Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 9 novembre 2012


Certains aspects de l’ampleur du désastre.
Chômage et précarité


Préambule

Pour nourrir les débats à venir ou même définir les actions à entreprendre, le texte qui suit traite de ce que j’appelle l’ampleur du désastre qui atteint des pans entiers de notre société. Il ne traite pas de tous les aspects de ce désastre, il faudrait en analyser les causes (la globalisation financière, la crise du capitalisme), les stratégies mises en œuvre par les classes dominantes et « leurs » appareils politiques (la concurrence entre systèmes sociaux différents, la course au moins disant social et fiscal, le transfert de dettes privées en dettes publiques…), les tactiques de diversion pour attiser les divisions au sein des classes populaires et entretenir la peur de « l’autre » (exploitation des faits divers). Ce sont là, entre autres, autant de questions que l’on pourrait mettre en débat, elles me semblent déterminantes.

Le propos qui suit est plus circonscrit, plus descriptif, il vise à montrer l’insuffisance des solutions individuelles, tentées par le repli sur soi ou invitant à croire que les individus isolés pourraient trouver, par eux-mêmes, des moyens pour s’en sortir. A cet égard, la mésinterprétation des écrits de Paul Ariès sur la décroissance, conjuguée à une prise de distance vis-à-vis de la société dite de consommation, peut aveugler. Elle vise la nécessité d’une alternative au système, mais dans le système, en laissant entendre que la multiplication d’initiatives individuelles de changement de modes de vie et de consommation (à crédit !), voire de mode de production (les coopératives, la solidarité entre individus) permettrait de sortir du système. Faire décroître « notre » consommation de gaspillage, entamer cette décroissance énergétique consisteraient déjà, ici et maintenant, à changer de modèle. Ce sont là des thèmes évoqués par les écolos de la gauche « plus rien » qui interpellent les couches moyennes conscientes des méfaits de certains aspects du capitalisme (la mal bouffe, la dégradation de l’environnement, le recours intensif à l’automobile individuelle…).

Or, sans pour autant partager l’ensemble des analyses et propositions de Paul Ariès, force est de reconnaître qu’au-delà de l’ambiguïté du terme de décroissance[1], ce qu’il laisse entendre avec ce « mot obus », c’est d’abord la décroissance des inégalités et, au-delà, c’est le mode productiviste du système capitaliste qu’il met en cause. C’est par conséquent collectivement qu’il faut trouver une issue pour « sortir » du capitalisme sans pour autant nier les expériences de solidarité collectives.

Par ailleurs, le constat équivoque du mode de vie qui caractériserait les retraités de Peugeot, évoqué lors de l’échange, renvoie aux divisions et aux inégalités qui traversent les couches populaires et à une réalité qui est de moins en moins la nôtre ainsi qu’à une vision des Trente Glorieuses entrées en déliquescence depuis près de 30 ans.

Sans nier que certains parmi nous vivent (encore) bien et consommeraient au-delà du nécessaire pour « bien vivre » (au sens de Paul Ariès), la réalité d’aujourd’hui est caractérisée par la précarisation de la société. Les médias dominants, non seulement en occultent les causes, mais la traitent sur le mode compassionnel en invoquant à la fois la fatalité et les « aides » dispensées aux victimes qui leur permettraient de se réinsérer alors même qu’ils sont exclus des droits au travail, au logement, à une vie décente… 

Faire le constat de l’ampleur de la réalité du chômage et du mal vivre qui affectent des pans entiers de la société, révoque, me semble-t-il, toute solution qui méconnaîtrait la nécessité de mobilisations collectives seules susceptibles, pour le moins, de casser  la logique prédatrice de l’oligarchie capitalo-financière qui « épuise l’Homme et la planète ».

L’ampleur de la croissance du chômage

Avec 47 000 inscrits supplémentaires en septembre à Pôle Emploi, le pays compte, désormais, toutes catégories confondues, et selon les statistiques officielles, 4,5 millions de chômeurs. Avec les « Français » d’outre-mer que l’on compte à part ( !), le chiffre de 5 millions est certainement dépassé d’autant qu’il y a ceux qui ne sont comptés nulle part (allocataires du RSA, ASS…)[2].

Toutefois, ces chiffres commencent à parler différemment lorsque l’on précise que seulement 40,6% des chômeurs sont indemnisés ou pour le dire encore plus négativement, 59,4% ne le sont pas. Ils sont 80 000 à 95 000 qui, chaque mois, sont en fin de droits[3]. Avec le développement des CDD, de l’intérim, des temps partiels contraints, les fins de contrats, les fins de mission « produisent » des travailleurs précaires qui n’ont pas accumulé les 110 heures de travail par mois pendant un certain nombre de mois, pour obtenir des droits à l’indemnisation. En juin 2012, ils étaient 603 160 ces chômeurs qui, en activité réduite, se retrouvaient sans emplois et ne percevaient aucune indemnité au motif qu’ils avaient trop travaillé pour en bénéficier ( !).

Ceux qui sont les plus touchés par cette réglementation rétrograde, ce sont bien sur les jeunes de moins de 25 ans, les femmes à temps partiel et les plus de 50 ans. Parmi le million de séniors inscrits à Pôle Emploi, une majorité d’entre eux pointe depuis plus de un an.

Et puis, il y a tous ceux qui s’aperçoivent à leurs dépens, qu’Hollande leur a fait prendre les vessies pour des lanternes. Sa promesse de retour de la retraite à 60 ans pour ceux qui avaient commencé à travailler à 17/18 ans lorsqu’ils apprennent à faire la différence entre trimestres validés et cotisés, en décomptant les périodes de chômage et de maladie et en y réintroduisant des forfaits de mensualités dérisoires. Nombreux sont ceux qui, à 60 ans, ne possèdent pas ces trimestres cotisés et se trouvent, soit dans l’obligation de continuer à travailler, soit, s’ils ont été licenciés, ne peuvent percevoir que l’allocation spécifique de solidarité (une misère) ou rien du tout si, avec leur conjoint en activité, ils dépassent le plafond de ressources minimal.

Quant aux retraités issus des classes ouvrières et populaires, ils sont désormais frappés par la régression sociale. Il faudrait d’ailleurs, pour éviter toute distorsion de la réalité en se laissant dominer par des moyennes, analyser les niveaux de vie par catégories socioprofessionnelles, tout en ayant à l’esprit que la relative protection dont ils ont joui repose sur deux facteurs : l’importance de la mobilisation contre la réforme des retraites et le fait que les retraités constituent un électorat important qui a la réputation conservatrice de voter plutôt à droite ; ceci dit, et pour illustrer le renversement qui s’opère, un exemple suffira pour montrer le cynisme mesquin dont font preuve la droite comme la gauche « hollandaise » à leur endroit.

Pour les chômeurs en fin de droits ayant validé tous leurs trimestres cotisés mais n’ayant pas atteint l’âge légal de la retraite, il était possible, au titre de l’allocation équivalent retraite (AER) de percevoir une indemnité de 1 000€ par mois. Sarko-Fillon ont supprimé cette « largesse ». Il s’agissait, prétendaient-ils, d’encourager les séniors (fainéants !) à travailler. L’ampleur de la crise de 2007 et des protestations les a amenés à reconsidérer, en apparence, leur position en faisant voter l’ATR (Allocation Transitoire de Solidarité). Et Fillon d’annoncer que 11 000 personnes y auraient droit… sans spécifier les conditions restrictives qui y étaient attachées (notamment avoir 60 ans, les trimestres cotisés…). Résultat, en juillet 2012, 515 ( !) personnes en bénéficiaient. La suppression de l’AER a fait tomber des dizaines de milliers de personnes dans la précarité. Depuis, au gouvernement socialo, c’est silence radio.    

Silence radio également sur la montée de la pauvreté. Le Secours Catholique a récemment remis au gouvernement un rapport d’enquêtes estimant que 4,8 millions de personnes vivent avec moins de 964€ par mois[4]. Parmi eux, 30% sont des jeunes de moins de 25 ans, 40% sont des chômeurs et 36% vivent dans des logements précaires. Ces derniers sont les premières victimes, avec la hausse des prix du gaz, de l’électricité et du fioul qui vivent dans la précarité énergétique. Les plus démunis se voient donc contraints d’opérer des coupes sombres dans leurs dépenses d’alimentation et de santé.

D’autant qu’une autre donnée dont on parle peu est à prendre en compte, à savoir la forte augmentation ces dernières années, des dépenses incompressibles : le logement, le chauffage, les déplacements domicile-travail. De 2001 à 2006, pour 20% des ménages, elles représentent entre 50 et 70% de leurs revenus. Rien que pour les dépenses de logement, ce sont 44% qui y sont engloutis contre 21% 5 ans plus tôt.

Il y a là, bien évidemment, un lien de causalité avec la crise du logement social[5] et les politiques de restriction de construction suivies depuis plusieurs années ainsi que la cherté des loyers et les incitations à devenir propriétaires. Face à la pénurie, aux pressions des demandeurs de logement, le pouvoir, pour calmer l’opinion, a fait voter la démagogique loi Dalo, dite du droit au logement opposable. Pouvait-on croire qu’elle allait créer des logements ou précipiter les demandeurs à poursuivre les bailleurs sociaux ? La réalité est tout autre : dans 37 départements, le 115 est débordé, 70% des demandes d’hébergement sont rejetés. A Paris, le Samu social, sur 1 200 appels ne peut en satisfaire que 400…
Depuis des années, c’est la même histoire qui se répète de plus en plus dramatiquement : lors de sa campagne électorale, en 2002, Jospin avait promis « zéro SDF », Sarko avait entamé la même rengaine : « D’ici 2 ans, plus personne (ne sera) obligé de dormir sur le trottoir… parce que le droit à l’hébergement est une obligation humaine », c’était en 2006 ! En 2008, Fillon nous assurait (toujours !) que c’était « un chantier prioritaire ». Or, selon les chiffres officiels, les SDF répertoriés étaient 86 000 en 2001 et en 2011, 150 000, sans compter les 85 000 qui leur ressemblent et sont logés dans des squats, des campings ou dans des caves. Pour faire cesser cette ignominie, Hollande et Duflot vont-ils oser recourir à la réquisition de logements vacants ? L’ordonnance de 1945 le permet, la pénurie de logements (800 000) l’exige, le nombre de logements vacants (2,2 millions !) en assure la possibilité. Rien n’est assuré, la mise en cause des intérêts des propriétaires heurterait-elle la sensibilité des bobos-centristes ?

Tous ces maux, la précarité, le mal logement, la pauvreté, se concentrent dans les quartiers populaires, les plus touchés par le chômage, les licenciements, la situation y devient intenable. Le taux de chômage des jeunes y atteint 50% : à Vaux-en-Velin 18% des « actifs » sont sans emploi et les « vieux » à la limite de la rupture. Les Centres Communaux d’Action Sociale sont submergés de demandes, y compris pour l’achat de médicaments. La santé de ces populations se dégrade, les impayés de loyers explosent (25 à 30% à la Courneuve). Dans ces quartiers de relégation, stigmatisés, les victimes du racisme, jeunes et moins jeunes, sont les plus discriminés à l’accès à l’emploi. Ils vivent la décroissance de leur dignité. Et dans les campagnes, cette réalité, si elle est moins visible, est la même. Au total, 3.5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire.

A la limite du supportable, ces images montrant ces glaneurs d’invendus, ces chasseurs de poubelles, ne renvoient pas aux bucoliques gravures des paysans du 18ème siècle glanant dans les champs du seigneur, ni à ceux pratiquant le braconnage à l’aide de pièges dans les terres ne leur appartenant pas ; Aujourd’hui à ces gêneurs on oppose soit l’indifférence indécente soit le versement d’eau de javel dans les poubelles des supermarchés afin d’éviter qu’ils ne se nourrissent d’invendus ou d’articles périmés. La belle avancée ! 

Face à ce tissu social qui se déchire par en bas, l’on nous porte à croire qu’avec quelques « emplois jeunes » ou « tremplin » ou « d’avenir »…, tous précaires, des efforts à la hauteur vont être accomplis en faveur de l’emploi et de la « cohésion sociale ». Encore une fois, la réalité est tout autre. L’emploi associatif se délite faute de subventions. Après avoir externalisé des emplois publics dans le secteur associatif privé, ces prestataires de services sociaux perdent de plus en plus toute marge d’indépendance, leur « vocation citoyenne » s’est réduite comme peau de chagrin. L’Etat, les collectivités locales fragilisent ce secteur : de 2010 à 2011, 26 000 emplois qualifiés en CDI ont été détruits et d’ici 2020, 600 000 départs à la retraite sont prévus. Avec une formation au rabais, sans qualification, en absence de tout statut protecteur, pourront-ils faire face au désastre social qui s’annonce ?

Ces constats suscitent bien d’autres questions prospectives, angoissantes dans la mesure où les politiques européennes et nationales qui les génèrent frappent encore plus durement, provoquent dans des pays plus atteints que le nôtre, l’émigration, l’exil.

Reste à faire entendre la voix de ceux qui restent sans voix ou ne donnent pas assez de la voix, bref, pour donner foi dans leur voix afin qu’ils refusent tout de go ce qu’on leur prépare ! La « pédagogie » de la compétitivité qu’on nous serine n’a pas d’autre objectif que celui de nous faire admettre comme une nécessité et la baisse des salaires réels et celle des prestations  sociales et l’existence d’un volant « d’inemployables ». Or, comme l’a souligné dernièrement l’économiste Piketty, la France est « la championne d’Europe en terme de nombre de milliardaires ou de millionnaires d’après tous les classements de fortune ». Cherchez l’erreur ! C’est déjà un autre débat.


Gérard Deneux, le 7 novembre 2012


Les informations et données sont tirées du décryptage du Monde de la 2ème quinzaine d’octobre 2012  et du site de l’Observatoire des inégalités www.inegalites.fr/   


[1] La « croissance » en système capitaliste, celle du Produit Intérieur Brut ne mesure que la croissance du capital et des biens produits et non pas la croissance des revenus des « salariés », terme qu’il faudrait soumettre à une analyse par catégories socioprofessionnelles, pour le moins
[2] 3,6 millions de personnes sont allocataires de minima sociaux, dont 1,4 million perçoivent le RSA socle (le RSA vaut 472€ pour une personne  (418€ en tenant compte de l’aide au  logement), il est de 712€ pour un couple (600€ avec l’aide au logement)
[3] Il faudrait pouvoir faire l’historique des mesures restrictives qui ont mis à mal depuis 20 ans les droits des chômeurs avec la complicité notamment de la direction de la CFDT
[4] 2 millions de personnes vivent avec moins de 645€ par mois
[5] 3, 6 millions de personnes sont mal logées, parmi lesquelles 685 116 personnes sont privées de logement personnel.