toléré sans qu’aucune instance ni politique, ni corporatiste (l’Ordre des médecins !!!) ni juridique (pas de sanction !) n’y trouve à redire. Ils sont pourtant plus que conséquents ces dépassements : en moyenne + de 77% chez les gynécologues, + 60% chez les ophtalmologistes, + 58% pour les chirurgiens. Et ils sont nombreux ceux qui les pratiquent  sans vergogne : 86% des chirurgiens, 57% des anesthésistes, 55% des gynécologues. Dans certaines zones géographiques, les spécialistes qui ne pratiquent pas de dépassements sont inaccessibles. Ainsi, 35 départements sont dits en danger sanitaire quand  ils conjuguent d’autres handicaps ; la baisse du nombre de généralistes de 5% en 5 ans frappe les départements ruraux et instaure une médecine à deux vitesses. A titre d’exemples, 54% de la population n’a pas accès à un gynécologue sans dépassement d’honoraires et si ce taux descend à 27% pour les généralistes, il concerne  néanmoins 17,3 millions d’individus ( !). La cartographie fine publiée par Que choisir ? ne laisse aucun doute : un recul civilisationnel est en train de s’opérer. Et lorsque l’on entend parler de déserts médicaux, encore faut-il avoir à l’esprit que cette notion concerne les campagnes et les grandes villes, les villes moyennes étant pour l’heure encore relativement épargnées. 

Avant d’aborder les résultats du simulacre de négociations entre la Sécurité Sociale et les médecins, il y a lieu d’avoir en tête deux constats qui illustrent l’ampleur des inégalités sociales que le «système» a favorisées : les tarifs médicaux ont été revalorisés beaucoup plus vite que l’inflation en 30 ans, la croissance du pouvoir d’achat des médecins a été deux fois plus rapide que celle des salaires, 95% des Français ont un niveau de vie inférieur à celui des médecins. D’autre part, la Cour des Comptes signalait récemment que «les 4,3 milliards ( !) d’aides fiscales et sociales dévolues à l’acquisition d’une complémentaire santé profitent davantage aux cadres des grandes entreprises qu’aux temps partiels, retraités et chômeurs».

Une négociation de préservation des privilèges ?

Hollande l’avait promis, on allait faire cesser ces abus. A peine élu, tel Ponce Pilate, il s’en est lavé les mains. Pas de débat parlementaire sur cette question, trop risqué, sa priorité était ailleurs, il fallait d’abord rassurer les créanciers de l’Etat et s’en tenir aux diktats de Merkel : 3% de déficit et vite ! Alors, la mission consistant à tenter de juguler les prébendes des toubibs fut confiée aux «partenaires sociaux». Des tractations feutrées s’ensuivirent. C’était là le seul moyen pour éviter les remous que pouvait susciter le déballage de tant de privilèges assis sur les cotisations des assurés sociaux.

Van Rockeghem, représentant de la branche maladie de la Sécurité Sociale, en notre nom ( !) proposa que le seuil de dépassement soit fixé à 2,5 fois le tarif de la Sécurité Sociale (28€ pour le secteur 1 et 70€ pour le secteur 2)[4]. Comme les médecins semblaient plus que réticents que l’on bride leurs émoluments et comme ils rechignaient à soigner les personnes de plus de 80 ans, il proposa une prime de 5€ supplémentaires pour chaque consultation. Bonne fille notre Sécurité Sociale, dont la besace est bien trouée, serait prête à injecter 160 millions d’euros par an pour qu’enfin le serment d’Hippocrate soit respecté. Comme cela ne suffisait pas à dissoudre leur répugnance, M. Van Rockeghem, bon prince avec l’argent des autres, proposa une hausse des tarifs du secteur 1, que financeraient les mutuelles, qui fut estimée, excusez du peu, à 150 millions d’euros par an. C’était là faire entrer le renard dans le poulailler de la Sécurité Sociale, ce que ne manqua pas d’observer le Collectif inter-associatif sur la santé : «Si les mutuelles entrent dans le financement du secteur 1… c’est la privatisation de la Sécurité Sociale qui se joue». Apparemment, le représentant de cette institution n’en a cure. Après toutes ces largesses, allait-on sanctionner les carabins pour dépassements, outrepassant le seuil proposé (2,5 fois). Que nenni ! Pas de couperet mais une commission paritaire (Sécurité sociale-médecins) examinera (avec bienveillance ?) les cas les plus litigieux. Tout cela ne réglait pas pour autant le difficile accès aux soins des plus démunis, tout particulièrement en secteur 2 (les spécialistes). A croire que le «dialogue social» a vertu incitative, la signature d’un «contrat d’accès aux soins» sera proposée aux médecins ;  sur la base du volontariat, ils s’engageront à «plafonner leurs tarifs», à recevoir les patients en CMU (ce qui revient à admettre hypocritement l’existence tolérée du refus de soigner !) et, en compensation de cette bonne volonté, ils seront exonérés de cotisations sociales. Ainsi, la grande révolution sanitaire promise accouche d’un pet de lapin afin que les privilèges ne soient pas entamés. Ce qui fit dire à UFC que choisir ? : «les  laxismes continuent».

La bienséance  n’aurait guère supporté que ces conciliabules fussent troublés par des propos remettant en cause les prérogatives de la profession dont la pérennité repose sur les cotisations des assurés sociaux. Et encore moins sur sa probité. Ainsi, il n’y eut aucune évocation intempestive des cadeaux toxiques, généreusement délivrés par les firmes pharmaceutiques. Pourtant, des voix s’étaient élevées hors de ce cénacle pour dénoncer ces invitations dans des restaurants hauts de gamme, ces participations à des congrès, des séminaires, des journées de formation, des voyages destinés à promouvoir des médicaments prétendument plus performants et… les désastres médicamenteux qui y sont attachés. Et cela, bien évidemment, pris en charge par la Sécurité Sociale. Non, on ne voulait pas entendre la vox populi livrant à la vindicte ces toubibs qui mangent aux râteliers des firmes jusqu’à y perdre leur indépendance intellectuelle au détriment de la sécurité des patients, et encore moins les pratiques de dessous de table dont certains se rendent coupables. Tout cela n’était pas de mise. Un prochain scandale pourrait peut-être permettre de traiter par les mots tous ces maux.     

Le scandale de la suppression du nombre de maternités

On nous l’avait assuré, la fermeture des maternités de proximité était motivée uniquement par la nécessité de concentrer les moyens les plus modernes et les plus sûrs pour le bien des mères et de leurs progénitures. Couac ! La distance aidant, les temps d’accès à ces établissements de santé s’allongèrent et les femmes en attente de délivrance furent mises en péril. Face à ce dernier fait divers qui fit scandale, avant d’être étouffé médiatiquement, Hollande se fendit d’une docte déclaration : les temps d’accès seront réduits. Comment ? Mystère. Les restrictions budgétaires allaient-elles permettre cette avancée après des années de recul ? Dans le Lot, entre autres, comment allait-on raccourcir la durée de trajet d’une heure pour atteindre la maternité de Brives ? Las ! «En 35 ans plus de 800 maternités ont fermé». En 1975 il y en avait 1 369, en 2010 on n’en compte plus que 535 sur l’ensemble du territoire. La «modernité», «les économies d’échelle», «les restructurations» dites nécessaires ont produit des déserts médicaux, des fractures sociales et territoriales qu’il sera difficile de soigner. Et ce, d’autant plus qu’aucun dispositif réglementaire n’est envisagé pour obliger des médecins dans ces zones dépourvues. La sacro-sainte liberté d’installation ne saurait être remise en cause ![5] Ce constat pour les maternités vaut, incontestablement, pour les généralistes et les hôpitaux publics. Rentabilité oblige, ces derniers sont devenus un espace de travail où prévaut un climat de démoralisation-découragement face à la charge de travail accrue. L’absentéisme s’y développe (20 jours par an et par agent) mais il reste en ces lieux, des carabins exploitables qui… assurent.

La surexploitation des internes dans les hôpitaux.

Sans que l’on s’en émeuve, les internes peuvent aligner jusqu’à 24 heures de travail consécutives. En toute illégalité, ils assument d’ailleurs, le travail et la responsabilité d’un médecin diplômé. Ils sont 21 000 et, 85% d’entre eux travaillent plus de 48 heures par semaine (réglementation européenne), en fait 60 heures en moyenne par semaine. Dans 21% des cas, leur repos, après garde de nuit, n’est pas respecté. Pas étonnant qu’ils reconnaissent, sous anonymat, commettre des erreurs et qu’il leur arrive de piquer du nez en bloc opératoire. Face au manque de personnels, ils s’occupent de la paperasse, font plus qu’à l’accoutumée œuvre de brancardiers, voire vident les poubelles. Une enquête récente[6] révèle «qu’il n’est pas chose rare (pour eux) de travailler 20 jours d’affilée sans repos, de cumuler 80 heures par semaine et de travailler 36 heures consécutives». Pas de quoi s’étonner dans ces conditions des cas de surmenage, ni de constater qu’ils sont «agressifs et à fleur de peau». C’est donc cette  «main d’œuvre corvéable et bon marché (qui fait) tourner les hôpitaux» et non les mandarins qui palpent et cumulent activités privées et publiques en leur sein. Leur salaire, ces internes le considèrent comme «vexatoire». Ces carabins sont en effet des étudiants en stage pratique prolongé sous la responsabilité d’un médecin diplômé qui les juge. La France est l’un des rares pays à les traiter comme tel, de les maintenir dans un système d’esclavage moderne. Leurs émoluments ? 1 927€ bruts par mois en 1ère année de stage, 2 428€ en 5ème année et des gardes de nuit payées à raison de 119€ pour 12 heures de nuit. Et l’un d’entre eux, interviewé, de s’exclamer : «A Bac + 10, à raison de 80 heures par semaine, je ne touche que 2 000€ brut par mois». On comprend mieux, qu’une fois terminée cette période probatoire, ces spécialistes devenus, n’aspirent qu’à reproduire le système pour regagner le temps perdu. Cet archaïsme justifie tous les dépassements d’honoraires à venir.




Les dépassements d’honoraires, la prétendue difficulté de les encadrer, le trou de la Sécurité Sociale, les exonérations de cotisations patronales, la rentabilité imposée dans les hôpitaux à coup de restructurations-concentrations et de pénurie de financements, la prégnance de l’industrie pharmaceutique, comme la loi Bachelot et les franchises, font système ; ils ne sont que des manifestations des méfaits du néolibéralisme. A l’heure de la compétitivité sans frontières, du moins disant social et fiscal, de la crainte des créanciers qu’il faut rembourser, Sarko-Merkel ont tracé le chemin. Cahin-caha, le «capitaine pédalo» rame dans cette direction, prisonnier des ornières qu’on lui a tracées. Pour guérir la santé, il faut tuer le virus néolibéral et les modes de pensée intégristes prétendant qu’aucune alternative n’est possible.

Gérard Deneux, le 7 novembre 2012           






[1] Référence à mon article sur ce thème, écrit à partir du livre de Frédéric Pierru «Hippocrate malade de ses réformes» éditions Savoir Agir (article paru dans ACC n° 233 d’avril 2012)
[2] Voir la mission (et le rapport) d’évaluation et de contrôle de la Sécurité Sociale conduite par deux sénateurs sur lequel il faudrait revenir pour en montrer la pusillanimité (le caractère des plus timoré vis-à-vis de la T2A)
[3] J’évoque ici l’enfant mort-né lors d’un transport à une maternité trop éloignée
[4] Si le coeur vous en dit, vous pouvez calculer le montant des honoraires, par exemple d’un médecin pas trop surchargé, à raison de 10 consultations par jour, pour 20 jours travaillés sur un mois et comparer cette mensualité avec le SMIC. 
[5] Les députés ont voté le 26 octobre la création du contrat de praticien territorial, qui devrait enter en vigueur dès 2013, devant permettre à des jeunes médecins de s’installer dans des zones médicalement sous dotées en leur garantissant des revenus pendant deux ans. Un amendement proposant la mise ne place de mesures contraignant les jeunes médecins à s’installer pour trois ans dans une zone en déficit a été rejeté.
[6] Voir le Monde du 16 octobre qui y fait référence