Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 25 août 2012

Amiens, quartier nord. La normalité «hollandaise» !


Amiens, quartier nord. La normalité «hollandaise» !

Les médias se sont très peu répandus sur les causes de l’embrasement de cette banlieue. Ils ont préféré, brièvement, s’en tenir à l’importance des dégradations commises en reprenant à leur compte la ritournelle de la délinquance irrépressible des jeunes. Pour ce que l’on en sait, les faits révèlent une autre réalité largement occultée. Quant aux annonces qui ont suivi, elles servent essentiellement à rassurer l’opinion tout en donnant bonne conscience au gouvernement.

Les faits. Les commentaires.

Le 12 août, c’était un dimanche, comme de coutume dans ce quartier, la Brigade anti-criminalité (BAC) avait investi ce paysage urbain de barres de béton pour procéder à des énièmes contrôles d’identité ! Soudain, un automobiliste prend un sens interdit. Pas de demi-mesure, il est arrêté avec fracas : gaz lacrymogènes, flash ball. A-t-il tenté de fuir ? Ce délit nécessitait-il ce savoir faire policier que la République voulait exporter en Tunisie ? Silence, les journalistes de connivence n’ont rien à dire à ce sujet, encore moins sur l’homme interpelé aux abords d’immeubles, où dans l’un d’entre eux, en plein air, on commémorait un deuil. Toujours est-il qu’excédés par tant de tapage olfactif suffocant, quelques membres de la famille Hadji osèrent protester. Faire comprendre aux pandores qu’ils s’éloignent pour respecter le deuil de Namir, 20 ans, décédé le 9 août d’un accident de moto, s’est vite avéré de l’ordre de l’incompréhensible pour leurs neurones. On n’interpelle pas la police, c’est une provocation ! «Ils nous ont provoqué comme des cow-boys et les enfants comme les femmes furent gazés avec des bombes lacrymogènes».

De barres en barres d’immeubles, l’information puis la mobilisation se sont répandues. Attroupements, protestations, altercations, les flics devaient dégager. Marre des humiliations et des contrôles intempestifs ! Indisposés, les mercenaires de l’Etat n’entendaient pas se retirer en bon ordre mais maintenir leur ordre. Des renforts ! 250 policiers et robocops munis de canons lance-à-eau, grenades, flash ball furent rapidement sur les lieux. Diligenté, un hélicoptère tournoya au-dessus du quartier afin de prendre des clichés des délinquants potentiels. La protestation s’est vite transformée en colère, heurts et affrontements. Ils durèrent, pour le moins, toute la nuit du 12 au 13. Seize policiers blessés, incendies, mais force est restée à la loi républicaine. Les photos aériennes peuvent parler pour qu’un peu plus tard, en comparution immédiate, pleuvent les condamnations sans appel.

Mais, dès le 14 août, à l’image de l’ordre militarisé, dans le quartier, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, de l’immigration et de … l’insertion ( !) est venu plastronner. Il avait prévu de parcourir les lieux de la République bafouée. Mal lui en prit ! Sous les huées, bousculé, il annula sa visite à pied. Il dut battre en retraite, encadré, protégé par des gardes mobiles. Il n’était pas question qu’il réponde aux interpellations populaires. Auprès des médias, présents, il eut néanmoins le temps de s’apitoyer sur le sort des policiers blessés : «c’est intolérable», promettant de surcroît à la corporation des cow-boys «des moyens supplémentaire » et, fanfaron, d’assurer «je ne suis pas venu ici pour reprocher quoi que ce soit à la police». Le changement dans la continuité sarkozyste était assuré, la BAC et les CRS rassurés.

Toutefois, le Maire PS de la ville, un certain Gilles Demailly, du bout des lèvres, devait reconnaître : «L’intervention de la police n’était pas appropriée dans une situation de deuil. Beaucoup de gaz lacrymogène a été utilisé, ce qui a été perçu comme une agression». On lui souhaite d’en faire l’expérience pour mesurer que la tranquillité gazée est de l’ordre du possible, même sans situation de deuil !

Des braises qui couvent et des flics pyromanes

Le quartier Nord, dit Fafet Brossolette, c’est 25 000 habitants, un chômage qui atteint plus de 40 % et, pour les jeunes de 18 à 25 ans, plus de 60 %, une zone vouée à la paupérisation (63 % de non imposables, 1/3 sous le seuil de pauvreté). Selon le témoignage d’un ex «grand-frère» : «depuis les années 2000, c’est le vide, il n’y a plus d’éducateurs, de prévention sociale». Cette année plus de 1000 jeunes se sont présentés à la Mission Locale… pour (presque) rien. Même le Maire PS, lui le décideur, d’avouer : «Les appartements n’ont pas été rénovés, les crédits à l’humain (sic) sont insuffisants, les associations sont en train de fermer». En fait, nombre de services sociaux publics ont été privatisés «délégués» à des associations puis leurs subventions se sont taries. De toute évidence, ni les élus locaux ni l’Etat ne se sentent responsables. Que l’on aimerait voir les habitants du quartier décortiquer le budget municipal et mettre en évidence les subventions toujours octroyées aux associations «honorables» et autres prestations de prestige. Depuis qu’ils sont discriminés, ils pourraient s’emparer de leur histoire. Car, ce quartier en a une, celle de ses révoltes sporadiques. Déjà en 1982, suite à des provocations policières et injures raciales, une manifestation spontanée est venue protester devant la préfecture. Puis, il y eut 1984, 1997, 2007, 2009, sans compter 2005. Et il y a son origine.

La honte de la «France exemplaire» et son actualité.

C’était en 1962, aussitôt après l’indépendance de l’Algérie. Il existait sur le site du quartier actuel une prison désaffectée pour cause d’insalubrité. Un millier de harkis, comme pour les remercier d’avoir combattu pour l’intégrité de la France coloniale, y furent confinés, une famille par cellule. Cela dura 3 ans… avant l’érection des premières barres HLM. Puis, d’autres populations issues de l’immigration vinrent les rejoindre. Les Trente Glorieuses furent vécues comme un bref répit avant que la cité de relégation devienne celle où s’entassent la précarité, la pauvreté, presque tous des faciès étrangers1. La politique dite de la Ville n’a guère amélioré ce paysage urbain, si ce n’est par l’intrusion régulière et intempestive des Robocops.

Il paraît que la France républicaine, de Sarko à Valls, veut «rétablir la confiance entre les jeunes et la police…» Pour l’heure, elle le fait en surentraînant les CRS et la BAC à la guérilla urbaine ! Notre savoir-faire en «contrôle des foules  s’exportait d’ailleurs avant l’éclosion des révolutions arabes. Reste qu’en Afrique du Sud, Ségolène Royal2 est peut-être partie en éclaireur pour porter «l’ordre juste» vis-à-vis des mineurs grévistes qui se sont fait récemment massacrer à Marikana (44 morts) ?

Quant au ministère de la parole, il s’est mis à débiter sa volonté de faire. Quoique le capitaine pédalo et son acolyte Lamy (ministre délégué à la Ville) se sont mis à mouliner à l’envers. Il est urgent d’attendre «une grande concertation nationale». Non, il n’y aura pas de plan Marshall des banlieues. Mais l’on nous promet un projet de loi pour le … 1er semestre 2013. Des «emplois francs» (du collier) pour les entreprises qui, exonérées de «charges» (encore !), embaucheraient des jeunes des quartiers. Et qui plus est, austérité oblige, une cure d’amaigrissement des aides octroyées aux territoires ghettoïsés. Comprenez, l’empilement des mesures est incohérent, il faut simplifier, cibler les aides, n’en accorder que pour les cas les plus dramatiques. Bref, face au tonneau des Danaïdes3, les Socialos s’apprêtent à boucher les plus gros trous en regardant les autres s’agrandir. 751 Zones Urbaines Sensibles (ZUS) au sein desquelles existent 435 ZRU (Zones de redynamisation urbaine) et 2 493 quartiers en CUCS (contrats urbains de cohésion sociale), c’est trop ! Toute cette novlangue et les pauvres mesures qu’elle contient prouvent, s’il en est besoin, l’insensibilité de la classe dominante et de ses politiciens à la pauvreté, à la précarité et aux discriminations. Elle accompagne la décohésion sociale et la «dynamitation» urbaine. Les habitants de ces quartiers ont raison de se révolter vis-à-vis des situations qu’on leur impose. L’on ne peut que déplorer le peu de solidarité politique, active, à leur égard.

Gérard Deneux le 24 août 2012
1 Lire le livre de François Ruffin « Quartier Nord » Fayard (2006)
2 La Vice présidente de l’Internationale Socialiste préside la réunion de l’IS en Afrique du Sud
3 Mythologie grecque. Nom des cinquante filles du roi d’Argos, Danaos, qui, toutes, à l’exception d’Hypermnestre, tuèrent leurs époux la nuit de leurs noces. Elles furent condamnées, dans les Enfers, à remplir d’eau un tonneau sans fond.